GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 1T/1983 |
L'œil d’Horus Tout est dans l’œil
d'Horus. Le combat incessant du Bien et du Mal, le mystère de la Vie et de la
Mort, la quête de la Lumière et de la Connaissance, le pouvoir de Justice et le
triomphe de la Vérité. Dans l’œil est le feu du Soleil, le Verbe divin. Au cœur
de l’œil est même le mystère le plus troublant, le plus émouvant de notre vie
terrestre : celui de la Femme, cette compagne donnée à l'homme, devenu mortel,
par le Créateur. Tout est dans l’œil
d'Horus, cet œil magique qui figure dans le sceau de la Loge a Les Disciples
d'Horus » surmontant la règle, image de la rigueur, et figurant par
substitution entre l'équerre et le compas, dans la plus authentique filiation
égyptienne, le G traditionnel de la Maçonnerie, le Grand Architecte de
l'Univers. L’œil d'Horus,
comme tant de symboles fondamentaux, trouve sa naissance dans un mythe qui se
veut une explication fondamentale de l'Univers. Osiris, le dieu bon,
l'homme-dieu cosmique, pivot de cet Univers, a été assassiné par son frère Seth
qui est le dieu traître, le dieu mauvais, l'ange déchu. Isis, la sœur-épouse,
rassemble les morceaux épars d'Osiris et le ressuscite. Et de leur union naît
Horus. Horus, vengeur de son père, combat contre Seth et l'émascule, mais dans
le combat il perd un œil. C'est cet oeil retrouvé qui constitue l'a oudjat m
magique des anciens Egyptiens. Osiris reste ainsi,
à travers cette légende, le dieu momifié, éternellement mort-vivant et qui aide
chacun des hommes à franchir le passage, à réussir sa mort dans la vie
retrouvée. Osiris préside aux métamorphoses. Il est l'Etre primordial, le
maître de l'éternité, le roi des dieux. Ame de Râ,
c'est-à-dire manifestation du Soleil, il prolonge en permanence vers le monde
des hommes la réalité divine. C'est le
seigneur de sagesse et d'harmonie. Et cependant, il est impuissant. Lié par ses
bandelettes, il lui manque le pouvoir de l'action et surtout celui de la
connaissance, ce pouvoir que renferme précisément l'oudjat qu'Horus offrira à
son père après son combat avec Seth. Isis est la Mère
divine, l'Esprit qui féconde, le second terme de la grande Triade égyptienne.
Elle est la grande Mère Noire couverte de voiles et dont nul mortel ne peut
percer le vrai visage. Elle est la suprême magicienne qui connaît tous les
secrets de la Terre et du Ciel. C'est aussi la Veuve dont les initiés, tous les
initiés du monde, sont à jamais les enfants... Horus, le fils, est
celui qui rétablit l'équilibre cosmique détruit par la mort d'Osiris. Il est
l'héritier des dieux et la substitution de chacun d'eux, il est le combattant
perpétuel. Sa nature est solaire, positive, dynamique. Seth, son adversaire,
est noir, saturnien. C'est le démon taciturne et haineux. Emasculé par Horus,
il est froid et stérile. Mais, en même temps, il est l'intelligence, il est la
science. Seth ne meurt pas car le Mal ne peut mourir. Il est nécessaire aux
dieux, Il est nécessaire au Bien. La lutte entre le Bien et le Mal est
indispensable à l'équilibre cosmique, et Seth réalise avec Horus le plan du Grand
Architecte. Voici, très
brièvement résumé, le mythe sans la compréhension duquel il ne nous serait pas
possible d'aborder les mystères de l’œil d'Horus. « En vérité,
nous dit le Livre des Morts, Horus est le maître et le seigneur de l'Egypte. Il
fixe le cours des choses pour des millions d'années. Nuit et jour, les dieux
oeuvrent pour lui. Son oeil divin est la source de vie de millions d'êtres. Il
est l'Unique, le maître des mondes. Et le Livre des Morts nous dit aussi
d'Horus : « Il est celui qui, par son oeil divin, change les êtres en des
plantes florissantes. » L’œil étincelant
est au centre de la symbolique égyptienne ; c'est lui qui préside à la
formation, aussi bien du microcosme que du macrocosme. Il est dit dans les
inscriptions de l'architecte Amenhotep : « Tu es Râ — Oui apparais dans le
ciel — Qui illumines la Terre avec les perfection- c'est ton oeil étincelant —
Qui es sorti de Noun — Oui es apparu au-dessus de l'eau primitive Oui as créé
chaque chose — Oui as formé la grande ennéade des dieux — Oui t'es engendré
dans tes propres formes. » L’œil a précédé les
dieux. Et par ses rayons, il donne des yeux à tout ce qui existe. Chaque être
vivant est donc un oeil du Dieu. Le Temple lui-même peut être assimilé à l'oeil
divin, un oeil porteur de toutes les potentialités, un oeil ouvert sur le monde
mais centré sur l'indicible, sur l'impérissable. L’œil d'Horus —
que, nous l'avons vu, on appelle aussi l'oudjat, l’œil fardé = — est
immobile. Il est fixe car il est le cœur du monde. Parfois, il se trouve
dédoublé. Ainsi, sur le tombeau de Ramsès IX, encadrant Kheper, le scarabée
mythique couleur de boue, symbole des métamorphoses et de l'évolution de
l'homme, voguant sur la barque solaire à travers l'immensité du ciel, figurent
par deux fois l'ceil d'Horus. L'un à gauche, oeil de la Lumière, symbolise la
barque du jour, il symbolise la Vie ; c'est le véritable oeil d'Horus. L'autre
à droite est l'ceil inversé ; il symbolise la barque de la nuit et le passage
de la Mort. Ce n'est pas un hasard, d'ailleurs, si l'oeil gauche est l'oudjat
véritable : de la magie traditionnelle à l'hypnose, c'est toujours à l'oeil
gauche que l'officiant s'adresse... Le mystère de la
vie et de la mort est ainsi admirablement suggéré par cette peinture du tombeau
de Ramsès IX au plan cosmique. Au plan infracosmique, dans le rituel de la
toilette, il est évoqué par l'usage des fards, l'un vert qui maintient en bonne
santé l’œil gauche, celui du Soleil, et l'autre noir qui maintient l'oeil droit
inversé, celui de la Lune (dans le même ordre d'ailleurs, notons-le entre
parenthèses, que celui des colonnes de l'Arbre séphirotique de la Kabbale).
Tout ceci attestant bien qu'Horus a en fait deux yeux cosmiques, celui des deux
luminaires qui encadrent dans notre Temple le Delta rayonnant. Ces fards, bien
sûr, ne figurent pas sur le bijou stylisé de l'Oudjat retrouvé dans les tombes
et notamment sur la poitrine du pharaon assassiné Toutankhamon. En revanche, y
figure une étrange ellipse symbolisant, rapporte-t-on, une larme stylisée. Que signifie
cette larme de l’œil blessé ? On peut penser légitimement que, de même qu'Isis
la Noire porte éternellement le combattre Seth, le démon terrestre (Seth
assimilable à Satan et à Saturne), dieu attaché à la Terre par son combat sans
cesse renouvelé, pleure Osiris, son père, le Dieu du Ciel. Il pleure le ciel
qu'il a perdu et qu'il recherche désespérément. Horus, ainsi et
pour l'éternité, symbolise l'homme dans sa double polarité. Fils du Ciel et de
la Terre, de l'Esprit et de la Matière, il est bien l'image du parfait initié
entre l'équerre et le compas. *
* * Il est un autre
aspect intéressant de ces larmes d'Horus. Il est dit en effet dans le papyrus
Jumilhac qu'elles sont le vin de la vigne, le vignoble étant assimilé aux yeux
du dieu. Or, le vin est toujours associé à l'initiation ; il est le breuvage de
la communion avec les dieux. Encore une marque de l'Horus intermédiaire entre
l'homme et le divin. Venu d'Orion, la
constellation boréale demeure des dieux, Horus est apparu sur Terre en héritier
d'Osiris pour nous apprendre que c'est à l'Homme de devenir le pivot de
l'Univers. D'après les théologiens d'Héliopolis, en effet, le monde divin avait
dépassé le point culminant de son évolution : il se faisait vieux. C'était donc
à l'élite de l'Humanité, aux saints et aux initiés de prendre sur eux le
fardeau du gouvernement cosmique. Horus était là pour aider les hommes dans
cette épreuve. Son oeil porteur de lumière était là pour les éclairer et les
guider. Dans le perpétuel combat de la Lumière contre les Ténèbres de Seth,
l'ceil était l'arme suprême, l'arme absolue. La lumière blanche contre celle du
feu central du vieil Archon terrestre, la lumière qui n'éblouit ni ne brûle,
mais qui illumine les âmes. « Quand
l'initié, grâce à l'oudjat, ouvre son oeil intérieur sur sa réalité divine,
écrit Christian Jacq, il provoque la naissance de ce feu incorporel qui est à
l'origine de toutes les mutations spirituelles. » Alors, l'homme est
sauvé. Son âme sera aussi légère que la plume de Maat. Il évitera, grâce à
l'oudjat, la seconde mort, celle qui ne pardonne pas, celle qui voue l'impie et
le fou à être la proie du monstre de l'Abîme à la gueule de crocodile. L’œil d'Horus est
lumière. Il est aussi, dans un prolongement qu'il ne nous est pas toujours aisé
de saisir, offrande. C'est ainsi que tout objet présenté au mort était appelé
l’œil d'Horus. Pourquoi ? Les rituels nous l'expliquent. Chaque objet offert à
la momie agissait en tant que pouvoir, à l'image du Soleil qui restaure la vie. L’œil d'Horus est
justice. C'est ainsi, nous apprend un texte de la décadence, qu'il suffit de
dessiner l'oudjat sur un mur et de le frapper d'un maillet taillé dans le bois
du gibet pour que l’œil livre le voleur. Cette marque de magie simpliste et
populaire qui montre bien l'involution de la pensée ésotérique égyptienne a
toutefois le mérite de nous donner un exemple évocateur de ce que fut le
concept de justice associé à l'oudjat dans l'Egypte antique : en effet, l'OEil
avait alors le pouvoir efficient du « redressement ». Par sa puissance,
il était l'équivalent de saint Michel ou du Metatron de la Kabbale. Mais l’œil n'est
pas que l'amulette qui protège, celle que Pharaon mort porte en pectoral d'or
pour son long voyage dans l'au-delà. C'est réellement l’œil de Vérité qui s'ouvre
pour l'initié qui sait y découvrir le Verbe divin. Le rôle de l'initié égyptien
est de vivre sa propre vérité, de créer sa propre lumière. Il a à prendre
conscience des neuf éléments essentiels de l'être : le corps ; le Kâ et le Bâ
qui correspondent schématiquement au corps astral et à l'âme ; l'ombre reflet
de la vérité ; I'Ankh, lumière de l'esprit ; le cœur, le Sekhem, puissance de
réalisation ; le nom, vérité ultime, et enfin le Sakh, corps spirituel. Ces
neuf éléments correspondent très exactement aux neuf dieux de l'Ennéade. Et
c'est pourquoi il est dit encore au papyrus Carlsberg n° 7 : « L’œil est
l'Ennéade ». Mais peut-être y
a-t-il un autre mystère dans l’œil d'Horus, mystère qui nous est seulement
suggéré et que nous avons à approfondir. Ce mystère réside en la pupille (Korè
en grec) qui signifie « la jeune fille qui est dans l’œil ». Au
centre de l’œil, donc, se trouverait la femme. La femme-vierge, mais
probablement aussi dans sa potentialité créatrice. N'est-il pas étrange de
trouver la femme enfermée au cœur de l'œil, comme la Schekinah au cœur de
Malkouth, la première des Sephiroth de la Kabbale à laquelle d'ailleurs
correspond précisément l’œil d'Horus ? Le principe féminin, celui de la
Vierge-Mère, est ainsi au cœur de la connaissance et de la lumière. Mystère
fondamental de la création ! Mystère émouvant du grand Visage androgyne dessiné
par l'Arbre séphirotique !... Protecteur, guide,
guérisseur, instrument de justice et tabernacle de la Connaissance, l'oeil
d'Horus est donc aussi créateur. La présence de la femme en lui, de la femme
sans qui toute naissance est impossible, en fait le symbole complet de la Vie,
jusque et y compris la Vie à travers la Mort. L’œil préside ainsi secrètement
à la renaissance. Il faut rappeler à ce propos un mystérieux rite initiatique
de l'antique Egypte, celui du « passage par la peau . (Heb-Sed). Le prêtre qui
répétait ce rite portait une peau de panthère et son nom était « celui qui
possède la connaissance des deux principes opposés : le père et la mère, qui,
conjoints, donnent la vie ». Or, il est dit qu'Horus était passé par
la peau pour le compte de son père Osiris. Ce rite, tel que
nous le montrent les papyrus, est en fait bien un rite de résurrection qu'il
serait intéressant de rapprocher du mythe d'Hiram et des cinq points de la
maîtrise. Y intervenaient des sectateurs d'Horus évoquant les forces vitales du
Soleil et formant une chaîne d'union autour du mort-initié afin de lui donner
la possibilité de ressusciter. Sur une stèle du
Louvre sont décrites ainsi toutes les phases du rite de résurrection. Un détail
important de cette stèle est marqué par un pieu figurant une tige de lotus avec
une fleur épanouie. On a attaché à ce pieu la peau d'un animal des forces mauvaises
(panthère, hyène...). Or, cette scène représente la naissance de la vie
nouvelle et la peau de l'animal de Seth représente la victoire d'Horus, grâce à
son oeil sur les forces d'obstruction, sur les forces de la matière. J'ai retrouvé, dans
un ouvrage d'Enel, un texte qui nous prouve bien que les mystères initiatiques
égyptiens se situent, contrairement à ce que d'aucuns pensaient, dans la
perspective des vies successives et de la réincarnation. Ce texte, extrait du
papyrus d'Ariane, vizir de Séti II, au quatorzième siècle avant le Christ, est
on ne peut plus explicite. La vision des vies qui se succèdent, de l'éternité
assimilée au cercle est proprement admirable. « Les
hommes ne vivent pas seulement une fois, partant ensuite pour toujours, est-il
écrit dans le papyrus d'Anana. Ils vivent de nombreuses fois en de nombreux
endroits, quoique ce ne soit pas toujours dans ce monde-ci. Entre deux vies, il
y a un voile d'obscurité. La porte s'ouvrira à la fin et nous montrera tous les
chemins que nos pas auront traversés depuis le commencement. Notre religion
nous enseigne que nous vivons éternellement. Or, l'éternité n'ayant point de
fin, ne peut avoir de commencement. C'est un cercle. » Et encore : « L'homme
vient à l'existence de nombreuses fois ; cependant, il ne sait rien de ses vies
passées, sauf que, occasionnellement, un rêve ou une pensée le ramène à quelque
circonstance d'une précédente incarnation. Mais il ne peut se rappeler quand,
où cet événement s'est produit. Il reconnaît seulement quelque chose de
familier. A la fin, pourtant, toutes ses vies passées se révéleront à lui. Les
esprits ou âmes qui se sont connus dans une incarnation se rencontreront
peut-être dans une autre incarnation, attirés l'un vers l'aure ; mais pour
quelle cause, tous deux l'ignoreront... » Comment s'étonner,
en conclusion, que l'oeil divin ait survécu à la formidable entreprise
d'épuration des anciennes traditions qui a présidé à la mise en place de la
religion chrétienne après le concile de Nicée ? II fut en effet l'un des rares
symboles fondamentaux à avoir été conservé et inscrit pour toujours dans le
triangle dédié par le christianisme à la Trinité. Or, nous avons en partage
avec la religion catholique apostolique et romaine ce symbole du Delta
flamboyant qui orne aussi bien l'Orient de nos Temples que le chœur de maintes
églises ou cathédrales. C'est ainsi que,
défiant les siècles, survivant aux iconoclastes et aux anathèmes de tous
ordres, en dépit des mots substitués et des traditions perdues, l'Oeil d'Horus,
réfugié au cœur du Delta flamboyant, interroge Maçons et chrétiens, les
interpelle, les scrute au fond de leur âme, sans que toujours les uns et les
autres se doutent que derrière l’œil du Père éternel se dissimule dans sa
profonde sagesse l'oudjat bénéfique de la vieille tradition égyptienne... J.-J. GABUT. |
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