GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 3T/1986 |
Hier-demain, la Franc-Maçonnerie * On a beaucoup écrit
sur la Franc-Maçonnerie - quelque 44 000 titres ont été recensés. On l'a
parfois louée, On l'a beaucoup plus souvent et de toutes parts attaquée et
accusée de mille forfaits. Ses panégyristes
comme ses détracteurs se sont en tout cas entendus sur un point. Les uns et les
autres ont détourné l'eau de leurs arguments pour l'amener au moulin de leurs
convictions. C'est pourquoi,
malgré des tentatives récentes, et l'énorme masse de documents dont on dispose,
l'histoire de la Franc- Maçonnerie est encore à faire. Mais c'est une tâche
difficile. On pourrait certes
imaginer qu'une analyse rigoureuse des événements, dépassant les passions
partisanes, aboutisse à une vision parfaitement objective, mais peut-il y avoir
une histoire objective de la Franc-Maçonnerie ? Et plus encore, existe-t-il une
conception parfaitement objective de l'histoire ? Une histoire objective de la
Franc-Maçonnerie dirait en effet qu'elle est née en 1717 à Londres un beau jour
de la St-Jean d'été de la réunion de quatre loges qui décidèrent de se fédérer.
Qu'à partir de là, elle a essaimé sur toute la surface de la terre, qu'elle a
connu quelques triomphes et mille vicissitudes, qu'elle a subi les bulles du
Pape et les interdits royaux, qu'elle a survécu aux révolutions et aux empires,
et qu'aujourd'hui, 270 ans après, elle est encore bien vivante dans les
quelques démocraties de ce monde et interdite dans tous les états totalitaires
de quelque idéologie qu'ils s'inspirent. Le salut n'est pas non plus dans une résignation apeurée devant ce qu'on appelle la grande mutation de cette fin de siècle. Il n'y a pas pour l'homme de vrai choix entre la crainte et l'idolâtrie face à un univers de machines. L'univers des machines ne changera ni l'homme ni la société, sauf à les asservir. Une telle histoire
ne rendrait qu'imparfaitement compte du phénomène maçonnique, parce que la
simple relation d'événements dont on essaie d'expliquer les causes logiques,
n'éclaire qu'une facette des choses. L'Histoire est
avant tout l'histoire des hommes et des idées ; elle ne saurait donc être
parfaitement objective, puisque l'homme est à la fois le sujet et l'objet de
son histoire. Et parce que l'homme n'est pas seulement un être de raison, les
mythes et les légendes qui peuplent ses rêves et habitent son imaginaire sont
inséparables de son histoire, et s'y enracinent pour faire apparaître une
autre facette de la vérité. Vue sous cet angle,
l'histoire de la Franc-Maçonnerie peut peut-être s'éclairer par la définition
que les Francs-Maçons donnent d'eux-mêmes. Ils se disent en effet Fils de la
Lumière et héritiers des bâtisseurs ; mais en même temps que cette définition
est éclairante et oriente la recherche, elle explique aussi qu'on ait pu
accréditer les légendes les plus fantaisistes et édifier les constructions les
plus fabuleuses, les plus délirantes sur les origines de la Franc-Maçonnerie. Les Francs-Maçons
eux-mêmes, faut-il le dire, portent une certaine responsabilité en la
circonstance. Mais il leur fallait sans doute, et l'époque l'explique
peut-être, la fleur du mythe pour exprimer dans toute sa grandeur, leur racine
spirituelle. L'avenir leur aura
heureusement donné tort, et ils sont aujourd'hui débarrassés des fatras qui les
encombraient, ramenés aux idées simples qui justifient leur pérennité. En se disant Fils
de la Lumière, ils s'insèrent dans une histoire aussi ancienne que l'humanité
et qui rend parfaitement dérisoire toute filiation particulière. En se disant
héritiers des bâtisseurs ils définissent la matrice historique qui les a
fécondés. Et c'est finalement
par la subtile rencontre de l'événement et de la légende qu'ils parviennent à
tracer d'eux-mêmes le portrait le moins contestable. Le terme de
Franc-Maçonnerie, ou plutôt de freemason, selon la terminologie anglaise,
apparaît pour la première fois au milieu du XIVQ siècle. Le terme recouvre deux
significations, complémentaires l'une de l'autre et qui explique parfaitement
à la fois les structures du métier de bâtisseur, et les hiérarchies qui au
sein du métier se fondaient sur les compétences. La Franc-Maçonnerie, c'est
avant tout, comme le dit un texte de 1351 (Statute of Labourers) le Maître
maçon de franche pierre. Cette pierre franche, d'un grain particulier, est
susceptible d'être travaillée et sculptée. Le Maître Maçon de Franche Pierre
appartient donc à une élite d'artisans par rapport à celui qui est désigné sous
le nom de Roughmason, entendez le maçon qui traite la pierre brute, et qui
appartient à une catégorie d'ouvriers moins qualifiés. Mais à côté de
cette compétence particulière, le Franc-Maçon, c'est aussi l'homme qui
appartient à un Franc-mestier, c'est-à-dire un homme libre et non un serf
attaché à la terre, un homme affranchi des droits seigneuriaux par l'Eglise
qui a besoin d'hommes pour ses cathédrales et leur accorde le droit de se
déplacer au gré des chantiers. Cette mobilité même
va les différencier des corporations et des guildes constituées dans les
villes, composées d'ouvriers nécessairement sédentaires, dotés de certains
privilèges certes, mais soumis aussi à des servitudes. Sur le chantier se
construit la Loge, édifice couvert où se préparaient et se travaillaient les
matériaux de la construction. On y était placé sous l'autorité du Maître
d'oeuvre qui portait le titre de Maître maçon. Celui-ci était instruit dans
l'art de bâtir. C'était un savant, un initié. Pour lui, (je cite Georges Duby
dans son beau livre « L'Europe au Moyen-Age ») « les clés de la connaissance
parfaite se trouvaient dans les nombres et leurs combinaisons. On tenait alors
la mathématique pour la plus haute des sciences humaines, celle qui menait à
s'approcher au plus près de la nature divine. Elle n'était disjointe, ni de l'Astronomie,
c'est-à-dire de l'observation dans le firmament des reflets les plus nets de la
raison divine, ni de la musique, c'est-à-dire de l'acte même de prier. Aux
cours des astres, aux harmonies du plain-chant, la science des nombres unissait
indissolublement l'architecture ». La Loge, le mot est
ancien puisqu'il apparaît pour la première fois dans notre langue en 1283 à
propos du chantier de Notre-Dame de Paris, est d'emblée une entité
particulière. Lieu de travail certes, mais lieu aussi où l'on se réunit pour
le repos, lieu où se rassemblent ces hommes transplantés venus de partout et
qui constituent de ce fait un groupe isolé des autres. Porteurs des mêmes
nostalgies mais axés vers le même but, ces hommes forment une collectivité
originale, sans commune mesure avec aucune autre. Et bientôt le mot Loge
désignera instinctivement le lieu de travail et la collectivité des hommes qui
s'y trouvent. On y travaille, on s'y instruit, on y apprend les secrets du
métier. Et les liens particuliers tissés entre ces hommes, leur habileté dans
l'art, et leurs déplacements à la faveur des chantiers va répandre les légendes
et coutumes des Maçons, sans que pour autant il y ait jamais eu de tentative de
fédération des Loges opératives. Légendes et
coutumes se transmirent d'abord de bouche à oreille. Puis elles furent mises
par écrit au XIVe siècle. On dénombre environ 115 versions de ces anciens
devoirs des Francs-Maçons venant de Loges anglaises ou écossaises. Les versions
anglaises s'inspirent toutes plus ou moins du fameux manuscrit Cooke dont la
datation est incertaine. On y retrace
l'histoire légendaire du métier, on énumère les obligations que le candidat
devra observer et on lui fait jurer sur la Bible qu'il tiendra secrets les
enseignements du Maître et tout ce qu'il verrait et entendrait en Loge. Les
choses étaient un peu différentes en Ecosse où l'admission se faisait en deux
temps. On était d'abord, au terme d'un premier apprentissage, apprenti enregistré,
puis quand la compétence était confirmée, on devenait compagnon du métier. Mais tout cela au
fond, ne relèverait que de l'anecdote historique si l'on ne sentait pas, par
rapport à la réalité maçonnique d'aujourd'hui, qu'il existait une structure
particulière d'un métier particulier de création, où il faut concevoir pour
construire et où par conséquent l'opératif ne peut être détaché du spéculatif,
ni la pensée de l'action. L'art des bâtisseurs est en même temps recherche de
la connaissance inspirée de ce qu'on appelait les sept arts libéraux. Apprentissage
du discours par la grammaire et la rhétorique, apprentissage du raisonnement
par la dialectique, suivies des quatre disciplines terminales qui aident à
découvrir les lois de l'Univers : arithmétique, géométrie, astronomie et
musique. Pour Villard de
Honnecourt « c'est la raison qui conçoit la cathédrale, qui fait s'y coordonner
en ensembles des séries d'éléments discrets. Cette logique se fait de plus en
plus rigoureuse et l'édifice de plus en plus abstrait. Et puisque l'architecte
est également Maître de l'ouvrage décoratif, il traite volontiers la nature
par le carré et par le cercle, et la réduit à des formes raisonnables. Le
dessein du créateur n'est-il pas lui-même construit selon la raison ». Voilà, trop
brièvement expliqué sans doute, le moule de l'histoire dans lequel tentera de
se couler la Franc-Maçonnerie moderne. Et c'est à travers cette histoire que
s'accrédite la légende, toutes les légendes, à partir du moment où l'on
considére que l'histoire des bâtisseurs est en même temps une histoire de la
connaissance, une histoire de la Lumière. Fille de la
géométrie, 'la maçonnerie peut reconnaître en Euclide son génial précurseur.
Elle peut se retrouver dans les constructeurs des pyramides et leurs secrets,
et faire d'Hiram l'architecte du Temple de Salomon, son Maître et son exemple. Mais plus encore,
elle peut s'insérer dans une tradition considérée comme tradition de
connaissance ; se sentir dans la filiation des hommes qui depuis l'origine des
temps s'interrogent sur leur origine et sur leur destin, cherchent le lien qui
les rattache à un principe et tentent de comprendre les lois qui régissent
l'homme et l'Univers. Ce n'est plus tout
à fait la légende ; c'est une certaine histoire des hommes à travers les idées
qu'ils fécondent et l'angoisse qui les habite. On comprend mieux
dès lors que les hommes du métier, les francs-maçons se soient un peu
distingués des autres, se soient fabriqués de glorieux ancêtres ; mais en
parvenant « par le calcul, l'équerre et le compas, à évider les murs toujours
davantage, à mieux dompter le matériau, à vaincre la pesanteur, ils témoignent
par les flèches de leurs cathédrales qu'ils regardaient résolument vers le ciel
». Et pourtant ils ont
failli avoir un curieux destin. Ils auraient pu être définitivement engloutis
dans les cassures de l'histoire, après avoir connu une fantastique épopée au
XIVe et au XVe siècles. Avec l'événement de la Renaissance, l'art gothique est
abandonné. Il n'y a guère plus de chantiers pour les monastères et les
cathédrales. A la fin du règne
d'Elisabeth d'Angleterre qui était obsédée de complots et avait interdit toutes
les réunions qui se tenaient à huis clos, on peut dire qu'il n'y avait
quasiment plus de loges opératives dans les deux royaumes d'Angleterre et
d'Irlande. En Ecosse par
contre, les maçons revenus dans leur pays constituèrent dans leurs villes
respectives des Loges permanentes qui maintinrent entre elles des relations
suivies. Avec le plein accord du Roi, qui avalise en quelque sorte leur
existence en nommant le Maître des travaux royaux, William Shaw, surveillant
général des maçons. Ces quelques loges
qui dès lors s'implantent solidement commencent à admettre dans leur sein des
hommes, pour la plupart des notables qui n'appartiennent pas au métier. Ce sont
des gentlemen-masons. Ces loges constituent incontestablement cette charnière
de l'histoire par laquelle s'articulent l'une et l'autre époque de la
Franc-Maçonnerie, l'opérative et la spéculative, cette permanence d'une
structure que la crise du bâtiment devait vouer au sommeil et à la mort et que
la pression des événements conduisit à un autre destin. Ces hommes qui avaient
élevé des cathédrales vers Dieu allaient devoir désormais construire une
cathédrale pour l'homme, c'est-à-dire une société où règne la tolérance. Car les événements,
on le sait, c'étaient les terribles guerres de religions qui déchiraient
l'Europe au XVI° et au XVlle siècle. Il n'entre pas dans
notre propos d'en détailler l'histoire, surtout l'histoire de France. Qu'il
nous suffise cependant de rappeler que catholiques et protestants s'affrontent
dans des combats sanglants sous les derniers Valois ; qu'une trêve surviendra
sous Henri IV après la promulgation de l'Edit de Nantes. Mais que sous Richelieu
le combat reprend qui aboutira en 1685 à la révocation de cet Edit de Nantes. Considérons surtout
l'Angleterre, puisqu'après tout la naissance de la Franc-Maçonnerie moderne en
tant qu'institution doit être considérée comme un phénomène spécifiquement
anglais. L'Angleterre a
récusé l'autorité du Pape depuis 1534. Elle est anglicane et son Eglise est
placée sous l'autorité du Roi. Mais les conflits meurtriers éclateront plus
tard sous le règne de Charles ler Stuart, roi catholique qui persécute les
Protestants. Décapité en 1649, la revanche de Cromwell s'exercera sur les
Catholiques. Cromwell mort, une paix relative règnera sous Charles II, mais son
successeur Jacques II qui accède au trône en 1685 (l'année de la révocation)
est catholique et considère le Parlement comme une entrave à l'exercice d'un
pouvoir de droit divin. Nouvelle révolution qui aboutira à solliciter un
Prince de la Maison d'Orange pour occuper le trône d'Angleterre. Il faut imaginer le
climat de tension, de haine, d'intolérance à la fois politique et religieuse
qui règne alors. Il faut imaginer la lassitude, le désespoir de certains hommes
face à cette guerre fratricide où chacun revendique le même Dieu d'Amour pour
comprendre ce qu'a pu représenter la Loge, lieu couvert à l'abri des déchirements
du monde extérieur. Ces Loges
écossaises, déjà bien implantées dès le XVIe siècle, vont s'ouvrir davantage
dès lors qu'avec l'avènement de Jacques le' qui est aussi roi d'Ecosse, les
liaisons vont s'intensifier entre les deux royaumes. Elles vont recevoir des
voyageurs anglais qui, de retour chez eux, vont se réunir en Loges
occasionnelles. On retrouve citée dans tous les ouvrages maçonniques la plus
ancienne de ces réunions de gentlemen masons anglais qui eut lieu le 16 octobre
1646 à Warrington (Lancashire) pour faire Maçon, selon l'expression consacrée,
le jeune savant Elias Ashmole. On était en plein cœur da la guerre civile.
Trois ans plus tard, nous l'avons dit, Charles lef allait être décapité. Or se
trouvaient dans cette loge, des stuartistes et des partisans du Parlement, des
puritains et des anglicanes, et même dit-on, un papiste. Auraient-ils pu se
rencontrer ailleurs que dans le secret et la clandestinité, auraient-ils pu
ailleurs se reconnaître comme hommes et comme Frères ? Auraient-ils pu
ailleurs trouver ensemble une raison de dépasser les dogmes au nom d'une vraie
foi, de surmonter les passions politiques, de se reconnaître comme différents
et pourtant comme semblables ? La Loge devint
ainsi par sa deuxième rencontre avec l'histoire, le centre de l'union, le lieu
très fort et très secret où règne la Fraternité. La crise
spirituelle qui déchira l'Europe et qui aboutit à une véritable mutation est
bien analysée dans le livre désormais classique de Paul Hazard intitulé « La
crise de la conscience européenne ». Bien que ce livre soit surtout centré sur
la France, il donne un excellent aperçu du processus qui aboutit à ce moment de
notre civilisation. — Victoire du non conformisme. — Hostilité à une autorité imposée. — Lutte contre les croyances traditionnelles. Morale purement humaine. — Avènement de la tolérance. — Loi naturelle. Voilà par quoi
s'exprime la révolution des esprits. En même temps avec
le triomphe grandissant de la Raison tout au long du 17e siècle, on assistera à
un essor du progrès scientifique qui atteindra son point culminant avec
Newton. Fondamentalement, cette révolution née de la Réforme devient une
révolution culturelle. A l'ordre théologique du monde va se substituer un
ordre naturel. Notre conception
scolaire des tranches d'histoire fait apparaître le Siècle des Lumières comme
la survenue d'une brutale illumination. Mais il n'en est rien ; l'histoire se
fabrique par ces longs cheminements faits d'avancées et de retours en arrière. Il aura fallu deux
siècles pour en finir avec la haine inexpiable, avec la guerre fratricide
entre catholiques et protestants. Il aura fallu la Réforme pour que la Bible
réapparaisse dans son intégralité, qu'on en puisse discuter les textes, en
confronter les interprétations. Il aura fallu refuser le texte expurgé de
l'Eglise Romaine présentant sa vision du monde comme suprême vérité, et comme
vérité figée. Il aura fallu que
des voix s'élèvent pour dire que l'homme ne peut jamais atteindre à la vérité
absolue. Il aura fallu un John Locke pour dire qu'à son avis la tolérance
réciproque est le principal critère de la véritable Eglise, et un Leibniz
s'affrontant à Bossuet. Le chemin aura été
long pour que s'affirme l'autorité de la raison face à l'autorité du dogme et
pour que l'autorité spirituelle ne censure plus l'autorité scientifique. Mais ce dramatique
conflit d'où la raison sort finalement triomphante va générer les plus
fantastiques bouleversements dans les esprits de ce temps. Voilà que se
construit une autre conception de l'univers et que l'homme commence à s'y
situer à sa vraie place. Voilà que naît une
idée qui fera plus tard fortune, l'idée de Progrès. Rien ne dit mieux
les choses de ce siècle sur le plan de la science que ce brillant raccourci :
Dieu dit « Que Newton soit, et la lumière fût ». Et c'est vrai que ce fut une
nouvelle lumière sur l'esprit humain de savoir que ce n'est pas par hasard que
les pommes tombent selon une verticale toujours la même et que le sage mouvement
des astres autour du soleil dépend de la même loi de l'attraction universelle
et se peut calculer. Un univers
obéissant à des lois accessibles à l'entendement de l'homme, c'était cela la
Révolution. Les savants comme les philosophes s'émerveillaient et auraient
sans doute pu dire comme le dira Einstein 250 ans plus tard : « Le plus
incompréhensible c'est que ce monde soit compréhensible ». Les principes
mathématiques de la philosophie de Newton sont de 1687. Il aura fallu 54 ans
pour venger Galilée condamné en 1633. Contre lui l'Inquisition avait livré son
dernier combat d'arrière-garde. Avec un monde régi
par des lois, avec un monde dont on peut appréhender les rouages, l'ordre
théologique accepté comme vérité première disparaît au profit d'un ordre de la
nature qu'on peut espérer pénétrer. Et dès lors l'homme ne sera plus le même.
Il vivait jusque-là dans une histoire imposée qui allait de la chute à l'apocalypse
et du péché au salut. C'est-à-dire qu'il vivait en-dehors de l'histoire et la
subissait comme une fatalité. Désormais il entrevoit la possibilité de
l'écrire lui-même, il se libère du joug que constitue l'acceptation d'un
déterminisme aveugle, et entrevoit la possibilité de façonner l'événement. Il
commence à vouloir écrire son histoire et va l'écrire en termes de progrès. Qu'on ne pense pas
pour autant qu'il rejette la réalité divine. Le XVIIle siècle a
été moins athée et moins libertin qu'on ne l'a dit, et Newton lui-même était
resté très attaché à sa foi ; on peut dire au contraire que la contestation de
la toute puissance du dogme a affranchi la spiritualité qui s'épanouit dans des
horizons plus larges. A l'écoute passive et peureuse d'un Dieu omniscient,
omnipotent, juge et arbitre suprême, se substitue le libre dialogue, sans intermédiaire,
de l'homme avec son Dieu. Nous voilà,
pourrait-on dire, avec ce débat d'idées bien loin de la Franc-Maçonnerie ; bien
au contraire, ce débat d'idées sur la tolérance, la liberté de conscience et la
possibilité d'un perfectionnement de l'humanité est au centre même de l'idée
maçonnique, et c'est bien parce que la structure de la Loge existe déjà,
qu'elle deviendra ce creuset où se manifestent les opinions les plus diverses
mais où règne aussi l'espoir commun d'une société plus juste, plus libre, où
tous les hommes sont égaux en Dignité. Il n'y a pas
beaucoup de coïncidences en histoire, et il nous paraît difficile de ne pas
établir une relation entre la Franc- Maçonnerie spéculative moderne qui allait
naître, et la création de la Royal Society à Londres en 1662. C'est ce qui nous
fait dire que le XVllle siècle est né en Angleterre un peu avant l'an de grâce
1700. La Société Royale
pour l'amélioration de la connaissance de la nature, c'est son intitulé
complet, a été fondée « par des esprits éclairés curieux de toutes sciences et
plus particulièrement de ce qu'on appelait alors la nouvelle philosophie
expérimentale » (1). La motivation profonde de ces savants était évidemment
qu'une « nouvelle méthode d'approche des phénomènes scientifiques, méthode naturelle
et expérimentale, entraînerait les esprits sur la voie des nouveautés dans les
domaines philosophique, politique et religieux » (1). Sans trop entrer
dans le détail, disons cependant que dans l'histoire de la Société Royale
rédigée en 1667 par Thomas Sprat, évêque de Rochester, les buts sont clairement
exprimés. Soumettre à l'examen de la raison toutes choses humaines et divines,
en se défendant cependant de toute irreligion et de tout athéisme. Mais la Société
admet cependant dans son sein des hommes de toute confession, et de toute
profession, exprimant ainsi l'esprit de tolérance à une époque où les conflits
religieux ne sont pas éteints, et marquant aussi son choix pour la valeur et
l'aptitude des hommes quel que soit leur état. Quant à l'idée religieuse
de cette nouvelle philosophie (je cite Th. Sprat), « c'est une religion qui est
confirmée par l'accord unanime de toutes sortes de cultes... et peut servir de
porche au Temple de Salomon ». Bel oecuménisme en
vérité, et belle préfiguration de la Franc- Maçonnerie. On ne s'étonnera
donc pas de savoir que dès la deuxième moitié du XVIIe siècle, des membres de
la Royal Society s'intéressent à la Franc-Maçonnerie ; c'est-à-dire avant même
la constitution de la Grande Loge de Londres. Ashmole et Locke, par exemple,
que nous avons déjà cités. On ne s'étonnera pas non plus de savoir que le
Pasteur J. Th. Desaguliers, traducteur de plusieurs Traités de physique
hollandais, italiens ou français, était un ami de Newton qui le fit entrer à
la Société Royale en 1714. Le même Desaguliers fut élu Grand Maître en 1719. Si l'on en croit le
F. Clarke, membre de la fameuse loge de recherche historique anglaise Quatuor
Coronati (cité par Florence de Lussy), « La Société comptait parmi les membres
les esprits les plus ouverts de l'époque. Presque tous les Grands Maîtres
durant les premières années de la Franc-Maçonnerie avaient été Membres de la
Royal Society. Les Membres de la Société Royale Francs- Maçons, étaient au
nombre de 200 en 1720. Ils étaient dans la proportion de 1 sur 4 en 1725. Il ne fait aucun
doute que le Pasteur Desaguliers est l'homme le plus important dans la genèse
de la Franc-Maçonnerie spéculative moderne. Ses origines, sa position sociale,
son prestige personnel de physicien renommé, lui permirent de rassembler
autour de lui ces hommes décidés à échanger leur savoir, à promouvoir une
nouvelle philosophie ouverte sur l'humanisme et le progrès. Il y a certes de
l'utopie dans ce projet de bâtir une société idéale, mais l'utopie est l'élan,
le ferment nécessaire à toute avancée de l'humanité sans lequel il ne lui reste
plus qu'à subir et se résigner. Cela, Desaguliers
le sait, et de ce qui aurait pu être un club de pensée, voué peut-être en
quelques années à la désuétude, il va construire un Ordre. Il va asseoir
l'idée de progrès sur le socle de la tradition, associer la spéculation
intellectuelle à la règle morale, l'habiller des coutumes des Francs-Maçons
opératifs et l'élargir vers un langage symbolique par définition intemporel et
universel. *
* * Hasard ou nécessité
de l'histoire, boucle en tous cas bouclée, l'esprit géométrique du siècle des
lumières, se retrouvait dans celui des cathédrales. Et c'est en
s'inspirant effectivement des anciens devoirs des corporations de Maçons que le
Duc de Montaigu demandera dès 1721 au Pasteur Anderson de rédiger les fameuses
constitutions qui seront publiées en 1723 et sont regardées aujourd'hui encore
comme le texte fondateur de l'Ordre. *
Pour nous résumer,
on peut dire que l'édifice de la Franc- Maçonnerie des Lumières repose sur
trois colonnes :* * — la connaissance — la tradition — et la tolérance. La connaissance
devient cet immense territoire désormais ouvert à l'entendement humain. C'est
la possible découverte des lois qui régissent l'Univers, et plus encore la
découverte que, bien que réputées impénétrables, les voies du Seigneur peuvent
se laisser pénétrer. Ce n'est pas pour
autant l'ordre divin qui est contesté, mais l'ordre de l'Eglise qui
privilégiant son pouvoir temporel par rapport au pouvoir spirituel, se défend
avec la notion d'hérésie, et déclare hérétiques tous ceux pour qui l'ordre du
monde n'est pas celui qui s'exprime dans des textes soigneusement sélectionnés
et qu'on doit accepter dans leur lettre même, sans en chercher l'esprit. La connaissance par
le pouvoir de la raison et de l'expérience ne fait que s'opposer au pouvoir des
clercs, et par là-même renverse un système, déboulonne une hégémonie sur les
esprits, et inaugure l'apprentissage de la Liberté. On sait bien sûr à
quels excès nous mènera cette raison triomphante. On sait qu'elle sera déifiée
par la Révolution. On sait que le positivisme du XIXe siècle en fera
l'instrument exclusif de la pensée reléguant au magasin des accessoires
l'intuition, l'imaginaire et le spirituel. Il n'importe. Avec
elle s'ouvre néanmoins une autre vision du monde, une autre vision de l'homme
qui devient partie prenante de l'Univers. La connaissance se
libère du dogme, de l'ordre théologique, c'est-à-dire d'un ordre imposé par les
théologiens. Du deuxième élément
de notre trépied, la tradition, nous n'ajouterons que quelques mots, l'ayant
déjà longuement évoquée au cours de ce propos. Trop souvent
considérée comme une conception passéiste de l'histoire, trop souvent confondue
avec des légendes sur les savoirs perdus et les continents engloutis qui font
la fortune des libraires spécialisés, la Tradition est avant tout recherche et
Liberté. Une recherche qui
ne s'inscrit pas en contrepoint de la science, car la tradition n'est pas description
prescientifique du monde, mais une recherche qui, parallèle à celle de la
raison, donne à l'homme sa dimension métaphysique. En se donnant des
origines mythiques qui remontaient à la création du monde, c'était moins pour
les Francs-Maçons anciens se construire un nouveau Panthéon que remonter à
l'origine de la lumière à laquelle tout homme aspire. C'était moins se
donner de prestigieux ancêtres que se sentir liés à des hommes qui en leur
lieu et en leur temps ont changé quelque chose à l'histoire des hommes. A ces
hommes qui ont manifesté une pensée libre par rapport à l'ordre établi des
idées de leur temps, c'est-à-dire une pensée subversive. A Abraham dont la
légende symbolise l'interdiction des sacrifices humains et sacralise la vie. A
Moïse le destructeur des idoles. A Jésus qui prêche l'amour parmi les hommes.
Mais aussi : à des Jakob Boehme, des Giordano Bruno, et bien d'autres encore
qui ont bravé les dogmes et les interdits pour chercher la vérité, cette vérité
qui, comme on l'a dit, est toujours révolutionnaire. Reste l'idée de
tolérance, troisième colonne de notre édifice. Problème à la fois
religieux et politique, on l'a vu, dans l'Angleterre du XVllle siècle. Plus qu'un long
développement, qu'il me suffise de citer les constitutions d'Anderson. On a dit déjà que
c'est au Pasteur James Anderson qu'échut ce difficile travail de rédaction.
Mais il n'est pas indifférent de savoir en outre qu'il était presbytérien, que
de ce fait il n'ignorait rien des persécutions de l'Eglise anglicane, et que la
tolérance avait donc trouvé chez lui une résonance particulière. « Un maçon est tenu par son état d'obéir à la loi morale ; et s'il entend bien l'Art, il ne sera jamais un athée stupide ni un libertin irréligieux. Mais tandis que
dans les anciens temps, les maçons étaient obligés en chaque pays d'être de la
religion quelle qu'elle fût de ce pays ou de cette nation, on juge aujourd'hui
plus à propos de ne les astreindre qu'à cette religion sur laquelle s'accordent
tous les hommes, en laissant à chacun ses opinions particulières ; savoir à
être hommes de bien et loyaux, hommes d'honneur et droits, quelles que soient
les dénominations ou confessions qui puissent les distinguer ; par quoi la Maçonnerie
devient le centre de l'union, le moyen d'établir une amitié vraie entre
personnes qui sans elles demeureraient à jamais étrangères. » Ce texte se passe
de commentaires. Il exprime avec une remarquable clarté l'esprit de tolérance,
la parfaite liberté de pensée, et la `Fraternité qui unit ces hommes d'honneur,
lesquels en raison de leurs différences ne se seraient autrement jamais
rencontrés. Toutes les gloses,
interprétations et discussions byzantines à propos de ce texte ne peuvent qu'en
troubler la parfaite limpidité. Et nous, Francs-Maçons de la Grande Loge de
France le prenons encore aujourd'hui dans son intégralité. *
* * Connaissance -
Tradition - Tolérance, tels sont donc les trois piliers sur lesquels repose
l'édifice maçonnique. Trois côtés de ce triangle que nous appelons delta et qui
décore nos Temples au- dessus de la chair du Vénérable. Trois notions
fondamentales irréductibles l'une à l'autre et naturellement complémentaires. Car la Connaissance
est progrès, ouverture sur une nouvelle appréhension du réel et perpétuelle
remise en question de vérités jusque-là tenues pour acquises. Car la Tradition
est avant tout tradition de connaissance, quête d'un principe de toutes choses
qui relie l'expérience humaine dans le temps et dans l'espace. Car la Tolérance
enfin est aussi connaissance pour pouvoir être reconnaissance des autres. Et ces valeurs
n'assurent la pérennité de la vocation maçonnique que parce qu'elles sont par
définition évolutives dans un monde qui, par nature évolue du chaos à l'ordre
et de l'ordre au chaos, se fait et se défait en même temps, à la fois humaniste
et barbare, grandiose et décadent. Et ces valeurs
parce qu'elles ne sont pas porteuses de vérités définitives, mais porteuses
seulement des impérieuses nécessités de la condition humaine, ont pu survivre
et survivront encore pendant que beaucoup d'autres se seront démonétisées. Au fond la grande
marque de la Franc-Maçonnerie, c'est d'opposer un idéal universel,
c'est-à-dire un idéal qui concerne tous les hommes, aux idéologies dont
l'histoire nous raconte à la fois les faillites et les bains de sang. A l'encontre des
idéologies, la Franc-Maçonnerie n'a pas dans son escarcelle de promesse de
salut. Elle dit bien au contraire que la liberté est conquête et qu'il n'y a
pas de vraie liberté sans liberté intérieure. Personne ne peut
s'investir d'un pouvoir sur les âmes, ni invoquer une vérité suprême pour les
convertir par le fer et par le feu. La Franc-Maçonnerie
est d'abord un combat contre ces mythes qui aliènent et asservissent l'homme. Mythe, la nuit et
la misère ici-bas acceptées avec résignation comme nécessaire passeport pour un
vert Paradis. Mythe aussi cette
autre religion plus récente dont la Trinité s'appelle Marx, Engels et Lénine,
dont le juste, rédempteur de l'humanité, s'appelle le prolétariat, dont le
dogme est la lutte des classes et dont le Paradis après l'apocalypse du grand
soir, s'appelle la société sans classes. Religion aussi monolithique où
fleurissent les hérésies, où se multiplient les ecommunications, où les bûchers
sont remplacés seulement par une balle dans la nuque. Mythes enfin ces
autres totalitarisme qui, sanctifiant le surhomme, l'investissent du pouvoir de
brûler les autres qualifiés de sous-hommes. Contre ces mythes
masqués derrière l'apparence de la vérité, mais qu'heureusement l'histoire
finit par démasquer, la Franc- Maçonnerie n'a d'autre vérité à proclamer que
c'est à l'homme lui- même de décider de son salut dans une totale liberté de
conscience et que rien ni personne ne peut se charger pour lui d'accomplir
son destin. *
* * Accomplir son
destin, nous voilà donc ramenés à l'éternelle question que se pose sans doute
l'homme depuis toujours, mais qui prend une particulière acuité en ces temps
qu'on qualifie de temps de crise. Crise ou évolution,
ou évolution parla crise, nul ne saurait le dire. L'important est de
constater que notre siècle aura connu un essor scientifique et technologique
prodigieux qui modifie et modifiera sans doute plus encore l'équilibre de nos
sociétés. Nous ne voyons pas
le futur et pourtant il est déjà là. Les nouvelles
découvertes, et je pense singulièrement à la biogénétique, consacrent la
faillite de notre morale, qui bien sûr n'avait pu prévoir ces situations
particulières. On nous parle du
déclin de la spiritualité dans notre Occident judéo-chrétien, et pendant que
d'un côté on proclame que Dieu est mort, on voit de l'autre la remontée des
intégrismes religieux les plus dogmatiques et des fanatismes les plus
sanglants. On s'interroge sur
la vertu d'un progrès dont on sait maintenant après les grandes illusions du
XIXe siècle, qu'il n'est pas cette radieuse marche en avant vers des lendemains
qui chantent. Le salut n'est pas
dans « le dépassement technique de la technique ». Le salut n'est pas
non plus dans une résignation apeurée devant ce qu'on appelle la grande
mutation de cette fin de siècle. Il n'y a pas pour
l'homme de vrai choix entre la crainte et l'idolâtrie face à un univers de
machines. L'univers des
machines ne changera ni l'homme ni la société, sauf à les asservir. Nous sommes, une
fois encore, face à un mythe, malgré nos désenchantements passés.
Désenchantement d'une Eglise qui se perd en voulant assurer un pouvoir
temporel, désenchantement du progressisme bourgeois issu du siècle des
lumières, désenchantement enfin de l'Eden marxiste. L'homme se dissout,
l'homme se perd une fois encore depuis qu'il ne sait plus fixer les bornes de
la nature humaine. Perdu dans un
positivisme désespéré, l'homme ne sait plus, selon le mot de Gilbert Durand,
fixer « les limites naturelles mais aussi culturelles qui constituent le bien
et le mal de l'espèce, et ne peuvent être transgressées sans aliénation ». Et c'est bien vers
la découverte de ces limites que nous allons, nous Francs-Maçons, sur le chemin
de l'initiation. L'initiation !
Voilà enfin lâché au terme de mon propos, le maître mot et le dernier. Trop souvent
déformée par l'ombre de fumeux ésotérismes, cachée sous les antiques mystères,
dégageant parfois une odeur de soufre, il me faut maintenant la démasquer, et
lui donner son sens. Très simplement,
l'initiation est le chemin par lequel on va à la recherche de soi-même pour
mieux rencontrer les autres. L'initiation, c'est
le retour sur soi, en soi, la volonté de résister à cette perpétuelle fuite en
avant à laquelle tant d'hommes ne résistent pas. C'est le
dépouillement ; le regard sans complaisance sur les comportements instinctifs,
les comportements passionnels, les peurs irraisonnées, l'agressivité
incontrôlable qui débordent et finissent par se substituer à notre vraie
nature. L'initiation, c'est
la volonté délibérée de tuer en soi cette seconde nature, pour que l'autre
puisse s'épanouir. Elle est ainsi
symboliquement cette mort qui permet une nouvelle naissance, l'émergence d'un
être nouveau et pourtant le même, d'un être libéré, qui prend peu à peu
conscience de ce qu'il veut et de ce qu'il peut. Et quand nous
parlions de limites, c'est en effet comme le dit Jean Brun, « en s'éprouvant
lui-même contre le mur contre lequel il bute, que l'homme découvre ce à quoi il
n'a pas accès, mais dont lui vient ce qui le pose et qui l'arrête ». C'est en
connaissant ses limites qu'il peut tenter de se dépasser ; c'est en essayant
de se dépasser que change le regard qu'il porte sur les êtres et les choses, et
que s'atténuent les contradictions. En un mot
l'initiation est changement, transformation totale de l'être. Et n'est-ce pas
précisément de ce changement dont nous avons besoin aujourd'hui, de ce retour
la vraie et profonde nature humaine pour affronter les réalités avec lesquelles
nous sommes confrontés. Ne nous
faut-il pas un autre regard face aux puissants outils que notre génie a forgés,
pour décider qui d'eux ou de nous sera le Maître. Ne nous faut-il pas
parvenir à la maîtrise de notre environnement, pris au sens le plus large du
terme, et pourrions-nous y parvenir sans avoir préalablement assuré la
maîtrise de soi ? « Toute liberté,
dit le philosophe allemand Karl Jaspers, réside dans l'homme en tant
qu'individu. Ce qui doit se faire par la liberté, on ne peut s'en décharger sur
les événements ou les institutions. » … « la foi en l'homme est fondée sur la
raison par laquelle celui-ci, dans une tension immense issue du flux intime de
son être peut se porter au sommet de lui-même et librement agir. » C'est vers ce
sommet que s'achemine la voie initiatique, avec quelle lenteur, quels détours,
quels retours, spirale folle aux remontées difficiles, où l'on aperçoit
parfois quelques clartés. C'est un chemin
aride et solitaire ; mais de ce revirement de soi-même, jaillit l'authentique
communication avec l'autre, car comme le dit Nietzsche : « la vérité commence à
deux ». Là réside le secret
de la Loge, à la fois solitude et communication, apprentissage de l'autre,
tolérance de l'autre. Dans ce monde de
tensions, de conflits, de violence, dont nous paraissons incapables d'arrêter
le cours, des hommes peuvent se rencontrer, s'unir dans la raison, dans
l'amour et dans la vérité, pour démontrer que par-delà les excès, les folies,
et les fanatismes, le vrai projet de la nature humaine, c'est de survivre. Alors demain la
Franc-Maçonnerie ? Oui, sûrement
encore demain, et après-demain sans doute, pourvu qu'il y ait des hommes
capables de faire revivre leur temple intérieur pour mieux illuminer le Temple
de l'humanité ! Gilbert Schulsinger* Conférence prononcée dans le cadre du Cercle Condorcet Brossolette, par Gilbert Schulsinger,.le 19 avril 1986.(1) Florence de Lussy |
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