GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 2T/1984 |
Frédéric-Auguste
Bartholdi,
Apôtre de la Liberté LA LIBERTÉ
éclairant le Monde, la célèbre statue de Bartholdi, érigée sur l'lle de Bedloe
dans la baie de New York — devenue depuis Liberty Island - Depuis deux ans, épisodiquement,
la presse nous apprend qu'elle est malade, rongée par le temps, inexorable
destructeur. Il faudra plus qu'un "lifting" pour redonner à la
vieille dame franco-américaine une seconde jeunesse, mais déjà les ingénieurs
s'emploient à effacer "des ans l'irréparable outrage". Frédéric-Auguste
Bartholdi fit partie de
cette génération frappée par la guerre de 1870 si lourde de conséquences pour
la France et qui développa chez nos Grands-Aïeuls l'image de la Liberté. Il vit
le jour le 2 août 1834 à Colmar. Issu d'une famille protestante très aisée dont
on retrouve trace en Alsace et à Paris, le jeune Frédéric-Auguste perd son père
en 1836. Madame Bartholdi, qui a un autre fils, Charles, vient alors
s'installer à Paris. Bartholdi y partage son enfance entre l'école évangélique
des Billettes et la maison familiale de Colmar qui l'accueille pendant les
vacances. Puis c'est le lycée Louis-Le-Grand. Sa mère le destine
au Barreau. Mais Bartholdi fréquente le lycée avec irrégularité, préférant le
dessin — pour lequel il est doué — et l'architecture aux autres travaux
scolaires. Précoce d'esprit, intelligent, ayant du caractère, il suit bientôt
sur le conseil de sa mère qui a compris sa vocation, des cours de dessin et de
peinture. Il devient l'élève du sculpteur Antoine Etex. Puis il fréquente
l'atelier du peintre Ary Scheffer qui lui reconnaîtra une vocation de
sculpteur. Il est aussi l'élève de Soitoux, le disciple de David d'Angers, et
il fera de brefs passages chez les architectes Labrouste et Viollet-le-Duc.
C'est ce dernier qui lui apprendra à définir dans l'espace le cadre de ses
sculptures. Très vite,
Bartholdi abandonne les pinceaux et le crayon pour le maillet et le ciseau et,
après quelques essais il exécute à 19 ans sa première oeuvre : un "bon Samaritain"
qu'il présente au Salon... sans succès... la critique et le jury l'ignorent. Désireux de faire
un pèlerinage au Pays de la Connaissance, il part pour l'Egypte en compagnie de
plusieurs peintres, découvre les Pyramides, le Sphinx, remonte le fleuve
jusqu'à Assouan. De juillet à octobre 1856, il parcourt tous les sites,
admirant ce qu'il nommera "ces êtres de granit dans leur majesté
imperturbable, dont le regard bienveillant et impassible semble mépriser le
présent et être fixé sur l'avenir illimité". Ce voyage en Egypte
avait été rendu possible par sa première commande, reçue de sa ville natale :
Colmar, et relative à un monument à élever au Général Rapp, le héros de
Dantzig, un enfant de Colmar comme Bartholdi. La statue, haute de 7,70 mètres, sera
exposée aux Champs Elysées lors de l'Exposition Universelle de 1855. Ainsi
commence la longue lignée de ses oeuvres, dont la plus connue des parisiens
est le Lion de Denfert-Rochereau, réplique de son célèbre Lion de Belfort ;
mais la plus célèbre étant la statue de la Liberté à l'entrée du port de New
York. L'énumération des
personnages historiques qui ont été sculptés par l'artiste est évocatrice. Parmi eux,
Lafayette, Rouget De Lisle, Paul Bert, Gambetta, Washington étaient
Francs-Maçons, de même que Viollet-le-Duc, l'un de ses Maîtres en Architecture. A la déclaration de
guerre le 19 juillet 1870, Bartholdi qui va sur ses 36 ans, est encore
célibataire. Il est à Clermont-Ferrand, travaillant à son
"Vercingétorix". Ardent patriote il
rejoint Paris et, comme Capitaine de l'EtatMajor
général de la Garde Nationale
de la Seine où il s'est enrôlé, ii demande à
son général d'être muté pour trois
mois à la Garde Nationale du Haut-Rhin. Il rejoint alors Colmar
où, avec une
centaine d'hommes de troupe, il défendra le pont de
Horbourg devant l'attaque
prussienne. Mais toute résistance est inutile... Après la
proclamation de la
Ille République le 4 septembre 1870, Bartholdi rejoint le
gouvernement de la
Défense Nationale à Tours. C'est là qu'il est
nommé aide de camp du Général
italien (et du Franc-Maçon) Giuseppe Garibaldi sorti de sa
retraite pour aider
la République Française. Ensemble, ils reforment une
armée des Vosges qui,
hélas, connaîtra la défaite. Après l'Année
Terrible, Paris se rend le 29 janvier 1871 et Belfort, après un siège de 104
jours tenu par Denfert-Rochereau, est investi. C'était la dernière terre
d'Alsace où flottait encore le Drapeau Français. Le 10 mai 1871, le Traité de
Versailles donne à l'Allemagne l'Alsace et la Lorraine. Bartholdi dira que
cette guerre, cette défaite, l'annexion de sa "petite patrie" ont eu
pour lui une conséquence : l'amour de la liberté. Cette notion de liberté va
orienter sa vie, son œuvre et sa démarche philosophique. Mais revenons quelques
années en arrière. A Paris vers 1865,
Bartholdi était reçu chez Edouard de Laboulaye, professeur de législation au
Collège de France. Membre de l'Institut, député puis sénateur, admirateur du
"Nouveau Monde" et historien de la Jeune Nation des Etats-Unis qui
s'apprête à fêter le centenaire de son Indépendance, Edouard de Laboulaye rêve
de voir la France offrir-un mémorial pour consacrer l'amitié Franco-Américaine
à l'occasion du futur anniversaire de la création de la Nation américaine. En
1869, Bartholdi exécute à Colmar une première maquette. En 1870, il exécutera
un autre modèle, réduit quant aux dimensions par rapport à la statue finale. En
1871, après le Traité de Versailles, il s'embarqua pour les Etats-Unis et
choisit avec les Américains le site sur lequel sera érigée la Statue de la
Liberté. C'est le 6
septembre 1872 que sont allumés les feux de la Loge "Alsace-Lorraine"
à l'Orient de Paris. Cette loge fut
fondée par Gustave Dalsace pour accueillir des écrivains, des hommes politiques
et des idéologues d'un patriotisme ardent, désireux d'entretenir parmi les
âmes le culte de la région perdue. Cette loge se
voulait aussi l'héritière des huit loges d'Alsace et de Lorraine entrées en
sommeil à la suite de l'annexion des deux provinces par l'Allemagne. Parmi les membres
d"`Alsace-Lorraine", figurent aux côtés de Gustave Dalsace, Maurice
Véran, Charles Lauth, Charles Risler et Louis Dusacq qui furent vénérables ;
les Frères Massel, Edmond Valentin, Adolphe Crémieux, Vial-Naquet, Jules Ferry,
Théodore Reinach, Henri Thulié, Eugène Sée, Edouard Siebecker, Félix Roy,
Henry Deloncle, Charles Bigot, Charles Reguier. En firent également partie :
Adolphe Koechlin, Bastien-Lepage, le peintre et illustrateur Félix Régamey,
Savorgnan de Brazza, Benoît-Lévy, Hector Depasse et un certain Capitaine du
génie Joseph Joffre dont on connaît l'illustre carrière. Jean Macé et ses
fidèles de la Ligue de l'Enseignement : Coblentz, Hubert, Zopff, Vanchez et
Risler, déjà nommé, figurèrent aussi sur le tableau de la Loge
"Alsace-Lorraine" qui a été, écrit l'historien Pierre Chevallier,
"le principal centre de diffusion des idées patriotiques". Bartholdi y fut
initié le 14 octobre 1875 en même temps qu'Alexandre Chatrian dont le nom est
inséparable de celui d'Emile Erckmann qui était déjà membre de la Loge. Bartholdi passera
ensuite Compagnon, puis Maître. Dès lors il associera tous les Frères de
l'Atelier à ses travaux et notamment à la "Statue de la Liberté". Le
19 juin 1884, tous viennent voir la statue achevée avant sa remise au
représentant des Etats-Unis. Le 13 novembre 1884, il fait une conférence sur
les procédés d'exécution de la "Liberté éclairant le Monde". En 1887,
retour d'Amérique, sa loge est la confidente de l'accueil fait à la statue et
au statuaire. Lorsque l'on visite
le musée Bartholdi à Colmar, on peut voir toutes les étapes de l'étude, des
différentes maquettes, des projets relatifs à la Statue de la Liberté. Le
visiteur fait une remarque particulière : le diadème de la tête de la statue ne
comporte que cinq flèches directionnelles sur les premières ébauches et sur la
première maquette alors que la version définitive en comporte sept !... Entre
le projet et la réalisation finale, Bartholdi avait été initié aux premiers
mystères de l'Art Royal. On s'est souvent
demandé où l'artiste avait puisé ses inspirations pour personnifier la Liberté
par une jeune femme portant un flambeau. Bartholdi aurait trouvé son sujet le 3
décembre 1851, au lendemain du coup d'Etat, sur une barricade. Il raconte en
effet avoir vu ce jour-là une jeune fille, une torche à la main, qui, au milieu
de la fusillade, crie "en avant". Quant au modèle de
la statue, la légende nous dit que Bartholdi, au cours d'un mariage à Nancy,
fait la connaissance d'une jeune et belle modiste, Jeanne-Emilie Baheux de Puysieux,
qui posera pour le sculpteur et... deviendra son épouse au cours d'un voyage
aux Etats-Unis en 1876. Mais d'aucuns nous expliquent que, pour le visage,
Bartholdi a repris les traits de sa mère qui assistera à la remise officielle
de la Statue de la Liberté en 1884. Bartholdi est un
sculpteur monumental. Bien avant de lancer son oeuvre, il la "voit"
là où elle sera érigée. Avec ses quelque cent mètres du sol à la torche, elle
n'a pas une masse énorme. En 1885, Bartholdi écrit dans un opuscule destiné à
en appeler au public américain pour collecter les fonds nécessaires au
parachèvement du piédestal : "... Il ne faut pas s'attendre à ce que la
statue soit d'apparence colossale, lorsqu'elle sera en place. Dans le cadre
immense qui l'entourera, elle semblera tout simplement en harmonie avec
l'ensemble et aura l'aspect normal d'une statue sur une place publique".
Or, c'est bien ainsi que l'on perçoit la "Liberté éclairant le monde"
lorsqu'on approche de l'ile en bateau. La statue est vêtue
d'une longue robe à l'Antique. Elle se dresse portant le flambeau de la main
droite et tenant de la main gauche un livre ouvert où est inscrite la date de
l'indépendance américaine. Bartholdi conçoit
une statue démontable, délaissant le bronze fondu pour une armature en fer sur
laquelle seront fixées, par des rivets, les formes en cuivre repoussé et
martelé. C'est à Viollet-le- Duc qu'il demande de réaliser l'armature, mais
c'est Gustave Eiffel qui la réalisera après la mort de Viollet-le-Duc en 1879. C'est à la société
Gaget, Gauthier et Compagnie qu'est confiée la réalisation de la statue, pièce
par pièce. On utilise des modèles en plâtre avec une armature en bois, ceci
pour faire ensuite des gabarits de forme qui serviront au martelage des plaques
de cuivre. La main et la
torche sont terminées en 1876 et figureront à l'Exposition Universelle de
Philadelphie la même année. En 1878, c'est la
tête de la statue qui est terminée avec les sept flèches directionnelles
souhaitées par les Frères de la loge "Alsace Lorraine". Elle sera
présentée dans les jardins de l'Exposition Universelle de Paris. Pendant le montage
de la Statue, rue de Chazelles, Bartholdi invite souvent ses
Frères
d'Alsace-Lorraine pour leur montrer l'avancement des travaux. En
1882, il
réunit 25 couverts dans la rotule en installant les convives sur
un plancher
aménagé à 12 mètres du sol, la statue
étant réalisée jusqu'à la ceinture. Une
autre fois, il installera un banquet de 50 couverts à
mi-corps de la Statue. Pendant ce temps,
grâce à des dons importants, le plus souvent émanant des Loges américaines et
sous l'impulsion de Joseph Pulitzer et d'Emma Lazarus, le piédestal est érigé
et s'élèvera bientôt à 50 mètres du sol. La cérémonie de la pose de la
première pierre est présidée par le Grand-Maître suppléant Lawrence avec une
délégation des Loges de l'Etat de New York. A Paris, la statue
terminée est remise le 4 juillet 1884, pour la fête nationale américaine, par
le Président de la République Jules Grévy, membre de la loge "la Constante
Amitié" à l'Orient d'Arras, au ministre plénipotentiaire américain M.
Morton. Elle sera ensuite démontée, puis emballée, pour être expédiée, puis
remontée aux Etats-Unis. Le 13 décembre
1884, dans une tenue solennelle, la Loge "Alsace-Lorraine" rend
hommage à Bartholdi qui y prononce une conférence sur la Statue. Le 22 mai
1885, les 200 caisses sont chargées sur l'Isère qui viendra mouiller à New
York en face de I'lle. Bartoldi s'embarque le 24 octobre 1885 , pour aider au
remontage de la statue sous les ordres du Général Stone. Après un bref retour
en France il rejoindra New York pour, le 28 octobre 1886, inaugurer la
"Liberté éclairant le Monde". Il est alors fait "citoyen
d'honneur" de la Nation américaine, ce qui est une distinction rarissime
faite à un étranger. Une réplique au
dixième de la statue de la Liberté, après avoir été placée à l'angle des
avenues Kléber et Iéna, a été érigée dans l'lle des Cygnes, près du Pont de
Grenelle à Paris. Fondue le 7 mai 1885, elle a été offerte au peuple de Paris
par la colonie américaine et inaugurée le 4 juillet 1887. Autres répliques
célèbres — mais hélas maintenant introuvables —, les modèles réduits de 10
centimètres réalisés par M. Gaget, l'entrepreneur chez qui la statue fut
construite et offerts aux Américains lors de l'inauguration en 1886,
Américains qui s'arrachèrent les statuettes de M. Gaget, prononçant son nom
avec l'accent d'Outre-Atlantique "Gadget" ; de nom propre, Gadget est
devenu nom commun. Bartholdi est passé
à l'Orient Eternel le 3 octobre 1904 alors qu'il travaillait encore — et bien
que malade — à son Monument des 3 sièges dont l'inauguration aura lieu à
Belfort le 15 septembre 1912. Sa mort ne fit pas
"la une" des journaux. C'est une plume anonyme qui traça dans le
journal les "Débats" son éloge funèbre. "Si la
gloire était la même chose que la notoriété, Bartholdi eut été le premier des
artistes français. D'un bout à l'autre de l'univers, dans l'ancien monde et le
nouveau, son nom était célèbre, son ouvre populaire, car il eut le mérite de
voir grand, ce qui est une originalité en cet âge de bibelot, et la bonne
fortune d'attacher son nom aux causes et aux idées qui passionnèrent son temps". Quant à la statue
de la Liberté éclairant le Monde, elle est et reste le symbole attaché à
l'universalité de pensée des hommes de bonne volonté ! |
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