GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 3T/1983 |
La Lumière et la Parole Dans un admirable
petit conte, malheureusement connu de rares initiés, notre Frère Goethe évoque
un « Serpent vert » qui, en avalant des pépites d'or, devient resplendissant,
émet des rayons de lumière et forme un pont flamboyant dont les arches se
couvrent de pierres précieuses. « Qu'y a-t-il de plus splendide que l'or ?, demande le Roi. — La Lumière !, répond la couleuvre. — Qu'y a-t-il de plus réconfortant que la Lumière ?, interroge le Roi. — La Parole !, répond la couleuvre. » C'est en effet par
la Lumière et par la Parole que s'accomplit la transmutation spirituelle, par
le retour, nous dit Goethe, « à la source de la Lumière émancipatrice
». La Lampe magique du Vieil Homme du Serpent vert accompagne ainsi le Verbe
qui, « pénétrant partout, éclaire les intelligences réceptives et
stimule toute ardeur généreuse ». Or, c'est par
l'intermédiaire de Jean le Baptiste que la Lumière et la Parole ont pris
possession de Jésus, au matin de son baptême dans les eaux du Jourdain. Alors,
A cette heure précise, le Christ s'est révélé. Mais cette
révélation, cette transmutation dernière de Jésus par le baptême de Jean n'a pu
s'accomplir que par la conjonction des quatre éléments, participants
indissociables de toute initiation, présents dans l'universalité des rites
anciens et qui se sont retrouvés comme fondements de l'initiation maçonnique. En célébrant à
chaque solstice d'été la fête de Saint Jean le Baptiste, les Francs-Maçons de
la Grande Loge de France commémorent ainsi le mythe archétypal du baptême
christique, ce baptême que seule une approche superficielle pourrait laisser
croire qu'il ne fut qu'un baptême d'eau, la consécration par un seul élément. Ce jour-là, en
effet, le corps de Jésus immergé par Jean dans les eaux du Jourdain, devint
ruisselant de lumière. Une immense auréole lumineuse semblait l'entourer et
Jean vit planer au-dessus de sa tête comme une grande colombe incandescente. Cette colombe, cet
oiseau, symbole de l'air, le deuxième élément des Anciens, associé au feu de
l'Esprit-Saint, au feu irradiant du corps de Lumière du Christ, était le signe
que le Verbe était bien descendu sur l'Homme Jésus, sur l'homme de chair et de
sang lié à la Terre, pesant sur la terre de tout son poids, mais transmué par
le geste du Baptiste, par le baptême de l'eau... On songe au vers
inoubliable de Rimbaud, à ce raccourci fulgurant soufflé au poète par on ne
sait trop quel génie intérieur, on songe à cet extraordinaire résumé de
l'initiation suprême : «L'éternité ? La
mer allée avec le soleil... ». L'eau et le feu
mêlés qui transmuent l'homme né de la glaise, l'homme accroché a la « materia
prima », sorti du ventre de la Mère terrestre, dans la grotte des mystères
génésiques, l'eau et le feu qui, unis au souffle, au Verbe, à l'élément air,
permettront l'ascension vers la Lumière, la quête de l'immortalité et, malgré
la honte, malgré la peur, finalement la victoire sur la Mort. Alors disparaît
l'individualité de l'homme, alors se perd-elle définitivement pour s'intégrer
dans une universalité située en dehors du temps et de l'espace. Cette universalité
dont précisément les quatre éléments : terre, air, eau et feu sont les constituants
fondamentaux. Le Franc-Maçon,
dans son temple, reçoit de même l'initiation par la terre, l'air, l'eau et le
feu. Il accomplit rituellement, symboliquement, les voyages de sa purification.
Après être descendu aux entrailles de la Terre, là où les Anciens situaient les
Enfers, dans le cabinet de réflexion où il a trouvé en un mot étrange : Vitriol
», l'assignation de sa quête intérieure : celle de visiter les profondeurs de
la terre pour y trouver la pierre cachée — cette pierre qu'il lui appartiendra
de transformer en or comme le Serpent Vert de Goethe — il subit successivement,
« à la gloire du Grand Architecte de l'Univers », les épreuves de l'air, de
l'eau et du feu. Certes,
l'initiation n'est pas le baptême et encore moins celui de Jésus par Jean le
Baptiste dans les eaux du Jourdain. Mais l'initiation, qui signifie «
commencement », est d'abord ainsi une purification par les éléments qui permet
au nouvel initié d'accomplir son chemin vers la Lumière, de poursuivre sa quête
de la Parole perdue. L'Évangéliste a dit
du Baptiste : « Jean fut la lampe ardente et luisante qu'on allume et qui
brille. Vous avez voulu vous réjouir pour un moment à sa lumière. » Et il a dit
encore : « Pendant que vous avez la Lumière, croyez en la Lumière pour devenir
des fils de Lumière. » Les quatre éléments
qui ont purifié le néophyte dans le Temple maçonnique lui ont ainsi ouvert la
voie. Il sait désormais que sa recherche est celle de la Lumière, qu'il doit
devenir un vrai Fils de la Lumière. En vérité la route
est longue, la chaîne sans fin des initiés et des initiateurs qui lui montrent
le chemin. D'Orphée, le hiérophante de Dionysos, qui présidait aux mystères
d'Eleusis dans la Grèce antique, ou d'Horus, le dieu égyptien, dont l'oeil
symbolisait la Lumière divine incréée, à Bouddha, l'illuminé, ou à Ahura Mazda,
le divin maître de Zoroastre et des initiés parsis. De Jacob Boehme, le petit
cordonnier de Gorlitz, qui marchait dans les étoiles, ou de Robert Fludd,
Rose-Croix et Franc-Maçon, qui saluait en termes émouvants ses Frères de la
Lumière, à Rembrandt, dont le fascinant tableau du maître kabbaliste
contemplant le pantacle éblouissant du monde des esprits demeure l'une des
ouvres les plus émouvantes et les plus mystérieuses de la peinture alchimique,
ou à notre Frère Goethe, qui possédait gravée au cœur cette lumière intérieure
qui en l'homme doit correspondre à la lumière du Soleil... Oui, tous, de saint
François, par son cantique à Messire Soleil, à Ibn Arabi, a l'âme des âmes les
plus lumineuses . de l'Islam ésotérique, oui, tous éclairent la Voie de
l'initié Maçon. Mais cette Voie
était déjà entièrement tracée dans le baptême de Jean. Celui qui avait aplani
le chemin pour Celui qui était plus grand que lui était vraiment, selon la
classification de Jung, le composé passif — féminin de terre et d'eau —
n'oublions pas qu'on nous rapporte, et c'est très symbolique, qu'il était vêtu
de peau de bête — tandis que Jésus réunissait, lui, le principe actif-masculin
de l'air et du feu. De cette mystérieuse, de cette admirable conjonction —
qu'il faut là encore comprendre en son sens le plus ésotérique et le plus
symbolique — devait naître le Christ, celui qui était oint de toute éternité. L'eau et le feu
sont en fait les éléments indissociables. L'un sans l'autre ne fait que
détruire ou brûler. Ne le voit-on pas dans les périodes de grande sécheresse où
la nature se consume sous le feu du soleil que rien ne vient tempérer ? Ne
l'a-t-on pas vu en ces temps derniers où l'eau du ciel, sans discontinuer, est
venue anéantir les récoltes, bouleverser l'ordre de la nature et semer la
désolation dans le monde qui vit des fruits de la terre ?... L'eau et le feu
avec l'air et la terre sont le vrai secret, le vrai mystère de la vie. C'est
par leur union que celle-ci se manifeste et s'épanouit. Le baptême du
Jourdain par les quatre éléments nous ramène donc au cœur de la vie et au cœur
de l'initiation maçonnique qui est une interrogation fondamentale sur la
trilogie vie-mort et résurrection. La Franc-Maçonnerie
n'a pas à se préoccuper de la divinité du Christ. Elle abandonne à chacun ses
croyances et sa foi. Mais les Francs-Maçons ne sauraient être ce qu'ils sont
s'ils n'appréhendaient la leçon des anciens initiés, et parmi eux de Jean le
Baptiste, leur maître, leur annonciateur. La présence des
quatre éléments dans le baptême du Jourdain leur indique la voie. Car ils
savent, comme l'a dit notre Frère René Guénon, que celui qui naît de l'eau
devient fils de la Vierge et co-héritier du royaume de Dieu. L'épreuve de l'eau
est une épreuve de purification et de régénération, source de puissance de vie.
Quant à la colombe, cet oiseau qui se meut dans le monde subtil de l'air,
intermédiaire obligé entre le ciel et la terre, elle est le signe du souffle
cosmique, du Verbe, du Logos grâce à qui l'âme universelle a été créée. La
colombe apporte ainsi la connaissance comme le feu du ciel qui, sous la forme
de langues, léchera plus tard les têtes des apôtres en le jour de Pentecôte... Les quatre éléments
que nous célébrons aujourd'hui dans cette Saint-Jean d'été, fête qui réunit
dans une même communion d'esprit et de cœur tous les Francs-Maçons du monde,
sont le contenu et le contenant, ils sont le résumé de la Création. Je vous inviterai,
pour conclure, à contempler et méditer sur le très fascinant, le très beau et
très étrange tableau du Grand Architecte de l'Univers, peint par William Blake
vers la fin du XVIII° siècle. On y voit l'Ancien des Jours au cœur du Soleil ;
au centre du feu rayonnant, entouré de nuages symbolisant la pluie céleste et
bienfaisante du dieu Indra, prenant la mesure de la Terre avec son compas, la
chevelure et la barbe balayées par l'air du Ciel. Mystère fabuleux de la
création et de la re-création perpétuelle. Au commencement était la Parole... JUIN 1983 |
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