GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 4T/1986 |
Socrate et Calliclès La semaine dernière
s'est tenu le Convent de la Grande Loge de France qui est l'assemblée annuelle
des Députés des 400 Loges de la Grande Loge. Le Grand Maître Jean Verdun a été
reconduit dans sa fonction. — Monsieur le Grand Maître, vous avez
pourtant pris des positions publiques jugées par certains contraires à l'esprit
de la fraternité maçonnique ? — Le Grand Maître : Notre Convent, lui,
n'en a pas jugé ainsi. — Le quotidien qui a, en France, le plus
fort tirage, a cependant titré l'un de ses articles « Du rififi chez les
Francs-Maçons », et vous avez refusé de vous rendre à la cérémonie de clôture
du Convent du Grand Orient de France. -- Le Grand Maître
: J'ai effectivement refusé de me rendre à cette cérémonie et je l'ai fait
savoir. — Le Grand Maître du Grand Orient de
France s'est rendu à votre Convent, et vous l'avez d'ailleurs reçu très
aimablement. — Le Grand Maître: Permettez-moi d'ajouter
qu'il s'est exprimé tout aussi aimablement. — Vous voilà donc réconciliés ? — Le
Grand Maître : Nous n'avons jamais
été brouillés et je n'ai jamais reproché
à une Obédience maçonnique d'être ce
qu'elle est. J'ai seulement voulu marquer la différence entre
nous sur un point
essentiel : le Grand Orient fait des déclarations politiques, ce
qui est son
droit, et nous, Grande Loge de France, n'en faisons pas, ce qui est
conforme à
la grande Tradition maçonnique. — Est-ce parce que vous représentez
l'opinion politique opposée ? — Le Grand Maître : Absolument pas. Nous
ne faisons pas de déclarations politiques pour la raison très simple que nous
n'en n'avons pas le droit. Je vais vous lire, à ce propos, l'article IV de
notre Déclaration de Principes : La Grande Loge de
France, ni ses Loges, ne s'immiscent dans aucune controverse touchant à des
questions politiques ou confessionnelles. Pour l'instruction des Frères, des
exposés sur ces questions, suivis d'échanges de vues, sont autorisés.
Toutefois, les débats sur ces sujets ne doivent jamais donner lieu à un vote,
ni à l'adoption de résolutions, lesquels seraient susceptibles de contraindre
les opinions ou les sentiments de certains Frères. — N'est-ce pas un peu facile ? — Le Grand Maître : Qu'est-ce qui serait
un peu facile ? — De vous désintéresser ainsi de la
politique alors qu'il y a deux millions et demi de chômeurs, alors que la
France est victime d'agressions terroristes, alors que de grands débats
nationaux intéressent les Français. — Le Grand Maître : Permettez-moi de vous
répondre ce que Socrate répondait à Calliclès dans le « Gorgias » de Platon. — Je vous arrête : les chômeurs n'ont rien
à faire du « Gorgias » et de Platon. Si vous faites de la politique platonique
comme on parle d'amour platonique, vous trahissez l'idéal maçonnique. — Le Grand Maître :
Ne soyez pas si agressif... Imitez vos Grands Maîtres qui ne le sont point,
même s'ils ont de la Franc-Maçonnerie une vision très différente, et
laissez-moi vous dire deux mots de Socrate et de Calliclès, je ne trouve pas
que Platon soit déplacé dans une émission de France-Culture. Socrate, tout le
monde le connaît ou croit le connaître, car Platon, dans ses Dialogues, lui a
permis de magnifiquement s'exprimer. Calliclès n'a pas, aujourd'hui, ia
célébrité de Socrate mais le personnage qu'il représente était très connu, très
remarqué et sans doute très admiré sur l'Agora d'Athènes. C'était un orateur
public, un homme politique, un homme qui discourait sur toute chose, qui
donnait son point de vue, avec une très habile rhétorique, sur tous les sujets
politiques concernant la Cité d'Athènes. Or, un jour, il se moque de Socrate,
un peu comme vous venez d'essayer de vous moquer de moi en parlant de politique
platonique. Il dit, en effet, à Socrate : « Tu arrives après la bataille,
Socrate », ce qui signifie : tu ne te préoccupes pas assez de ce qui
préoccupe les citoyens d'Athènes. Que lui répond
Socrate ? Il faut lire, pour le savoir, le « Gorgias » de Platon. Mais je puis
vous résumer très brièvement les propos et je les fais miens au nom de la
Grande Loge de France « En refusant de
nous engager dans la joute oratoire politique au jour le jour, nous sommes
quelques Athéniens à pratiquer le véritable art politique. Le plus important,
dit Socrate, est de rendre les hommes meilleurs or cela, ni Thémistocle, ni
Périclès, qui furent des hommes politiques de premier plan, n'y sont parvenus ». Il invite Calliclès
à pratiquer l'exercice de la vertu, et il ajoute, laissez-moi citer Platon, il
ajoute : « Quand nous aurons pratiqué en commun cet exercice, nous jugerons
si nous devons nous adonner aux choses de la politique, mais il est honteux
que des gens, dans l'état où nous sommes à cette heure, se mettent à discourir
en petits fats comme si nous étions quelque chose qui compte, nous qui, sur les
mêmes sujets, ne restons jamais du même avis. Et cela à propos
de tout ce qu'il y a de plus considérable tant est profond le manque
d'éducation où nous sommes parvenus. Usons donc, comme d'un guide, de cette
conception dont la lumière éclaire à présent notre marche et qui nous donne à
entendre que cette règle de vie est la meilleure, qui consiste à vivre et
mourir en pratiquant l'exercice de la justice et des autres vertus. Cette règle
de la vie, suivons-la, et invitons à la suivre les autres hommes au lieu de
celle en laquelle tu mets ta confiance et à laquelle tu m'invites car, celle-là,
elle ne vaut rien, Calliclès
». Voilà ce que disait
Socrate et ce que, bien modestement, je répète après lui. Que les hommes
politiques, soumis aux suffrages des citoyens, exposent leurs idées et leurs
programmes sur les affaires de la Cité. Quant à nous, Francs-Maçons de la
Grande Loge de France, pratiquons en commun cet exercice de la vertu dont
parlait Socrate. Tel est le sens de la déclaration que j'ai eu l'honneur de
faire à l'issue de notre Convent ; elle constitue, en ce début d'année maçonnique,
le message que j'adresse à tous les Francs-Maçons de la Grande Loge de France : Nous sommes
l'expression moderne d'une très ancienne tradition spirituelle. Nous répondons
à l'attente de nombreux hommes d'aujourd'hui qui recherchent par milliers une
méthode traditionnelle de connaissance du destin de l'Homme et de sa place
dans l'Univers. Les organisations
politiques sont surabondantes et les discours politiques envahissent tout.
Chaque membre de la Grande Loge de France est parfaitement libre de s'engager,
à titre individuel et comme il l'entend, dans l'action sociale, politique ou
syndicale, mais les Loges, et la Grande Loge qui les fédère, doivent se tenir
à l'écart des disputes de la compétition politique. C'est en prenant la
distance nécessaire que nous réunissons les conditions de sérénité, de
générosité, de fraternité et de tolérance qui permettent la démarche
initiatique. Il s'agit de
rechercher paisiblement dans les Loges, en dépit des oppositions nécessaires et
fécondes, ce qui est le plus juste pour le Citoyen, le plus grand pour l'Homme
et le plus conforme dans nos aspirations au plan du Grand Architecte de
l'Univers, plan qui reste et restera toujours à découvrir car nulle autorité
humaine ne peut prétendre en détenir le secret, la recette ou la connaissance
exclusive. |
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