GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 1T/1982 |
Jean porteur de lumière Pour vous parler de
Jean, l'apôtre de lumière sous le vocable duquel se sont placées les Loges de
rite écossais ancien et accepté puisqu'elles sont toutes Loges de Saint Jean et
que le Volume de la Loi sacrée y est ouvert sur leur autel au prologue du 4°
Evangile sous le compas et l'équerre enlacés, je me suis abîmé dans la
contemplation du tableau de Léonard de Vinci : « La Vierge à la Source »
découvert en 1885, presque par hasard, par M. Godard-Faultrier au Lion
d'Angers. Léonard était
initié aux mystères johannites et c'est un rare bonheur que de voir combien il
a su rendre admirablement la profondeur et la vérité de ces mystères. Il est évident que
son tableau, de même que celui de « La Vierge aux rochers », ignore superbement
ce qu'on pense être la vérité historique, qu'il transcende l'événement par le
symbole et qu'il ne s'attache qu'à l'essentiel, c'est-à-dire à ce qui vient de
l'essence. Sous le manteau protecteur de la Vierge-Mère qui s'étale comme un
triangle parfait au-dessus des deux bambins à la radieuse nudité, l'on voit
l'un de ceux-ci : Jean, donner à l'autre : Jésus, un baiser sur la bouche. Ce
baiser, initiatique, symbolise la transmission de la connaissance par Jean à
Jésus sur la tête duquel la Mère suprême étend la main en signe de protection
et de bénédiction. Il symbolise l'union des principes actif et passif, humain
et divin, l'union de la Raison et du Cœur, le mariage mystique de la
connaissance et de l'amour. Jean a les yeux grands ouverts et Jésus les yeux
clos. Et les deux enfants sont assis sur un parterre d'ancolies et de jasmins,
ces fleurs chères au cœur de Léonard et qui signifient, nous rapporte-t-on,
l'union et la chasteté virginale. Devant cette scène
si touchante, si pleine de grâce, devant cette union intime du Verbe-enfant et
de Jean l'on se prend à rêver. N'est-ce pas en vérité l'illustration du
Cantique des Cantiques et la signification lumineuse de la rédemption du monde
d'en-bas par le monde d'en-haut, dans leur unité indissoluble, comme nous le
rappelle la parole d'Hermès Trismégiste, chère aux francs-maçons qui aiment à
dire avec lui que « ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ». C'est aussi ce que
nous évoque un autre tableau de Léonard, sa dernière, sa plus belle oeuvre
peut-être : ce Saint-Jean androgyne où le Baptiste et l'Evangéliste ne font
qu'un et dont la petite croix à la barre inclinée nous montre le ciel, le monde
d'en-haut vers lequel tout initié doit tendre alors que dans une troisième
peinture, riche elle aussi de sens, son Bacchus pointe son thyrse vers la
terre, signifiant ainsi, toujours pour l'initié, la recherche de la vérité dans
les profondeurs, l'épreuve de la terre dans l'antre des antiques initiations. L'union de la terre
et du ciel est tout entière contenue dans la coupe de la connaissance et de
l'amour. Et ce n'est point un hasard si le Vinci, une autre fois encore, nous a
montré Jean l'Evangéliste présentant cette coupe à François d'Assise, le merveilleux
saint qui comprenait le langage des oiseaux — la langue des alchimistes — et
qui dans son culte tout johannite de la Lumière composa le cantique au Soleil,
l'hymne d'amour le plus pur au Verbe divin. Léonard nous
rappelle ainsi indirectement le caractère solaire de l'Evangéliste, porteur de
Lumière, incarnation du Feu-principe et qui, uni au Baptiste, réalise
l'androgyne primordial, pur produit de la Beauté, né de l'harmonieuse
conjonction du divin et de l'humain, de l'incarnation du divin dans l'humain.
Et l'on peut méditer sur la signification que Léonard attribuait, en homme
averti des arcanes de la Kabbale, à cet androgyne johannique, incarné également
dans son Dionysos ou dans sa Joconde, aux sourires d'une merveilleuse félicité
promesse d'un bonheur ineffable et éternel. Et n'est-il pas
étrange de voir que nos maîtres opératifs, lorsqu'il s'est agi de représenter
l'Eglise sur la façade de nos cathédrales lui donnèrent non pas les attributs
de Pierre, les fameuses clefs, mais bien ceux de Jean : la coupe et la croix
légère de Léonard ?... Ne faut-il pas voir là chez les francs-maçons du Moyen
Age la volonté expresse de leur attachement à Jean, à cette église johannite
ésotérique dont ils connaissaient les plus secrets arcanes, le chemin
labyrinthique et le langage hermétique ou alchimique ?... Ce Jean solaire, ce
Jean porteur de Lumière a pour nous, francs-maçons de la Grande Loge de France,
une dimension tout autre que celle où l'ont voulu enserrer et enfermer les
religions attachées à la lettre et au dogme. Par ce qu'il est dans son essence,
par tout ce qu'il représente et symbolise, par tout ce qui l'attache au monde
divin et humain — ne nous fait-il pas songer à l'étoile flamboyante inscrite au
cœur de l'équerre-matière et du compas-esprit ? — il rejoint les plus anciens
enseignements, connus et méconnus, de la tradition initiatique universelle à
travers ses diverses manifestations dans le temps et dans l'espace. Il est Hermès « qui
préside à la parole et qui conduit à la science vraie » selon Jamblique, il
est Zoroastre, l'apôtre d'Ahura Mazda, le Dieu de pureté et de Lumière, il est
Arjuna, le disciple )imé de Krishna à qui ce dernier confie : « Je suis la
lettre A », de même que Jésus, dans l'Apocalypse, dit à Jean : « Je suis
l'Alpha et l'Omega... » En parlant de «
Lumière et de Vie » il reprend la phrase gravée sur le fronton du temple de
Medinet Abou : « C'est lui le Soleil qui a fait tout ce qui est et rien n'a été
fait sans lui jamais ; le Père des choses, le créateur est la Vie et la Lumière
» et aussi la parole du Trismégiste : « Le Dieu et le Père de qui l'homme
est né est la Lumière et la Vie. Si donc tu sais que tu es sorti de la vie et
de la Lumière et que tu en es formé tu marcheras vers la Vie.. » Lorsque Jean dit :
« Au commencement était la Parole et toutes choses ont été faites par elle
et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans elle », ne fait-il pas écho à
l'enseignement égyptien parlant du Verbe créateur et ordonnateur : a L'ouvrier
a fait le monde non de ses mains mais de sa parole » ?... L'enseignement johannique
rapproche ainsi l'Homme de Dieu et fait de lui un dieu. C'est aussi ce que
proclamait Pythagore à qui la Franc-Maçonnerie doit tant. Il nous rappelle que
Dieu est Esprit et qu'il est Amour réunissant la Connaissance et l'Amour dont
l'union intime débouche sur la sagesse, le troisième pilier maçonnique qui,
avec la force et la beauté, constitue la triade invoquée en Loge lors de
l'ouverture des travaux. « Que la Sagesse préside à la construction de notre
édifice ! » déclare le Vénérable Maître en allumant le flambeau du premier
pilier. a Que la Force le soutienne ! » ajoute le Frère Premier Surveillant en
accomplissant le même rite de lumière. « Que la Beauté l'orne ! »
conclut le Frère Second Surveillant, parachevant ainsi l'éclairage du Temple en
sanctifiant le carré long du pavé mosaïque que le franc-maçon aura à parcourir,
sous la voûte étoilée, tout au long de son existence initiatique et de sa quête
vers la Lumière. Cette quête n'est
pas égoïste et personnelle. Elle se fait dans le Temple avec l'aide de ses
Frères qu'il aura pour mission à son tour, s'il en a les moyens, de guider et
d'éclairer. Elle se fait aussi en dehors du Temple. Juste avant
l'épisode de la mort et de la résurrection de Lazare, étroitement assimilées
pour celui qui sait lire entre les lignes à la mort et à la résurrection de
l'initié, Jean prête ces paroles au Maître : « Je suis le bon berger, je
connais mes brebis et elles me connaissent, de même que je connais le Père et
que le Père me connaît, et je donne ma vie pour mes brebis. » Or, lorsqu'il est
suffisamment avancé sur la voie, l'initié franc- maçon devenu Chevalier
Rose-Croix apprend qu'il doit conduire ses Frères, tous ses Frères, ceux du
dehors comme ceux du dedans, dans les voies de la foi, de l'espérance et de la
charité. Il apprend qu'il a la responsabilité d'autres brebis, celles qui
cherchent leur chemin dans le monde profane et qu'il doit être le guérisseur
des âmes et le consolateur des esprits comme le fût au Moyen Age, le vrai
Rose-Croix qui en plus avait la charge, bien redoutable, de soulager les
misères et les maux du corps. Evoquant la mission
de notre Ordre, notre Frère ArnouldGremilly écrivait naguère ces lignes : « Heureux
si cet essai pouvait attirer l'attention de nos Frères sur la nécessité en
cette époque de matérialisme à outrance de revenir ou plutôt d'accéder à
quelque spiritualité sans retomber dans les erreurs des dogmes et les facilités
des postulats, bref de rechercher s'il n'est pas possible, à nous Maçons,
d'instaurer un spiritualisme laïque, c'est- à-dire de faire la synthèse du
matérialisme et de l'idéalisme qui s'affrontent dans un duel sans issue. » Or, qu'est le
matérialisme sinon l'humaine, trop humaine condition d'une Humanité avide
d'espoir, de foi et d'amour ? Qu'est l'idéalisme sinon le plan divin où
l'espoir, la foi et l'amour trouvent leur parachèvement ?... Et l'union des
deux, n'est-elle pas — voici que le cycle est bouclé — symbolisée par le baiser
sur la bouche des deux fils de la Lumière, unis sous la protection de la Grande
Mère, sur le tableau que conçut Léonard de Vinci voici plus de 450 ans ?... De même l'Ordre
maçonnique est-il, hors de tout dogme, de toute révélation imposée, la voie
privilégiée qui fait participer l'initié à l'unité fondamentale de l'Etre et
le conduit des entrailles de la Terre-Mère jusqu'aux cimes où resplendit
l'amour dans la connaissance, où se révèle la musique des sphères et le cycle
des vies successives, n'oubliant jamais toutefois la leçon du Trismégiste
rappelée par Maître Eckhart : « Ce qu'il y a de plus haut dans son
insondable déité correspond à ce qu'il y a de plus bas dans les profondeurs de
l'humilité... ». DECEMBRE 1981 |
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