GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 3T/1981 |
Les Feux du Solstice L'initié
Franc-Maçon vit au rythme du monde. Il est attentif aux
saisons, aux solstices,
au temps qui se renouvelle. Le sablier, la clepsydre, comme le globe
céleste et
le globe terrestre, la voûte étoilée
qui avec son zodiaque lui montre la
pérennité du ciel font partie de son arsenal
symbolique, s'ajoutant aux outils
proprement dits qui lui font prendre la mesure du temps et de
l'espace, la
mesure de l'Homme et de l'Univers. L'initié
Franc-Maçon se situe ainsi sur un chemin dont
l'entrée est annoncée par deux
vivants piliers, opposés et pourtant
symétriques, séparés et
pourtant jumeaux,
deux piliers qui renferment le secret de la nature et le poids du
monde, deux
piliers qui ont de tout temps fasciné les hommes de
connaissance et de désir et
qui en notre civilisation portent depuis deux millénaires le
nom mystérieux de
Jean. Nous
revenons, dans
ce cycle perpétuel dont les piliers à la fois
marquent le rythme de la vie et
délimitent le champ des connaissances humaines, au jour de
la pleine lumière,
jour où Jean le Baptiste s'apprête à
mourir pour annoncer plus grand que lui et
afin que Jean l'Evangéliste, au solstice d'hiver, puisse
prononcer la parole
mystérieuse du « consummatum est ». Nous
sommes
parvenus en ce jour du Soleil triomphant à
l'instant très bref où les deux
Jean se confondent pour tenter de faire comprendre à l'homme
l'un des plus
profonds mystères de la Vie. Or
ce mystère,
celui du Soleil, celui de la création, ne
s'explique pas. Il ne peut être
appréhendé que par cette voie intuitive, en
honneur chez tous les Francs-Maçons
de la Grande Loge de France,
il ne peut
qu'être suggéré symboliquement
à celui qui accepte d'ouvrir les yeux. Hermès
n'a-t-il pas dit : « L'éternité est
image de Dieu, le monde image de
l'éternité, le Soleil image du monde, l'homme
image du Soleil » ?... Ce
n'est point un
hasard si la Franc-Maçonnerie traditionnelle en honorant les
deux Saint Jean
fait référence également à
la lune et au soleil qui dans tout temple maçonnique
entourent à l'Orient le Delta flamboyant, image de la
Divinité suprême. Contemplez
en effet
les deux visages de Jean, tels que nous les ont
légués dans leur merveilleuse
inspiration les peintres, les sculpteurs, les imagiers d'autrefois,
initiés à
l'art royal. L'un, le Baptiste, sévère, farouche,
lunaire. L'autre,
l'Evangéliste, illuminé, plein de douceur,
solaire. Or, passer de la Lune au
Soleil dans les 33 degrés de la sagesse humaine c'est aller
du Baptiste vers
l'Evangéliste et, initié aux petits
mystères, aller vers le vrai Soleil dont
l'astre n'est que l'image visible, celui qui illumine la nuit des
initiés
capables d'affronter et de contempler en face la
réalité des grands mystères.
L'initiation
achevée est la mise au monde de l'Homme-Soleil qui
éclaire lui-même sa route. Mais
revenons à
Jean le précurseur, revenons à Jean le
« baptiseur » entre les mains duquel
tout initié doit au préalable se confier. Jean
venait de chez
les Esséniens. Ses attaches avec Oûmran sont
aujourd'hui bien établies et le
cardinal Daniélou a pu dire : «
Désormais la
figure mystérieuse jusqu'à ce jour du Baptiste se
détache sur un fonds précis
au lieu de surgir d'un monde inconnu ». Et le
professeur Dupont-Sommer à
qui nous devons l'analyse des manuscrits de la Mer Morte affirme
à propos de
ces thérapeutes du Désert que Jean le Baptiste
fut « très probablement » leur
chef. Or
les Esséniens
pratiquaient le culte du soleil. Flavius Joséphe rapporte
comment, dès l'aube,
« ils lui adressaient leurs vœux comme
à un père, en le conjurant d'éclairer
leurs âmes de sa lumière ».
Bien sûr ce n'était point l'astre
lui-même
qu'ils honoraient ainsi mais la force de mystère qui en fait
le bienfaiteur et
le père nourricier des hommes. Le pain n'est-il pas en effet
des rayons
solaires matérialisés et tout ce que nous
mangeons, tout ce que nous buvons,
comme le rappelait Flammarion, ne le devons- nous pas au Soleil ?... Ce que nous savons des Esséniens se réduit à des bribes arrachées çà et là à des manuscrits de l'époque. On sait ainsi qu'ils avaient les cheveux longs et qu'ils étaient vêtus de lin blanc. Qu'ils pratiquaient entre eux l'hospitalité fraternelle, qu'ils professaient le rite du baptême, que leur initiation durait trois ans et que le « nazaréat » (d'où le nom de Nazaréen donné à Jésus) était chez eux le grade conféré à celui qui avait reçu les plus hautes connaissances. On sait également qu'ils étaient très éloignés des pratiques du judaïsme orthodoxe, très influencés par l'hellénism,e et surtout par la Gnose pythagoricienne. Il est signifiant d'ailleurs de rapprocher leur nom de celui des prêtres du grand Temple d'Ephèse que l'on appelait "Essènes". Ainsi
Jean le
Baptiste, leur chef, tout au moins l'un de leurs guides,
apparaît-il à présent
à nos yeux beaucoup plus clairement, beaucoup plus nettement
que
jadis et son
visage se détache sur un fond beaucoup plus familier au
Franc-Maçon, héritier
lui aussi, pour une part, du pythagorisme antique. Et l'on comprend
mieux ainsi
cette étonnante scène du Jourdain où
l'initié Jean donne à l'initié
Jésus le
baptême
et perd ainsi sa priorité et son pouvoir par la descente en
Jésus, à cet
instant unique, du Christ, du Verbe solaire. Et
l'on conçoit
mieux ce vaste courant johannite où les deux Jean ne font
qu'un bien sûr, qui,
tout au long des siècles et depuis les Pères de
l'Eglise primitive, n'a cessé
de se manifester. A travers la Béatrice de Dante,
derrière le sourire de la
Joconde de Léonard, dans les peintures du Greco et de
Botticelli, autres
initiés dans les écrits d'Abélard, de
Clément d'Alexandrie ou de Joachim de
Flore, dans la pensée d'un Bernard de Clairvaux, dans toute
la vie d'un Saint
François d'Assise. Mais
qu'est donc,
me direz-vous, ce courant johannite dont on entend si souvent parler et
dont
bien peu nous révèlent les arcanes ? En
vérité la réponse est toute simple.
Elle
tient en deux mots : Connaissance et Amour. Deux mots dont le second a
été
perdu au cours des longues nuits d'agonie des martyrs de toutes les
fois, dans
les luttes religieuses et fratricides et dont le premier a
été occulté par les
dogmes des églises lorsque celles-ci voulaient garder pour
elles seules le
droit de détenir la Vérité. Connaissance
et
Amour. Jamais l'une sans l'autre, jamais l'une au détriment
de l'autre. Il
est dans les
cathédrales de Chartres et de Ferrare, deux statues de
Janus, c'est-à-dire de
Saint Jean au double visage, étrangement
éloquentes. Ce Saint Jean « bifrons »
comme le Dieu latin son précurseur, tient en effet un pain
(ou une galette) et
une coupe. Le pain de vie et d'amour et la coupe renfermant le vin de
la
connaissance. Car le pain est l'amour et le vin la
connaissance. Et le pain et
le vin unis c'est l'Aor-Agni des initiés hindous, l'Aor-Agni
correspondant aux
deux Saint Jean de l'ésotérisme
chrétien. Dans
la « Didaché
», la communion des premiers chrétiens sous les
deux espèces, il était dit : « Nous
te rendons grâce ô Père, pour la vie et
la gnose que tu nous as fait connaître
». La Cène était alors vraiment encore
le repas des initiés. Or, dans le pain,
ou la galette plus précisément, que nous tend le
Saint Jean de Chartres il y a
la fève, symbole solaire de Phoebus dont le nom
lui-même signifie « lumière »
(Phos) et « vie » (Bios). Quant
à la coupe de
la connaissance, quant au Vase qui contient la liqueur des
initiés, le vin de
Dionysos, le « sôma » des Hindous,
déjà Ganymède, l'échanson
des Dieux, l'homme
du Verseau, celui qui préside
précisément à notre ère
nouvelle, la tenait et
l'offrait aux initiés d'avant Saint Jean. La coupe c'est le
Graal taillé dans
l'émeraude perdue par Lucifer dans sa chute et son vin est
celui qui apporte
aux hommes les secrets du jardin d'Eden. Amour
et
Connaissance. Les deux Jean, le Baptiste et
l'Evangéliste en sont l'un et
l'autre les précieux dépositaires. Et c'est
à nous qu'il appartient, pour nous
approprier leurs dons ineffables, de les interroger et de les
comprendre. A
Notre-Dame il est
un autre Saint Jean qui lui n'est pas Janus. Mais il porte en revanche
deux
livres. L'un est ouvert, l'autre fermé. Or le livre,
assimilable à la coupe de
la connaissance résume en ses deux positions
extrêmes toute la quête
alchimique, toute la démarche de l'initié qui
doit briser un à un les sept
sceaux et, passant de la lune au soleil, illuminer le monde de tout
l'amour
qu'il y aura puisé. Tel
est en fait la
véritable signification de ces bûchers votifs qui
connaissent un regain de
ferveur et de nouveau s'allument aux quatre coins de la France au soir
de la
Saint Jean d'été. Renouant les vieilles
traditions, des hommes et des femmes,
sans trop connaître parfois le sens profond de leur geste,
recréent ainsi les
anciens feux du soltice. Parmi eux bien sûr, il y a des
initiés. Parfois
ceux-ci font la chaîne d'union autour de la flamme qui monte
haut et clair dans
la nuit d'étoiles et le Vénérable
Maître, entouré de tous ses Frères,
prononce'
alors des paroles rituelles venues du fond des âges. Des
paroles qui
célèbrent la Vraie Lumière, celle qui
en venant dans le monde éclaire tout
homme, selon les versets de l'Evangéliste.
« Puisse ce feu réchauffer votre
coeur, fortifier votre corps, et magnifier votre esprit. Puisse-t-il,
murmure
encore le Vénérable Maître se transmuer
en un amour ardent pour vos semblables.
Puisse-t-il illuminer à jamais votre âme !...
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