GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 3T/1982 |
Le Rite * Nous allons essayer
ensemble de comprendre ce qu'est le rite, quelle est sa fonction et ce qu'il
opère. Nous allons donc d'abord le définir, c'est-à-dire savoir ce qu'il est et
ce qu'il n'est pas. Ensuite, nous allons l'illustrer. Nous allons illustrer des
rites exotériques puis ésotériques. Cela veut dire que nous allons vivre, ou
essayer de vivre, ensemble des rites exotériques (rites communs à tous,
pratiqués chez tout le monde) et nous essaierons ensuite de comprendre, sans
trahir le secret, ce que sont des rites ésotériques (rites réservés à certains
membres d'une société initiatique comme la Franc-Maçonnerie). Tout d'abord, et
c'est là une chose très importante, posons- nous la question de savoir ce
qu'est le rite et, par là même, ce qu'est le symbole ; car on ne peut pas
dissocier rite et symbole ils constituent un couple inséparable. Quelle est la
fonction de ce couple ? C'est de transmettre. De transmettre quoi ? De transmettre
la tradition, une tradition initiatique. Arrêtons-nous un instant pour savoir
ce qu'est une tradition. Une tradition n'est pas un usage ni une coutume : ne
mérite le nom de tradition que ce qui se relie au principe du monde, à
l'Architecte, aux principes qui gouvernent la vie. Ne mérite le nom de
tradition initiatique que ce qui se relie à l'ordre du monde, aux lois de la
vie, aux archétypes, aux lois de l'univers. C'est là une choses fondamentale
qu'il nous Faut bien comprendre et nous ne comprendrons rien au rite si nous
mélangeons tradition, d'une part, us et coutumes, de l'autre. La tradition,
c'est ce qui relie au plan de la vie, à l'ordre du monde, aux lois de la vie
parce que toutes les traditions nous disent que le monde a un ordre, qu'il
n'est pas le fait du hasard, que la vie a des lois, tout comme l'univers, que
l'homme est soumis à des lois. Ces lois nous sont
transmises par la tradition initiatique, par les traditions initiatiques, et
ce, au moyen des rites et des symboles. Il faut bien saisir que rites et
symboles sont là pour transmettre ces lois, pour nous relier à l'archétecte, à
l'archée. Ces lois sont identiques dans toutes les traditions initiatiques de
l'humanité parce qu'il est une tradition fondamentale, primordiale. Cette
tradition va se manifester dans des temps différents et dans des lieux
différents. Elle va prendre des formes différentes selon qu'elle se manifeste
en Afrique ou en Asie, au XVII' siècle ou il y a trois mille ans, mais elle est
fondamentalement une et je maintiens que finalement cette tradition est une
science. Je sais bien ce que ce nom peut avoir de provoquant mais elle est une
science. Si nous observons le monde avec nos moyens de connaissance, si nous
sommes capables d'aller sur la lune, de fabriquer des machines et des voitures
sans arrêt, ce n'est pas pour autant que nous avons l'exclusivité du savoir.
D'autres hommes, il y a 3 000, 10 000, 100 000 ans, ont su le monde aussi bien
que nous, différemment, mais aussi bien. Personne, aujourd'hui, n'est capable
de retrouver le pourquoi d'un méridien d'acupuncture et pourtant ils l'ont
perçu... Cela veut dire que ces êtres ont su le monde différemment ; ils
avaient des moyens d'approche différents, des outils de connaissance différents
mais ils savaient le monde au moins aussi bien que nous. Ce savoir, cette
science, cet autre regard, ces outils leur étaient transmis par une tradition
initiatique, par la tradition initiatique. *
* * Nous pouvons ainsi
commencer à comprendre ce que sont les rites et les symboles : ce sont les
outils, les moyens, les agents qui nous transmettent cet ordre du monde, ces
lois de l'univers, cette science de la vie. Quelle différence y a-t-il entre
symbole et rite ? Elle est simple. Les symboles nous disent ces lois et les
rites nous les font vivre. Vous pouvez saisir maintenant ce qu'est un rite et
ce qu'il n'est pas. Le rite n'est pas une pièce de théâtre ou un jeu, il n'est
pas une cérémonie. Il nous fait vivre les lois de la vie, du cosmos, de
l'homme. Chaque rite initiatique, quel qu'il soit (cela est à mon avis
fondamental et c'est ce que nous allons essayer d'illustrer ensuite) nous fait
vivre une loi particulière, la loi qui opère dans tel moment ou dans telle
circonstance. Chaque rite permet de vivre la loi cosmique, l'archétype qui
opère à un moment donné ou dans une circonstance donnée de notre vie. Ainsi,
des rites font vivre les lois qui opèrent à la naissance, à la pberté et à la
mort. Des rites font vivre les lois qui opèrent lors d'une initiation. Mais,
toujours et partout, le rite a pour fonction de nous faire vivre la loi
cosmique, archétypielle, qui opère dans un moment ou une circonstance donnée de
la vie. En fait, il a pour fonction d'actualiser, de réaliser la fonction
physiologique qui est en jeu à ce moment. Le rite n'est donc pas une
abstraction ; on a trop tendance à le comprendre comme un jeu sans support,
sans réalité. Fondamentalement, il est en prise directe sur le réel. Il est ce
qu'il y a de plus réel. Nous verrons tout à l'heure comment, plus que tout
autre chose, il permet de rendre réel, d'actualiser des fonctions
physiologiques archétypielles et capitales. Nous allons
maintenant illustrer cette fonction, successivement à travers des rites
exotériques puis maçonniques. Pourquoi commencer par les rites exotériques ?
D'abord, parce qu'ils me permettront de faire saisir la fonction du rite sans
violer le secret maçonnique. Ensuite, parce que ces rites sont communs à tous,
réservés à tous les hommes, sans distinction. Enfin, parce qu'ils nous
concernent tous et qu'ils se réfèrent à des moments importants de notre vie.
Comment les rites exotériques au moment de la naissance, de la puberté, du
mariage, de la mort, rendent-ils réelles en nous, actuelles en nous, certaines
fonctions physiologiques fondamentales ? C'est à cette question qu'il nous
faut répondre. Pour chaque rite, nous suivrons le plan suivant : je décris le
rite, en général chinois ou africain, parce qu'il se trouve que ce sont les
deux traditions que j'ai le mieux étudiées, ou plutôt le moins mal ; ensuite,
nous l'analysons et, enfin, nous définissons quelle est la loi que ce rite
actualise. Commençons par un
rite de naissance, chinois : c'est le rite de présentation de l'enfant au père,
au troisième mois de sa vie. Que se passe-t-il dès la naissance ? Il y a un
certain nombre de rites d'approche. D'abord, l'enfant est posé au sol, tout nu,
à l'abri des éléments, du froid et du vent mais posé au sol tout nu, pendant
trois jours, sans être nourri. Au bout de trois jours, le vassal vient, il
prend l'enfant, le pose sur un lit. Tout de suite après (ne souriez pas parce
que vous verrez tout à l'heure pourquoi), il tire des flèches dans toutes les
directions de l'espace. Ensuite, l'enfant est baigné et remis au gynécée où il
est nourri. Tout ceci se passe pendant les trois premiers jours. Au troisième
mois, il est présenté au père qui ne l'a pas vu jusqu'alors. L'enfant est
amené par la mère. Le père et la mère ne se sont pas vus depuis six mois
puisqu'ils ont interrompu tout contact (même visuel) à partir du sixième mois
de la grossesse. Ils ont fait leurs ablutions, ont revêtu les habits de mariage
et, tout à l'heure, ils prendront ensemble un repas de mariage. La mère arrive
avec son enfant, face au père et la gouvernante (c'est elle qui parle et non
pas la mère) lui dit : « Monsieur, Madame... vous présente votre enfant ». Que fait
le père ? Il lui touche la paume de la main droite et lui donne dans l'oreille
un nom, son nom..., le nom secret, le nom véritable que pratiquement personne
ne saura jamais. Ce rite de présentation étant fini, l'enfant repart au gynécée
dont il ne sortira qu'à l'âge de sept ans. Cependant, il verra son père tous
les dix jours, une minute, le temps qu'il lui serre la main, c'est-à-dire qu'il
lui touche la paume de la main droite. Analysons ce rite.
Je comprends que cela puisse vous paraître étrange. Ce qui est important, c'est
d'essayer de comprendre ensemble comment, derrière ces gestes qui étonnent les
. occidentaux d'aujourd'hui, ce rite réalise des fonctions physiologiques
fondamentales qui nous manquent. Que s'est-il passé ? Voyons d'abord les rites
d'approche qui nous révèlent trois fonctions essentielles : on vitalise cet
enfant, on le purifie et on le nourrit. Comment le vitalise-t-on ? L'enfant qui
arrive après un accouchement, après neuf mois de grossesse, a besoin d'énergie.
Où trouver de l'énergie si ce n'est en terre ? On le pose sur la terre, pendant
trois jours, sans le nourrir, pour le vitaliser. Il est, bien sûr, à l'abri des
éléments. Au bout de ces trois jours, il faut le purifier. Que fait l'homme ?
Que fait le vassal qui le soulève pour le purifier ? Pourquoi tire-t-il des
flèches dans toutes les directions ? Parce qu'il disperse au loin toutes les
souillures de la naissance. Ce n'est pas un geste artificiel, c'est un geste
réel inhérent au rite. En tirant au loin des flèches dans toutes les
directions, vraiment, réellement, il le purifie. Pour achever cette
purification, on baigne l'enfant. Enfin, il est nourri. Il a donc été vitalisé,
purifié et nourri au troisième jour. Pourquoi trois jours ? Trois, c'est la
création, c'est le chiffre même de la création. Voyons maintenant
la présentation au père qui lui touche la paume de la main droite et qui lui
donne son nom. Trois remarques s'imposent : la première concerne le père qui
est dans une situation très particulière ; il est comme l'empereur, au centre
du cercle. Il n'agit pas, il ne pense pas, il est transparent. En Chine
l'empereur n'agit pas, il est celui qui, au centre de l'empire, au centre du
monde, est transparent aux lois de l'univers, aux lois de la vie. C'est le
médiateur entre le monde, la,terre, l'empire et le ciel, avec ses lois et son
ordre. L'empereur a une position centrale qui est celle du prophète, des
prophètes. Il est au milieu, immobile, pur, transparent. Le père, à ce
moment-là, a cette position impériale, seigneuriale. Il ne décide pas
mentalement, intellectuellement quel est le nom à donner à cet enfant. Cet
homme en position d'empereur, transparent au monde et à ses lois, est inspiré
et, à ce moment-là, il donne à son enfant le nom qui lui est prédestiné. Que
fait-il avant ? Il touche la mère. Que signifie toucher la mère, toucher la
paume de la main droite ? Etablir une alliance (nous avons oublié que serrer la
main de quelqu'un c'était établir une alliance). Le père établit donc une
alliance avec son fils. Il est à ce moment précis le représentant du ciel, de
ses lois et de son ordre, il établit une alliance avec cet être. Après, il peut
lui donner son nom, son nom secret, le « Min ». Il y a trois sortes de nom. Le
premier est le nom secret qui correspond à votre destin, à votre fonction
physiologique. Cela signifie que dans un monde sans hasard, nous sommes tous
les éléments d'une mosaïque cosmique et, dans cette mosaïque, chacun a sa place
et son rôle. Imaginez-vous avec vos cellules, vos organes, imaginez qu'à
l'intérieur de vous vous avez les cellules du foie, du rein, du cerveau et que
chaque cellule a sa fonction, chaque cellule a sa place, son rôle. Il en est de
même au sein de l'univers. Chaque homme, chaque être a une fonction et un rôle
possibles, même s'il ne le sait pas. Ce rôle est défini par le nom secret. Le
deuxième nom sera donné au garçon à la majorité, à la fille lors de sa puberté.
Celui-ci est le nom public, celui que tout le monde saura ; il définira son
rôle social. Le troisième nom sera donné à certains êtres parvenus à un certain
état d'initiation. Ce nom-là définira leur fonction, j'allais dire sacerdotale,
leur fonction initiatique. C'est Abram qui est devenu Abraham, c'est Saraï qui
est devenu Sarah, c'est Jacob qui est devenu Israël. Il en est ainsi du
troisième nom. Pour ce qui est de
notre rite, le père va lui donner, va lui dire son destin, sa fonction dans la
mosaïque. Constatez l'importance de cette attitude. Regardez le déroulement
logique qui fait que cet enfant, après qu'il ait été dans le troisième jour
vitalisé, purifié, nourri, est présenté au père, représentant du ciel, qui fait
alliance avec lui. Imaginez ce que peut être une alliance avec le ciel et son
ordre. Il lui dit son nom et, par là même, sa fonction dans la vie cosmique.
Quelqu'un vous a-t-il jamais dit quelle serait votre fonction ? Lui le saura !
Nous, nous sommes perdus. Cet enfant, par ces deux gestes tout simples qui sont
le symbole même du rite, a fait alliance avec le ciel et sait désormais quelle
est sa fonction, sa situation et son rôle dans la mosaïque cosmique et dans
l'univers. Allons plus loin. La deuxième étape importante, c'est la puberté.
Que se passe-t-il à la puberté ? Observons un rite africain que nous essaierons
d'analyser et de comprendre. A la puberté,
l'enfant est séparé du gynécée, du groupe des femmes où il était jusqu'alors.
Il est séparé durement. On l'enlève les femmes pleurent comme s'il était mort
et on l'enferme dans une grotte. Puis, il est baigné. Ses vêtements sont
détruits. On lui donne un autre nom : le nom public. Cela fait, on va l'emmener
dans le bois sacré qui est un espace sacré comme peut l'être un temple. Là, on
va l'instruire, on va lui dire les légendes, les mythes, les rites de la tribu.
On lui apprendra les mystères de la vie, les lois de la vie, du monde. Puis, on
le confirmera dans son sexe par la circoncision ou par l'excision (ne bondissez
pas ! Nous nous expliquerons dans cinq minutes sur l'excision). Après tout
cela, il est ramené au village. A ce moment, nous avons une situation très
particulière. Il a tout oublié, il ne sait plus marcher, il ne sait plus
parler, il ne sait plus rire. Il marche courbé, il ne reconnaît plus personne,
ni son père, ni sa mère. C'est étrange. Quelqu'un le reconnaît, qui le guide,
l'amène chez lui où il est accueilli par des danses et par des chants,
c'est-à-dire par l'amour. Que signifie tout cela ? On l'a enlevé violemment,
ses parents pleuraient comme s'il était mort, ce qui veut dire que cet être est
en train de mourir pour renaître à un autre état. Revenons un instant sur la
confirmation du sexe. S'il est vrai que dans l'Afrique archaïque,
traditionnelle, il fallait circoncire le garçon, il n'est pas vrai qu'il
fallait exciser la fille et nous allons voir pourquoi. Il est normal qu'à
la puberté l'enfant soit confirmé dans son sexe ; il va devoir se marier, il va
devoir s'unir à l'autre, procréer. Cet enfant, qui jusque là était androgyne,
va devoir perdre cet androgynat pour le retrouver plus tard avec une autre
conscience. Le problème est toujours le même : nous avons connu un état
d'unité, nous le perdons et nous devons le retrouver avec une autre conscience.
Par exemple, nous avons connu un état d'unité au moment où spermatozoïde et
ovule se sont unis pendant une seconde, un éclair durant lequel nous avons été
UN. Ensuite, la vie a repris son cours et nous avons vécu dans un état de multiplicité.
Nous avons perdu cette unité et nous avons à la retrouver. Avant la puberté,
androgynat, après confirmation dans son sexe, il devient mâle ou femelle. Nous
verrons, tout à l'heure, comment après la ménopause ou l'andropause il doit
retrouver l'androgynat avec une autre conscience et c'est parce qu'on doit
confirmer cet enfant dans son sexe qu'on enlève au garçon ce qui est le symbole
du sexe féminin, c'est-à-dire le prépuce et qu'on enlève à la fille ce qui est
le symbole du sexe masculin, c'est-à- dire le clitoris, mais, parce qu'il y a
un « mais », alors que chez le garçon la circoncision, c'est-à-dire l'ablation
du prépuce se fait matériellement comme il est dit dès les premiers chapitres
de la genèse, chez la fille ce geste n'était que symbolique ! Cela veut dire
que dans les temps archaïques de l'Afrique, l'initiateur enlevait
symboliquement le clitoris pour confirmer cette fille dans son sexe. Que s'est-il passé
? Il s'est passé que, sous l'influence du matérialisme que nous connaissons
bien, un jour ils se sont dit : « Mais ce n'est pas possible, ce n'est pas
un geste symbolique qui suffit, il n'est pas possible que je confirme cette
enfant dans son sexe, que je lui fasse perdre son androgynat par un simple
geste symbolique, sans aucun support matériel, ce n'est pas vrai ! ». Ils
ont douté de l'opérativité du rite, ils ont cru que, parce que ce geste n'était
pas matériel, qu'il n'était pas physique, il n'était pas opératif ; ils ont cru
que, parce que ce geste ne comportait pas d'éléments anatomiques, il n'était
pas opératif, et, de ce jour-là, ils ont commencé à enlever le clitoris et à
faire des mutilées au lieu de faire des initiées. Il est
indispensable de comprendre, même pour nous, occidentaux, qu'à partir du
moment où l'on doute de l'opérativité du rite, de ce geste symbolique, on fait
un geste matériel. Non seulement nous n'avons plus l'opérativité d'un même
geste rituel mais plus encore nous faisons des mutilés au lieu de faire des
initiés. C'est essentiel pour nous, occidentaux, car nous verrons tout à
l'heure comment, en l'absence de rites, nous aussi nous faisons des mutilés,
mais des mutilés de l'esprit. *
* * Revenons à
l'enfant. C'est un nouveau-né. Il est mort, il revit. C'est ce que le rite nous
dit, c'est ce qu'il opère et c'est ce qu'il nous faut comprendre. Il y a
vraiment eu mort et renaissance. Qu'a réalisé ce rite fondamentalement ? Il a
réalisé trois choses : mort d'un être, naissance d'un nouvel être, d'un être
adulte et plus que cela, il lui a donné la connaissance des lois de l'univers.
Imaginez ce gamin à sa puberté. On lui a donné la connaissance des lois
cosmiques. Tout d'un coup, il est intégré dans le cosmos parce qu'il sait les
lois de l'univers et puis, on lui a fait perdre son androgynat pour qu'il
puisse encore assurer la survie de l'espèce et se marier. Imaginez bien que
tous ces gestes symboliques ont une efficacité réelle ; un être est mort et un
autre est né. Cet enfant devient un adulte vrai. Que n'avons nous pas perdu !
En l'absence de rites pubertaires, nous ne sommes plus, à cet âge difficile, en
mesure de mourir et de renaître ; nous ne sommes plus intégrés dans le cosmos
dont nous ne savons plus les lois puisque personne ne nous les a dites ; nous
n'avons pas perdu notre androgynat. Je n'insisterai pas sur tous les problèmes
sexuels évoqués par Freud et tous les psychanalistes de la terre. Dans cette
période difficile, nous sommes restés identiques alors que nous avions à mourir
et à renaître. Nous allons mettre des années et des années pour le faire parce
que nous n'avons pas de rite. Alors que nous devions savoir les lois du cosmos
qui auraient dû nous être dictées par un ancêtre, un initiateur, qui nous
l'aurait enseigné à travers les rites, les légendes, les mythes (nous ne savons
rien), nous allons mettre vingt ans, trente ans, quarante ou cinquante ans à
les apprendre, ces lois. Alors que nous devions perdre notre androgynat, tout
de suite, par un geste symbolique, nous ne l'avons pas perdu et, là aussi, nous
allons perdre un temps considérable pour résoudre ces problèmes. Le rite est
opératif ; c'est tellement vrai que vous ne soupçonnez pas le nombre de mutilés
de l'esprit que nous avons fait par l'absence de rites. Nous ne sommes pas
responsables ; nous arrivons et nous n'avons plus de rites pubertaires ! Avons-
nous conscience du nombre de garçons et de filles qui sont en hôpital
psychiatrique parce qu'ils n'ont pas eu de rites pubertaires pour les faire
renaître, pour les intégrer dans le cosmos et pour leur faire perdre leur
androgynat ? Vous ne pouvez pas savoir le nombre de personnes, après la
ménopause ou à l'andropause, qui sont complètement perdues parce qu'elles
n'ont pas vécu ce rite de puberté avec son efficacité réelle. Souvenons-nous de
l'excision et à quoi mène la perte de la notion de l'opérativité. Les Maçons
doivent comprendre que le rite est opératif même s'il n'est pas un geste
matériel. Ne faisons pas comme ces prêtres africains qui, à un moment donné,
ont douté. Ils se sont mis à exciser parce qu'ils étaient sûrs ainsi de
réaliser un acte sans se rendre compte qu'ils perdaient du même coup
l'efficacité du rite. *
* * Nous allons
maintenant repartir en Chine pour voir comment vit un couple. L'enfant est né,
l'enfant a été initié à la puberté. Comment vit le couple ? Vous allez voir
comment le mari et la femme, les deux éléments du couple, sont les deux moitiés
d'un même corps mais séparées. Tous les rites vous disent cela et il en est
ainsi jusqu'à la ménopause et l'andropause. Après, ils se réuniront.
Souvenez-vous de ce que je vous disais tout à l'heure : à la puberté, nous
perdons notre état d'unité et nous devons le retrouver après avec une autre
conscience. Pour l'instant, nous sommes dans la dualité et mari et femme sont
face à face, côte à côte, deux moitiés d'un corps vivant séparées. Comment cela
se passe-t-il dans la vie quotidienne ? Il faut que le rite opère, qu'il rende
cette loi efficace. Commençons par le repas. Chacun est assis sur sa natte,
dans la même pièce. Observons. Deux moitiés d'un même corps ; ils prennent le
même repas dans deux plats différents ; il s'agit de la même chose, le même
repas avec deux plats différents, les deux moitiés. Ils ont accompli chacun
séparément leurs ablutions et ils boivent dans deux coupes. Les deux coupes
sont faites chacune avec la moitié d'une même calebasse (les deux moitiés
séparées d'un même corps...). Après le repas du soir, ils se saluent
cérémonieusement, ils se déshabillent chacun dans leur pièce et ils dorment
chacun sur sa natte mais dans la même pièce. Plus encore, ils ne s'appellent
pas par leur nom secret ; ils ne se donnent rien de la main à la main ; ils
évitent tout contact, même indirect ; il n'y a aucun contact entre leurs effets
qui ne sont pas suspendus au même support et qui ne sont pas mis dans les mêmes
corbeilles. Remarquez bien comment les choses sont séparées et combien c'est
important de confirmer la perte de cet androgynat. Nous comprendrons l'importance
de tout cela au moment où ils vont se retrouver. Bien entendu, ils ne se
baignent pas ensemble. Dans la Chine traditionnelle, il n'est pas question
qu'un époux et une épouse se baignent ensemble. La seule union est sexuelle,
réglementée par des rites. Les deux êtres sont unis puisqu'ils sont les deux
éléments d'un même corps mais ils sont séparés pour bien perdre leur
androgynat. A 49 ans (7 x 7), notez le symbolisme des nombres, pour elle, et à
64 ans (8 X 8), pour lui, tout se réunit, les interdits sont levés. Ces deux
êtres qui étaient séparés au niveau des repas, du linge, qui ne pouvaient pas
dire leur nom, se toucher la main, qui ne pouvaient pas avoir leurs effets dans
la même corbeille, mettent tout en commun et cela, tout à coup. Imaginez ce que
c'est ! Imaginons-nous à 50 ans avec l'être avec lequel nous vivons, réalisant
brutalement cette vie commune. Mangez sur la même natte, dormir sur la même
natte, boire dans la même coupe, manger dans le même plat, se toucher la main.
Cela signifie réaliser cet androgynat à travers le couple et, par là même, en
nous. Nous retrouvons l'unité primordiale. C'est cela que le rite opère.
Désormais, ces deux vieux seront unis jusqu'à la mort. Ils seront ensemble
dans la même tombe et leurs tablettes funéraires seront mises dans la même
salle. Ainsi, ils deviendront, suprême honneur, un vrai couple d'ancêtres. Vous
avez là ce que réalise un rite de ce type. Je sais bien ce
qu'on peut me dire en se plaçant sur un plan social ou psychologique, mais nous
nous plaçons sur un plan métaphysique qui est finalement le seul vrai, celui
des lois sur la vie, de la réalité de la vie. La vie est métaphysique, elle est
archétypielle. C'est sur ce plan là que nous nous sommes séparés pour réaliser
chacun la perte androgynale. Puis, tout d'un coup, à 49 et 64 ans, nous nous
réunissons, nous mettons tout en commun. C'est la vraie fusion. D'ailleurs, la
femme, dans la Chine ancienne, ne fait vraiment partie de la famille de son
mari qu'à partir de cet âge là. Il faut bien comprendre que dans un premier
temps nous avons vécu la dualité, la perte de l'androgynat, la survie de
l'espèce (il fallait faire des enfants). Dans un deuxième
temps, nous retrouvons l'unité avec une autre conscience et nous allons vivre
notre survie spirituelle. Nous allons vivre la vie de l'esprit. Cela doit se
faire obligatoirement ; un jour ou l'autre, nous allons vivre cette vie de
l'esprit mais, là encore, alors qu'en Occident (ne croyez pas que je critique
l'Occident, je constate, parce que je suis aussi occidental que vous et cela me
manque autant qu'à vous), cela se fait dans l'anarchie, là, le rite nous aide,
nous oblige à vivre cette dualité, à perdre cet androgynat, à être mari et
femme assurant la survie de l'espèce. Le rite nous oblige ensuite à retrouver
l'unité, la vie de l'esprit en nous préparant à la mort. Je crois que cela nous
manque et que, si l'on parle tant du troisième âge, si on est obligé d'inventer
une spécialité qui s'appelle la gérontologie, c'est peut- être parce que nous
n'avons plus de rites. Nous ne savons plus quelle fonction nous avons à
réaliser, quel rôle nous avons à jouer. Pendant cette
période, nous ne savons plus quoi faire, quelle vie mener. Nous allons aborder
maintenant le rite mortuaire qui est un rite africain. Cet homme ou cette femme
vient de mourir. On va fixer un endroit au milieu d'un cours d'eau et on va
détourner le cours d'eau un instant. On dresse une hutte puis on met le mort
sur cette hutte mais pas n'importe comment : soit en position fœtale,
c'est-à-dire recroquevillé, soit en triangle ; les jambes sont disposées de
telle façon que cet homme fait face à un triangle. Ensuite, on le retourne, on
le met à plat ventre et on refait prendre au cour d'eau sa direction
originelle. Il passe ainsi sous la hutte pendant trois jours. Au bout de trois
jours, on le prend et on l'enterre. Vous avez là les premières funérailles
parce que, plus tard, quand il ne lui restera que les os, on prendra ses os,
j'allais dire les os de l'ancêtre (nous verrons pourquoi tout à l'heure), et on
les enterrera ailleurs, dans un endroit pur. Pour comprendre le rite, il nous
faut comprendre ce qu'est la mort. Dans une civilisation traditionnelle, la
mort n'est pas la fin, c'est un passage. Après la mort, tout n'est pas fini, nous
passons d'un plan à un autre ; les chinois disent que nous passons d'une forme
à une autre, d'un monde où nous avons cette forme dans un monde où nous avons
une autre forme. C'est un double passage Nous changeons de plan et de monde.
Comme il y a mort, il y a renaissance inévitablement. C'est la loi cosmique, ce
sont les loi de la vie ; il n'y a pas de mort sans renaissance, cela n'existe
pas. La vie n'est que mort et renaissance. Les Chinois disent que le monde, les
hommes, les animaux se recréent à chaque seconde de la vie. A chaque seconde,
vous mourez et vous renaissez différent. Les Chinois décrivent les mécanismes
qui permettent d'assurer cette mort et cette renaissance perpétuelles. Nous
avons tout cristallisé sur la mort comme si elle était la seule et nous verrons
comment, plus tard, dans une société initiatique, dans un chemin initiatique,
nous avons à mourir pour renaître. Ce n'est pas une illusion, c'est une
réalité. Dans une société traditionnelle, nous passons du statut de mort au
statut d'ancêtre. Après avoir été un homme mort avec tout ce que cela comporte,
nous allons devenir un ancêtre. Interrogeons-nous
sur l'ancêtre. Dans toutes les sociétés traditionnelles c'est le garant de
l'ordre social parce qu'il est le médiateur avec l'ordre cosmique. L'ancêtre,
c'est celui qui est présent, j’allais dire au ciel. C'est celui qui va garantir
(ce qui n'est plus le cas) l'ordre social. L'ordre social de la tribu, du pays
de l'empire est conforme à l'ordre cosmique. C'est le vrai rôle de l'ancêtre et
c'est pour cela qu'il est important de passer du statut de mort au statut
d'ancêtre, ce qui explique que vous avez deux funérailles. Vous serez enterré
dans un endroit impur parce que vous avez à vous purifier. Quand vous serez
purifié, que vos os auront blanchi, vous serez enterré dans un deuxième endroit
où vous aurez votre statut d'ancêtre. Là, vous accomplirez votre rôle, j'allais
dire céleste, mais il n'est pas au ciel, le ciel est sur terre. On a trop
tendance en Occident à croire que le ciel est ailleurs. Le ciel est ici et
maintenant, le ciel est sur terre. Cet ancêtre sera l'intermédiaire entre
l'ordre cosmique et l'ordre de la terre, il sera le médiateur. Remarquez, nous
pourrions presque dire ce jeu, entre cet homme qui est sous terre et son rôle
qui est céleste et observez comment en même temps à la naissance, alors que
l'enfant s'offre à la vie, on enterre le placenta sous terre, au même endroit,
comme s'il fallait toujours qu'il y ait quelque chose sur terre et quelque
chose sous terre pour établir la liaison entre eux. Le rite permet que
ce mort renaisse, et ce n'est pas un artifice, un jeu ; vraiment, réellement,
concrètement, complètement, en mettant cet être dans cette position foetale ou
triangulaire, on lui permet de renaître après sa mort. Voyez ce qu'est un rite
mortuaire. C'est un rite qui permettra à cet être qui vient de mourir de
réaliser ce passage difficile, douloureux, pendant trois jours puisqu'il doit
renaître et se recréer. Remarquez bien
l'opérativité du rite. En le retournant, on lui permet de quitter ce monde
formel pour accéder à un autre monde. Réalisons ce qui se passe en ce moment.
Qui les aide à passer ? Comment se fait ce passage qui est nécessairement difficile
et douloureux ? Comment change-t-on de monde alors que nous n'avons plus de
rite. N'est-il pas urgent que nous retrouvions nos rites pour que, le jour
venu, quelqu'un soit là, en conscience, pour nous aider par le rite à passer, à
changer de monde et à renaître ? Abordons le rite de
l'homme malade. Je vais vous en conter un qui est un rite africain du Zaïre. La
maladie fait partie de la vie comme l'orage et le tremblement de terre font
partie de la vie. Imaginez que dans
ce temple entre un fou furieux. Quelle sera notre réaction ? Les plus courageux
vont se jeter sur lui, on va lui mettre une camisole de force et puis, on va le
bourrer de drogues de façon à ce qu'il soit anéanti, mourant. Imaginez maintenant
que nous soyons toujours dans un temple mais dans une tribu du Zaïre. Comment
cela se passe-t-il ? Cet homme arrive fou furieux. Bien entendu, des hommes le
maîtrisent pour ne pas qu'il nuise, mais ils n'emploient ni camisole de force,
ni drogue, pas même une plante. Que se passe-t-il ? Tout le village arrive. Au
centre de la place, il y a le prêtre, l'initié, qui s'installe comme
l'empereur, en prière, en état de prière. Cet homme, tout d'un coup, est tout
amour, tranparent au monde, transparent comme un cristal entre cette place,
avec cet homme fou furieux, avec les gens de sa tribu, et cet univers avec ses
lois et avec son ordre. Imaginez que ce fou entre et que l'un d'entre nous se
mette au milieu, pur comme du cristal, transparent comme du cristal, tout amour
(c'est la condition sine qua non) et que, par là même, il soit le médiateur,
l'intermédiaire entre nous et le ciel et son ordre, le monde et son ordre, et
la vie et son ordre. Qu'arrive-t-il dans la tribu maintenant que chacun est à
sa place ? Tout à coup, vous avez dans un coin les tam-tams qui commencent,
gentiment, calmement, régulièrement, j'allais dire de manière ordonnée, et
alors que cet être est là, au centre, toute transparence et tout amour, les
tam-tams commencent à s'agiter, à se désordonner, à s'accélérer. Vous voyez les
tam-tams qui s'agitent, qui sont de plus en plus dans le désordre. Jusqu'où
vont-ils comme cela ? Ils vont jusqu'au désordre de l'homme fou furieux et ils
vont avec l'amour et la transparence du « cheikh » qui est au milieu, ils vont
rejoindre cet être dans son désordre, sa folie, et quand ils l'auront rejoint
grâce à cet amour et à cette transparence, vous verrez les tam-tams qui
redescendent peu à peu, lentement, doucement, qui calment le désordre, qui
s'agitent de moins en moins et qui, peu à peu, finissent à l'état de départ où
tout était calme, ordonné. Chose fantastique !
Au fur et à mesure que les tam-tams redescendent vous voyez cet être qui se
calme tout seul. Quand ils sont redevenus paisibles et quand le silence est
revenu sur la tribu avec cet être
au centre, amour et transparence, cet homme n'est plus fou furieux, sa crise
est vide. Voilà un rite ! Il faut être médecin pour imaginer ce qu'est un rite
thérapeutique. Comparez un homme fou furieux à qui l'on met une camisole (ou à
qui l'on administre des médicaments) et un autre fou furieux qui a devant lui
un être au centre, tous les autres membres du village autour, avec les tam-tams
qui vont le chercher dans son désordre et qui le ramènent doucement à l'ordre.
Qu'ont-ils fait ? Ils ont réintégré cet être dans l'ordre cosmique, dans
l'ordre du monde. Ils l'ont remis en relation avec l'ordre cosmique et, par là,
ils ont réalisé en lui cet ordre. C'est fondamental de comprendre, pour
abstrait que ce soit, que ce n'est pas une utopie, c'est définitif,
c'est-à-dire, pour prendre un langage scientifique, c'est un fait expérimental
reconductible. Ils ont relié cet
être à l'ordre du monde, aux lois de la vie, de l'univers et ils lui ont permis
de rendre réel en lui cet ordre qui était perturbé : c'est cela la ligne de
traitement de la maladie ! Vous noterez la solidarité du groupe. Cet homme n'a
pas été rejeté. Nos fous, nous les rejetons, nous ne savons plus quoi en faire.
Ce n'est pas de notre faute, personne ne nous a expliqué ce que nous devions
faire alors, nous les parquons dans des asiles. Dans ce village, au contraire,
le groupe s'est senti responsable. Il a été autour de cet être, au milieu,
amour et transparence. Le groupe est allé le chercher et est revenu avec lui.
Il faut dire que dans une société traditionnelle vraie, l'ordre social et
l'ordre cosmique étaient plus près qu'aujourd'hui. Par ailleurs, vous
observerez que ce n'est qu'un traitement : ramener l'homme dans son ordre en le
reliant à l'ordre cosmique. C'est le seul traitement vrai de la maladie. Faire
en sorte que l'homme qui est devant vous, ou la femme, revienne en ordre en
étant relié à l'ordre idéal de la vie. Les chinois diraient à l'ordre du ciel. Il ne faut pas
oublier ce qui est, à mon avis, le plus important : tout l'amour et la
transparence qu'il a fallu pour que le traitement puisse se faire. Il faut être
tous les jours devant des malades, et pas seulement des malades, pour savoir
combien c'est difficile d'aimer l'autre, quel qu'il soit. Aimer l'autre parce
qu'au bout du compte il a toujours en lui un trésor caché, une étincelle divine.
Ce rite thérapeutique nous rappelle qu'il n'y a pas de guérison vraie sans
amour et transparence. Nous venons de
vivre quelques rites exotériques, communs à tous. Comprenons bien comment à la
naissance nous devions avoir notre nom secret de prédestination et faire
alliance avec le ciel ; comment à la puberté nous devions mourir et renaître,
perdre l'androgyne et comment nous devions être intégrés dans le cosmos. Nous avons compris
comment les rites, j'espère que nous avons compris, comment les rites, après la
ménopause et l'andropause, nous permettent de retrouver cet androgynat, de
retrouver cette voie de l'esprit, cette unité perdue, avec notre conscience. Nous avons compris
comment les rites nous permettaient de passer à un autre monde et de devenir un
ancêtre. Nous avons compris
comment le rite permettait de guérir réellement un homme en le réintégrant dans
l'ordre cosmique, en rendant réel en lui l'ordre de la vie par l'amour et par
la transparence. *
* * Abordons maintenant
les rites ésotériques qui sont réservés à des membres d'une société initiatique
qui sont censés avoir des capacités que d'autres n'ont pas (remarquez le
conditionnel). Le but des rites ésotériques est le même que celui des rites
exotériques. Il est de réaliser, de rendre réelles, actuelles, les lois qui
vont être opératives pendant notre vie initiatique. Nous entrons en
Franc-Maçonnerie dans un but. Nous allons avoir à subir des transformations,
des mutations. Nous allons les subir de deux manières. D'abord, par l'influence
spirituelle que transmet la Franc-Maçonnerie parce qu'il est vrai que la
Franc-Maçonnerie transmet une influence spirituelle. Nous allons subir,
accélérer, favoriser ces transformations et ces mutations par le rite. Nous
avons un rite de constructeur : Franc-Maçon. Nous sommes dans un monde sans h
Isard, cela veut dire que ce n'est pas par hasard que la Franc-Maçonnerie a un
rite de constructeur. Si nous possédons la symbolique de constructeur, c'est
que nous avons à bâtir, à construire. Nous sommes au début du chemin. Nous
avons à construire un temple en nous, collectivement, et nous avons à
construire un être chaque fois qu'il y en a un qui se présente à la porte du
temple et qui a les qualifications requises. C'est pour cela que nous avons une
symbolique de constructeur : nous avons une fonction de construction. Il nous
faut édifier des êtres, des temples. Faire que cet être puisse arriver au terme
qui est de mourir à lui-même pour naître au divin. Je sais que vous réagissez
sur le mot « divin » mais vous savez qu'il y a une réalité physiologique et que
les mots ne changent rien. La réalité
physiologique est que nous avons deux êtres en nous : un être spécifique,
public, avec ses passions, ses buts, ses besoins, ses envies de posséder, ses
désirs, ses problèmes psychologiques, son paraître et puis, nous en avons un
autre, au fond, caché comme un trésor et qui demande à vivre. Entrer en Franc-
Maçonnerie c'est, qu'on le sache ou non, fondamentalement, vouloir que vive
cet homme qui est caché au fond, que vive ce trésor, cet être que vous pouvez
appeler spirituel, transcendant, embryon taoïste, être divin, être immanent,
tous les noms de la terre, cela ne change rien à sa réalité : cet être est en
nous et il demande à vivre. C'est pour cela que nous avons un rite de
constructeur ; nous sommes, en tant que Franc-Maçon, au début du chemin. Nous
devons édifier un mythe et nous allons le faire par le rite parce que le rite
va le permettre, parce qu'il est opérant. Il y a des rites d'ouverture de Loge,
de fermeture et d'initiation. Je ne vais pas vous les décrire mais je peux
quand même vous dire ce que ça fait. Le rite d'initiation consiste à initier
celui qui se présente à la porte du temple, c'est-à-dire le profane qui
demande à être admis en Franc-Maçonnerie. D'abord, nous ouvrons la Loge.
Imaginez que nous soyons tous Francs-Maçons, nous avons un Vénérable, des
Officiers, nous allons ouvrir la Loge. Qu'allons- nous faire ? Nous allons
reproduire, revivre l'acte éternel de création. Nous avons à revivre à chaque ouverture
les lois qui ont présidé à la construction du monde, les lois qui ont présidé à
la création de toute vie, quelle qu'elle soit. Que faire ? Nous nous relions à
l'Architecte. Nous nous donnons l'ordre de créer les hommes qui sont là juste
pour mener à terme cette création. Il nous faut nous relier à la source de vie
qui est la Lumière. Il nous faut donc installer l'espace puis le temple et
alors, tout est prêt, nous pouvons donner vie à ce temple : ce temple qui est
en nous et ce temple politique qu'est la Loge. Ce n'est pas important de savoir
leur nom, l'important est de savoir ce qu'ils opèrent et de savoir qu'un rite
d'ouverture de Loge nous fait revivre les lois qui président à la création de
toute vie, que ce soit la vie de l'homme, de l'univers ou la vie de la plante,
de l'animal ou du cristal. Les lois sont les mêmes et le rite vous les fait
revivre. Ainsi, à chaque
ouverture de Loge, Tenue après Tenue, nous revivons ces lois qui, patiemment,
nous permettent de créer le temple qui est en nous et le temple qu'est la Loge.
Venons-en à la fermeture de la Loge. Qu'allons-nous faire ? Nous allons la destructurer,
la renvoyer au chaos (le chaos n'est pas la pagaille, c'est l'indistinction
parce que les forces ont changé de sens souvent, et à la fermeture de Loge,
nous allons renvoyer cet univers au chaos). Dans certaines
occasions, nous avons des profanes qui se présentent et nous devons les
initier. Il va falloir qu'ils meurent et qu'ils renaissent et ce, par un rite
qui est, croyez-le bien, opératif. Il est vrai. La construction de cet être
sera réelle, aussi réelle que si nous avions construit cet édifice ou la
cathédrale de Paris. Quand on dit que par le rituel d'initiation on construit
un être ce n'est pas un jeu, on ne fait pas semblant, on n'a pas donné un coup
de maillet en disant des formules et en jetant tout par terre ; ce n'est pas
vrai ! Ce jour-là, si le rite est fait en conscience et ce qui me désespère
c'est de le voir faire n'importe comment, si le rite est fait en conscience, un
être commence à mourir et un autre commence à naître, réellement. C'est une
trahison que de ne pas le faire en conscience parce que cet être est venu pour
mourir et pour renaître et il est venu, qu'il le sache ou pas, sous tous les
prétextes de la terre (et ceux qui sont en Maçonnerie depuis quinze ou vingt
ans en ont vu suffisamment pour savoir que nous arrivons ici sous tous les
prétextes de la terre). Fondamentalement, nous avons une demande qui est de
faire vivre en nous cet être fantastique qui est caché au plus profond, ce tré
sor auquel nous devons accéder.. C'est une trahison, une mutilation que de ne
pas lui permettre de vivre en ne réalisant pas un rite comme il devrait l'être. Alors, que se
passe-t-il ? D'abord, il meurt en terre ; puis il va renaître à travers des
épreuves, on va le reconstruire à travers quatre éléments parce que la vie est
faite de quatre éléments. Il va renaître à travers sept épreuves que je ne vous
décompose pas parce que sept sont toujours les moyens qui sont donnés pour, mener
une création à son terme. N'oubliez pas que les nombres sont la vérité du
monde. Rien ne se fait sans les nombres dans la vie. Le nombre est le secret du
nom ; c'est pour cela que le nom est le secret de la vie. Nous avons oublié
tout cela, pas tout ; nous avons oublié que la réalité de la vie était
sous-tendue par le nombre et qu'elle était vie par le nombre. Ce n'est pas pour
rien que l'on fait des choses à trois, à neuf ; ce n'est pas pour rien qu'il y
a sept épreuves (s'il y avait six épreuves et non sept, il n'y aurait pas la
même opérativité du rite). Sept, c'est le temps qu'il faut pour mener une
création à son terme. Cet être va donc commencer à renaître parce que la
Franc-Maçonnerie, avec son symbolisme de constructeur, est un début de chemin.
Ensuite, on va lui donner, par l'instruction, les moyens de vivre. Voilà ce que
l'on réalise dans un rituel d'initiation. Il meurt, on le reconstruit à
travers les éléments et les voyages et on permet à quelqu'un qui est en lui de
commencer à renaître. A ce moment là, on l'instruit comme on instruisait cet
adolescent dans le bois sacré ; on l'instruit à d'autres lois de la vie, plus
archaïques, plus fondamentales. Ce qu'il est
important de retenir, surtout pour les Maçons, les Maçonnes qui sont ici, c'est
que tous vos gestes rituels opèrent quelque chose et qu'il est vrai que nous
construisons vraiment, réellement, un temple à chaque rituel d'ouverture et
qu'il est vrai également que nous construisons vraiment, concrètement, un être
à chaque rituel d'initiation. Tous les gestes rituels que l'on vous demande de
faire sont là pour opérer en nous des transformations et des mutations. Quand
on nous dit : « Rentrez à l'ordre dans le temple » , remarquez ce mot «
ordre » qui revient sans arrêt et qui se réfère à cet ordre de la vie, à cet
ordre cosmique. Ce qui est sûr,
c'est que si vous entrez dans n'importe quel ordre et si vous vous mettez dans
n'importe quel ordre, vous ne ferez pas en sorte que cette mutation se
produise. Tous les gestes rituels doivent être faits conformément au rite parce
qu'un rite opère en nous, à chaque instant où nous le faisons, une transformation
et une mutation nécessaires. Il faut dire à ceux qui ne sont pas Maçons que
s'ils ont envie de le devenir un jour, ils doivent savoir en tout cas, dès leur
entrée, que le rite ne sera pas un jeu, une cérémonie, une pièce de théâtre, un
artifice, que ce sera un acte opérant, réel, authentique, efficace. *
*:* J'espère que nous
avons compris ensemble quel était le rôle fondamental du rite qui est
d'actualiser, de réaliser (réaliser c'est rendre réel) en nous des lois
cosmiques, archétypielles, les lois de la vie. Car, finalement, la vie n'est
que l'incarnation des archétypes, des lois qui nous gouvernent. Elle n'est que
l'incarnation des attributs divins que, dans le même temps, elle nous révèle
et elle nous masque. La vie n'est que l'incarnation d'attributs et
d'archétypes et le rite est le moyen qui nous est donné pour vivre ces
archétypes et attributs, pour réaliser ces lois qui sont à vivre à un temps ou
dans une circonstance donné de notre vie. S'il fallait ne retenir qu'une chose,
ce serait celle-ci : le rite nous permet de vivre la loi de la vie, la loi
cosmique, la loi fondamentale archaïque que nous devions vivre à un tel moment
de notre vie (comme la puberté, la ménopause) ou dans telle circonstance (par
exemple lors d'un rituel d'initiation). Pour cela, nous
devons saisir que tout est archétypiel, que la vie est archétypielle, que tout
est métaphysique, que la vie fondamentalement est métaphysique. Pour
comprendre un rite, il ne faut surtout pas se placer sur un plan psychologique
ou social, placez-vous sur un plan métaphysique, archétypiel. Quand vous aurez
accédé au plan archétypiel ou métaphysique, vous comprendrez facilement quelle
est la réalité sociale ou psychologique qui en découlait. Regardez avec un
œil neuf tous les gestes rituels ; si vous voyez une femme musulmane voilée
dans la rue, plutôt que de crier psychologiquement ou socialement à l'inégalité
des sexes, demandez-vous quelle est la raison profonde, archétypielle, métaphysique
qui fait que cette femme est voilée ; quel secret doit-elle cacher ? Si on vous
parle d'anthropophagie, en plus que de crier à l'inhumanité, et vous aurez
raison, demandez-vous quelle dégénérescence il y a eu pour en arriver là.
Quelle opérativité du rite a-t-on oubliée pour en arriver là ? Comment partant du
fait que le Maître, arrivé au terme de sa vie, donne ses attributs à son
héritier, on est arrivé au fait qu'un homme en mange un autre pour s'attribuer
certains pouvoirs illusoires ? Ainsi, quand vous
êtes devant un rite, devant un geste rituel, n'oubliez pas que le monde est
métaphysique et la réalité archétypielle. Il nous faut bien
comprendre aussi ce que nous faisons en Franc-Maçonnerie. La Franc-Maçonnerie
est un chemin de réalisation. Ce chemin, nous ne pouvons le faire que par le
vécu de nos rites, par la répétition de nos rites, par le fait que Tenue après
Tenue, nous avons nos rites qui réalisent en nous des transformations et des
mutations qui vont permettre, d'une part, au vieil homme de mourir et, d'autre
part, à cet être caché et divin qui est en nous de vivre. Sachez que tout
Franc-Maçon, qu'il le sache ou non, fondamentalement, entre en
Franc-Maçonnerie pour cela. Enfin, il nous faut comprendre que le grand
problème du monde actuel n'est pas social, politique ou économique. Il est que
nous vivons la fin d'un cycle, le « kali-yuga », la fin d'un cycle temporel.
C'est pour cela que nous sommes dans l'anarchie. Nous sommes en effet coupés de
l'archée, des lois, des archétypes. C'est aujourd'hui le problème fondamental :
le monde tout entier (et pas seulement l'Occident) est en train de vivre la fin
d'un cycle et, par là même, nous vivons le début d'un autre, immatériel, subtil,
c'est encore un embryon, une cellule. Pour vivre le début de cet autre cycle,
le rite est nécessaire parce que si, dans l'anarchie actuelle, nous voulons
nous relier aux lois de la vie et du cosmos, il nous faut d'abord vivre la
réalité et l'opérativité du rite. Seul le rite nous permettra de devenir
conformes à cet ordre du monde, de répondre à cet ordre idéal de la vie.
Comprenons que seul le rite nous permettra de retrouver cette perfection qui,
en même temps première et dernière, est en nous. Jean-Marc Kespi(*) Conférence
prononcée par Jean-Marc Kespi, le 5 décembre 1981, dans le cadre des
conférences organisées par le Cercle Condorcet- Brossolette. |
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