GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 3T/1982 |
La Franc-Maçonnerie MilitaireLa Franc-Maçonnerie
militaire a joué un rôle essentiel dans l'apparition en France de la Maçonnerie
spéculative. Avant 1789, les Loges militaires qui existaient dans la plupart
des régiments de l'armée royale initiaient au hasard des déplacements, d'une
garnison à l'autre, des aristocrates, des bourgeois, des commis d'administration,
des avocats, des religieux qui allaient devenir un peu plus tard les animateurs
des Loges sédentaires. Plus tard, sous le
Premier Empire, ce furent les Loges militaires de la Grande Armée qui
propagèrent la Franc-Maçonnerie dans toute l'Europe, notamment en Belgique, en
Allemagne, en Autriche, en Pologne, en Italie, en Espagne, initiant un peu
partout dans les territoires occupés et y donnant naissance à une Maçonnerie
locale là où elle n'existait pas encore, réveillant ailleurs de vieilles Loges
qui étaient en sommeil depuis un certain temps. Par un étrange paradoxe, ce
furent ainsi les militaires francs-maçons de l'armée impériale qui propagèrent
à travers l'Europe l'idéal de la Révolution française de 1789. Officiers et hommes
de troupes se retrouvaient fraternellement unis dans la Loge, sans aucune
distinction de grades. Ainsi, en 1779, La Parfaite Union du régiment du
Vivarais avait comme Vénérable le simple soldat Dupred, alors que le capitaine
Charles de Roux l'assistait comme Secrétaire. En 1773, la Loge
Saint-Charles des Amis Réunis, installée au sein du régiment de Saintonge,
avait pour Vénérable le fourrier Labouisse. Elle comptait parmi ses membres le
comte de Bérenger, mestre de camp. Il n'est pas
inutile de rappeler que, bien avant la création en 1717 de la Grande Loge de
Londres, la Franc-Maçonnerie dans sa forme spéculative, avait été introduite en
France par des militaires. Lorsque la reine Henriette, fille du roi de France
Henri IV, épouse du roi d'Angleterre Charles r, s'était réfugiée au château de
Saint- Germain, la plupart des officiers écossais de sa suite appartenaient à
des Loges anglaises qu'ils s'étaient empressés de reconstituer en exil. Dès 1689, à
Saint-Germain-en-Laye, une Loge jacobite, La Bonne Foi, existait au régiment de
Dillon des gardes écossais. Plusieurs autres Loges stuartistes furent ouvertes
en France dès 1690. Dans des conditions identiques, des marins et des soldats participèrent
à la fondation des premières Loges spéculatives en territoire français. Ainsi,
en 1732, des officiers de marine anglais séjournant à Bordeaux y ouvrirent la
Loge L'Anglaise qui existe encore de nos jours. De nombreux
officiers français furent initiés à cette époque. En 1736, plus de deux cents
officiers de hauts grades assistaient à la Tenue maçonnique pour laquelle le
chevalier de Ramsay écrivit son célèbre Discours, premier essai de réforme de
l'Ordre maçonnique. Ce fut à ce moment que fut initié le Maréchal d'Estrées. Le premier Grand
Maître français, Louis de Pardaillan de Gondrin, duc d'Antin et d'Epernon, élu
le 24 juin 1738, était lui-même colonel du régiment de Royal-Marine. Louis de
Bourbon-Condé, comte de Clermont, qui fut appelé à lui succéder en 1743, avait
fait ses preuves sur le champ de bataille. Il fut désigné par ses Frères de
préférence au prince de Conti et au Maréchal de Saxe. Il y eut ainsi une
longue période pendant laquelle les militaires exercèrent l'autorité suprême dans
l'Ordre maçonnique en France. Au tableau des Grands Officiers pour l'année 1773
figurent ainsi le Frère de Montmorency-Luxembourg, brigadier des armées du roi
; le colonel d'infanterie de Buzançais ; le mestre de camp de cavalerie
Rohan-Guéménée ; le colonel d'infanterie de Lauzun ; le colonel d'infanterie
Bacon de la Chevalerie ; le colonel du régiment de Champagne Colbert, marquis
de Seigneley ; le maréchal de camp prince de Tarente ; le mestre de camp des
dragons prince de Pignatelly ; le colonel d'infanterie vicomte de Rouait ; le
colonel d'infanterie chevalier de Launey ; le lieutenant-colonel
Giraud-Destours ; le colonel comte d'Ossun ; le mestre de camp de cavalerie
marquis de Clermont-Tonnerre, d'autres encore. Tous les régiments
possédaient alors une ou plusieurs Loges maçonniques. Il suffit par
ailleurs de consulter les tableaux des Loges parisiennes avant 1789 pour y
trouver en très grand nombre des militaires de toutes les armes et de tous les
grades. Tout naturellement,
les soldats francs-maçons prirent fréquemment l'initiative de créer des Loges
civiles et sédentaires dans les villes où ils étaient affectés. Ce fut ainsi
que le capitaine Frignet, du Royal-Lorraine-Cavalerie, fut en 1748 le fondateur
à Rennes de La Parfaite Union, une Loge qui devait devenir plus tard la Mère-
Loge de la Maçonnerie bretonne. De même, en 1756, ce fut la Loge militaire Les
Frères Unis, au régiment de Thianges-Dragons, qui installa à Laval la Loge
sédentaire L'Union, composée essentiellement de petits bourgeois. En 1768, lorsque
L'Heureuse Rencontre fut installée à Brest, elle comptait parmi ses fondateurs
une majorité d'officiers. Les archives de la
Franc-Maçonnerie française permettent de suivre les régiments dans leurs
successifs déplacements. Prenons l'exemple de La Parfaite Union, Loge militaire
du régiment RoyalRoussillon-Cavalerie. Elle se trouve en garnison à Hesdin en
1774 lorsqu'elle ouvre ses travaux sous la direction du capitaine de Moreton-Chabrillant.
En 1775, lorsqu'elle initie le comte des Rieux et le comte de Carné, elle tient
ses assises dans le Temple de la Loge de Rennes. De la même façon,
nous pouvons suivre pendant plus de vingt ans dans ses déplacements la Loge
militaire de l'Orléans-Dragons. Des noms connus figurent sur les tableaux des
Loges militaires. Le sous-lieutenant Alexandre de Musset, grand-oncle du poète,
appartenait à La Concorde, Loge du régiment d'Auvergne. Le baron de
Montboissier-Beaufort-Canillac, gendre de Malesherbes, fut Vénérable de
L'Amitié à l'Epreuve, la Loge de l'Orléans-Dragons. Le duc de Richelieu, futur
Premier ministre du roi Louis XVIII, fut l'orateur des Dragons Unis, au
régiment des Deux-Ponts-Dragons. Percy, l'un des rénovateurs de la chirurgie
militaire, fut le Secrétaire des Frères Unis, au régiment de Berry-Cavalerie.
Le célèbre Choderlos de Laclos, l'auteur des « Liaisons dangereuses «, fut le
Vénérable de L'Union, au corps d'artillerie de Toul. Lafayette et
Rochambeau étaient eux-aussi francs-maçons. Axel de Fersen,
colonel du Royal Suédois, l'homme qui organisa la fuite à Varennes de la
famille royale, appartenait à L'Olympique de la Parfaite Estime. Dans cette
Loge il retrouvait un lieutenant- général qui se nommait... Charles d'Estaing. Le célèbre
mathématicien Gaspard Monge fut en 1779 l'Orateur de L'Union Parfaite du Corps
du Génie où il avait été initié. La Tour d'Auvergne, le premier grenadier de
France, tombé au champ d'honneur le 27 juin 1800, appartenait à une Loge
bretonne. Il demeure que la
période la plus faste de la Maçonnerie militaire, ce fut indéniablement celle
du Premier Empire, avec les francs-maçons Junot, Pichegru, Mac Donald,
Beurnonville, Kléber, Brune, Joseph.et Jérôme Bonaparte, Sérurier, Kellermann,
Mortier, Ney, Lannes, Lefebvre, Murat, Augereau, Moreau, Exelmans, Suchet, Oudinot,
Bernadotte, Molitor, sans oublier le général Hugo, père de Victor, qui
appartenait à L'Amitié d'Aix-en-Provence et à La Concorde de Bastia. Faire aujourd'hui
le tour de Paris par les boulevards extérieurs c'est s'offrir l'occasion de
saluer l'un après l'autre les plus grands noms de la Maçonnerie militaire. N'oublions pas le
maréchal Masséna, duc de Rivoli, qui avait été initié à Toulon en 1784 par la
Loge Les Enfants de Minerve. Quant à Grouchy, celui de Waterloo, il appartenait
à La Candeur de Strasbourg. Dans toute
l'histoire de la Franc-Maçonnerie universelle aucune date n'est plus
douloureuse que celle du 18 juin 1815. Ce jour-là, dans la plaine de Waterloo,
se retrouvèrent face à face les francs- maçons français du Frère Grouchy, les
francs-maçons anglais du Frère Wellington, les francs-maçons prussiens du Frère
Blücher. La fine fleur des Loges militaires de la Grande Armée disparut dans la
charge héroïque de la Haie-Sainte que commandait le franc-maçon Lassale. Quelques-uns des
plus grands noms de la Marine figurent également sur les tableaux des Loges,
notamment ceux du corsaire Surcouf et du corsaire Bompard, du bailli de
Suffren, de l'amiral Villaret de Joyeuse, de l'amiral Bruix, de l'amiral Magon
de Médine qui trouva la mort à Trafalgar. Les marins français
participèrent activement à l'implantation et au développement de la Maçonnerie
aux Antilles, à Saint-Domingue, aux Indes, au Moyen-Orient et en Amérique
Latine. Un militaire comme le comte de Grasse-Tilly propagea de la même façon
et organisa dans plusieurs pays d'Europe, notamment en Belgique et en Espagne,
le système des Hauts Grades du Rite Ecossais Ancien et Accepté. La liste est longue
des soldats francs-maçons qui, sous les différents régimes, furent élevés à la
dignité de Maréchal de France. Les plus connus sont Augereau, Bernadotte,
Exelmans, Joffre, Kellermann, Lefebvre, Masséna, Murat, Ney, Soult et Suchet.
Pendant la guerre de 1914-1918, le Grand Maître de la Grande Loge de France
était le général Peigné. Une Loge parisienne de son Obédience porte aujourd'hui
son nom. Entre 1919 et 1940,
et depuis 1944, de nombreux officiers d'active furent Vénérables de Loges
écossaises et plusieurs d'entre eux furent appelés à siéger au Conseil Fédéral
de la Grande Loge de France. Ainsi, la tradition
de la Franc-Maçonnerie militaire se prolonge. Elle constitue à coup sûr l'une
des plus belles pages de l'histoire de la Franc-Maçonnerie française. MAI 1982 |
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