GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 1T/1988 |
La Journée des Droits de l'HommePlus de deux mille
personnes ont participé à la Sorbonne le 10 Décembre 1987, aux Rencontres avec
la Grande Loge de France, rencontres organisées à l'occasion de la Journée
Mondiale des Droits de l'Homme. Plus de deux mille
personnes, me direz-vous ! Que faites-vous du secret maçonnique, des intentions
maintes fois répétées de vous tenir en dehors des débats politiques, dans la
discrétion du travail en Loge, loin aussi des Conclusions définitives, des conclusions
dogmatiques ? Ces Rencontres,
loin de violer la règle que nous nous sommes imposée, de tradition, renforce le
souci des Francs-Maçons de la Grande Loge de France de ne pas d'inscrire dans
le débat politique ou religieux journalier, mais pour autant de s'inscrire dans
ce qui importe à l'homme, ce qui le constitue par l'esprit, ce qui est sa voie,
sa tradition, sa raison d'être. Les Rencontres
organisées à l'UNESCO, aujourd'hui à la Sorbonne, sur des thèmes aussi variés,
mais aussi proches de l'homme, des préoccupations de l'individu : que l'art,
espace de l'homme, temps et évolution, solidarité entre les hommes et les
peuples, constituent l'image du travail du Franc-Maçon, de sa réflexion en
Loge, loin du bruit, avec la discrétion propre à la réflexion dépassionnée. Ces Rencontres
expriment notre souci permanent d'être dans la réalité de la vie, dans le
monde, au fait des préoccupations de notre temps. La Déclaration des Droits de
l'Homme et du Citoyen de 1789, le Bill of Right de la Constitution Américaine
de 1791, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948, sont autant
de monuments à la gloire de l'homme, autant de monuments exaltant les devoirs
de l'homme, corollaire de ses droits, et qui sont les uns et les autres dans la
symbolique maçonnique la règle du chantier. C'est pourquoi, tout naturellement
est né ce débat d'idées où le monde profane rencontre, hors de la politique,
hors du champ médiatique, la réflexion maçonnique. Nous n'avons
souhaité aucun discours politicien à quelques mois des élections
présidentielles, nous n'avons recherché aucune manifestation médiatique,
télévisuelle ou journalistique, car nous n'avons pas vocation à de tels débats
; nous ne souhaitons ni imposer, ni convaincre, nous affirmons notre
tradition, notre spécificité, mais nous répugnons à prendre les médias pour
arbitres de nos différences ou de nos préférences. Cependant nous ne nous
replions pas frileusement sur nous-mêmes et ne fermons aucune porte de la
communication, mais n'avons aucune vocation à occuper la scène médiatique. Nos Loges se
veulent le centre de l'union des êtres et des idées où les différences, loin
d'opposer les individus, les enrichissent nous estimons que le doute
constructif lui-même nous enrichit car la vérité d'aujourd'hui, pensons-nous,
peut être l'erreur de demain. Le 10 Décembre
n'était qu'un débat comme il en est beaucoup dans nos Loges chaque jour : un ou
des conférenciers, un ou des intervenants, une synthèse des travaux, un débat
devant lequel nous nous efforçons de susciter une ouverture vers la réflexion,
aucune directive, aucun mot d'ordre, aucun dogme : nous n'acceptons ni directeur,
ni maître à penser, mais recherchons la voie du progrès de la condition
humaine, dans le culte de la tradition que nous ont transmise nos devanciers,
dans l'espoir bien ancré pour l'avenir. Un Franc-Maçon est
libre dans une Loge libre, nul n'a pour vocation de s'exprimer pour lui, seul
existe l'individu et sa pensée, le Maçon est riche de sa personnalité, de son
libre arbitre, afin que grandi il inscrive son action d'homme, de citoyen, dans
le monde extérieur et ne demeure pas replié sur lui-même. Nos structures
élues et collégiales administrent et font respecter les lois et les traditions,
comme il sied à tout ensemble organisé, mais sans aucun pouvoir de propriété ou
de censure. La Maçonnerie, au contraire des écoles philosophiques, est une
école sans chef, nul ne dépend de quiconque, chacun s'épanouit dans des voies
identiques ou différentes, à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers, principe
créateur, ou Dieu de chacun, ou Dieu de tous. Le 10 Décembre 1948
... l'Assemblée Générale des Nations Unies proclamait une déclaration
universelle s'appliquant à tous les peuples du monde, quelle que puisse être
la disparité des États composant ce monde ; États si divers par leur histoire,
leur culture, leurs ressources, leur prospérité, leur génie. Déclaration
qu'avait largement inspiré René Cassin, Prix Nobel de la Paix, dont la gloire
réside dans son universalisme par lequel il domine toute allégeance partisane,
comme il a voulu effacer toutes frontières entre les hommes, reconnaissant à
chacun d'entre eux les mêmes droits, inséparables de la dignité humaine. René Cassin en a
appelé à la raison des hommes, il savait que ces droits ne sont jamais nulle
part un acquit irréversible, mais qu'ils sont un combat quotidien. La trop
facile référence aux Droits de l'Homme est souvent déniée par les actes. Pour les uns, la
nature humaine est immuable et permanente, indépendamment de son origine, de sa
condition sociale ou de son milieu ; pour les autres, l'homme porte en lui un
certain nombre de droits tellement inhérents à la personne qu'ils ne sauraient
être méconnus sans que, du même coup, son essence soit altérée. Ces droits, qui
ne doivent rien à la législation positive puisqu'ils sont antérieurs,
constituent autant de limites à l'Etat, dont le seul devoir est de ne pas leur
faire obstacle. Mais très vite,
toute interprétation traditionnelle des Droits de l'Homme est apparue
insuffisante, à partir du moment où l'on prit conscience que la jouissance d'un
droit n'était d'aucun profit aux individus qui n'étaient pas en mesure de la
mettre en oeuvre. C'est alors que, progressivement, s'est dégagée une notion
nouvelle des Droits de l'Homme qui vise à la réalisation concrète des facultés
incluses dans les droits classiques ; ces droits qui sont en réalité des
créances sur la société. Ne nous contentons
pas de la bonne conscience confortée par la raison, l'histoire ou la cohérence
d'une doctrine qui, comme l'enfer, est pavée de bonnes intentions : Agissons
!!! Tous les Européens
ont su d'un savoir obscur, mais refoulé, quels étaient les crimes de
l'esclavage. Tout sympathisant des systèmes totalitaires quels qu'ils soient,
quels qu'ils furent, connaissaient les génocides effectués au nom de la race,
de la nation, au nom de l'histoire aussi. Se taire, accepter de faire le
bonheur des hommes en sacrifiant ceux qui en ont une autre image, c'est créer
des solidarités tacites de lâcheté qui sont aussi sordides que les crimes
avérés parce qu'elles en sont la silencieuse approbation. Citoyens, et aussi
philosophes, nous ne visons pas le pouvoir, mais conscients des risques
qu'engendre la force des apprentis-sorciers, nous souhaitons alerter les sages
et participer à la formulation des règles adaptées à un monde différent qui
respectera l'individu. Notre responsabilité d'homme va plus loin et s'étend à
la nécessaire évolution à susciter, dans un domaine qui doit échapper à l'habitude
des textes dits immuables, comme les valeurs sur lesquelles ils reposent. Nous
avons estimé qu'il était de notre devoir de tenter de définir avec d'autres, la
nouvelle génération des Droits de l'Homme, afin de répondre aux défis de la
troisième vague technologique. Et c'est pourquoi les Rencontres de la Grande
Loge de France font appel à des personnalités extérieures au monde maçonnique,
sont'donc intervenues à nos côtés : — Le Professeur Alain Touraine, Directeur d'Études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales — Le Professeur Émile Papiernik, Chef de Service à l'Hôpital Béclère, en présence de
Madame Hélène Ahrweiler, Recteur, Chancelier des Universités, et avec, entre
autres éminentes personnalités, la participation du Président Gaston
Monnerville, du Révérend Père Riquet, du Préfet Maurice Doublet, du Docteur
Louis René Président du Conseil National de l'Ordre des Médecins. Le Bâtonnier Stasi
consacra son exposé à la permanence et à l'évolution des Droits de l'Homme,
soulignant avec Jacques Maritain la dignité absolue de la personne humaine,
puisqu'elle est dans une relation directe dans laquelle seule elle peut trouver
son plein épanouissement. Depuis la
Déclaration d'Indépendance des Insurgés américains à Philadelphie le 11 juillet
1776, jusqu'à la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples que le
Président Senghor a fait élaborer en 1978 ; l'orateur a retracé, avec un
immense talent, les efforts de tous ceux qui ont fait aboutir la Déclaration Universelle
des Droits de l'Homme. Le Professeur Alain
Touraine, envisagea ensuite "le droit du sujet dans les sociétés
techniciennes" ; son discours s'inscrivait en ligne directe après celui
sur l'évolution des Droits de l'Homme ; en effet, la Déclaration de 1789 avait
établi comme imprescriptible l'égalité en droit de tous les hommes. L'édification des
sociétés industrielles au XIX' siècle avait entraîné une juste revendication
des droits des travailleurs. Les luttes poursuivies pendant la première moitié
du XX' siècle et les atteintes portées aux Droits de l'Homme, devaient
conduire à la remise en question de ces Droits de l'Homme, dont une composante
devint nécessairement le droit du sujet face aux contraintes sociales. L'existence d'un
État protecteur, mais également envahissant, impose les limites d'un nouvel
espace de liberté, dans ces limites : le droit du sujet devient un inévitable
contre-pouvoir. Une déclaration
solennelle du Président Houphouet-Boigny a ensuite souligné la grande misère du
Continent Africain quant au problème de l'accouchement et de la péri-natalité,
mais aussi son espoir dans la raison de l'homme. Le Professeur Émile
Papiernik a alors, dans sa conférence, exposé les progrès survenus dans ces
dernières décennies, qui ont transformé les rapports entre l'homme et
l'impératif de perpétuation de l'espèce. Ainsi sont nés de
nouveaux problèmes éthiques, apparues de nouvelles inégalités, mettant
parfaitement en cause les droits et la dignité de la personne humaine. Face aux menaces
issues des progrès de la biologie et de ses techniques, mais se posant
seulement aujourd'hui dans les pays développés, on peut mettre en regard une
autre atteinte à ce droit imprescriptible, largement constaté dans le
tiers-monde, celle concernant le droit des mères à survivre à la naissance de
leur enfant. A cette inégalité
fondamentale, peut-être plus facilement que pour d'autres, des remèdes peuvent
être apportés parce que plus ponctuels et mettant en oeuvre des moyens plus
modestes. * * * Nous ne prétendions
pas, à l'issue de cette journée, donner une réponse définitive à la question
des Droits de l'Homme, non pas seulement parce qu'une synthèse dans ce domaine
est difficile, mais parce qu'elle n'est pas souhaitable. Le Franc-Maçon, en
sa tradition, se remet toujours en question, ne se satisfait jamais de l'acquis
; le champ des Droits de l'Homme est l'un de ceux où la remise en question de
soi-même est de l'ordre impérieux du devoir. Jamais nous n'avons
confondu, et ne confondons pas, l'inaliénable dignité et liberté de l'homme
avec un discours idéologique quel qu'il soit, même s'il les prône. Nous ne
perdons jamais de vue qu'il s'agit d'êtres de chair, comme les médecins le
rappellent, ni que, aussi nécessaire soit-elle, l'idée d'Homme ne peut faire
oublier les hommes en leur diversité et en leur réalité. Cela implique
l'exigence de l'état de droit, •l'évolution du cadre juridique, mais dans le
souci de la chair des hommes et de leur vie quotidienne. En ce début du mois
de Janvier, il me revient l'heureux privilège de vous souhaiter à tous, au nom
de la Grande Loge de France, une heureuse année 1988, une année lumineuse et
riche. Ma première pensée
fraternelle va vers ceux qui souffrent, vers ceux qui sont seuls, ceux qui sont
malades, vers ceux que le chômage atteint, vers ceux blessés dans leur chair
pour avoir osé affirmer leur foi dans l'homme, dans l'humanité. Que la joie soit
dans les cœurs, que la paix règne parmi les hommes, dans un monde que la
Révolution Française nous a laissé à tous en partage, un monde de liberté,
d'égalité et de fraternité. Le Directeur de la
Publication : Michel Barat |
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