GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 2T/1984 |
Règle et Principes
de la Franc-Maçonnerie traditionnelle Ces deux méthodes
ne sont pas contradictoires et peuvent être utilisées complémentairement,
d'autant plus que les principes, c'est- à-dire ce qui est à l'origine, sont à
la fois un commencement et un aboutissement. Par exemple, la Déclaration des
Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 constitue, sur le plan des idées, l'aboutissement
d'une histoire intellectuelle et résume les idées émises tout au long du XVIII°
siècle. En même temps, la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen est
aussi un commencement puisqu'elle définit un nouveau mode de vie individuel et
collectif, qui concerne les hommes, dans l'ordre religieux, politique et
social. Ainsi, on peut
aborder l'étude de la Franc-Maçonnerie en considérant son histoire, en partant
des Loges de francs-maçons opératifs du Moyen Age, en passant par les
mutations et les transformations qui vont donner naissance aux célèbres
Constitutions d'Anderson qui, elle-mêmes, régleront l'existence, le mode
d'être de la Franc-Maçonnerie moderne appelée souvent Franc-Maçonnerie spéculative. Mais on peut aussi
étudier la Franc-Maçonnerie à partir des Principes qu'elle a voulu se donner
et qui la définissent et la caractérisent. Et pour ce qui concerne la Grande
Loge de France, en considérant cette institution, ou plus exactement cet
ordre, à partir de ses Déclarations de Principes. Et aujourd'hui, c'est à
partir des Principes qu'elle énonce et qui la définissent que nous voudrions
cerner la réalité ou l'idée de la Franc-Maçonnerie traditionnelle. Quels sont ces
principes ? *
* * I - Le Grand Architecte de l'Univers"La Grande
Loge de France travaille à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers".
En effet, les francs-maçons de la Grande Loge de France, dans leurs tenues
rituelles, ouvrent et ferment leurs travaux à la Gloire du grand Architecte de
l'Univers. Et la déclaration du Convent de Lausanne, en 1875, nous rappelle que
: "La
Franc-Maçonnerie proclame, comme elle a proclamé dès son origine, l'existence
d'un principe créateur sous le nom de Grand Architecte de l'Univers".
L'idée de Grand Architecte est essentielle et fondamentale dans la philosophie
maçonnique, dans la "weltanschauung", c'est-à-dire dans la vision,
la conception globale que la Franc-Maçonnerie veut donner de l'univers. On a
même pu dire qu'elle en constituait la clé de voûte. Mais une fois encore,
peut- être faut-il essayer de s'interroger sur le contenu et le sens de cette
idée, tout au moins quand on veut comprendre ce que l'on énonce. Et de cet
énoncé peut naître un certain nombre de difficultés. La première idée
qui nous vient naturellement à l'esprit, et qui est celle de nombreux maçons,
consisterait, très simplement, à assimiler, à identifier l'idée de Grand
Architecte à celle de Dieu, et tout ensemble au Dieu des religions et à celui
des philosophes et des savants. Et certains nous diraient qu'il y a là abus de
langage qui consiste à identifier une réalité à une autre. Certes, on pourrait
répondre que celui qui pense ainsi est en bonne compagnie philosophique car
déjà Platon, dans "Le Timée" par exemple, fait coïncider l'idée de
Dieu à celle de l'Architecte, comme après lui les philosophes stoïciens. Au
Moyen Age, l'identification de Dieu et de l'architecte traçant le plan du
monde est fréquente dans les écrits comme dans les représentations graphiques.
On assimile même le Grand Architecte au Logos, c'est-à-dire au Christ. Enfin,
dans la philosophie moderne, L'idée de dieu architecte nourrit les oeuvres de
penseurs aussi différents que Leibniz et Newton, que Malebranche et Voltaire,
pour nous limiter à ces exemples. Mais plus encore,
l'athée refusera certainement cette idée d'un Architecte identifié à la
divinité. Ici, on pourrait se souvenir de cette boutade de Raymond Ruyer, qui,
dans une remarque pleine de sens, nous dit que la discussion entre l'athée et
le théiste consiste, le plus souvent à se demander s'il faut continuer
d'appeler Dieu "Dieu" ou lui donner un autre nom. Et un ancien grand
Maître de la Grande Loge de France, notre Frère Antonio Coen, pouvait
légitimement se demander : "N'y a-t-il pas plusieurs manières d'être dogmatique
? Affirmer l'existence de l'indémontrable ou nier cette existence ? N'en est-il
pas de Dieu comme de tout idéal ? Qui prétend le nier l'affirme et qui prétend
le concevoir l'a déjà perdu". Sans vouloir
nous-lancer dans des controverses théologiques, qui ne sont ni de notre
ressort, ni de notre compétence, nous voudrions cependant, ici même, envisager
ce problème car il nous semble essentiel à la nature de l'ordre maçonnique, à
la vision et à la compréhension que non seulement "les profanes" mais
les f rancsmaçons eux-mêmes peuvent en avoir. Et pour cela, considérons le
Livre, le Livre Sacré par excellence, la Bible. Dans l'Exode, lorsque Moïse
interroge son Dieu et lui demande de lui dire son nom, et son nom définirait sa
nature, celui-ci répond : "Je suis qui je suis" (traduction Osty),
ou "Je suis celui qui suis" (traduction Bible de Jérusalem), ou
encore "Je suis celui que je suis", ou "Je suis celui qui
est" (traduction Segond). Ces paroles ou ces
réponses, si elles affirment l'existence de l'Etre, laissent planer le mystère
sur la nature de cet être, sur sa réalité et les modalités de son action.
Elles indiquent la transcendance de cet être et l'impossibilité pour l'homme de
le nommer, de le comprendre, de le définir, de l'enfermer dans un concept.
"Cet être, il est quelque chose de tel que rien de plus grand ne peut être
pensé. Il existe... quelque chose tel qu'on ne peut rien concevoir de plus
grand et ce, à la fois dans l'intelligence et dans la réalité". (Saint
Anselme - Proslogion). Idée qui semble
confirmée par cet autre verset, tiré de l'Exode : "Montre-moi ta
face". "Non, tu ne peux voir ma face, car l'homme ne peut me voir et
vivre" (Josué) (traduction Segond). "Tu ne peux voir ma face et
demeurer en vie" (traduction Bible de Jérusalem). Et Saint Jean se
souviendra de cette idée lorsqu'il nous dit : "Dieu, personne ne l'a
vu". Ainsi Dieu, ou l'Etre, est essentiellement un Etre caché (Deus
Absconditus), et aucun homme ne peut ni le définir ni le comprendre, car la
distance est infinie entre l'Homme et cet Etre. Je ne peux penser ni l'Infini,
ni le Parfait, mais seulement à partir de l'Infini et du Parfait et, de ce
fait, je ne peux que travailler, non pas au nom, mais à la Gloire du Grand
Architecte de l'Univers. Si délaissant la
lecture du Livre Sacré nous nous tournions vers d'autres traditions
intellectuelles et philosophiques, ne retrouverions-nous pas, formulées dans un
langage certes différent., des idées analogues ? C'est ainsi que Platon, dans
"le Sophiste", après avoir fait remarquer que "le philosophe
s'attache dans toutes ces raisons à l'idée de l'Etre", ajoute cependant
que "si l'embarras est grand quand il s'agit de définir le non-être... il
est plus grand encore quand il s'agit de définir l'être lui-même".
(Sophiste 250 c). Et dans le Parménide (142 a), il affirme, en parlant de
l'Etre : "Il n'y a pas de nom pour le désigner et l'on ne peut ni le
définir, ni le connaître, ni le sentir, ni le juger. Il n'est donc ni nommé,
ni exprimé, ni jugé, ni connu, et aucun être n'en a la sensation". La pensée moderne,
le grand rationalisme métaphysique du XVIle siècle, ne nous enseignent pas
autre chose. Descartes, dans sa Troisième Méditation, écrit "qu'il se
rencontre en Dieu une infinité de choses que je ne puis comprendre ni
peut-être atteindre, car il est de la nature de l'infini que ma nature, qui est
finie et bornée, ne le puisse comprendre". On retrouverait la même idée
chez Malebranche (Entretiens métaphysiques VIII) "Je ne prétends pas vous
faire comprendre l'immensité de Dieu et la manière dont il est partout, cela
me paraît incompréhensible", et Malebranche d'ajouter "l'Etre
infiniment parfait, c'est l'Etre incompréhensible en toutes manières". Les philosophes du
XVllle siècle affirmeront un semblable déisme, si l'on peut employer cette expression.
Le plus illustre d'entre eux (et peut-être le plus méconnu malgré sa célébrité
ou à cause de sa célébrité), Voltaire, dans ses dialogues philosophiques, fait
dire à un de ses personnages, Lucrèce : "De quel côté que je tourne mon
esprit, je ne vois que l'incompréhensible", et Posidonius lui répond
"C'est précisément parce que cet Etre suprême existe que sa nature doit
être incompréhensible, car, s'il existe, il doit y avoir l'infini entre lui et
nous. Nous devons admettre qu'il est, sans savoir ce qu'il est et comment il
opère". Dans les dialogues
d'Evhémère et de Callicatre, Voltaire écrit : "Cet
Architecte de l'Univers, si visible à notre esprit et en même temps si
incompréhensible, quel est son séjour ? De quel ciel, quel soleil envoie-t-il
ses éternels décrets à toute la nature ? Je n'en sais rien... mais je sais que
toute la nature lui obéit. L'existence d'un Etre créateur laisse encore des
difficultés insurmontables à l'esprit humain ; donc, cette vérité ne peut être
mise au rang des démonstrations proprement dites...", et Voltaire ajoute
"Je la crois, cette vérité, mais je la crois comme ce qui est le plus
vraisemblable ; c'est une lumière qui me frappe à travers mille ténèbres". Il est à notre sens
curieux et significatif que sur un problème aussi important Rousseau, que l'on
oppose si souvent à Voltaire, formule la même pensée. Dans "l'Emile"
(Profession de foi du vicaire savoyard), il confie "que si l'idée de Dieu
est plus noble et plus grande, elle lui apparaît moins proportionnée à la raison
humaine", et il avoue "qu'il élève et fatigue en vain son esprit à
concevoir son essence". "L'idée de création me confond et passe ma
portée". Ce long cheminement
à travers les textes, à travers la pensée religieuse et philosophique, et en
particulier celle du XVllle siècle qui a vu se développer la Franc-Maçonnerie
spéculative, nous a paru nécessaire pour déterminer la position du franc-maçon
en face de ce problème capital. La Franc-Maçonnerie écossaise, les francs-
maçons de la Grande Loge de France, s'ils affirment et postulent l'existence
d'un Principe créateur ou d'un Etre, se refusent à définir, à déterminer son
contenu, son essence, sa "quiddité", pour employer le langage de la
scolastique. La Grande Loge de France laisse le soin et la liberté de l'interpréter
à la conscience de chaque maçon selon sa propre complexion, selon sa foi ou sa
philosophie propre. La Grande Loge de
France s'interdit encore plus de subordonner l'idée de Grand Architecte de
l'Univers à une révélation particulière, que ce soit celle de Moïse ou celle
de Jésus, car la Franc- Maçonnerie, par principe, par définition, se situe en
dehors de toute révélation. Ajoutons que cela ne veut pas dire qu'elle la
rejette, encore moins qu'elle la combat, mais elle estime que la révélation
concerne la conscience individuelle de chaque franc-maçon. Il va sans dire,
enfin, que la Franc-Maçonnerie ne saurait entrer, en tant qu'institution, dans
des controverses théologiques qui, d'ailleurs, ont souvent divisé les Eglises
et les fidèles. Elle ne saurait, pour prendre quelques exemples, trancher
entre les "unitaristes" et les "trinitaristes", ni sur des
problèmes tels que ceux de l'incarnation ou de la transsubstantiation, ni de la
grâce, qui sont du ressort des théologiens. Ainsi, ce vocable de
Grand Architecte de l'Univers, l'esprit humain ne peut jamais le saisir dans sa
totalité et dans son unité, ne peut jamais le comprendre adéquatement. Il peut
seulement l'appréhender, et cela, par la voie du symbole et de l'analogie.
C'est-à- dire que, dans la mesure où l'univers peut être comparé à un ensemble
qui a un ordre, un sens, une finalité, on peut dire qu'il y a, à l'origine de
cet ordre, un Principe recteur et ordonnateur qui est à l'univers ce que
l'architecte est à l'édifice. Le Grand Architecte
est, à la limite, un postulat, une croyance minimale, car il représente le
Principe qui donne à la nature forme et organisation, la fait passer du chaos
initial à l'ordre, c'est-à-dire au cosmos, à un univers ordonné, et qui fait
passer le monde des Ténèbres à la Lumière. Mais nous disons
que le franc-maçon travaille à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers, et
il faut insister sur cette idée de travailler, c'est-à-dire que, pour le
franc-maçon, il s'agit moins de s'interroger sur la nature et l'essence de cet
Etre, ou de ce Principe, que d'essayer de réaliser une œuvre en conformité avec
sa signification, selon la Loi de la Sagesse et de l'Amour.C'est notre oeuvre,
qui découle de notre travail, qui témoignera de notre fidélité à la philosophie
maçonnique. En travaillant à la
Gloire du Grand Architecte de l'Univers, les francs-maçons écossais manifestent
leur attachement à L'idée d'un univers, cosmique et humain, où le sens
l'emporte sur le non-sens, l'ordre sur le chaos, la vie sur la mort, l'amitié
sur la haine, la Lumière sur les Ténèbres. Et ils s'efforcent, de toute leur
volonté et de tout leur courage, de faire triompher, dans un monde qui trop
souvent les méconnaît et les nie, ces idées et ces valeurs. *
* * Il - Les Trois
Grandes Lumières "Conformément
aux traditions de l'Ordre, Trois Grandes Lumières sont placées sur l'Autel des
Serments : l'équerre, le compas et le Volume de la Loi Sacrée. Les obligations
des maçons sont prêtées sur ces Trois Lumières". Il nous faut donc nous
interroger sur la présence de ces outils et de ce Livre, posés sur l'Autel des
Serments, et sur leur signification. Pourquoi l'équerre et le compas ?
Pourquoi le Livre ? Ces outils ? Sans doute parce qu'ils symbolisent l'activité
du maçon franc et accepté, qui est et veut être un bâtisseur, un constructeur
et, à la limite, un bâtisseur d'hommes, parce que, concrètement, les outils
manifestent l'homme lui-même dans son essence, dans sa dimension proprement
humaine, parce que l'outil est le signe de l'intelligence humaine, de l'homme
lui-même. "L'Intelligence envisagée dans ce qui paraît être la démarche
originelle est la faculté de fabriquer des objets artificiels, en particulier
des outils à faire des outils et d'en varier indéfiniment la fabrication",
a écrit si justement Bergson dans "L'évolution créatrice". Mais pourquoi
l'équerre, pourquoi le compas plutôt que tout autre instrument ? Sans doute
parce que l'équerre est utilisée par le maçon qui taille la pierre pour la
rendre cubique afin qu'elle s'insère plus facilement dans un ensemble et le
rende plus solide et plus harmonieux. D'une manière plus générale, nous
pourrions dire que l'équerre est l'instrument qui permet de passer d'une
matière désordonnée, sans forme et sans structure, à une matière ordonnée et
structurée, et si nous considérons l'homme lui-même, de permettre de passer de
cet homme livré au chaos des passions et de la démesure, à un homme plus assuré
et plus harmonieux, soumettant son être à la rectitude du jugement et à
l'empire de la raison. L'équerre est devenue, pour le franc-maçon, le symbole
même de la rectitude, de l'équité, et c'est pour cette raison qu'elle est
l'insigne même du Maître de Loge. De plus, il faut se
souvenir que dans les croyances anciennes l'équerre est censée représenter
symboliquement l'espace terrestre lui-même, qu'elle renvoie à l'idée de nature
ou de réalité matérielle. Ce qui sans doute veut signifier que tout homme qui
veut penser et agir ne peut le faire qu'en prenant en compte cette réalité, que
celle-ci soit physique, biologique, voire même économique et politique. De plus, cette
équerre sur l'autel des Serments est toujours associée au compas. Cet outil,
nous le savons, sert à tracer des cercles, et si l'équerre renvoie à la terre,
il faut se souvenir que le compas, lui, renvoie au ciel et que, lorsque l'on
considère l'homme lui-même, it symbolise l'intelligence dans sa libre
interprétation et appréciation des choses et des êtres. Il symbolise l'esprit
de finesse opposé à l'esprit de géométrie, c'est-à-dire l'esprit dans son
dynamisme constructeur qui, par définition, ne saurait apparaître
matériellement, mais qui est tout autant réel que la réalité matérielle
elle-même puisque c'est par l'esprit que cette réalité prend forme et
s'incarne dans une signification. Mais cette équerre
et ce compas sont toujours associés l'un à l'autre, dans une sorte de relation
réciproque et complémentaire, nous dirions dialectique. Ce qui signifie que
l'on ne saurait les penser indépendamment l'un de l'autre, qu'il faut penser
l'équerre avec le compas et le compas avec l'équerre. De même, la matière
(mate- ria prima) renvoie à l'esprit qui lui donne forme et signification ; de
même, l'esprit ne peut se saisir et se réaliser qu'en prenant appui sur la
matière. Tout Maître maçon est situé entre l'équerre et le compas, entre
"la terre" et "le ciel", entre "la nature" et
"l'esprit", entre "la réalité" et "l'idéal", et
cela symboliquement mais aussi sur le plan cosmique comme sur le plan humain.
La méconnaissance du réel et de ses lois est dangereuse mais le mépris de
l'Idée et des Valeurs est tout aussi néfaste pour l'homme. Le franc-maçon doit
tenir compte dans ses pensées et dans ses actions des deux instances,
s'efforcer de les équilibrer, de les harmoniser, d'aller à l'Idéal en tenant
compte du Réel. En ce sens, Gaston Bachelard a pu écrire dans "L'air et
les songes","qu'un être privé de la fonction de l'irréel est un être
névrosé mais qu'est névrosé aussi l'être privé de la fonction du réel". Enfin, cette équerre
et ce compas sont eux-mêmes posés sur le Volume de la Loi Sacrée. Au Rite
Ecossais Ancien et Accepté, le Volume est généralement la Bible et elle est
ouverte à l'Evangile de Saint Jean, au prologue : "Au
commencement était la parole, et la parole était avec Dieu, et la Parole était
Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par
elle, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans elle. En elle était la
vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière luit dans les ténèbres,
et les ténèbres ne l'ont point ,i reçue". Il est d'ailleurs
intéressant de se souvenir que lorsque, au XVllle siècle, les francs-maçons
voyageaient d'un Orient à l'autre, d'une ville à l'autre, on leur posait cette
question à l'entrée de la loge : Il est le Livre de
la Tradition, le Livre de la Lumière, de cette Lumière qui éclaire tous les
hommes et qui est essentiellement parole universelle parce qu'elle est parole
d'amour entre les hommes. Nous retenons, comme maçons, de ce message cette
idée essentielle : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même" ; il
s'agit de voir en tout homme un frère, un autre soi-même, de considérer en tout
homme, l'Homme, et avec l'Evangéliste, nous voulons nous souvenir "que
celui qui aime son frère est dans la lumière... mais que celui qui hait son
frère est dans les ténèbres". Ici, la loi d'amour est principielle, et
c'est parce qu'elle est principe et fondement qu'elle dépasse les différentes
confessions et les religions constituées, qu'elle est universelle. Cette loi, il ne
suffit pas de la connaître ou de la reconnaître, mais il faut la pratiquer.
"N'aimons pas seulement en paroles mais en oeuvres, avec vérité". La
vérité de notre loi se traduira dans nos actions et dans nos oeuvres. Il s'agit
de faire le bien et de pratiquer la justice. Dans cet esprit, le vrai fidèle
est celui qui fait le bien véritablement, celui dont les oeuvres sont bonnes
même s'il s'écarte des dogmes. L'infidèle est celui qui proclame son accord
avec les dogmes mais qui introduit entre les hommes l'esprit de désordre et de
haine et qui s'écarte de la justice et de la charité. Ainsi l'équerre, le
compas, le Volume de la Loi Sacrée sont toujours et indissolublement unis sur
l'Autel des Serments, dans la Loge traditionnelle ; ils sont unis comme sont
unis des moyens et une fin. Car il s'agit, pour le franc-maçon, avec ces outils
symboliques, de tracer les plans d'un Temple et de le bâtir selon la Règle, la
règle de la rectitude et de l'équilibre, la règle de l'Amour et de l'Amitié. Il
s'agit de réunir ce qui est épars, de rassembler ceux qui sont divisés, de
réconcilier ceux qui sont déchirés. Il s'agit de réconcilier enfin l'homme avec
lui-même, dans l'équilibre et l'harmonie, par la recherche de la vérité, par la
pratique de la justice, grâce à la Connaissance, et à l'Amour. Le franc-maçon
écossais prête serment sur ces Trois Lumières ; par là, il s'engage à en
découvrir le sens et à en reconnaître la valeur, à en traduire l'esprit dans sa
Loge, d'abord vis-à-vis de ses Frères, mais aussi en dehors de sa Loge, dans le
monde avec tous les hommes de bonne volonté. Comme l'écrivait le
Chevalier de Ramsay, "la Franc-Maçonnerie apparaît bien comme la
résurrection de la religion de Noé, religion universelle antérieure à tout
dogme et à toute révélation particulière et qui, par cette loi d'amour, permet
de dépasser toutes les différences et toutes les divisions, de surmonter
toutes les oppositions". Cette fraternité
universelle, le franc-maçon s'engage et doit s'efforcer de la faire connaître,
de la faire respecter, de la faire valoir, dans la société où il vit, dans sa
Cité, dans sa Patrie, dans l'Humanité. *
* * IlI - La Franc-Maçonnerie et la Patrie"La
Franc-Maçonnerie proclame son indéfectible fidélité et son dévouement à la
patrie". La patrie, la terre
de nos pères ; quel est celui qui n'a jamais ressenti cet attachement profond,
charnel, à la terre qui l'a vu naître et d'où il est issu ; qui ne revoit avec
tendresse l'horizon que ses yeux ont découvert quand il était enfant, qui
n'écoute avec nostalgie "le parler" de son pays et les chants dont
il a été bercé, qui ne retrouve, avec émotion, les coutumes de son village et
la vie secrète et profonde de ses habitants ? C'est tout cela
ensemble une patrie, des données géographiques, des éléments situés dans
l'espace et aussi dans le temps, tout un passé commun, des faits façonnés par
une histoire. Mais c'est aussi une réalité spirituelle, une sorte de volonté,
la volonté d'hommes qui ont accepté de vivre ensemble, de constituer un groupe
qui se veut comme une sorte d'unité organisée et qui est, à la limite, la
condition de droit de toute association humaine raisonnable et librement
acceptée. Faut-il rappeler
ici le célèbre serment prêté par La Fayette au nom des Français, à la fête de
la Fédération nationale, le 24 juillet 1790 ? "Je jure d'être à jamais
fidèle à la Nation, à la Loi (et ici, La Fayette ajoute "au roi"), de
maintenir la constitution... et de demeurer uni à tous les Français par tous
les liens indissolubles de la fraternité". Ici, la patrie ou la nation
apparaît bien, selon le mot de Renan, comme "une grande solidarité",
comme "une communauté spirituelle", dont le lien essentiel est ce
désir, cette volonté de bâtir ensemble une vie solidaire et un destin commun. Les nations ou les
patries peuvent apparaître comme des éléments indispensables à l'évolution des
civilisations, de la civilisation ou de l'humanité. En effet, la civilisation
ne consiste pas en une sorte d'abstraction qui se développerait en dehors des
temps et des lieux. Pour se civiliser, les sociétés doivent s'enraciner. Et
Jean Jaurès a pu même écrire que "si l'on voulait briser les nations, on
risquait, en même temps, de briser des foyers de lumière distincts". Il
voyait même dans les patries un élément d'ordre supérieur, "les pierres
vivantes de la Cité universelle instituée par l'esprit et par la volonté
consciente des hommes" et, dans une magnifique formule, il écrivait
"les nations s'élèveront dans l'humanité sans se dissoud re". Dans ce domaine,
nous voudrions éclairer et préciser notre pensée. Cet amour légitime de la
patrie, ce dévouement à l'idée nationale ne sauraient être confondus avec ce
que l'on a appelé, par un détournement sémantique, le nationalisme,
c'est-à-dire le culte idolâtre de la nation érigée en absolu, en unique et
seule valeur, et cela, contre toutes les autres. On peut aimer sa patrie sans
faire de celle- ci un absolu, et il va sans dire, sans se croire obligé de
mépriser et de haîr les autres. En bref, disons que l'amour de sa patrie n'est
pas incompatible, n'est pas contradictoire avec l'amour de l'Humanité. Aussi
bien ce sentiment de fidélité et de dévouement que le franc- maçon témoigne à
sa patrie n'exclut-il pas le respect des autres patries et le sentiment
d'appartenir à une patrie plus vaste et plus complète, l'humanité. * IV - La Franc-Maçonnerie et sa relation avec le monde politiqueEn traitant de la
relation de la Franc-maçonnerie et de la patrie, nous étions entrés dans le
domaine du temporel, et nous y resterons en étudiant les rapports de la
Franc-Maçonnerie avec la politique, j'aimerais mieux dire LE politique. Dans
ce domaine, on a souvent énoncé des contre-vérités, des opinions aussi
diverses qu'erronées. Aussi, voudrions-nous nous arrêter un moment sur cette
question en essayant de l'éclairer. Pour cela, nous partirons de deux propositions,
disons même de deux constatations. La première
consiste à dire qu'aujourd'hui comme hier, le franc-maçon n'appartient pas à un
ordre qui se veut uniquement et seulement contemplatif mais qu'il veut être un
homme d'action, un bâtisseur, et dans le cadre de la Cité et de la société où
il vit un homme responsable qui s'efforce de traduire son idéal dans ses actes. La seconde, qui
découle de la première, nous montrera que nombreux sont les francs-maçons qui
participent à la vie politique de leur pays, et cela, à tous les niveaux :
Conseils municipaux, Conseils généraux, Conseils de la région, Assemblée
Nationale, Sénat, Conseil Economique et Social. Il y a des francs-maçons
ministres. Le phénomène n'est
pas nouveau et a toujours existé en France, sous la 5e République, sous la 4e
et la 3e, sous l'Empire et même dans l'Ancien Régime. Par ailleurs, et
c'est un fait, nombreux sont les hommes qui participent à la vie politique de
notre pays et qui ne sont pas francs- maçons. Il y a, par exemple, dans le
gouvernement qui préside aux destinées de la France, des ministres qui sont
catholiques, protestants, juifs, athées... Peut-on dire qu'ils vont chercher
les directives de leur action soit auprès de l'Archevêché de Paris, du Conseil
Oecuménique des Eglises réformées ou du Consistoire Israélite, ou auprès de la
Fédération Rationaliste ? Nous ne le pensons pas. Ils déterminent leur action
politique en fonction des engagements qu'ils ont pris devant leurs électeurs et
avec les partis auxquels ils appartiennent, en fonction de leur conscience. Il
en est de même des ministres francs-maçons. La Grande Loge de France ne
s'arroge et ne saurait s'arroger le droit de leur donner des directives et des
consignes. Si elle le faisait, elle perdrait le sens de sa vocation et se
dénaturerait. Car la Franc-Maçonnerie, par définition, veut être un centre
d'union et pour cela elle respecte le droit à la différence, la libre
conscience dans leur détermination des hommes qui la composent. Il en est du
domaine politique comme du domaine religieux. La liberté de conscience est
notre loi et, ainsi que le respect de la démocratie, du suffrage universel
quand il est légalement et normalement exprimé. Si nous passons des
gouvernants aux gouvernés, nous rappellerons un article important de notre
constitution où il est écrit : "Les francs-maçons respectent les lois et
l'autorité légitime des pays dans lesquels ils vivent et se réunissent
librement", et on ajoute, "ils sont des citoyens éclairés et
disciplinés et conforment leur existence aux impératifs de leur
conscience". Ajoutons encore que dans ce domaine politique, comme dans le
domaine religieux, ils recherchent la conciliation des contraires, "ils
cherchent à unir les hommes dans le respect de la personnalité de chacun". Dans ce domaine
particulier qu'est le domaine politique, nous retrouverons donc une constante
dans la philosophie de la Franc- Maçonnerie : c'est la défense de la liberté,
de toutes les libertés, et la défense de ce qui est juste et raisonnable, la
recherche de la concorde entre les citoyens et de l'union entre les hommes, le
respect scrupuleux de la personne humaine. Ainsi, c'est quand les droits de la
personne nous semblent menacés, lorsque les libertés fondamentales nous
paraissent en péril, que les francs-maçons, par delà leurs différences
religieuses, politiques, philosophiques, s'unissent pour sauvegarder ces droits
et ces libertés. Allons plus loin en ajoutant que la Franc-Maçonnerie, en tant
qu'institution, a non seulement le droit mais le devoir d'intervenir dans la
vie publique lorsque des fanatismes de toutes sortes, des systèmes
totalitaires, menacent l'existence même, détruisent les colonnes de ses
Temples, persécutent et assassinent les francs-maçons eux-mêmes comme elle l'a
fait dans un passé récent, comme elle le ferait encore contre tout système
totalitaire qui interdirait la Franc-Maçonnerie et persécuterait les francs-maçons. En ce qui concerne
la vie intérieure de la Loge, rappelons ici l'essentiel de l'article IV des
Déclarations de la Grande Loge de France selon lequel toute controverse,
dispute touchant à des questions politiques (comme des questions confessionnelles),
est interdite en Loge et que si des exposés sur ces questions sont proposés,
c'est en dehors de tout esprit partisan et sectaire et que, si débats il y a,
"ils ne sauraient jamais donner lieu à un vote, ni à l'adoption de
résolutions qui seraient susceptibles de contraindre les sentiments et les
opinions de certains Frères". Dans ce domaine si
difficile, où trop souvent les passions risquent de provoquer des
déchirements, la Franc-Maçonnerie s'efforce d'apporter une volonté de dialogue
constructif, un esprit de concorde et d'harmonie. En agissant ainsi, nous
sommes les fidèles continuateurs de ceux qui posèrent les fondements de
l'Ordre maçonnique au début du XVIIle siècle. "Aucune brouille, ni
querelle, ne doit passer le seuil de la Loge et moins encore quelque querelle
à propos de la religion ou de la politique" — Constitutions d'Anderson —
Article VI-2. N'oublions pas que
lorsque se reconstituent les Loges maçonniques en Angleterre, en Ecosse, en
France, en Europe, ces différentes nations viennent de connaître les terribles
guerres civiles, que pendant des décennies des hommes se sont déchirés et
massacrés pour des questions religieuses et pour la conquête du pouvoir politique,
que les consciences ont été profondément marquées par ces déchirements. Ainsi,
la plupart des hommes de ce temps aspirent à la paix civile et recherchent une
certaine union dans la tolérance réciproque ; ils espèrent en une humanité
enfin réconciliée avec elle- même et s'efforcent d'en réaliser le modèle dans
la Loge maçonnique elle-même. *
* * V - Les Anciens DevoirsLa grande Loge de
France se réfère aux "Anciens Devoirs" quant au respect des
Traditions de la Franc-Maçonnerie et quant à la pratique du Rituel et du
Symbolisme en tant que moyen d'accès au contenu initiatique de l'ordre. La Franc-Maçonnerie
est une institution qui a une tradition. La tradition, c'est ce qui se
transmet
d'une manière vivante, soit par la parole, soit par
l'écriture. Elle véhicule
non seulement des idées exprimées sous forme logique et
rationnelle, mais des
sentiments, des croyances, des aspirations, des manières d'agir
et des manières
d'être. Elle suppose une communauté organisée
d'hommes et, plus encore, une
sorte de communion des esprits et des âmes. Celle- ci assure la
transmission,
la continuité et, en même temps,
l'homogénéïté et l'unité de ce
groupe. Chaque
génération a pour rôle et pour fonction, pour
mission, de transmettre à celle
qui la suit un dépôt sacré qui assure la
pérennité de ce groupe. Et telle est
la Franc- Maçonnerie en tant que société
traditionnelle. La tradition
devenue consciente d'elle-même, c'est l'histoire, c'est-à-dire la transmission
aux jeunes générations de la représentation qu'un peuple se fait de son propre
passé. Lorsque cette transmission n'est plus assurée, on peut craindre que ce
peuple, cette nation, cette civilisation ou cette culture ne soient en voie de
perdition. "Mourir pour une culture, a écrit Raymond Ruyer, et il entend
par culture la civilisation, c'est perdre la mémoire culturelle. Une culture
meurt quand les hommes qui en étaient le support ne comprennent plus les
thèmes formatifs de leur propre tradition". Aussi, les francs-maçons de la
Grande Loge de France sont-ils conscients de l'importance capitale de la
tradition en général et la tradition nique en particulier, de son histoire. Dans toute
tradition maçonnique, nous trouvons successivement l'utilisation d'un rituel
pour l'ouverture et la fermeture des travaux de loge, la pratique du
symbolisme et l'idée d'une voie initiatique. En effet, une réunion maçonnique,
une tenue comme nous disons, outre qu'elle ne se passe pas dans un local
quelconque mais dans un Temple, c'est-à-dire dans un lieu consacré, sacré, ne
se passe pas n'importe comment. Elle est soumise à la stricte et rigoureuse
observance d'un rituel, elle se déroule selon un certain Rite (quel que soit ce
Rite). Qr, la fonction de tout Rite est d'écarter "les impuretés"
inhérentes à tout monde profane, de nous séparer de ce monde pour mieux
retrouver un monde de pureté ou idéal. Sa fonction est de nous préparer et de
favoriser le passage de "ce monde" à un "autre monde", de
permettre et de favoriser le passage du vieil homme à l'homme nouveau, de
l'homme en proie au chaos des passions, et de ce fait désordonné, à un homme mieux
ordonné, plus en harmonie avec lui-même, en le mettant en communication avec
les autres, avec lui-même, avec le cosmos et avec ce qui le transcende, la
Lumière, le Grand Architecte de l'Univers. En ce sens, tout Rite est à la fois
un langage et une action. Vu de l'extérieur, il peut paraître vain et inutile,
mais tous ceux qui ont fait l'expérience de la vie maçonnique savent qu'il est
nécessaire, indispensable, non seulement à la vie interne de la Loge mais aussi
à l'épanouissement du franc-maçon. A la pratique
scrupuleuse d'un Rite s'ajoute la pratique du symbolisme. Les francs-maçons, en
particulier ceux de la Grande Loge de France, sont très attachés à la pensée
symbolique. Ils vivent et travaillent dans leurs Temples au milieu des
symboles, dans un univers peuplé de symboles : le triangle, le soleil, la lune,
la pierre brute et la pierre cubique, les colonnes, l'équerre, le compas, la
règle, considérés comme outils symboliques, la chaîne faite d'une corde à nœuds
qui entoure les murs du Temple... On pourrait se demander s'il n'y a là qu'un
attachement à une tradition désuète et anachronique, surtout dans ce monde
moderne dominé par la pensée scientifique et tourné vers l'efficience et le
rendement. "A quoi cela sert-il", serait tenté de demander le
technicien ou le technocrate ! Or, ce qui est
acceptable sur le plan de la méthode ne l'est plus sur le plan de l'ontologie,
de la connaissance de l'homme lui-même dans la vérité de son être tout entier,
car on ne peut nier et méconnaître en l'homme ce qui le constitue, c'est-à-dire
sa liberté, sa conscience, l'idée d'un dépassement de soi par la raison, la
dimension proprement dite, transcendance de cette conscience, sa raison,
"sa dimension métaphysique, l'idée d'un être qui en notre conscience
dépasse la nature", comme l'écrit si justement Ferdinand Alquié. Nous pensons que le
symbolisme rend compte d'une manière plus exacte et plus adéquate de cette
véritable nature de l'homme et que le symbole permet de mieux appréhender cette
double dimension de l'homme, tout ce qui en lui est dépassement de soi par
soi, s'il est vrai, comme l'écrit Bachelard, "qu'un homme est un homme
dans la proportion où il est un surhomme". En effet, le
symbole est un "être double". Comme l'étymologie l'indique, il réunit
deux parties, deux aspects ; il est un signe concret évoquant, par un rapport
naturel, quelque chose d'absent, ou d'impossible à percevoir. Ainsi cette
équerre, ou ce compas que je vois, que je peux toucher et qui se manifestent à
moi par leur caractère concret, ou matériel, ce que certains nomment "le
signifiant". Mais aussi ce que
je ne vois pas immédiatement, que je ne saurais ni toucher, ni mesurer,
l'aspect invisible, non manifesté, ce que certains appellent "le
signifié", c'est-à-dire la signification à laquelle peut renvoyer cette
équerre ou ce compas. En ce sens, "le symbole apparaît comme l'image
visible de l'invisible". Il fait signe... Il est renvoi à une
signification qui est seulement suggérée et que tout maçon doit s'efforcer de
découvrir dans sa recherche. Il apparaît sans doute comme une sorte d'énigme
mais une énigme qui, au lieu de bloquer l'intelligence, la provoque et la
réveille. Tout symbole est en
effet interpété librement par celui qui l'ob serve et l'étudie. Dans
l'exercice de la pensée symbolique, nous pouvons faire et nous faisons
l'expérience d'une pensée toujours neuve, toujours libre, d'une "pensée
créatrice d'un sens", car, "dans le processus symbolique, le
médiateur émane du libre examen et échappe à toute formulation dogmatique"
(Gilbert Durand). Aussi bien, la pensée symbolique, si elle est bien comprise,
est-elle, par nature et par définition, étrangère à tout esprit dogmatique elle
témoigne de notre liberté. Il y a dans tout
symbole, disons-nous, une dualité, un signifiant et un signifié, cela sur le
plan du langage et de la connaissance. Mais si l'on passe du plan du langage et
de la connaissance au plan de l'être, on peut dire qu'il y a une autre
rencontre, une autre concordance, celle d'un fragment et d'un complément,
celle d'un être fragmentaire et d'un être complémentaire, d'un être
fragmentaire qui renvoie à un être complémentaire. Et si nous considérons les
êtres de la nature, et parmi ces êtres l'homme lui-même, nous ne pouvons que
constater leur caractère fragmentaire, leur finitude ; nous sommes des êtres
essentiellement finis, fragmentés et fragmentaires, mais des êtres qui, en même
temps, renvoient à un être complémentaire, que cet être soit l'humanité, et
songeons ici au mot de Comte qui écrivait que "l'homme n'existe que par
son union à l'humanité", que cet être soit la nature, le cosmos, que
cet,être soit enfin ce qui dépasse la nature et l'humanité elle-même, ce que
nous nommons le Grand Architecte de l'Univers. Nous sommes à la
fois et en même temps des êtres finis et séparés et des être reliés. par delà
cette séparation, à Ce qui la dépasse, à cette Réalité Une et Totale que nous
ne pouvons, au sens propre, comprendre, mais dont la connaissance symbolique
nous signifie la présence et nous suggère l'existence. L'expérience de la
pensée symbolique nous restitue la double dimension de notre être et, à
l'intérieur de celle-ci, la dimension métaphysique et spirituelle de l'homme
(le sens d'une certaine unité, d'une certaine totalité). Et l'on peut dire,
avec Mircéa Eliade, que la connaissance symbolique "révèle toujours
l'unité fondamentale de plusieurs zones du réel". Sans doute, mais si elle
ne nous restitue pas dans sa plénitude la totalité et l'unité de la réalité,
elle permet de prendre conscience de notre "séparation" et, par là,
d'entreprendre une recherche qui nous permettra de nous approcher de cette
vérité une et totale, de cette vérité universelle, de cette Lumière en qui tous
les hommes de bonne volonté pourront se reconnaître. Nous retrouvons la
signification étymologique du mot symbole "sun bolon", qui s'oppose
au "diabolon", comme ce qui veut rassembler et réunir s'oppose à ce
qui divise et déchire. La fonction symbolique est de jeter des ponts, d'établir
des relations, de favoriser des communications, entre l'homme que je suis et
ce qui l'entoure, la nature et le cosmos, avec les autres hommes aussi, mais
encore avec soi, par une meilleure union de notre rapport au monde et une
meilleure compréhension de notre rapport avec les autres et avec soi ; de nous
situer, enfin, par rapport à ce qui dépasse le monde et l'homme lui-même, ce
que nous nommons le Grand Architecte de l'Univers, et par là, de retrouver une
certaine forme d'équilibre et d'édifier une certaine harmonie. Ainsi, l'on
pourrait dire, avec Alain (voir le Propos "Je lis que Goethe était
franc-maçon), qu'en ce sens "Ce symbolisme... n'est pas de médiocre portée
par ce mouvement de méditation auquel il nous invite". Paraphrasant André
Breton parlant de la poésie, nous dirions que le symbolisme est "ce grand
moyen qui nous pourvoit du fil en tant que connaissance de la réalité sensible
invisiblement visible dans son éternel mystère". *
* * VI - L'initiationLe symbole est
"un fil", il est "un chemin" ; disons, avec les
Déclarations des Principes, qu'il permet d'accéder au contenu initiatique de
l'Ordre. La pensée symbolique appelle nécessairement la démarche initiatique.
Pensée symbolique et voie initiatique sont indissolublement, nécessairement,
dialectiquement liées. Et de ce fait, la Franc-Maçonnerie a naguère été définie
comme "une institution d'initiation spirituelle au moyen de symboles"
— (Assemblée des Grands Maîtres d'Europe — 1952) —. De même qu'il n'y a pas de
Loge maçonnique sans Rite, de Franc-Maçonnerie sans symbole, il n'y a pas de
franc-maçon sans initiation, car c'est l'initiation qui a fait de nous des
francs-maçons. "Philosophiquement, a écrit Mircéa Eliade, l'initiation
veut provoquer une modification ontologique du régime existentiel". Plus
simplement, disons que par définition, l'initiation maçonnique, comme toute
initiation, veut provoquer un changement, une transformation en tout homme. Elle veut entraîner
une radicale et fondamentale modification dans nos façons de penser et de
sentir et, par là-même, dans nos manières d'agir et d'être. Elle a l'ambition
de donner naissance à un homme nouveau, à un homme véritable, selon les règles
de la Sagesse, de la Beauté et de l'Amour. Et si ce projet semble encore trop
ambitieux, disons qu'elle veut au moins susciter chez le sujet à initier un choc
intellectuel et affectif qui lui fera prendre conscience de l'urgence et de la
nécessité de ce changement, qui doit concerner non seulement notre
intelligence mais aussi notre coeur. Mais soyons sincères en ajoutant qu'il ne
faut pas voir dans l'initiation maçonnique une sorte d'acte magique, de procédé
miraculeux qui ferait du pauvre homme que nous sommes une sorte d'homme absolument
supérieur, parfait en tous points de vue ; loin de nous une elle pensée. L'initiation
maçonnique veut nous permettre, par une série d'épreuves, de prendre conscience
de ce que nous sommes et nous donner les moyens qui nous permettront d'accéder
à plus de lucidité et de réaliser en nous, et avec les autres, plus d'harmonie
et plus d'amitié, d'assurer un certain perfectionnement de notre connaissance
et de notre être. Pour certains elle est illumination, pour 'autres ,
simplement lucidité. L'initiation n'est
pas et ne saurait être une fin en soi, un aboutissement ; elle n'est, comme
d'ailleurs l'étymologie l'indique, qu'un commencement, qu'une mise en route.
Elle nous permet "d'entrer dans la voie", mais c'est à nous qu'Il
appartient "de suivre la voie", de passer de l'initiation virtuelle à
l'initiation réelle. Car c'est à nous seuls, certes soutenus par les Maîtres de
la Loge, instruits par la réflexion sur les symboles et la pratique du rituel,
c'est à nous seuls qu'il appartient de construire notre chemin et de le suivre,
de transformer une promesse et une espérance en une réalité — en une vérité.
Car la dignité de l'homme c'est de chercher la vérité. C'est par la vérité que
nous sommes affranchis de toute idolâtrie, c'est la vérité qui nous rendra
libre. Mais la vérité que nous laisse espérer l'initiation maçonnique n'est
pas une vérité religieuse transmise par une révélation, elle n'est pas encore
une vérité de type scientifique, de type mesurable et objectivable et, par
cela, pouvant être transmise par le canal d'un enseignement doctrinal et
livresque. Elle est celle d'une recherche, d'une démarche, d'une expérience
vécue dans la liberté: c'est à chacun de nous qu'il appartient de se conduire
selon une vérité qu'il ne saurait apprendre des autres, mais qu'il doit
lui-même apprendre à retrouver ou à reconstruire. Ajoutons que cette
initiation au Rite Ecossais comprend un certain nombre d'obstacles et
d'épreuves, certes symboliques, et que l'on ne devient pas Apprenti maçon, puis
Compagnon et enfin Maître sans patience, sans travail, sans effort et qu'il
faut, pour atteindre une certaine forme de sagesse, comme le rappelle Bacbuc,
l'oracle du bon Maître Rabelais, "guide de Dieu, compagnie des hommes,
et le Temps car par lui seront toutes choses latentes inventées". *
* * Il n'y a pas de
société et il n'y a pas d'institution qui puissent vivre sans principes et sans
règle. Ainsi en est-il de la Franc- Maçonnerie. La Règle maçonnique, les
•Principes de la Franc- Maçonnerie s'articulent, selon nous, autour de trois
idées fondamentales. D'abord, celle de la reconnaissance d'une vérité
universelle qui éclaire tous les hommes et qui demeure le but de leur recherche.
Ensuite, celle d'une liberté qui habite la conscience de chaque homme dans
cette recherche de la vérité. Par essence et par définition, l'homme est un
être libre, potentiellement libre, et lui enlever cette liberté c'est le
mutiler et le nier dans sa nature essentielle. Ainsi, la Franc-Maçonnerie
affirme en même temps la pérennité et l'universalité de la vérité et la liberté
de sa recherche. Mais cette vérité ne saurait se découvrir immédiatement. Elle
suppose un médiateur ou des médiateurs : ceux-ci sont constitués par les
symboles et la réflexion que chaque maçon opère sur ces symboles. Cette
recherche de la vérité implique la patience, l'effort librement consenti, le
travail inlassable du maçon. Cette recherche et ces efforts ne sauraient être
solitaires, mais ils ne peuvent s'effectuer qu'avec d'autres hommes, dans un
dialogue constructif, dans un esprit d'amitié et de fraternité. La Vérité, la
Liberté, la Fraternité, telles sont les idées-forces qui caractérisent et
définissent l'Idée maçonnique. Si le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui
nous semble le plus souvent en plein désarroi intellectuel et moral, c'est
parce que l'homme de nos civilisations a perdu, ou semble perdre de plus en
plus, la vocation de la vérité, le sens de la liberté et celui de la fraternité.
Cette quête inlassable de la vérité par la libre conscience de l'homme et dans
l'esprit fraternel, voilà, nous semble-t-il, la Règle fondamentale à laquelle
s'ordonne la pensée du franc-maçon. Cette règle a pour lui un caractère
intangible, nous dirions même sacré, comme tout ce qui touche à la personne
humaine. On a dit que "le
sacré religieux et les pactes juridiques représentent les seules valeurs
fondamentales spécifiquement humaines" — Raymond Ruyer. Or, la fin du
XIXè siècle et le début du XXe siècle ont vu se dégrader, chez certains
hommes, le sens du sacré ; et notre époque a vu se dégrader plus rapidement
encore le sens du pacte juridique et social qui permettait, au sein d'un
certain consensus, de trouver un équilibre, certes relatif et parfois
précaire, mais indispensable à la survie de nos sociétés. Dès lors, nous
serions enclins à penser que dans nos "mécaniques civilisations"
notre tâche est de restituer aux hommes le sens du sacré, et cela, une fois
encore, en dehors de toute considération confessionnelle et de toute contrainte
dogmatique, que notre tâche est aussi de faire comprendre à nos contemporains,
à nos frères en humanité que, en détruisant systématiquement les fondements de
tout pacte juridique et social, fondé sur la Raison et sur la Loi, on risque
de détruire nos sociétés démocratiques, tout ce qui faisait le prix et la
valeur de notre civilisation, et par là-même, l'homme enfin qui, insensiblement,
retourne à l'état de barbare et redeviendra "un loup pour l'homme". Dans un monde qui
est de plus en plus soumis à la haine la plus aveugle, à la violence la plus
absurde et à la barbarie généralisée, dans un monde qui devant nous et malgré
nous semble de plus en plus se défaire et se briser, où non seulement le
désordre mais encore les ténèbres envahissent la conscience des hommes et font
de notre contemporain un être à l'âme vide et désespérée, où "le
désert" croît inexorablement, que peut faire la Franc-Maçonnerie traditionnelle
? que peut faire la Grande Loge de France ? Rien, serions-nous
tentés de dire, et sans doute en seriez-vous les premiers étonnés, rien,
ajouterions-nous encore, oui rien, si on attend de la Franc-Maçonnerie une
sorte de solution magique, une solution miracle, qui résoudrait d'une manière
définitive et absolue l'ensemble de nos maux. Les francs-maçons sont des hommes
comme les autres et ils ne possèdent, contrairement à ce que certains croient,
aucun pouvoir surnaturel. Mais s'ils ne peuvent rien résoudre immédiatement,
comme par un coup de baguette magique, ils peuvent apporter une méthode de
réflexion et d'action qui serait un commencement de solution. Tout d'abord, la
Franc-Maçonnerie peut inviter les hommes de notre temps à une prise de
conscience, qui s'inscrit d'ailleurs dans sa tradition intellectuelle et
culturelle. Eveiller ou réveiller la conscience des hommes par la
reconnaissance de certaines idées, de certaines valeurs, de règles, sans
lesquelles il n'est pas d'existence humaine possible : valeurs qui ont nom
liberté, justice, fraternité, vérité..., ces valeurs que le franc-maçon est
invité à découvrir et à pratiquer dans la Loge maçonnique elle-même.
Invitation, comme j'ai essayé de le montrer, à la recherche "d'une autre
vie" caractérisée par ce retour à la tradition véritable, la vie
intérieure et l'élévation spirituelle. Car si la
Franc-Maçonnerie est une institution qui, dans le passé et aujourd'hui encore,
s'est efforcée et s'efforce de répondre à des problèmes d'ordre historique,
temporel, disons d'ordre politique et social, elle est aussi un ordre
initiatique traditionnel et universel fondé sur la fraternité et, en tant
qu'ordre initiatique, elle appelle l'homme à la recherche d'une autre dimension
de sa vie, celle de sa vie intérieure, de sa vie spirituelle. En ce sens, elle
répond aux besoins et à l'exigence de l'homme du XXe siècle car si celui-ci,
certes, a besoin de biens matériels, de confort, de richesses, il a aussi
besoin d'autre chose, d'une autre nourriture, il a soif d'une autre vie, celle
de l'esprit. Mais dans ce domaine comme dans les autres, une fois encore, la
Franc-Maçonnerie traditionnelle ne prétend pas apporter une solution
"préfabriquée", définitive et toute faite. Elle nous propose une
méthode, un chemin, elle nous invite à une recherche, à une quête, à une
enquête, A-une conquête, celle de l'homme enfin retrouvé dans toutes ses
dimensions humaines. Elle nous propose un chemin, une voie, elle nous invite à
une foi et à une espérance, celle de l'homme réconcilié avec la nature et
l'univers, avec les autres hommes ses frères, avec lui-même, avec le grand
Architecte de l'Univers. La Loge maçonnique, la Loge juste et parfaite, est le
lieu matériel et spirituel de cette quête, de cette aventure, et elle en est
l'instrument et l'outil. Si l'homme de notre
temps a de plus en plus l'impression d'être plongé dans
les ténèbres, et ce mot
désigne notre vie entendue non seulement symboliquement mais
réellement, c'est
qu'il a perdu le souvenir de son origine, le sens de sa
destinée, l'idée vraie
de son être même. Il ne sait plus d'où il vient, il
ne sait plus où il va, il
ne sait plus ce qu'il est. La Loge maçonnique de Saint Jean peut
lui permettre
de retrouver la mémoire de son origine par le retour à la
tradition, le sens de
sa destinée grâce à la voie initiatique, et
l'idée de ce qu'il est
véritablement grâce à la pensée symbolique,
à retrouver et à conquérir ce que
notre tradition et notre philosophie nomment si simplement et si
profondément
: la Lumière. |
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