GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 1T/1989 |
Vérités et mythes de la Franc-maçonnerie sur la révolution française Il me paraît
important, avant d'aborder le thème même de mon exposé, de rappeler l'origine
même de la Franc-Maçonnerie. Il permettra de comprendre son caractère
évolutif, en rappelant le mot célèbre d'Edgar Faure, qui disait ici-même, au
cours d'une tenue blanche fermée, que «l'évolution, c'est la révolution sans en
avoir l'R ». A l'origine même,
la loge est le lieu où les ouvriers opératifs et constructeurs rassemblent
leurs outils, et où ils discutent après le travail. Ces opératifs se
groupent en différents groupements, que l'on va appeler effectivement les
loges. Ils ont leurs règles, leurs devoirs de solidarité et de fraternité. Ils
ont aussi leur légende et leur rituel. Ils possèdent un système hiérarchique,
et tout apprenti peut s'élever dans l'échelle sociale, c'est-à- dire devenir un
jour Maître. C'est précisément
le jour où cette promotion sociale cessera d'exister que naîtra le
Compagnonnage, révolte des ouvriers opératifs, qui aspirent à la promotion
sociale. Le Compagnonnage,
qu'il convient de différencier de la Franc- Maçonnerie, est l'une des premières
formes du syndicalisme ouvrier, et principalement connu par les poursuites
judiciaires dont il est l'objet à l'époque. H n'a pas seulement pour but de
préserver le secret de l'Art, niais aussi d'écarter les espions de la police. La Franc-Maçonnerie
opérative se développe particulièrement en Angleterre, et essentiellement en
Ecosse, où vont naître des loges permanentes, alors que les ouvriers opératifs
allaient de loge en loge. Pour diverses
raisons, les loges écossaises vont recevoir au début du XVIIe siècle des
non-opératifs, que l'on va qualifier de maçons acceptés. Différentes
explications ont été données à cette nouvelle phase évolutive de la
Franc-Maçonnerie : le goût du secret, la très grande vogue de l'architecture à
cette époque, le désir de rassembler des hommes de diverses tendances
religieuses à l'époque où apparaissent les premiers conflits religieux, et le
goût très prononcé des Anglais pour ce que l'on appelle la convivialité. Qu'on ne se
méprenne pas surtout sur le travail effectué dans ces
loges. On ne fait pas de
politique, ou même de symbolisme, on se réunit
volontiers autour d'un alambic,
pour célébrer la joie de vivre, en buvant copieusement et
en y chantant des
chansons souvent paillardes. Un tableau du célèbre
peintre Maçon Hogarth montre
le retour «d'un Vénérable Maîtrç
» après une tenue plutôt arrosée. Cependant, on y
voit apparaître un nouveau degré maçonnique, dit de Compagnon. Le Maître est
toujours le Maître de la loge. Mais les loges écossaises, et ensuite anglaises,
vont subir une nouvelle évolution, due à l'influence des philosophes, comme
Bayle, et surtout Locke, et également de la Royal Science Academy, et l'un des
premiers grands Maîtres ne sera autre que Jean-Théophile Désaguliers, fils d'un
pasteur de l'Eglise réformée de La Rochelle, né à Aytre, et réfugié en
Angleterre à la suite des persécutions à l'encontre des protestants. Fait
important, Désaguliers est le secrétaire de Newton. Les loges anglaises
sont de plus en plus influencées par les idées de tolérance. Je ne reviendrais
pas sur cette époque, qui a fait l'objet de très remarquables travaux d'Henri
Tort, passé Grand Maître de la Grande Loge de France. Si l'on ne pouvait
réunir les églises comme le souhaitait Leibnitz, dans sa correspondance avec
Bossuet, ne peut-on réunir les hommes de bonne volonté. Comme on le sait,
quatre loges de Londres au nom pittoresque vont se réunir en 1717, pour constituer
la Grande Loge de Londres, et sur les instigations du Duc de Montagu, noble
mais savant, une commission va être désignée, afin que « l'Histoire, les
obligations, les règlements et le droit du Maître fussent imprimées ». Ces
constitutions ont un caractère unique dans l'histoire de l'Angleterre, puisque
l'Angleterre elle-même n'a pas, sur le plan politique, de constitution. La
commission élabora ainsi des constitutions dites « Constitutions d'Anderson »,
du nom du pasteur James Anderson, qui en fut l'un des principaux auteurs. Ces constitutions
furent proposées en 1723 au nouveau Grand Maître de la Grande Loge de Londres,
le Duc de Wharton. L'article ter de
ces constitutions doit être rappelé avec force, car il incarne à lui seul le
caractère révolutionnaire de la Franc-Maçonnerie, du moins pour l'époque. L'article I er
donc, concerne Dieu et la religion, et il est ainsi conçu : un maçon est obligé
par son engagement, d'obéir à la Loi morale, et s'il comprend correctement
l'Art, il ne sera jamais un athée stupide ni un libertin irreligieux, mais
quoique dans les temps anciens, les Maçons fussent obligés, dans chaque pays,
d'être de la religion de ce pays, ou nation, quelle qu'elle fut, aujourd'hui il
a été considéré plus commode de les astreindre seulement à cette religion sur
laquelle tous les hommes sont d'accord, laissant à chacun ses propres
opinions, c'est-à-dire d'être des hommes de bien, et loyaux, ou des hommes
d'honneur et de probité, quelles que soient les dénominations ou croyances
religieuses qui, elles, allaient distinguer, par suite de quoi la Maçonnerie
devient le centre de l'union et le moyen de nouer une amitié fidèle parmi des
personnes qui auraient pu rester à une perpétuelle distance. Ces idées, chères
aux Maçons anglais, devaient rapidement gagner la France. Il convient ici de
rappeler le rôle particulièrement important dans la diffusion des idées
nouvelles, de Charles-Louis de Secondat, né le 18 janvier 1689, au Château de
la Brede. Un mendiant est son parrain, afin qu'il se rappelle toute sa vie que
« Les pauvres sont ses frères ». En 1716, son oncle va lui céder sa charge de
Président à mortier, tous ses biens, et il deviendra célèbre sous le nom de
Montesquieu, dont on peut regretter d'ailleurs que son tricentenaire soit célébré
avec peu d'éclat. Montesquieu donc, est membre de diverses sociétés, et
notamment de la fameuse Société Royale de Londres, dont nous avons vu qu'elle
est composée de nombreux maçons. Il parcourt l'Europe, fréquente les milieux
maçonniques avant d'être initié le 16 mai 1730 à la très aristocratique loge
«Horn » de Westminster. Il assiste à de nombreuses tenues maçonniques en
France, il fera d'ailleurs initier son fils, et notamment reçoit le Grand
Maître Désaguliers qu'il qualifie dans une correspondance récemment découverte
et publiée par la Revue Littéraire, de Belzebuth. Montesquieu va
inspirer notamment la Constitution des Etats Unis, avec son célèbre principe de
la séparation des pouvoirs, qu'il évoque dans « l'Esprit des Lois », le
législatif (aux Etats-Unis le Congrès), l'exécutif (le Président), et le
judiciaire (la Cour Suprême) ; principe d'ailleurs qui est à la base même de
notre organisation maçonnique, puisque le législatif, c'est la Grande Loge,
l'exécutif, c'est le Conseil Fédéral de la Grande Loge de France, et le
judiciaire, le Jury de la Grande Loge. Les idées de
Montesquieu inspireront non seulement les constitutionnels américains, mais
bien entendu les constitutionnels français. En 1726 environ,
naissent en France les premières loges. Si elles ne vont
pas tarder à susciter la méfiance des autorités, et notamment du Cardinal
Fleury, ce n'est tant pas par leur caractère révolutionnaire, que par la
crainte que des émigrés Ecossais réfugiés en France complotent dans ces loges
contre la monarchie Anglaise Orangiste, avec laquelle le Cardinal Fleury s'est
allié. Mais ne nous
méprenons pas. Luquet, dans son ouvrage consacré à le Franc-Maçonnerie et
l'Etat en France au XVIIIe Siècle, et édité par notre regretté Frère Jean
Vitiano, rappelle que les mouches, c'est-à-dire les mouchards de la police, et
dans un gazetin, c'est-à-dire un rapport, du 28 mars 1797, on peut y lire : «Ce que l'on
trouve le plus extraordinaire, c'est qu'on prétend qu'au moyen de cinq Louis
d'or, toutes personnes sont admises dans cette Confraternité, même jusqu'à des
laquais et des artisans, en sorte que ces sortes d'assemblées font présumer au
plus grand nombre qu'il s'y passe quelque chose qui pourrait bien être contre
le bien de l'Etat, et même contre les bonnes mœurs ». Dans d'autres
gazetins, on parlera même de fronde et de cabale contre l’Etat. Cependant, une
nouvelle forme de l'évolution de la Franc-Maçonnerie va apparaître en France
avec l'Ecossisme. L'Ecossisme,
contrairement à son appellation, est né en France. C'est une nouvelle forme de
la Franc-Maçonnerie, qui comporte un grand nombre de degrés, avec une origine
chevaleresque. L'Ecossisme va avoir un succès prodigieux en France, et va se
propager en Europe, et bien plus tard aux Etats-Unis. On a beaucoup
discuté sur l'origine de l'Ecossisme. L'un des
inspirateurs de cette nouvelle forme de maçonnerie devait être le Chevalier de
Ramsay, qui devait vivre aux côtés de Fénelon à Cambrai de 1709 à 1715, puis
ultérieurement auprès de Madame Guyon. Ramsay devait, par son célèbre discours,
donner une origine chevaleresque à la Franc-Maçonnerie, mais il devait aussi
développer les idées de Fénelon sur la justice et la paix. L'importance de
Fénelon dans les idées du XVIIIe siècle paraît sous- estimée à notre époque.11
faut cependant souligner le caractère initiatique de « Télémaque », roman à
clés, et les efforts incessants de Fénelon pour une Europe pacifique, et mettre
ainsi fin aux guerres de Louis XIV qui ont ruiné la France. Face aux partis de
la guerre, Fénelon va créer une Confrérie, le «Parti du Pur Amour », où on y
rencontrera un certain nombre de grands noms de l'aristocratie européenne. On
peut consulter à ce sujet un très beau livre de Claude Frédéric Levy,
«Capitalistes et pouvoir au Siècle des Lumières ». Comme le rappelle
également Roger Priouret dans un récent article des Deux Mondes, « Ramsay
voulait, comme Désaguliers en Angleterre, et Anderson, donner un contenu
doctrinal à la Franc-Maçonnerie française, et définir les quatre buts de
l'Ordre : l'humanité, la morale pure, le secret inviolable et le goût des
beaux-arts ». La Franc-Maçonnerie
va connaître à l'aube de la Révolution française, un énorme succès en France.
Comme pouvait l'écrire Marie-Antoinette à sa mère, l'Impératrice d'Autriche : «Tout
le monde en fait partie». Probablement pas Marie-Antoinette elle-même, mais sa
grande amie, la Princesse de Lamballe. Son beau-frère, le
Comte d'Artois, très probablement le Comte de Provence, Louis XVIII. L'appartenance de
Louis XVI elle, est beaucoup plus douteuse. Mais il ne faut pas se méprendre
sur les activités des francs-maçons. On ne discute
nullement de politique dans les Loges, c'est un lieu de rencontre entre gens
de bonne compagnie, où un frère se sent l'égal de l'autre. La loge maçonnique
est, comme a pu l'écrire Pierre Chevalier, «le Cercle pour le bourgeois du XIXe
siècle, le Rotary ou le Lion's Club pour le cadre du XXe siècle ». On y célèbre
la vertu, on y cultive la bienfaisance, et après les tenues, arrive le moment
fort attendu du banquet. On a également l'occasion d'y entendre de la musique,
grâce aux colonnes harmoniques. Si, ainsi, les
loges maçonniques vivent paisiblement, se gardant d'attaquer la royauté et
l'église, si de nombreux prêtres fréquentent les loges malgré l'excommunication
de 1738, un grade maçonnique introduit vers 1761 en France par le Chevalier
Dubarailhe, originaire de Nancy, qui avait été prisonnier en Allemagne, devait
permettre d'accréditer la thèse des adversaires de la Maçonnerie, au terme de
laquelle les maçons étaient l'ennemi de la royauté et de l'église. C'est le
fameux grade de Chevalier Kadosch. Etienne Gout
Président d'Honneur de la Commission d'Histoire de la Grande Loge de France, a
retrouvé à la bibliothèque de Lyon, le catéchisme de ce grade, et les
instructions secrètes qui ne devaient pas être divulguées, mais qui ont été
conservées par ce collectionneur impénitent Lyonnais, qu'était Jean-Baptiste
Willermoz. On y fait allusion à deux abominables personnages, Philippe Le Bel
et Bertrand de Got, Archevêque de Bordeaux, que Philippe Le Bel devait faire
Pape. Ces deux personnages bien connus étaient à l'origine de la destruction
de l'Ordre du Temple, et de la mort de Jacques De Molay. Il s'agissait donc
pour les maçons, et essentiellement pour les Chevaliers Kadosch, de se venger
de la royauté et de l'église. C'est sur ce fait que s'appuie Barruel, dont nous
aurons l'occasion de reparler, pour incriminer les hauts grades, et qui
confortera les accusations de tous ceux qui affirmeront avec lui que les
francs-maçons des premiers degrés furent les dupes et les agents inconscients
des arrières-Loges. C'est ce thème qui va revenir dans tous les écrits des
adversaires de la Franc-Maçonnerie. Ce sont les hauts
grades donc, qui ont préparé la révolution, comme
le rapporte Albert Lantoine,
dans «La Franc-Maçonnerie et la Révolution
française », l'abbé Proyart ne fait
que reprendre l'opinion de Barruel lorsqu'il écrit :
«c'était parmi ces
exercices atroces qui se formaient sous le nom d'élus, de
Rose-Croix, de
chevaliers Kadosch, de frères illuminés, tous ces
êtres farouches et ces
buveurs de sang que l'on devait voir 25 ans après désoler
la France et
épouvanter la terre. C'était à l'ombre de ces
cavernes que pullulait la
scélérate engeance des Jacobins ». (Abbé
Proyart, « Louis XVI détrôné avant
d'être Roi » cité par Albert Lantoine, dans
«La Franc-Maçonnerie et la
Révolution française » dans « Histoire de la
Franc-Maçonnerie française », «La
Franc-Maçonnerie dans l'Etat »). Est-ce à dire qu'il
n'y a pas de Loges qui ont été infiltrées par des mouvements
pré-révolutionnaires. Le phénomène s'est incontestablement produit en
Allemagne, ou plus exactement en Bavière, avec les Illuminés de Bavière, dont
le créateur était un professeur de droit nommé Weishaupt. L'organisation était
très cloisonnée, elle comportait plusieurs degrés d'initiation, et l'objectif
de Weishaupt était d'abolir toutes les lois civiles religieuses, pour supprimer
en particulier la propriété. Ancien élève des Jésuites, Weishaupt utilisait
leurs méthodes. Un personnage qui
va beaucoup intriguer les historiens de la maçonnerie en France, et qui selon
certains, aurait voulu jouer le rôle de Weishaupt, est Nicolas de Bonneville,
auteur de l'ouvrage « Les Jésuites chassés de la Franc-Maçonnerie et leur
poignard brisé par les Maçons ». Bonneville souhaitait-il infiltrer les loges
pour créer un programme anti-religieux et anti-révolutionnaire ? Signalons
qu'il devait fonder avec son ami l'Abbé Fauchet, le Cercle Social, la
Confédération Universelle des Amis de la Vérité, à laquelle appartenait le
célèbre Sieyes. A la veille de la
Révolution, le Grand Orient de France a 629 Loges et 30 000 Maçons. Il existe
en outre la Grande Loge de Clermont. Vont-elles jouer un rôle fondamental dans
la Révolution ? Il est bon de
rappeler que la Convocation des Etats Généraux est précédée de l'Assemblée des
Notables, convoqués par Calonne. Calonne suggère un certain nombre de réformes,
pour redresser les finances. Il y a parmi les 59 participants toute la haute
noblesse, et une majorité de Maçons, mais comme nous le rapporte Roger
Priouret, l'unité de la Maçonnerie éclate à cette occasion. Le Grand Maître, le
Duc d'Orléans, le futur Philippe Egalité, se prononce contre Calonne et son
projet d'impôts, mais pas pour des motifs nobles. « Savez-vous, dit-il, que
cette plaisanterie me coûtera 300 000 Livres de rente ? ». Le véritable Chef
du Grand Orient, c'est-à-dire le Grand Administrateur Général Montmorency
Luxembourg, est d'avis d'adopter les projets de Calonne, ainsi, Ô ironie, que
le Comte d'Artois, qui soutiendra Calonne jusqu'au bout, mais finalement, le
projet devait être rejeté. Calonne renvoyé, et
finalement après de multiples péripéties, Louis XVI se décidait de convoquer
les Etats Généraux. Monsieur Pierre Lamarque
a étudié le rôle des Francs-Maçons aux Etats Généraux de 1789, et le bilan de
ses travaux est le suivant : l'appartenance maçonnique de 200 députés
titulaires, de 37 députés suppléants, la répartition entre les trois Ordres
est la suivante : Le Clergé 17 ou 18, la noblesse 79, le Tiers-Etat 103 ou 117. C'est dans la
députation de la noblesse que la proportion est la plus élevée : 81
Francs-Maçons sur 285 députés, soit 28 %, 6 % pour le Clergé et 17 ou 19 % pour
le Tiers-Etat, 107 ou 121 sur 619 élus. Il est bon de rappeler que l'assemblée
était composée de 1165 membres. Or, dès le départ,
les opinions politiques étaient plus fortes que l'influence de la
Franc-Maçonnerie, et il en fut de même dans les années suivantes. On sait que, sur
l'instigation de Sieyes, les députés du Tiers-Etat décident de qualifier leur
Assemblée d'Assemblée Nationale, et qu'ils sont rejoints par les nobles
libéraux, dont la majorité est composée de Maçons. Le 20 juin 1789,
les députés de l'Assemblée Nationale trouvent close la grande salle de l'hôtel
des « Menus Plaisirs » à Versailles, où ils devaient se rassembler. C'est dans
ces conditions qu'ils vont se rendre dans une salle toute proche, celle du «
Jeu de Paume », où ils prononceront le fameux serment du « Jeu de Paume », sous
la présidence du frère Bailly. Il faut reconnaître que ce serment a un
caractère tout maçonnique, que peut-être les historiens n'ont pas retenu :
l'Assemblée Nationale arrête que tous les membres de cette assemblée prêteront
à l'instant serment solennel de ne jamais se séparer et de se rassembler
partout où les circonstances l'exigeront, jusqu'à ce que la Constitution du
Royaume soit établie, et affermie sur des fondements solides, et que le-dit
serment étant prêté, tous les membres et chacun d'eux en particulier
confirmeront par leur signature, cette résolution inébranlable. Le 4 août 1789,
c'est le Duc d'Aiguillon, qui faisait partie depuis 1786 de la Société
Olympique qui ne comptait que des francs-maçons qui, avec le Vicomte de
Noailles, va proposer la suppression des privilèges. Louis- Marie de Noailles
avait pris part à la guerre d'Indépendance des Etats- Unis, avec son parent La
Fayette, qui lui aussi était maçon. Il faut cependant
rappeler que ces droits féodaux sont rachetés moyennant un très faible
intérêt. Les discours de
Noailles ou d'Aiguillon sont accueillis par une ovation générale, et c'est
l'atmosphère de la joie collective de la célèbre nuit du 4 août. L'Assemblée
Nationale va ensuite proclamer les droits de l'Homme, très inspirés par la
déclaration américaine de 1776. Comment, cependant, ne pas y reconnaître des
relents maçonniques, lorsqu'on y lit : « Ces droits sont déclarés d'abord
naturels et imprescriptibles, et reconnus par l'Assemblée en présence et sous
les hospices de l'Etre Suprême ». N'est-ce pas un hommage discret au Grand
Architecte de l'Univers : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en
droits ». Et puis, ces droits eux- mêmes : la liberté, la propriété, la sureté,
et la résistance à l'oppression. Ainsi naît la «
Bible des Temps Nouveaux », pour reprendre l'expression de Furet. Tous les auteurs
s'accordent à dire que si les maçons peuvent être divisés dans leurs divers
votes, députés du Tiers-état ou de la noblesse ou du clergé, ils ne veulent pas
de la chute du Roi. Ce qu'ils veulent, c'est une monarchie constitutionnelle,
qui applique les principes de Liberté, d'Egalité et de Fraternité. Les idées
de la philosophie des Lumières. Les maçons seront
beaucoup moins nombreux à l'Assemblée Législative. Il faut rappeler que les
membres de l'Assemblée Nationale avaient décidé d'eux-mêmes qu'ils ne seraient
pas éligibles à l'Assemblée Législative. Sur les 745 députés de l'Assemblée, on
compte, selon Monsieur Pierre Lamarque, 70 maçons, dont Muraire Lacepede, et
peut-être Vergniaud et Couthon. Si les Maçons sont
nombreux parmi les Girondins de la Convention, les grands ténors
n'appartiennent pas à la Franc-Maçonnerie, à l'exception de Marat. Robespierre
lui-même, contrairement à la légende, n'est pas maçon, mais il appartient
effectivement à une famille de maçons. La Terreur va de
plus en plus arrêter les travaux maçonniques. La Franc- Maçonnerie est
pratiquement en sommeil. Les caisses du Grand Orient de France sont
pratiquement vides, et le Grand Maître Philippe d'Orléans, qui comme on le
sait, a voté la mort du Roi, se fait désormais Egalité. Ce fut le dimanche
24 février 1793, nous conte Pierre Chevalier, que le Journal de Paris publia
dans un supplément à son n° 55, la lettre adressée par « Egalité » au journaliste
Milcent : «Paris, ce 22
février 1793, an II de la République... Je ne puis,
malgré ma dignité de Grand-Maître, vous donner aucun renseignement sur ces
faits qui me sont inconnus ; mais je peux vous mettre en état de répondre aux
réflexions et considérations relatives à moi, qu'a mêlées votre correspondant à
ses récits vrais ou faux. «Tu sais qu'il a couru un bruit dans toute la France,
que le citoyen Egalité, Grand-Maître de toutes les Loges, avait un grand parti
à Paris. » En effet, dès le
mois de juillet 1789, le parti de la Cour répandit ce bruit qu'il croyait
apparemment utile à ses vues. Un ramassis de calomniateurs
contre-révolutionnaires s'en empara au mois d'octobre de la même année, et
depuis un parti d'intrigants a essayé de le rajeunir... Dans un temps où,
assurément, personne ne prévoyait notre révolution, je m'étais attaché à la
franche-maçonnerie (sic) qui offrait une sorte d'image de l'égalité, comme je
m'étais attaché aux parlements qui offrait une sorte d'image de l'égalité ;
j'ai depuis quitté le fantôme pour la réalité. Au mois de décembre dernier, le
secrétaire du Grand-Orient s'étant adressé à la personne qui remplissait auprès
de moi les fonctions de secrétaire du Grand-Maître pour me faire parvenir une
demande relative aux travaux de cette société, je répondis à celui-ci en date
du 5 janvier: Comme je ne
connais pas la manière dont le Grand-Orient est composé, et que d'ailleurs je
pense qu'il ne doit y avoir aucun mystère ni aucune assemblée secrète dans une
République, surtout au commencement de son établissement, je ne veux plus me
mêler en rien du Grand-Orient ni des assemblées de francs-maçons... Je vous prie,
citoyen Milcent, de faire parvenir cette réponse à votre correspondant par la
voie de votre journal. Je suis votre
concitoyen. » Un autre maçon,
célèbre pour d'autres raisons, Choderlos de Laclos, devait jouer un rôle
important dans la campagne de l'ex-Duc d'Orléans, pour s'emparer du Pouvoir. Il
contribua à l'élection de ce dernier, comme député de la noblesse, l'accompagna
à Londres, le fit admettre au Club des Jacobins, participa à l'agitation des
Esprits contre Versailles. Ses «Liaisons Dangereuses» auraient pu lui coûter la
vie, mais à la différence de son Maître Egalité, il sauvera sa tête. Si les loges sont
pratiquement en sommeil, la maçonnerie ne fut pourtant jamais interdite. Les
loges se réunirent clandestinement, d'autres librement ; parmi les loges qui
devaient fonctionner, la Loge Themis à Cambrai, et surtout la « Parfaite
Sincérité » à Marseille, qui devait initier le 8 octobre 1793, un personnage
dont on devait entendre parler plus tard, Joseph Bonaparte, dont d'ailleurs le
frère, Napoléon, avait été un protégé de Robespierre Le Jeune. Il est inutile de
rappeler tous les excès de la Terreur, et le nombre de victimes de la
guillotine, qui porte le nom d'un non moins célèbre maçon, le Docteur
Guillotin. Mais parmi les
victimes, signalons au passage l'authentique aventure de Jean-Marie Gallot,
franc-maçon de la loge de « l'Union » de Laval, qui, ayant refusé le serment de
la Constitution Civile en 1791, est emprisonné, et le Tribunal lui ayant
proposé de jurer fidélité à la République, il refusa et le Président lui dit
sans ambages : « Sois sûr que tu vas être guillotiné ». « Oh, ce sera
bientôt fait », répondit le
Prêtre-Maçon, et Jean-Marie Gallot a été
béatifié
avec 18 autres martyrs de la Foi en Mayenne par Pie XII, le 19 juin
1955. Après Thermidor,
les loges se montrent relativement inactives. Cependant, la Grande Loge de
Clermont rallume ses feux le 24 juin 1995, et le Grand-Orient de France, en
1796. En 1798, les loges
sont officiellement autorisées. Le rôle de la
maçonnerie dans la révolution française devait provoquer de vives polémiques. Pour certains, la
maçonnerie avait tramé un complot contre la royauté et l'église. Nous avons
déjà évoqué cette thèse, à propos de la création en France du grade de
Chevalier Kadosch. En 1798, dans ses
mémoires, pour servir à l'Histoire du Jacobisme, parues à Hambourg, le fameux
abbé Barruel n'hésitait pas à soutenir que l'exécution de Louis XVI et le
renversement de tous les trônes avaient été préparés au Congrès de Wilhemsbad.
Il n'hésitait pas non plus à mettre en cause les sociétés de pensée, notamment
l'Académie française. L'Académie française seule, métamorphosée en club
d'impiété, servit mieux la conjuration des Sophistes contre le Christianisme
que n'aurait pu le faire toute la colonie de Voltaire. Elle infecta les gens de
lettres, et les gens de lettres infectèrent l'opinion publique. En 1801, un
écrivain, l'ex-conventionnel J.J. Mounier, s'éleva avec force contre les
affirmations de Barruel, dans un livre intitulé : «De l'influence attribuée aux
philosophes, aux francs-maçons et aux illuminés sur la révolution de France»,
Témoin des débuts de la révolution et acteur dans les événements qui l'ont
suivie, il était particulièrement qualifié pour évoquer le sujet. Comme le rappelle
Albert Lantoine, de nombreux francs-maçons applaudirent à cette thèse, et en
1802, Abraham, dans son «Miroir de la Vérité», combat dans les termes
emphatiques du Temps les conclusions de l'abbé Barruel, qui, «a endossé la
tunique rouge et dégoûtante de la calomnie, lors même qu'il croyait
s'approprier les ailes bleues de la renommée ». Thory, de la même
manière, va s'indigner contre les écrits qui salissent une société paisible
dont le but est de pratiquer les vertus sociales, qui dans tous les temps, a
donné les preuves du plus entier dévouement au Souverain et au Gouvernement. Bien entendu, les
prétendues révélations de Barruel seront une source inépuisable pour les
anti-maçons. Citons parmi les auteurs récents, Léon de Poncins, «La
Franc-Maçonnerie d'après des documents secrets ». Bernard Fay, pour sa part,
émettait la théorie selon laquelle la maçonnerie anglaise, par ses idées, avait
provoqué les ruines traditionnelles de la noblesse française. Mais le comble,
dans cette histoire, c'est que les maçons, après avoir contesté avec vigueur
les idées de Barruel, allaient indirectement les reprendre, et notamment
Gaston Martin, dans son ouvrage «La Franc- Maçonnerie et la préparation de la
révolution (1925)». Tout en niant la participation de la Franc-Maçonnerie dans
la mort de Louis XVI, Gaston Martin s'efforce de glorifier l'action du
Grand-Orient de France dans ce qu'il appelle la préparation de la révolution. Nous avons, je
crois, suffisamment développé la neutralité de la Franc- Maçonnerie à
l'occasion de la révolution française. Ainsi que nous l'avons vu, il y avait
des maçons dans les deux camps. Cependant, comme
nous l'avons déjà indiqué, et comme le rapportaient les mouches dès le début de
la Maçonnerie en France, la maçonnerie était subversive par son existence même.
Les hommes qui s'assemblent, même pour un innocent motif, nous rappelle
Lantoine, échangent leurs opinions. Rien ne les dispose à penser comme la
confrontation de ses opinions. Le mot de Bossuet assimilant un homme qui pense
à un hérétique traduit aussi bien la lame du pouvoir spirituel que du pouvoir
temporel. (Albert Lantoine, «La Franc-Maçonnerie et la révolution française»). Les francs-maçons
ont, par ailleurs, aidé à répandre l'idée de fraternité, pour avoir, dans un
cercle restreint, réalisé cette idée chrétienne qui la rende plus familière aux
esprits. Une explication
très moderne du rôle de la Franc-Maçonnerie et des sociétés de pensée nous est
donnée par le grand spécialiste de la révolution française, François Furet, qui
épouse partiellement les thèses de Toque- ville d'une part, et d'Augustin
Cochin d'autre part. Il manque, à la fin
dé l'Ancien Régime, des courroies de transmission entre le Pouvoir et ses
sujets. La noblesse de Versailles est domestiquée à la Cour, d'où la thèse de
ce que Cochin appelle «la Sociabilité politique», d'où un nouveau mode de
relations entre les citoyens où sujets et le Pouvoir. Les loges
maçonniques, les clubs de pensée, les cafés et les théâtres ont tissé peu à peu
une société de lumière très largement aristocratique et ouverte au talent et à
l'argent roturier, cela, et je cite intégralement Cochin rapporté par Furet,
jusqu'en 1788 constitue le contre-pouvoir. Ce qui caractérise
pour Cochin, l'opinion philosophique, c'est ce qu'elle constitue au nom des
valeurs et des principes destructibles de l'Ancienne Société, une organisation
et une force. Déjà cette force,
comme tout pouvoir, ne peut être toute entière publique, et peut l'être
d'autant moins qu'elle ne s'avoue pas comme telle. C'est pourquoi elle a sa
force cachée, ses cercles intérieurs, et elle a surtout ses sociétés secrètes
comme la Franc-Maçonnerie, expression typique et inévitable d'un pouvoir qui
n'assume pas ses contraintes et dont le rôle est de tisser les solidarités et
la discipline d'une hiérarchie à partir d'un recrutement fondé sur l'opinion. Si la maçonnerie
est si importante dans le monde historique d'Augustin Cochin, ce n'est pas
comme dans Barruel parce qu'elle est l'instrument d'un complot contre l'Ancien
Régime, c'est parce qu'elle incarne de façon exemplaire la chimie du nouveau
pouvoir, transformant du social en politique, et de l'opinion en action.
(Furet, «Penser la révolution», page 290 et suivantes). Et par ailleurs, ce
qui me paraît capital, nous nous maçons, et ce que les auteurs pour la plupart
peut-être n'ont pas retenu, sauf précisément Furet, c'est que la Maçonnerie,
par son rituel religieux, qui touche au plus profond une civilisation
chrétienne, sacralise les valeurs morales de la Philosophie des Lumières : la
tolérance, la philanthropie, la fraternité humaine. Elle ouvre les
voies d'un réformisme des élites bien plus que d'une
révolution des masses,
c'est-à-dire qu'elle est un des ciments du Parti National, et je
pense
précisément à ces réunions des Etats
Généraux, à ces scènes enthousiastes,
où
les nobles maçons abandonnent leurs privilèges,
où, dans un enthousiasme
général, on vote les Droits de l'Homme sous
l'invocation de l'Etre Suprême.
N'est-ce pas là vraiment une extériorisation du rituel
maçonnique. Si les maçons n'ont
pas ainsi inventé «la révolution française », si la devise Liberté, Egalité,
Fraternité n'a pas une origine maçonnique (elle a été inventée par Momoro). Elle sera la devise
de la République française en 1748, les loges maçonniques ont, par une ironie
de l'histoire, propagé des idées chères à la révolution française, par
l'intermédiaire des loges militaires napoléoniennes. Napoléon va
conquérir l'Europe, son appartenance maçonnique a fait l'objet de multiples
discussions, mais les membres de sa famille et la plupart des hauts
dignitaires sont maçons. Or, ces loges
militaires vont accepter en leur sein des ressortissants des pays conquis par
les armées napoléoniennes. Certes, ces armées
ne laissent pas toujours les meilleurs souvenirs, mais ils propagent dans le
monde les idées de Liberté d'Egalité et de Fraternité. «Liberté chérie »,
chantaient les soldats de l'an II. La Liberté n'a certes pas conquis le monde,
mais la Maçonnerie a propagé en effet dans le monde entier, les idéaux de 1789
pour un monde un peu plus juste, un peu meilleur, et un peu plus fraternel. Conférence
prononcée le samedi 18 février 1989 au Cercle Condorcet Brossolette, par Albert
Monosson |
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