GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 1T/1987 |
Le vent de l'esprit Dans tous les
temples de la Grande Loge de France, dans toutes les Loges de Saint-Jean qui
travaillent de par le monde au Rite écossais ancien et accepté, le serment du
nouvel initié est prêté en présence des Trois Grandes Lumières de la
Franc-Maçonnerie : le compas, l'équerre et la Bible ouverte au prologue de
l'Evangile de Jean. Ces Trois Grandes
Lumières en vérité n'en font qu'une. En effet, que proclame l'Evangile de Jean
? L'existence du Verbe, du Logos et sa parfaite prééminence dans notre univers.
Or le Logos est précisément symboliquement contenu dans le compas et l'équerre.
Le compas n'est-il pas le lambda grec tout comme l'équerre n'est-elle pas le
gamma ? Leur union en Franc-Maçonnerie est la traduction exacte par ces deux
consonnes assemblées du Verbe créateur. Lorsque les Francs-maçons de Rite
écossais se réunissent dans un temple l'ouverture de leurs travaux est ainsi
placée sous le signe du Logos. Sur la Bible ouverte au prologue de Jean,
l'équerre et le compas se disposent unis et entrelacés ce qui signifie que le
Verbe dont Saint-Jean nous parle de virtuel devient réel, de passif devient
actif. Et le Delta lumineux, symbole de la mystérieuse Tri-unité, peut alors
s'allumer pour illuminer l'Orient. Mais pourquoi Jean,
pourquoi l'Evangile de Jean a-t-il été choisi de préférence aux autres ? Il
nous semble qu'il le fut pour deux raisons essentielles. La première parce que,
plus que les autres rompant avec l'Ancienne Loi judaïque d'un Dieu vengeur, il
proclamait une nouvelle Loi, celle de l'universalité de l'amour. Une loi qui
n'existait jusqu'ici que dans les cénacles d'initiés mais qui subitement était
affichée à la face du monde, comme un défi merveilleux et superbe. Et les
Francs-maçons, en initiés qui affirment l'égalité profonde de tous les hommes
dans leur essence, même si l'inégalité est la marque de leur existence sur
cette terre — ne pouvaient que choisir celui qui disait que si un homme
prétendait aimer Dieu alors qu'il n'aimait pas son Frère, il était un menteur. La seconde raison
est que l'Evangile de Jean est celui de l'universalisme, celui de l'unité
transcendante des religions. Il proclame l'unité (l'advaita hindoue) de tout ce
qui vit : « Je vis en eux et tu es en moi ». Il nous explique, dans le droit
fil des enseignements secrets des Egyptiens et d'Hermès le Trismégiste, que le
Verbe est la Lumière et la Vie, comme Hermès disait que le Père des choses est
le créateur de la Vie et de la Lumière. Or les
Francs-maçons sont les fils de la Lumière et par la nouvelle naissance qu'est
l'initiation ils reçoivent la Vie. Lorsque Jean prête
à Jésus ces paroles : « Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et
des brigands » ou encore : « Le père dont vous êtes issus c'est le diable... Il
est menteur et père du mensonge » il affirme le rejet d'une ancienne Loi qui
n'était pas la Loi d'amour, « La loi a été donnée par Moïse, dit-il encore,
mais la Grâce et la Vérité sont venues par Jésus- Christ ». Ainsi se situe-t-il
dans le courant hellénistique proche de Philon (certains n'ont-ils pas été même
jusqu'à attribuer l'Evangile de Jean à Philon ?...) et par là dans la filiation
de la tradition égyptienne. Christ en égyptien
signifie « possesseur du secret ». Or le secret c'est précisément ce qui est
réservé aux initiés, à ceux qui ont connu la seconde naissance, la renaissance.
Hermès déjà avait dit : « Nul ne peut connaître la sagesse de Dieu s'il ne
renaît de nouveau ». Or que met Jean dans la bouche de Jésus ? Que « ce qui est
né de la chair est chair et ce qui est né de l'esprit est esprit. Ne vous
étonnez pas si je vous ai dit qu'il faut que vous naissiez de nouveau »... Or
cette nouvelle naissance, n'en déplaise à d'aucuns, est très certainement
celle-là même qui est décrite par l'Evangéliste dans la scène de la «
résurrection de Lazare ». Car la mort et la résurrection de Lazare c'est en
vérité la mort et la résurrection de l'initié. « Cette maladie n'est pas
mortelle, dit Jean à propos de la maladie de Lazare mais elle est pour la
gloire de Dieu ». Et Jésus dit explicitement : Lazare notre ami est endormi
mais je vais le réveiller » ... A quoi Thomas ajoute ces mots plus que
révélateurs : « Allons aussi afin de mourir avec lui »... La nouvelle
naissance que constitue l'initiation dans toutes les traditions depuis l'aube
des temps sera plus tard confirmée et concrétisée par la Cène, le repas entre
initiés institué par Jésus, repas de communion où le pain symbolise l'Amour
fraternel entre les hommes et le vin, le breuvage de la Connaissance divine... Par cette nouvelle
naissance, par la Loi d'amour universelle, le prologue de l'Evangile de Jean se
situe en rupture radicale avec tout pharisaïme, toute proclamation d'un dogme,
exclusif et dominateur. Rappelons-nous l'émouvant épisode de la Samaritaine où
Jésus annonce à la porteuse d'eau que va venir le jour où l'on adorera le Père
en esprit, que tous les cultes seront dépassés et que tous les temples seront
inutiles puisque tout se passera en esprit. Cette annonce de la
suprématie de l'Esprit est reprise plus tard par Jésus qui confirme à ses
disciples qu'il a encore plusieurs choses à leur dire « qui sont au-dessus de
leur portée » mais qu'il leur enverra « l'Esprit de vérité ». Sans doute les
flammes de la Pentecôte qui donnèrent miraculeusement aux disciples la compréhension
des langues — un merveilleux exemple, symbolique là encore, de l'universalisme
! — mais peut-être plus encore. Un Esprit de vérité qui n'a pas fini de se
révéler aux hommes et dont le message universel est peu à peu déchiffré par
eux, au fil des âges. Car rien n'est figé, tout est à parfaire. Ce que disait
encore Hermès : « Tu vois, ô mon fils, combien de corps il nous faut traverser,
combien de choeurs de démons et de révolutions d'étoiles pour arriver jusqu'au
Dieu seul et un... ». Car le Logos est le
dieu solaire, le dieu de notre univers. Sans doute sait-on aujourd'hui qu'il y
a d'autres univers et d'autres soleils et peut-être d'autres dieux que le Logos
avant de parvenir au Dieu suprême, celui qu'on ne peut adorer qu'en esprit.
Mais le progrès immense que nous apporte l'Evangile de Jean c'est de dépasser
tous les dogmes et toutes les révélations pour proclamer une tradition unique
et universelle, celle du Verbe, de la Lumière et de la Vie. Notre Frère Joseph
de Maistre dénonçait déjà « la
pensée mesquine » de certains théologiens qui se
refusaient à l'hypothèse de la pluralité des
mondes de peur qu'elle n'ébranle
le dogme de la rédemption : « Un système
planétaire, demande-t-il, peut-il être
autre chose qu'un système d'intelligence et chaque
planète en particulier peut-elle
être autre chose que le séjour d'une de ces familles ?
» J. de Maistre se
situait ainsi dans le droit fil de la pensée johannique ... et
ne faisait que
précéder dans cette voie d'avant-garde un Teilhard de
Chardin. Mais pour avoir
dit des choses similaires, hélas, Giordano Bruno et Michel
Servet furent
condamnés au supplice du bûcher ! Notre Frère Joseph
de Maistre qui fut, rappelons-le, un excellent catholique, jamais suspecté
d'hérésie, va plus loin dans sa vision prophétique. Signalant que plusieurs
théologiens ont cru que des faits de
premier ordre étaient annoncés par la révélation de Saint-Jean, il évoque la
science du futur qui changera de face : « Alors l'esprit longtemps détrôné et
oublié reprendra sa place. Il sera démontré que les traditions antiques sont
toutes vraies... Tout annonce je ne sais quelle grande unité vers laquelle nous
marchons à grands pas. Vous ne pouvez donc pas, sans vous mettre en contradiction
avec vous-même, condamner ceux qui saluent de loin cette unité et qui essaient,
selon leur force, de pénétrer des mystères redoutables sans doute, mais tout à
la fois si consolants pour vous » . Ces mystères qui
touchent à l'essence de l'homme et de la Création, à nos origines, à notre
identité profonde et à notre véritable destin, ce sont ceux que l'initiation
dans une Loge de Saint-Jean juste et parfaite, vivant selon la Règle,
travaillant à la gloire du Grand Architecte de l'Univers, permet aux hommes de
désir d'entrevoir et de percer. Avec l'aide de
Jean, l'apôtre du 4ème Evangile et de l'Apocalypse — rappelons à cet égard
qu'apocalypse signifie « révélation » et n'a rien d'« apocalyptique » dans le
sens profane et récent du terme — nous pouvons, nous, maçons du Rite écossais
ancien et accepté, si nous comprenons bien l'art royal et les symboles qui le
recouvrent, accomplir sur terre notre perfectionnement et notre ascèse
initiatique. Nous pouvons faire
nôtre aussi la double quête de la Connaissance de l'Amour inscrite dans les
parole de Jean, quête propre à l'Occident et dont des initiés tels René Guénon
et Frithjof Schuon furent en notre temps les témoins les plus éclairés et les
plus savants. Peut-être alors,
dans cet ardent désir de travailler à la reconquête de l'unicité de la
Tradition et de l'universalisme d'une Franc-maçonnerie essentiellement
spirituelle et initiatique, finirons- nous par retrouver cette Eglise de Jean,
église invisible, ésotérique, permanente et secrète, à laquelle Joseph de
Maistre faisait sans doute allusion lorsqu'il annonçait en véritable visionnaire
: Il ne s'agira pas d'une modernisation de l'Eglise mais d'une forme nouvelle
de la religion éternelle qui sera christianisme actuel ce que celui-ci est au
judaïsme »... Religion éternelle
et universelle, pure religion de l'esprit... Car comme l'a dit Jean — et pour
cette seule parole tous les Francs- maçons, fils de la Liberté, adeptes de la
pensée libre, auraient déjà pu le réclamer comme Saint patron : « Le vent
souffle où il veut et tu en entends le bruit : mais tu ne sais ni d'où il
vient, ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né de l'esprit »... |
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