GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 1T/1982 |
Le Chevalier de Ramsay
et la naissance de l’Ecossisme Le chevalier de
Ramsay a-t-il contribué à la naissance de l'Ecossisme ? La réponse est non. Le chevalier de
Ramsay a-t-il donné une définition à l'Ecossisme, en a-t-il précisé les
principes, a-t-il jeté les bases de son organisation ? C'est indiscutable. Nous savons qu'il
avait rédigé son célèbre Discours pour l'assemblée annuelle du 25 mars 1737 de
la Grande Loge Provinciale de France — dont il était le Grand Orateur. En
réalité, il est établi aujourd'hui que ce discours, dont nous connaissons
actuellement huit rédactions successives et quelque peu différentes, ne fut
jamais prononcé. Le cardinal Fleury, Premier ministre, avait en effet donné
trois jours plus tôt au lieutenant de police l'ordre d'interdire toutes les
assemblées maçonniques. Le Discours du
chevalier de Ramsay n'ayant pas été prononcé le 24 mars 1737, il n'eut
d'influence réelle qu'à partir de 1742, c'est-à-dire après sa publication par
La Tierce dans un ouvrage intitulé « Histoire, Obligations et Statuts de la
très-vénérable Confrérie des Francs-Maçons ». Pour quelles
raisons le système maçonnique, qui devait s'organiser en Rite Ecossais Ancien
et Accepté, a-t-il affiché une référence écossaise ? Ceux d'entre vous
qui, à la Bibliothèque de la Grande Loge de France, auront la curiosité de
relire toutes les planches présentées en Loge par les dignitaires les plus
respectés de notre Ordre et traitant de cette question, trouveront cent
explications pour une. On a fait souvent référence à la très vieille Loge de
Kilwinning. On a fait référence aux Stuarts. On a fait de la tradition
écossaise l'héritière du vieil Ordre écossais du Chardon. J'ai même lu que
l'Ecossisme était né dans un château de la Haute-Marche, le château d'Ecosse,
et qu'il se rattachait ainsi à la tradition de la Maçonnerie forestière. Plus sérieuse à
coup sûr est l'explication donnée par notre Frère
Jean Baylot — qui fut Grand
Maître adjoint du Grand Orient de France avant de devenir Grand
Surveillant de
la Grande Loge Nationale Française. Il rattache, en effet, la
tradition
écossaise à l'introduction de l'épée dans
le rituel des cérémonies maçonniques. « Les rituels
anglais », a-t-il écrit, « ne l'emploieront que pour la garde symbolique des
temples. Au contraire, elle sera d'un emploi très général dans les rituels
français, chacun des membres en disposant dans certains cas. La chose est
importante. Il faut y voir, dès les débuts, l'évolution de la Franc-Maçonnerie
en France vers des caractères chevaleresques. Au contraire, les rites anglais
demeureront corporatifs. Là est l'origine première des systèmes de hauts
grades, dits écossais. » Il devait ajouter
cependant : « Ecossais,
peut-être parce que, comme le remarque M. Chevalier, ces innovations ont été
conçues, ou expérimentées, dans la Loge du Grand Maître Derwentwater. » « Il semble
admis, en effet, que la Loge Saint-Thomas de Derwentwater fut la
première à pratiquer un rite aux références chevaleresques. Il est fort
possible que ce soit pour combattre cette influence pré-écossaise que la Grande
Loge de Londres a créé en 1732, en territoire français, la Loge du bijoutier
Coustos qui s'en tient avec rigueur aux pratiques des Loges anglaises. » Le procès-verbal de
la tenue du 12 mars 1737 de la Loge Coustos-Villeroi enregistre les
protestations contre certaines innovations pratiquées dans la Loge du Grand
Maître Derwentwater « L'Ordre n'est
pas un Ordre de chevalerie mais de société, où tout homme de probité peut être
admis sans porter l'épée, bien que plusieurs seigneurs et principes se fassent
un plaisir d'en être. » L'historien Daniel
Ligou, haut dignitaire du Grand Collège des Rites, devait écrire en 1970 dans la
revue « Humanisme », éditée par le Grand Orient de France « Il est malaisé
de connaître les finalités de l'Ecossisme : désir de sélection sociale,
intellectuelle, spirituelle ? Recherche du « secret » qui paraît sans
cesse à portée de la main et qui est toujours inaccessible ? Interférence — à
peu près certaine — de l'ésotérisme traditionnel, et peut-être surtout de
l'alchimie ? Désir aussi de compléter le mythe d'Hiram ? Incompréhension, déjà
visible dans le Discours de Ramsay, d'un opératisme traditionnel que l'on
comprend mal parce qu'en France, à l'inverse de l'Angleterre, la Maçonnerie ne
s'est pas directement souchée sur les corporations ? » Il n'est plus
possible, aujourd'hui, compte tenu des découvertes historiques, de nier que
l'Ecossisme a été adopté par un courant maçonnique qui fut introduit en France
dès 1726. Ce courant se voulait gallican, catholique, royaliste et indépendant
de la Grande Loge de Londres. Il fut contesté à partir de 1732 par les Loges
fondées par l'Obédience anglaise en territoire français. C'est le courant
gallican qui a voulu constituer une Grande Loge de France. Cette Grande Loge a
exprimé très vite le désir d'imposer son autorité aux nouveaux grades nés de
l'Ecossisme. Le courant écossais
est donc né indiscutablement avant le Discours du chevalier de Ramsay. La première Loge
écossaise, la Loge Saint-Thomas, avait été créée en 1726 par un stuardiste,
Lord Derwentwater. L'une des Loges où se précisa le courant gallican, la Loge
d'Aubigny, avait été installée le 12 août 1735 dans le château de Louise de
Kéroualle, duchesse de Portsmouth. Ce sont les
premières Loges écossaises qui ont désigné le chevalier Maclean, baronnet
d'Ecosse, comme Grand Maître en 1735, et Charles Radcliffe, Lord Derwenwater,
en 1736. L'Ecossisme n'est pas
né en 1726 par la volonté de quelques Francs-Maçons français épris de
modernisme. En fait, ils ne faisaient rien d'autre que de réveiller une
tradition chevaleresque qui, en France, était à coup sûr antérieure à la
Franc-Maçonnerie d'inspiration anglaise. Entre 1726 et 1735,
pour affirmer un courant français indépendant de la Franc-Maçonnerie anglaise,
il y a eu seulement divulgation du rite ancien dans le but de réformer le
système importé d'Angleterre. C'est à cette
volonté que va répondre le Discours de Ramsay. René Guénon ne s'y trompait pas
lorsqu'il écrivait que « la première raison d'être de l',Ecossisme fut
précisément de s'opposer aux tendances protestantes et « orangistes n
représentées par cette dernière depuis la fondation de la Grande Loge
d'Angleterre ». Jusqu'en 1738,
c'est-à-dire jusqu'au moment où Louis Antoine de Pardaillan de Gondrin, duc
d'Antin, prince du sang, fut désigné comme Grand Maître de la Franc-Maçonnerie
en France, il se développa dans le pays deux courants maçonniques bien
distincts : celui des Loges anglicanes et celui des Loges gallicanes. L'historien Paul
Naudon marque bien la différence qui existe dès cette époque entre les Loges
anglaises, dépendant de la Grande Loge de Londres, et les Loges écossaises,
constituées la plupart du temps par des stuardistes qui auraient vécu et
essaimé suivant les rites traditionnels. Il admet cependant que l'opposition
entre ces deux Maçonneries doit être envisagée avec beaucoup de nuances, les
divergences originelles n'ayant pas exclu, selon les circonstances, des
rencontres et des conciliations. En fait, la
création de la Grande Loge de Londres en 1717 n'avait été déjà qu'une réponse
des orangistes et des hanovriens à la déviation stuardiste des Loges
écossaises. Dès ce moment, l'Ecossisme s'implante dans le royaume de France. Il n'est pas
impossible que la démarche du chevalier de Ramsay, en 1737, ait caché des
mobiles politiques. Pour faire accepter la Franc-Maçonnerie en France par le
pouvoir royal, pour favoriser sa pénétration à la Cour, il fallait à coup sûr
présenter un système français échappant à l'influence anglaise. Le grand mérite de
Ramsay fut alors de définir un système maçonnique original, différent du
système anglais, le système qu'attendaient les Loges gallicanes pour affirmer
leur indépendance. A la tradition
opérative, maintenue dans le rite par la Grande Loge de Londres, il ajoute une
tradition chevaleresque, fondée sur la légende templière. Il conte comment
l'Ordre Maçonnique s'était uni en Terre Sainte aux chevaliers de Saint-Jean de
Jérusalem ; comment les rois, les princes et les seigneurs, à leur retour de
Palestine, avaient fondé des Loges en Allemagne, en Italie, en Espagne, en
France et en Ecosse. Ici, la légende symbolique
interprète l'Histoire mais elle ne la trahit pas, car il est vrai qu'avant et
après les Croisades des liens étroits avaient existé entre les Templiers et les
confréries de Bâtisseurs. Ramsay n'invente
pas la tradition chevaleresque. Il se contente de la ressusciter. Il emprunte
même à une tradition maçonnique authentique qui survit alors en Angleterre en
dehors de la Grande Loge de Londres. C'est ainsi que le grade de Maître
Ecossais est apparu à Londres en 1733. Il sera introduit en France vers 1742.
Ramsay rattache confusément la Franc-maçonnerie aux mystères de l'Antiquité,
ceux de Cérès à Eleusis, d'Isis en Egypte, de Minerve à Athènes, d'Uranie chez
les Phéniciens, de Diane en Scythie, et, par eux, à l'ancienne religion de Noé
et des Patriarches. Il ne prétend à
aucun moment réformer le ritualisme. Il ne propose aucun grade supplémentaire.
Il suggère cependant de façon très nette l'adjonction de la tradition
chevaleresque à la tradition opérative. Il est donc faux de
prétendre, comme on l'a souvent fait, qu'il a été le créateur des hauts grades,
mais il est vrai qu'il les a en quelque sorte légitimés. Le Frère Lindsay,
qui fut Secrétaire Général du Suprême Conseil d'Ecosse, affirme dans un de ses
ouvrages qu'il existait avant 1717 en Angleterre des hauts grades associés à la
Maçonnerie bleue : Ces grades,
précise-t-il, étaient chrétiens et comportaient, une cérémonie connue sous la
désignation de « Passage du Pont ». Il demeure que ce
fut surtout à partir du Discours de Ramsay que l'on vit naître en France des
systèmes de hauts grades écossais. Ce fut d'abord le Chapitre de Clermont,
constitué par le chevalier de Bonneville. Ce fut ensuite la Loge Saint-Jean
de Jérusalem. Ce fut en 1758 le Conseil des Empereurs d'Orient et
d'Occident. Dans les années qui suivirent, de nombreuses Loges de Perfection
furent installées dans différentes provinces. Le premier de ces
grades chevaleresques, celui du Chevalier d'Orient ou de l'Epée, apparut vers
1748 à Paris et à Bordeaux. A partir de Ramsay, l'Ecossisme a eu pour mérite
essentiel de diffuser dans l'Ordre maçonnique la doctrine de fraternité. Fondé
sur l'amour de l'Humanité, il a cherché à créer une sorte de religion
universelle. Il enseigne et démontre que les principes de liberté et d'égalité
ne peuvent entrer en application qu'avec une hiérarchie fondée sur l'autorité
et sur l'intelligence. Ramsay s'inspire
des idées de son maître Fénelon. C'est de lui qu'il tient ses principes sur la
solidarité du genre humain auxquels il se réfère pour présenter la Franc-Maçonnerie
comme la promesse d'une République universelle, d'une grande nation
spirituelle. Il est en fait le
premier à attribuer à la Franc-Maçonnerie universelle un idéal suprême. Il ne contredit à
aucun moment les Constitutions d'Anderson. Il se contente d'en élever l'esprit
jusqu'à faire de la Franc-Maçonnerie une théologie du coeur. Dès lors, pour
nous, il ne fait aucun doute que, contrairement à une idée très répandue, ce
n'est pas la création en 1717 de la Grande Loge de Londres qui a assuré le passage
historique de la Franc-Maçonnerie opérative à la Franc-Maçonnerie spéculative.
C'est la naissance et le développement en France de l'Ecossisme et cette
naissance fut considérée comme un schisme par les dignitaires de la
Franc-Maçonnerie anglaise. J.A. FAUCHER |
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