GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 3T/1983 |
L'initiation Nous
vivons
l'enfantement d'un nouveau monde. Sous le choc puissant du futur,
toutes les
sociétés sont ébranlées. La
vague, née dans notre Occident, gagne peu à peu
les
régions les plus arriérées du globe ;
nulle n'y échappe dès lors que toutes
subissent l'influence de la civilisation occidentale. Dans un monde
fini, pour
reprendre la formule de Valéry, nous sommes tous solidaires. La
transformation
rapide de son cadre de vie, physique ou mental, suscite toujours chez
l'homme
l'inquiétude et le désarroi. C'est le sort
présent de notre société. Des deux
côtés de l'Atlantique, on assiste
à l'effondrement des valeurs qui en
constituaient l'armature interne. Valeurs
spirituelles : les religions révélées
troublées de courants divergents, perdent
leurs fidèles. Valeurs
intellectuelles : les contradictions d'une
société qui offre de plus en plus de
biens et de jouissances et de moins en moins de véritable
bonheur — harmonie
intérieure de chacun — font douter de
l'élite qui la dirige et de la formation
qu'elle a reçue. Mai 1968 et ses échos
à l'étranger furent le témoignage de
ce
doute de la part d'une jeunesse naturellement vive dans ses
manifestations. Valeurs
politiques
et sociales : l'autorité attachée à la
fonction n'est plus respectée : le
patron dans son entreprise, le maître dans sa chaire, les
agents des pouvoirs
publics dans leurs charges, le chef de famille, ne peuvent plus compter
sur
leur titre pour se faire entendre ou obéir. Valeurs
morales :
tout se tient, dans une société. Dès
lors que le cadre s'effrite, le reste suit
et la jeunesse, désorientée, voit une partie
d'elle-même perdre jusqu'au sens
du bien et du mal. Nous
sommes donc
entrés dans une crise de civilisation. Que sera la
société de demain ? Nul ne
le sait. Les meilleurs futurologues ne s'aventurent que dans le domaine
de la
technique et celle-ci ne peut remédier à
un mal plus profond. Car tout vient
de l'homme et notamment cette impuissance à
maîtriser un progrès matériel dont
le passif devient parfois insupportable. Si
le mal vient de
l'homme, c'est en lui que se trouve le remède ; c'est lui
qu'il
faut changer
pour qu'à tous les niveaux de responsabilité, il
échappe aux pulsions d'un
intérêt égoïste ou
immédiat et agisse
en fonction de l'intérêt et du bien-être
de tous. Cela
suppose un
homme nouveau dont la formation et l'information doivent être
repensées ; mais
aussi nécessaire apparaît la formation de la
minorité agissante et directrice
qui est le ferment de toute société. Or, la
Franc-Maçonnerie a pour but le
perfectionnement de l'Humanité, et pour moyen
l'éveil, par la méthode
initiatique, des hommes qui viennent à elle. Dès
lors, elle se
devait de rechercher si sa méthode est apte, dans le
contexte historique
actuel, à former l'homme que paraît exiger le
salut de notre société. Etude
d'autant plus
nécessaire que le problème de la
formation d'une jeunesse à la recherche de
nouvelles valeurs se pose aussi bien dans notre Temple
qu'au-delà du parvis. Ce
serait une illusion de croire que les jeunes qui viennent à
nous sont différents
de ceux qui nous donnent le spectacle d'une contestation violente. Eux
aussi
critiquent les valeurs établies. Nul doute que cette
contestation, qui, chez
nous, demeure discrète, se manifesterait un jour
avec vigueur si nos
institutions maçonniques ne donnaient plus satisfaction aux
aspirations de ces
jeunes. Il
faut donc
examiner notre méthode, rechercher s'il est
nécessaire de l'adapter à des
données nouvelles et mouvantes, ou si, au contraire, telle
qu'elle s'est
dégagée de la tradition et de la pratique de nos
prédécesseurs, elle conserve
une valeur universelle et demeure toujours le moyen efficace de former
les
hommes au service de l'humanité. Notre
étude exige
un préalable : quelles devront être les
qualités de cet homme appelé à
surmonter les contradictions de notre monde matérialiste ? Il
devra être
exempt de passions et de préjugés, libre,
conscient et responsable, qualités
qui ne vont pas l'une sans les autres. Saint-Exupéry
n'a-t-il pas écrit : «
Etre libre, ce n'est pas faire ce qu'on veut quand on le veut, mais
comprendre
que l'individu porte en lui la responsabilité
d'être. » Pour
atteindre ce
degré supérieur de liberté, l'homme
doit dominer ses contradictions internes en
procédant à un examen de conscience permanent au
cours duquel il analyse .son
caractère, ses tendances, son comportement et
distingue ce qui est le fruit de
la raison, ce qui relève de l'inconscient et ce qui
émane du subconscient,
domaine des passions obscures et des instincts refoulés.
Ainsi, il parvient à
cet état de vigilance que les traditions orientales
nomment la « conscience
éveillée ». Ayant
rejeté les
entraves qui contraignaient et déformaient son jugement, il
porte alors son
regard sur le Monde terrestre et le Cosmos, et mesure la place exacte
qu'il y
occupe sans être effrayé par les deux infinis de
l'espace et du temps. Au
contraire, une
tranquille assurance le gagne ; il sent ce qu'a d'admirable l'aventure
de
l'Humanité, « fer de lance de la
création », selon la formule teilhardienne.
Les conflits de tous ordres lui apparaissent dérisoires et
scandaleux, et,
redescendant au plan de la vie quotidienne, il voit ce que chacun de
ses actes
peut avoir de conséquences pour ses semblables et comprend
qu'il doit les
traiter tous dans un esprit de fraternité. Le
mot est prononcé
qui nous est cher entre tous et qui apparaît comme le ferment
indispensable à
l'Humanité pour qu'elle surmonte les contradictions
nées d'un progrès technique
incontrôlé. Sommes-nous
toujours aptes à former de tels hommes ? C'est la question
posée. Pour assurer
cette formation dans le Temple, quels sont nos outils ? Ils
sont de trois
ordres : un maître, une méthode, une
structure. Examinons-les successivement. I. — LE MAITREToute
initiation
nécessite un Maître. C'est une évidence
consacrée par la Tradition qu'on ne
s'initie pas tout seul. L'étymologie le confirme :
initium, en latin, c'est le
début, le commencement ; c'est aussi l'action
d'entrer à l'intérieur, de
pénétrer ; « initier », c'est
mettre sur le chemin, sur la voie ; c'est faire
entrer, et pour cela, un guide est nécessaire. Ce
guide, ce
maître, doit, pour que son enseignement soit profitable,
être, avec son élève,
dans une sorte de symbiose. Celle-ci exige entre eux une harmonie
préétablie
qui ne peut naître, dans le monde profane, que d'un choix
réciproque. Tel élève
se choisira un maître qui l'acceptera comme tel ; tel
maître appellera à lui
ses disciples. Socrate, le Christ n'ont pas agit autrement. La
Franc-Maçonnerie
procède de façon plus discrète, mais
parvient à la même symbiose. A
chaque stade, les
affinités ou les incompatibilités vont se
manifester qui ouvriront ou fermeront
le Temple au profane, selon que les Maîtres de la Loge auront
ou non reconnu en
lui un homme libre et de bonnes mœurs, mais aussi un futur Frère tel
qu'ils le
souhaitent. Qui
ne voit que par
ce processus de cooptation, composé de filtres successifs,
chaque Loge, dont on
sait qu'elles ont chacune une personnalité, recrute
ceux-là même qui sont en
harmonie préétablie
avec
cette personnalité. Car ceux qui ont
été élus éliront
à leur tour. Et
si une erreur de
choix se produit, nous assistons bientôt à un
phénomène analogue à celui du
«
rejet » en physiologie, et, de lui-même, le nouvel
initié se retire de la Loge. Ainsi,
au fil du
temps, au travers des générations, se tisse dans
chaque Loge une communauté
intellectuelle et spirituelle et une affection intuitive où
le nouvel initié
trouve immédiatement sa place. Quel
milieu serait
plus favorable pour recevoir un enseignement ? Sans doute,
dans les
civilisations antiques, le néophyte
s'éloignait-il de la société, pour une
période d'initiation parfois fort longue. Nos
obligations
profanes ne nous permettent plus cette rupture avec la civilisation,
dont notre
Frère opératif Jacques
Ménétrier a écrit qu'elle
était « la plus féconde
expérience qu'un homme puisse faire dans sa vie »,
mais n'est-ce pas cette expérience
que nous renouvelons lors de chaque tenue, dans le Temple
fermé aux bruits du
Monde ? La
Loge est donc le
maître qui guide le nouvel initié. II. — LA METHODELes Loges sont souveraines, sous réserve du respect de la Constitution et des Règlements généraux. Souveraines dans leur recrutement, elles sombreraient dans un particularisme divergent si un ciment puissant n'assurait leur harmonie. Ce ciment, c'est la méthode maçonnique, dont trois éléments paraissent essentiels :— le symbolisme, — la dialectique, — le secret. a) Le symbolisme. Nous
travaillons «
A la Gloire du Grand Architecte de l'Univers »,
Principe universel qui préside
à la fois aux phénomènes de l'esprit
et de la matière. Trois
grandes
lumières sont placées sur l'autel des Loges ;
c'est sur elles que nous prêtons
nos serments et elles président à tous nos
travaux ; nos Temples sont tapissés
de symboles, nous- mêmes portons tabliers et cordons ; enfin,
nos cérémonies
obéissent à un rituel précis,
lui-même symbolique. C'est
là l'élément
le plus visible de notre héritage initiatique transmis
depuis des millénaires
par une tradition parfois occulte, toujours vivante. Par
l'étude des
symboles, par sa vie rituélique, tout Franc-
Maçon est appelé à la
découverte
de lui-même et du Monde. C'est la
pérennité de la célèbre
formule socratique «
Connais-toi toi-même et tu connaîtras l'univers D. Et
cela dès
l'initiation, psychodrame qui fait appel à toutes les
facultés conscientes ou
inconscientes, psychiques ou organiques, où tous
les Frères de la Loge jouent
leur rôle, même à leur insu, de
même qu'à son insu, le nouvel initié en
sortira
transformé par les vertus obscures, mais certaines,
de ce rite qui, sans cela,
n'aurait pas sa raison d'être. D'où
l'obligation
pour la Loge de donner au rituel le respect qu'il mérite,
d'organiser des
initiations correctement ordonnées et de ne pas
négliger les travaux
symboliques au profit de sujets profanes qui paraîtraient
plus immédiatement
formateurs. Ce
serait commettre
l'erreur de placer sur le même plan l'enseignement profane et
l'enseignement
initiatique, alors qu'il y a entre eux une opposition profonde. Tandis
que le
premier, qui recourt aux formes ordinaires du langage, est
essentiellement
analytique, le second, qui recourt aux symboles, est essentiellement
synthétique. Tandis
que le
premier est, par nature, discursif, comme le langage qui est
l'instrument propre
de la raison humaine, le second est intuitif et permet
d'accéder au
suprarationnel. Comment
pourrait-il
en être autrement alors que rites et symboles, venus du fond
des âges, nous ont
été transmis par la Tradition,
épurés, affinés au filtre du temps et
par les
sages qui les ont pratiqués ? Et
par cette
expérience immémoriale, le symbolisme est en
parfaite harmonie avec les êtres
et les choses, avec les lois naturelles, et, comme les uns et
les autres ne
sont que l'expression dans le domaine visible du Grand Architecte de
l'Univers,
le symbolisme apparaît, selon la formule
guénonienne, comme « la voie qui
traverse tous les ordres de réalité, le chemin
naturel que devra suivre le
nouvel initié de la réalité visible
vers la réalité invisible, le fondement
même de tout enseignement initiatique ». Définir
cet
enseignement est chose impossible avec des mots dès lors que
le symbole est
mode d'expression fondamentalement différent du langage
ordinaire. Mais, pour
qui parviendra à pénétrer sa
signification profonde, il pourra faire concevoir
infiniment plus que tout autre langage ; aussi est-il le seul moyen de
transmettre
tout cet inexprimable qui constitue le domaine propre de l'initiation,
ou
plutôt de déposer dans l'esprit de
l'initié les germes qu'il devra cultiver par
son travail personnel. Car nul ne peut rien faire de plus que de l'y
préparer,
donnant les outils indispensables pour progresser sur cette
voie infiniment
ascendante de l'initiation. Aussi, une interprétation trop
stricte des symboles
présente des dangers certains. Aucune formule, aucun
décor, aucun geste ne doit
être, pour l'imagination du Franc-Maçon, une
prison où elle se sentirait
entravée et captive. Le symbolisme doit au contraire
être dynamique ; il doit
ouvrir à l'esprit des échappées
toujours nouvelles ; il doit être pour la
pensée un continuel stimulant à travers le temps
et l'espace. Pour un organisme
comme le nôtre, qui est vivant et tourné vers
l'avenir, le symbolisme ne
saurait être le réceptacle de
vérités cristallisées et
figées : il doit être le
prétexte à la méditation et
à l'action. Si
donc les
principes de l'initiation sont immuables, ses modalités
peuvent et doivent
varier avec chaque initié. C'est dire à nouveau
que le Maître, si digne soit-il
de ce titre, ne pourra que lui indiquer la voie à suivre et
le disposer à
prendre l'attitude mentale nécessaire. Cette
tâche
essentielle incombe à chaque Loge. D'où
l'importance qualitative, sinon
quantitative, du travail rituélique et de l'étude
symbolique. Le
jeune
Franc-Maçon évitera de confondre
études et méditation symbolique avec,
soit
une vague rêverie sur un symbole, soit une concentration
psychique qui
conduirait au vide mental. Cette attitude passive, à
tendance mystique, est à
l'opposé du véritable travail symbolique, qui
doit nécessairement commencer par
une analyse intuitive ; c'est seulement après cette analyse
que la synthèse
pourra se déclencher dans l'esprit de l'initié.
Alors, monté déjà très haut
grâce au symbole, il pourra s'en détacher et
poursuivre sa marche vers la
Lumière. Telle
est la
démarche qui permettra à chacun de poursuivre son
initiation et de passer de
l'état de pierre brute à celui de parfaite pierre
cubique ; mais qu'importerait
cette pierre si elle ne devait servir à
l'édification du Temple, au grand but
de la Franc-Maçonnerie : le progrès de
l'Humanité. «
Et vous, comme
les pierres vivantes, édifiez-vous pour former une maison
spirituelle. » (Premier
épître de Pierre.) Aussi
les Loges ne
doivent-elles pas se consacrer uniquement au rituel et aux symboles. Ce
serait
forger un outil pour ne jamais s'en servir. Après avoir
périodiquement
concentré nos forces dans le Temple, elles doivent
éclater vers le monde
profane pour tenter de le réformer, de
l'améliorer, mais c'est aussi dans le
Temple que nous devons préparer cette tâche par
l'étude conjoncturelle de
sujets profanes dignes de notre attention. C'est
dire que le
choix des sujets a son importance et qu'il faut écarter tous
ceux dont nous ne
pourrions tirer un enseignement d'ordre moral ou social. b)
La
dialectique maçonnique. Le
terme
dialectique est pris ici dans son sens large et premier : art de
raisonner. Bien
que nos
règlements ne contiennent à cet égard
que des règles de bienséance et de
conduite des débats, c'est un fait que ces seules
règles jointes à quelques
principes que nous allons rappeler ont suffi à
créer un type de raisonnement
maçonnique, à nous donner un style commun. C'est
que, là
aussi, la pierre brute se dégrossit et se polit peu
à peu. L'examen de
conscience auquel le Franc-Maçon est convié,
avant même son initiation, dans le
cabinet de réflexion, doit le conduire au doute à
l'égard de nombre de vérités
tenues jusque-là pour telles, sans examen. Et ce doute, le
Franc-Maçon
continuera à le pratiquer à l'égard de
tout ce qui peut lui être présenté,
sans
preuve, pour vérité. N'est-ce pas
Valéry qui a écrit : « Les
médiocres ont
plus de certitudes que les grands ; c'est presque une
définition », et un de
ses contemporains, aujourd'hui oublié : « Les hommes n'ont
d'idée arrêtées que sur
les choses auxquelles ils n'ont pas réfléchi
» ? Enfin, Oswald Wirth : « Celui
qui a des idées arrêtées et qui tient
à les conserver n'est pas un homme de
progrès ». Pour
sortir de ce
doute, pour rechercher une vérité fugace, nous
n'avons pas une méthode
originale, nous en appliquons seulement deux, hélas peu
pratiquées en dehors du
monde scientifique. La
première est
celle que Descartes analysa dans le célèbre
Discours auquel il a donné son nom
et qui se résume en quatre préceptes qu'il est
superflu de vous rappeler. Cette
méthode
d'analyse est un des piliers de notre dialectique : elle met
en oeuvre la
rectitude et le discernement sous le double symbole de
l'équerre et du compas,
que Descartes aurait pu placer au fronton de son Discours. Mais
la méthode
cartésienne, essentiellement analytique, demeure
insuffisante pour qui veut,
au-delà de la claire compréhension d'un
phénomène ou d'une idée, en rechercher
la vérité profonde. Il
lui faudra
recourir à la méthode dialectique — au
sens étroit du terme, amorcée par Kant
et définie surtout par Hegel — où,
à l'analyse d'une idée : la thèse,
doit
succéder l'analyse tout aussi scrupuleuse de
l'idée opposée : l'antithèse, afin
de parvenir à la synthèse qui sera une
idée nouvelle, plus riche de vérité,
née
de leur confrontation ou de leur fusion. La
fleur donne
naissance au fruit, mais le fruit suppose la mort de la fleur. La
vérité, c'est
d'être à la fois fleur et fruit. Ainsi,
le discours
profane, d'abord analytique, puis synthétique,
n'est-il que le reflet de la
méthode symbolique. A
ces règles
essentielles viennent s'en ajouter quelques autres qui pour
paraître de pure
forme n'en ont pas moins leur valeur formatrice : -
n'intervenir qu'une
fois dans le débat, ce qui contraint à une
réflexion synthétique sur l'exposé
et à une expression condensée de son
opinion ; -
parler dans une
attitude dénuée de tout relâchement
qui, par la connexion permanente du
physique et du mental, conduit naturellement le Frère qui
s'exprime à le faire
avec dignité, tolérance et modération,
ces règles d'or de tous nos débats et
que notre Frère Lantoine exprimait ainsi : « Tolérez non seulement
qu'on ne
pense pas comme vous, mais aussi qu'on ne vous ressemble point
». La
sincérité : où
est-elle plus aisée que dans une Loge ? Combien osent tout
dire dans le monde
profane ? Chacun n'a pas l'audace et la
sérénité de Socrate mettant sa
pensée à
nu devant l'aréopage hostile. La
conscience veut
plus de pudeur que le corps car elle est plus vulnérable, et
pourtant, comme
lui, elle doit, pour s'épanouir, défaire des
vêtements qui l'emprisonnent. Mais
quel auditoire
peut être plus compréhensif que celui de vos
Frères qui vous ont choisi un peu
semblable à eux et qui communient avec vous dans
l'égregore ? Ainsi,
le travail
en Loge, s'il respecte les règles qui viennent
d'être rappelées, permet-il une
fructueuse confrontation des opinions, des sensibilités et
des consciences. Ainsi
s'harmonisent
des pensées différentes. L'accord musical le plus
pur est riche des différences
des sons qui le composent. Mais
cet accord
serait moins pur et nos travaux moins efficaces si une de nos grandes
règles ne
les dominait : le secret. c)
Le secret. «
Le Monde ne
subsiste que par le secret » nous dit le Zohar. Ce
secret, juré dès
l'initiation, constitue une épreuve que l'on voit en usage
même dans une
société philosophique ouverte comme celle des
pythagoriciens. Garder le secret
vaut mieux que le secret lui-même car un homme digne de ce
nom doit être
capable de ne pas tout laisser fuir hors de lui. Plus, par le secret
gardé, la
distance est sans cesse mesurée entre le monde profane
où se dégrade l'énergie
et l'intérieur du Temple où elle
s'accumule. L'appartenance à une
société
initiatique agit comme un frein à l'égard de ce
processus de dégradation et
provoque un retour aux sources de l'être. Le secret sur les
travaux consacre
aux yeux de l'initié ce retour périodique aux
sources et assure son efficacité.
Le trahir serait non seulement faillir au serment, mais se porter
à soi-même un
préjudice, en laissant s'écouler une force
précieuse. Mais
il ne faut pas
confondre ce secret avec le véritable secret initiatique. Ce
dernier est d'une
tout autre nature, et nul, le voudrait-il, ne peut le trahir. Conduit,
par la
voie du symbolisme, à une découverte
intuitive toujours plus profonde de lui-
même et du Monde, l'initié vit une
expérience incommunicable dans le langage
courant. Ainsi en est-il prisonnier et, le tenterait- il, ne peut s'en
défaire. Et
ce qui est vrai
de cette expérience initiatique personnelle l'est aussi de
cette expérience
collective qu'est l'égregore. Aucun d'entre nous ne peut en
dévoiler le
mystère. Aussi,
qui pourrait
songer à renoncer au secret et à ne plus
défendre notre Temple contre
l'intrusion du profane, alors que ce secret est l'un des piliers qui le
soutiennent
le plus fermement ? Qui
ne voit que le
secret juré, bien qu'il n'ait défendu ni la
lettre de nos rituels, ni la forme
de nos symboles connus du public, en protège l'esprit en
même temps que nos
travaux où souffle cet esprit ? Qui
ne voit que sa
disparition entraînerait la disparition de cet incommunicable
secret
initiatique qui ne peut naître qu'au sein de nos Loges,
microcosmes fermés au
monde profane ? Un
maître, une
méthode, cela suffit généralement pour
éveiller un disciple et le conduire, si
sa nature s'y prête, jusqu'à la
véritable initiation. Mais la Franc-Maçonnerie
offre, en outre, au nouvel initié, une structure,
élément secondaire, mais dont
l'importance grandit dans le monde actuel. III. — LA STRUCTUREDans
une société en
voie d'urbanisation croissante où les contacts humains sont
de plus en plus
superficiels et où la foule, loin de rapprocher les hommes,
les isole de plus
en plus, comment faire se rencontrer ceux qu'anime plus ou moins
consciemment
un même idéal ? Comment
connaître
le maître qu'on recherche ? Comment un maître
pourrait-il trouver les disciples
les plus aptes à recevoir son enseignement alors que les
valeurs philosophiques
sont les plus ignorées et les sages les plus discrets dans
un monde où la
publicité ne sert que les biens matériels et les
valeurs les plus périssables ? La
renommée qui,
autrefois, attirait vers un maître
élèves et disciples ne peut plus,
aujourd'hui, se frayer un chemin dans la foule indifférente.
Seuls une
institution, un groupement, par la force qui se dégage
naturellement de
l'union, peuvent acquérir cette renommée
désormais refusée au sage isolé. A
ce seul point de
vue de l'importance démographique, une institution comme la
Franc-Maçonnerie,
une obédience comme la Grande Loge de France, connues du
public dans leur
existence, sinon dans leurs mystères, constituent un foyer
d'attraction pour
les hommes de bonne volonté à la recherche d'un
idéal. Mais
tout
groupement qui veut être efficace doit être
organisé, structuré. — l'un est l'élément humain, — l'autre, l'élément intellectuel et spirituel. A
- La structure
de l'élément humain. 1.
La Loge de
Saint Jean. C'est
notre cellule
mère, celle sans laquelle il n'y aurait pas de
Franc-Maçonnerie. Elle comporte
une organisation connue. a)
Les différents
offices et leur hiérarchie, nés peu à
peu de l'expérience de nos anciens, ont
valeur de Tradition et apparaissent, non seulement utiles,
mais nécessaires,
et la Loge offre au nouvel initié le spectacle d'une
société organisée où tous
concourent à sa formation. b)
Mais elle
nécessite un temple aménagé avec son
autel, ses colonnes, son pavé mosaïque et
ses multiples symboles. Univers en réduction, lieu
sacré aux abords duquel
viennent mourir les vagues de la vie profane et qui favorise ce
processus
indéfinissable qu'est l'initiation. 2.
L'Obédience. C'est
grâce à elle
et à ses moyens matériels que nous
disposons de locaux adéquats pour les
travaux collectifs, l'étude solitaire et de
fructueux entretiens. Mais,
au-delà de ce
rôle matériel indispensable,
l'Obédience a également un rôle de
coordination
sur le plan intellectuel et spirituel par les travaux qu'elle organise,
les
bulletins qu'elle diffuse, les études qu'elle suscite. L'initié
sait ainsi
qu'il appartient non seulement à un groupe fraternel
étroitement uni, sa Loge,
mais à une fraternité plus puissante et
sûre d'elle-même. Et cette conviction
s'accroît s'il participe aux tenues communes à
toute l'Obédience où nos forces
unies se subliment en un égregore élargi. 3.
L'Ordre. Mais
au-delà même
de l'Obédience, l'initié a le sentiment
légitime d'appartenir à un autre
groupement plus vaste encore, à la mesure du monde, l'Ordre
tout entier. Et
cela est si vrai
que chaque Franc-Maçon peut se faire reconnaître
par son Frère quelles que
soient leur Obédience, leur nationalité ou la
couleur de leur peau. C'est
là ce qui
nous permet de dire que la Franc-Maçonnerie est une alliance
universelle, et
cette formule exprime une réalité profonde : la
Fraternité qui nous unit, sans
distinction, à la surface du globe. Mais
il n'en est
ainsi que parce que cette structure humaine est recoupée par
une autre d'ordre
intellectuel et spirituel. B
- La structure
intellectuelle et spirituelle. En
effet, la
méthode maçonnique relève aussi de
notre structure. Notre
dialectique
s'est, nous l'avons vu, inspirée de quelques principes qui
lui donnent une
originalité telle qu'elle nous permet souvent, sans autres
signes, de nous
reconnaître dans le monde profane. Quoi
de plus
ordonné que notre rituel, inchangé ou presque
depuis plusieurs siècles, auquel
l'initié, quel que soit son âge, demeure toujours
sensible, et qu'illustre la
phrase de Saint- Exupéry : «
Les rites sont
dans le temps ce que la demeure est dans l'espace. Et je ne connais
rien au
monde qui ne soit d'abord cérémonial. Car tu n'as
rien à attendre d'une
cathédrale sans architecture... » (La
Citadelle.) Quoi
de plus
structuré que notre symbolique qui change à
chaque degré, où chaque symbole est
le nécessaire complément des autres, et qui,
venue du fond des âges, fait de
nous le dernier maillon de cette longue chaîne
ésotérique qui nous rattache aux
plus anciennes traditions initiatiques ? — le Temple, symbole du Cosmos, organisé par le Grand Architecte de l'Univers, — les Frères, chacun à sa place, symbole d'une société organisée, — les outils, témoignage de l'ordre humain, qui lui serviront à réaliser cet ordre, d'abord en lui-même, ensuite dans le monde profane. CONCLUSIONUn maître, une technique, une structure, voici les outils que trouve le nouvel initié. Mais la poursuite de l'initiation exige que . soit remplie une triple condition :— que le néophyte soit perfectible, — que le rituel soit respecté tant dans son esprit que dans sa lettre, afin qu'il joue pleinement son rôle, — enfin, que chaque Franc-Maçon soit conscient de sa responsabilité. Dans la Loge d'abord, et dans la vie profane ensuite, car c'est là, dans le mouvement du monde, qu'il doit poursuivre son initiation, en mettant en oeuvre, malgré les difficultés, l'esprit fraternel acquis dans le Temple. Un
homme nouveau
sortira peu à peu de sa gangue, propre à
affronter les contradictions du monde
et à tenter de les résoudre à sa
modeste place. Victor
Hugo, ce
grand visionnaire, a écrit : « Le miroir de la
vérité s'est brisé au milieu des
sociétés modernes ». Ce miroir
brisé, le Maçon en ramasse patiemment les
morceaux, les réunit, et voit peu à peu, dans ce
miroir reconstitué, apparaître
la vérité. C'est
ainsi qu'il
conquiert cette liberté supérieure, apanage de
l'initié. Saint Jean n'a-t-il
pas dit : « Vous connaîtrez la
vérité et la vérité vous
rendra libre » ? Et
si, par un
effort persévérant, il
s'élève dans la spirale de la connaissance,
approchant
peu à peu du point sublime où l'un se fond dans
le tout, il aura parcouru la
voie que le maître traçait, jadis, au disciple
d'Orphée : «
Replie-toi sur
toi-même pour t'élever ensuite au principe des
choses, à la Grande Triade qui
flamboie sur l'éther immaculé. Consume
ton
corps par le feu de ta pensée ; détache-toi de la
matière comme de la flamme
qui la dévore. Alors, ton esprit s'élancera vers
le pur éther des causes
éternelles, comme l'aigle au front de Jupiter. » Seule
la
Franc-Maçonnerie peut encore donner à l'esprit
cet élan sublime vers le Grand
Architecte de l'Univers. Mais
le Franc-Maçon
qui, ayant atteint ces sommets, ne saurait en redescendre pour
retrouver ses
Frères n'aurait pas rempli toute sa tâche. Car
nous refusons
la solitude de l'anachorète et du mystique, les
facilités de la vie
contemplative. Nous acceptons pleinement les servitudes multiples,
familiales,
professionnelles, sociales, du monde profane. C'est là notre
grandeur. Car
entre ce Temple
du Grand Architecte de l'Univers, qui est le Cosmos tout entier, et le
Temple
où se déroulent nos travaux, qui en est
le symbole, il en est un troisième :
l'Humanité ; et c'est celui-ci que, Francs-Maçons
parmi les hommes, nous devons
édifier pierre à pierre si nous voulons
être et demeurer le sel de la Terre. (Points
de Vue
Initiatiques, n° 7/8, 3e trimestre 1972) |
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