GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 3T/1981


La Franc-Maçonnerie

Connaissance et Universalisme

 « Un historien en tant que tel est sans père, sans mère et sans généalogie. Si on lui demande : d'où êtes-vous, il faut qu'il réponde : je ne suis ni français, ni anglais, ni allemand, ni espagnol, etc. Je suis habitant du monde. Je ne suis ni au service du Roi de France, ni au service de l'Empereur, mais seulement au service de la vérité. C'est ma seule Reine ; je n'ai prêté qu'à elle le serment d'obéissance ».

Vous avez certainement reconnu là, un texte célèbre du « Dic­tionnaire Philosophique » de Pierre Bayle, texte particulièrement significatif de ce philosophe et qui préfigure admirablement la pensée du XVIII' siècle et traduit l'esprit de la Franc-Maçonnerie au siècle des Lumières.

Cet historien, disons cet homme, qui se considère comme « un habitant du monde » et qui se veut au seul service de la « vérité » annonce déjà, en 1695, l'homme, le Franc-Maçon du XVIIIe siècle, défini par les célèbres Constitutions d'Anderson de 1723.

Celui-ci est en effet un homme soucieux d'universalisme, soucieux de la recherche de la vérité, un homme en quête de l'universel et de la connaissance. Pour lui comme pour le Franc- Maçon d'aujourd'hui, ce qui est commun aux hommes est plus important que ce qui les distingue, ce qui les unit à plus de réalité et de valeur que ce qui les sépare.

Dans chaque homme singulier, particulier, le Franc-Maçon cherche à découvrir ce qui, en lui, est universel, à dégager ce qui, en lui, est proprement humain, sans distinction de race, de langue, de nationalité, de croyance, de culture. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne cherche pas à prendre en compte sa nationalité, sa croyance particulière, sa langue, sa culture, mais qu'il cherche seulement à les dépasser dans une unité plus vaste, dans une réalité plus profonde.

« La Franc-Maçonnerie, nous dit la Constitution de la Grande Loge de France, constitue une alliance d'hommes libres et de bonnes mœurs, de toutes races, de toutes nationalités, et de toutes croyances ». Ce qui ne signifie pas que le Franc-Maçon doive se dresser contre son pays et critiquer systématiquement toute croyance. Là encore, les vieilles Constitutions d'Anderson nous le rappellent : « Un Maçon est un paisible sujet à l'égard des Pouvoirs Civils ; en quelque lieu qu'il réside ou travaille, il ne doit jamais être mêlé aux actions contre la Paix et le bien-être de la nation, ni manquer à ses devoirs envers les magistrats » et elles ajoutent : « car la Franc-Maçonnerie a toujours pâti de la guerre, de l'effusion de sang et du désordre ». Le Franc-Maçon est bon patriote, bon citoyen, et soucieux de préserver la paix civile, condition essentielle de son épanouissement matériel et intellectuel, condition de toutes ses libertés.

Il est attentif à ce qui peut distinguer les hommes et il est soucieux de tenir compte de leurs différences mais il s'efforce toujours de dépasser leurs oppositions. Il pourrait faire sienne ces paroles de Montesquieu qui, d'ailleurs, était Franc-Maçon, et qui écrivait dans ses « Cahiers » : « Si je savais quelque chose qui me fut utile et qui fut préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose utile à ma famille et qui ne le fut pas à ma patrie, je chercherais à l'oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fut préjudiciable à l'Europe, ou bien qui fut utile à l'Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime. »

Mais une fois encore, tout en prenant en compte les diffé­rences qui tiennent aux croyances particulières et aux nationalités, il faut essayer d'aller au-delà, car comme l'écrit Montaigne dans les Essais « chaque homme porte la forme entière de l'humaine condition », puisque, « nature a embrassé universellement toutes ses créatures » ; il faut essayer de découvrir, de définir et, pour­quoi pas, de créer l'homme universel. Mais qu'est-ce à dire l'hom­me universel ? L'homme universel, c'est celui que, en tout homme, le Franc-Maçon veut reconnaître et reconnaît comme son frère.

Et là encore, il nous semble particulièrement significatif que la Franc-Maçonnerie traditionnelle se place sous le patronage de Saint-Jean. Nombreuses étaient les Loges au XVllle siècle qui empruntaient à Jean l'intitulé de leur titre distinctif, comme nom­breuses sont les Loges qui, aujourd'hui encore, se réclament de Saint-Jean.

Par exemple : Saint-Jean de la Parfaite Amitié, Saint-Jean des Arts et de la Régularité, Saint-Jean du Verseau, Saint-Jean d'Occitanie, Saint-Jean des Trois Vallées, et d'autres encore qu'il serait trop long de nommer et d'énumérer. Pourquoi : sans doute parce que cet évangile est celui de l'amour fraternel, celui où la fraternité de tous les hommes est la mieux marquée.

Or, que nous dit Jean ? « Tu aimeras ton prochain comme toi- même », et, dans ses épîtres, il explicite sa pensée : « Celui qui dit être dans la lumière et qui a son frère en haine est dans les ténèbres. Celui qui aime son frère est dans la lumière ». La Franc-Maçonnerie apparaît bien, en son sens étymologique, comme « cette religion antérieure à tout dogme et qui permet de dépasser les différences et les oppositions » comme le disait le célèbre Chevalier de Ramsay, instaurateur de l'Ecossisme au XVllle siècle.

Ainsi le Franc-Maçon cherche avant tout à se définir par l'universalité et se considère comme un citoyen du monde. Mais il se définit aussi comme un être, un homme en quête de la Connaissance, un homme à la recherche de la Vérité. La Franc- Maçonnerie a été définie comme une « institution d'initiation spi­rituelle au moyen de symboles ». En effet, par principe et par définition, cet homme qui entre en Loge est à la recherche certes d'une fraternité, mais d'une fraternité initiatique, c'est-à-dire qui repose sur une méthode particulière d'apprentissage de la connais­sance. Ici, expliquons-nous. En général, peut-on dire que l'homme, celui d'hier comme celui d'aujourd'hui, recherche avant tout et surtout la connaissance, la vérité ? Il ne le semble pas. Le plus souvent l'homme, et cet homme, c'est vous et c'est moi, cet homme c'est aussi un Franc-Maçon ou ce Franc-Maçon est aussi cet homme, que recherche-t-il avant tout ? la Vérité ? la Connais­sance ? Peut-être, mais surtout le bien-être, le confort, la richesse et les honneurs, la promotion sociale, la réussite, la puissance, le pouvoir. Oui, très souvent la puissance et le pouvoir. Soyons francs et reconnaissons que cette recherche n'est pas nécessai­rement condamnable et qu'elle peut être légitime. Mais la question n'est pas là. La question consiste à se demander si l'homme doit consacrer tout son temps et toute sa vie à cette seule recherche. N'y a-t-il pas un temps pour « autre chose » ; ne devons-nous pas, à côté de l'activité politique économique et sociale réserver cer­tains moments de notre existence à d'autres projets, à d'autres activités ?

S'il y a un temps pour l'action, ne doit-il pas y avoir aussi un temps pour la réflexion, pour la méditation, et pourquoi pas, pour le rêve, ce rêve dont Nerval disait qu'il était pour l'homme « comme une seconde vie » ? N'y a-t-il pas un temps pour l'art, la musique et la poésie ? Car l'homme est certes un être social, un « animal politique », et il ne s'agit pas pour nous de négliger en lui cette dimension. Mais, nous pensons, que le réduire à cette dimension, c'est l'aplatir, c'est le mutiler. Il est aussi, cet homme d'hier et d'aujourd'hui, un être spirituel, un être qui a une dimen­sion proprement intérieure, métaphysique, que la vie moderne tend à réduire et à détruire, mais sans laquelle il ne saurait retrouver l'équilibre, la sagesse et le bonheur.

Ainsi, nous apparaît aujourd'hui encore le Franc-Maçon, non pas comme un homme universel mais comme un homme en quête de l'universalité ; non pas un homme qui connaît, qui possède la vérité, mais un homme qui la cherche « avec toute son âme » comme le disait déjà Platon, ou tout au moins qui pense que l'homme doit consacrer une partie de son temps ou de sa vie à cette recherche et à cette quête, à cette conquête même.

Qu'elles sont émouvantes et qu'elles sont vraies et actuelles ces pages du philosophe Lessing qui était Franc-Maçon comme Montesquieu et comme Goethe et qui disait : « Ce qui fait la valeur de l'homme ce n'est pas la vérité qu'il possède ou croit

66 posséder, c'est l'effort sincère qu'il fait pour s'en approcher. Car ce n'est point par la possession mais par la recherche de la vérité que grandissent les forces qui font sa perfection toujours croissante. »

Aujourd'hui comme hier, la Loge Maçonnique juste et régu­lière, ne prétend pas nous apporter une sorte de Vérité toute faite et définitive, dans quelque domaine que ce soit. Mais elle est ce lieu exceptionnel, loin des agitations et des passions du monde, ce lieu hors de l'espace et du temps où l'homme est appelé à un effort intérieur. Ses rites, ses symboles, invitent le Franc- Maçon à la réflexion, à la méditation. Ils nous proposent une méthode, un chemin, un apprentissage irremplaçable de la vie de l'âme. La Loge Maçonnique est ce lieu où l'homme d'aujourd'hui peut se retrouver tout entier, dans sa dimension universelle et dans sa dimension spirituelle.

« L'aventure technique qui caractérise le monde moderne contraint peut-être l'homme à inventer de nouveaux styles de vie » a pu dire Georges Friedmann. Mais il fait justement remarquer qu'elle ne saurait le dispenser de cette recherche de la vie intérieure, de cette sorte d'apprentissage de la vie de l'esprit que nous venons chercher dans la Loge maçonnique.

Car la « Loge Maçonnique » peut donner à l'homme d'aujour­d'hui les outils symboliques qui lui permettront de se retrouver dans son universalité et de se conquérir dans sa liberté, et de découvrir ce qui est à la racine et au cœur de cette vie, nous voulons dire sa vie intérieure, cette « lumière de l'esprit et du cœur » qui seule peut permettre à l'homme d'éclairer sa vie, de lui donner un sens et par là même, de la vivre dans l'équilibre, la paix, la joie et la sagesse.

MAI 1981

Publié dans le PVI N° 42 - 3éme trimestre 1981  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

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