GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 2T/1989


Le franc-maçon face à l'histoire
et à la tradition

 
L'histoire est un corps de faits, la science est un corps de lois. Bien entendu, il existe une histoire des faits physiques, de la terre ou des vol­cans par exemple et à l'inverse, il s'est créé des sciences dites « humaines » qui ne racontent pas ce qui est arrivé aux hommes mais qui souhaitent éta­blir des lois relatives à des successions d'événements humains.

A la différence de la Tradition, l'histoire est une discipline intellectualiste et ne répond pas à un besoin existentiel. Cependant ce que l'on appelle «théologie de l'histoire », échappe pour une large part à cette définition.

Par ailleurs et c'est encore là une différence fondamentale avec la Tradi­tion, il n'est d'histoire que ce qui change, d'où la difficulté de faire de l'histoire une science puisque les éléments qui en sont la trame sont eux- mêmes changements. A l'inverse les objets et les phénomènes étudiés par la science, en principe ne changent pas : il peut exister une loi de la chute des corps parce que le corps qui tombe ne change pas tout au long de sa chute, non plus que l'attraction terrestre.

Les difficultés nées de cette différence se voient encore plus clairement lorsqu'on considère des sciences qui elles mêmes s'adressent à des objets changeants. La paléontologie par exemple, se veut science et y parvient dans la mesure où elle décrit des structures devenues immuables, mais les organismes dont elles sont la trace ont existé au sein d'une succession de formes changeantes dont le paléontologiste veut établir les lois de modifications et de transformations. Dans ses tentatives il se heurte alors aux mêmes obstacles que rencontrent les historiens quand ils veulent, eux aussi, établir et démontrer des «lois historiques».

Je soumettrai aussi à votre réflexion, une autre constatation : quantitati­vement, l'histoire des hommes remplit un beaucoup plus grand nombre de volumes que celle des faits scientifiques même lorsqu'on s'adresse à des disciplines telles que la géologie ou la paléontologie dont nous par­lions il y a un instant. Une première raison en est que tout d'abord, l'his­toire est rebelle à toute généralisation ; une seconde tient à ce que l'Homme change beaucoup plus et surtout beaucoup plus vite que n'importe quel phénomène naturel, même parmi ceux qui impliquent la vie. Ses cultures, ses mœurs, ses institutions varient en effet beaucoup plus largement et surtout beaucoup plus rapidement que n'importe quoi d'autre dans le temps et dans l'espace.

Nous y ajouterons que les hommes sont les seuls êtres de la nature qui ont des fins, des intentions, des buts sur lesquels ils délibèrent et dont ils sou­haitent conserver et la trace et le sens.

Enfin ce qui différencie encore davantage l'histoire de ce qu'il est con­venu d'appeler la « science » ou les «sciences », c'est le fait que la notion de « causalité » y est pratiquement inapplicable, sauf aux rapprochements les plus immédiats, si l'on n'obéit pas à un quelconque présupposé idéolo­gique. Et dans le cas où l'on y cède, la causalité historique ne peut se con­fondre avec la causalité scientifique que dans la mesure où les faits sont arbitrairement choisis. Me contre-diriez-vous, si cédant à la mode du jour, je vous disais que les causes de la Révolution française connaissent autant de théories que d'historiens s'en préoccupant ?

Ces considérations préliminaires nous sont bien sûr suggérées par les sciences historiques telles qu'elles se présentent avec leur statut et leurs méthodes d'aujourd'hui. Or les concepts qui y président sont le fait d'une longue et lente maturation qui n'a connu son terme qu'au siècle dernier et dont j'aimerais vous dire quelques mots.

Cette histoire est indiscutablement fille de notre aire culturelle méditerra­néenne puis plus largement, occidentale. Cela ne signifie cependant pas que le souci d'aider la mémoire collective à garder souvenir du passé soit spécifique à notre seul continent, mais aucun semble-t-il, ne l'a poussé jusqu'aux mêmes développements.

Nous savons certes que très tôt, dès le VIIIème siècle avant notre ère, exis­tait en Chine, des annales donnant sous une forme très sèche des faits bruts, consignés dans leur stricte succession. Leur intérêt est certain, mais aucun progrès ne se révèle au long des siècles dans leur forme d'expres­sion et elles deviennent peu à peu une fastidieuse compilation répondant à une tâche purement bureaucratique.

De même, mais pour d'autres raisons, si l'Inde eut aussi ses annalistes, elle n'alla guère au-delà et le sens de l'histoire y resta limité car condi­tionné par le refus du temps ou du moins de la chronologie, la force des mythes cycliques aboutissant à la conception d'un éternel présent.

Par ailleurs autant qu'on le sache, si au Proche Orient, à Sumer, à Baby­lone, en Egypte ont été trouvés de nombreux documents écrits de type annalistique, c'est seulement en Grèce que l'on peut faire débuter cette exigence d'intelligibilité, cette recherche d'une cohérence des événements qui sont les signes d'un réel souci de « l'historicité » dans la description des faits.

On en rapporte les premiers indices à Hécatée de Milet au Vlème siècle avant notre ère et aux mythographes qui visèrent à insérer dans le temps des hommes les actes traditionnellement prêtés aux dieux. Mais c'est Hérodote au Vème siècle qui mérite réellement le nom de «père de l'his­toire », tandis que Thucydide, vingt cinq ans plus tard seulement, dans son récit de la guerre du Péloponèse, se montre à nous auteur d'une his­toire déjà devenue «adulte» dans le décours d'une seule génération.

C'est donc dans un temps très bref, que se trouvent fixés les traits essen­tiels d'une historiographie dite « classique » qui règnera durant à peu près dix siècles. Comme telle, elle nous apparaît une avancée remarquable de l'esprit humain, mais on ne peut en voiler certains défauts caractéristi­ques : l'insistance et l'amplification rhétorique avec le goût des discours fabriqués attribués aux principaux acteurs (souvenons-nous de ceux qu'imaginent Tite Live ou César), une trop grande confiance dans les ver­tus éducatives et exemplaires de l'histoire, une vision trop étroite des évé­nements et des faits qui doivent en être considérés comme seuls dignes.

Avec le temps, si ces défauts ne se corrigèrent pas, néanmoins le dévelop­pement des travaux d'érudition, le rassemblement de vastes bibliothèques telles celles de Pergame ou d'Alexandrie, firent naître un réel intérêt pour la critique des textes et de disciplines parallèles et complémentaires de l'histoire telle la philologie.

Le flot des invasions barbares allait peu à peu éteindre les lumières de l'Antiquité gréco-latine et réduire largement les possibilités de l'activité littéraire mais il est frappant de remarquer qu'au sein de ces écroule­ments, l'historiographie demeura relativement vivante. Elle le dût para­doxalement au Christianisme. En effet si celui-ci avait assez largement contribué à la disparition de certaines formes de la culture païenne, en revanche il installa le triomphe de l'histoire, car à la différence des reli­gions cohabitant avec lui dans l'espace de la romanité-hellénistique, il fut la seule qui allait placer la temporalité en son centre même, qu'il s'agisse de l'homme particulier comme de l'humanité toute entière. Distinguant l'avant et l'après de l'Incarnation, elle rompt du même coup la chaîne du Temps cyclique pour y substituer un temps linéaire borné par le Juge­ment, soucieux d'intégrer à cette nouvelle « attestation » des oeuvres de Dieu, de sa grandeur et de ses desseins, celle du peuple Juif, annonciatrice et préparatrice. Ainsi le christianisme attacha-t-il son message à une éluci­dation globale du sens de l'histoire en en créant une philosophie et plus spécialement une théologie dont Eusèbe de Césarée, St. Jérôme et surtout St. Augustin, ont été les fondateurs et les hérauts les plus significatifs durant les premiers siècles de notre ère et dont l'influence règnera à peu près sans partage pendant plus de quatorze siècles.

Après l'éclipse du Haut Moyen Age, où l'histoire sera réduite à la séche­resse des annales monastiques et royales, aux stéréotypes des hagiogra­phies, nous la voyons renouer avec ses traditions du Bas Empire dans ses chroniques profanes dont Eginhard, Froissart, Commyne, Villehardouin ou Froissart sont pour nous français les représentants les plus connus. On y ajoutera ces «Histoires Universelles » qui se voulaient éclairées et finali­sées par celle de la Révélation.

Ainsi l'intérêt pour les événements passés et présents ne fera-t-il jamais défaut durant tout le Moyen Age et se satisfera-t-il d'une abondante litté­rature historiographique. Cependant cette dernière continuera à présenter les défauts que nous relevions pour celle de l'Antiquité. On y retrouve, accentués même, ses tendances à la personnalisation, à l'idéalisation par exemple des personnes royales confinant à l'hagiographie ou à la justifi­cation exagérée de leurs actes et de leurs décisions dans la mesure où les chroniqueurs et mémorialistes seront en fait au service d'une cause, d'un parti ou d'un prince. L'absence d'objectivité, l'insuffisance des méthodes critiques et de leur emploi, bloqueront ainsi tout progrès réel de l'histoire jusqu'à la fin du Moyen Age. Il faudra attendre la Renaissance et surtout la Réforme pour qu'elle connaisse un nouveau départ ; mais celui-ci en raison des polémiques et des affrontements qui en naquirent se limitera soit à un renouveau des traditions et des oeuvres de l'Antiquité, soit aux faits et aux textes de l'Ecriture. En revanche, cette prééminence du débat religieux sera responsable d'un développement très notable de certaines méthodes complémentaires telles que la philologie ou la critique textuelle.

Stagnation et situation subalterne de l'histoire persisteront durant toute l'époque classique. Pascal la verra impuissante à s'appuyer sur le raison­nement et l'expérience, vouée à l'application du principe d'autorité, pure­ment livresque, inapte au progrès. L'idéal de «l'honnête Homme» la réduira au statut de genre littéraire, défini par l'éloquence, la bienséance, l'art de la composition et par là capable de plaire, voire d'instruire les bons esprits en tant que leçon de morale ou de politique. Ou bien encore, elle devra servir aux fins plus nobles de l'apologétique telles qu'en fera usage Bossuet dans son «Discours sur l'Histoire universelle». Celui-ci en effet reste fidèle à une conception théologique de l'histoire. Le Dieu qui s'est révélé dans la Bible demeure le fondement de l'induction dans le domaine historique. L'Homme ne saurait s'expliquer par lui-même et ne peut cesser d'apparaître comme un «monstre incompréhensible» qu'à la lumière de la Transcendance qui ne dénonce ses complexités qu'en fonc­tion de la prédestination divine. Malheureusement les théologiens ne sont pas d'accord entre eux et leurs discordes ont abouti à d'effroyables conflits depuis le XVIème siècle. Bossuet en est tellement conscient que son histoire du monde ne va pas au-delà... de Charlemagne. En effet dans la mesure où son projet était de démontrer que la marche du temps devait assurer le triomphe voulu par Dieu de toute éternité, de l'Eglise catholi­que; les victoires de l'Islam, l'échec des Croisades, la Réformation et ses suites, infligeaient de si rudes démentis aux présupposés de l'évêque de Meaux qu'il s'arrêta en route !

Une suite sera donnée à cette «Histoire universelle» rendant bien vite caducs ses buts et ses démonstrations. Bayle en effet, n'était-il pas déjà à l’œuvre et son «Dictionnaire historique et critique» paru en 1694, allait apprendre la souveraineté du libre examen à l'égard de la Tradition sous toutes ses formes, donnant un tout autre sens aux perspectives histori­ques, sens auquel souscriront d'enthousiasme, les auteurs du Siècle des Lumières.

Celui-ci d'ailleurs montrera un goût sans cesse accru pour l'histoire et les récits historiques comme on peut le constater d'après le nombre et le pourcentage des ouvrages qui y sont consacrés tandis que parallèlement, la proportion de ceux qui traitent de l'histoire religieuse ou ecclésiastique diminue nettement. L'Encyclopédie reflètera cet intérêt croissant et l'on a calculé qu'un dixième environ de ses articles pouvaient être considérés comme historiques. En outre, ses auteurs ont présenté des vues originales sur la méthode historique, la nécessité d'une vérification soigneuse des faits, sur les sciences connexes telles la linguistique ou l'archéologie. Cependant malgré les brillants aperçus et les indices d'une tournure d'esprit à l'époque originale et beaucoup plus «scientifique », les encyclo­pédistes ne seront que très modestement relayés par les historiographes français. L'établissement des règles et des méthodes qui gouvernent aujourd'hui encore les disciplines historiques se fera en Allemagne, vrai­semblablement en raison de son partage entre le protestantisme et le catholicisme, partage ayant contraint apologétiques et controverses à un souci sans cesse accru dans la critique des textes et des documents.

Par contre dans notre pays, interviendra un changement considérable dans les conceptions touchant à la philosophie de l'histoire. Voltaire lui- même peut être considéré comme très représentatif de ces nouvelles ten­dances. Il apparaîtra comme une sorte « d'anti-Bossuet », se moquant de celui-ci qui dit-il : « ...paraît avoir uniquement écrit pour insinuer que tout a été fait dans le monde pour la nation juive ; que si Dieu donna l'empire de l'Asie aux babyloniens ce fut pour punir les juifs et que si Dieu fit régner Cyrus ce fut pour les venger... ». Prétendre ainsi démêler les desseins de Dieu dans l'histoire, c'est aussi en restreindre le champ et en déformer la signification.

Au-delà de la raillerie, c'est en fait un total renversement de perspective qui est ainsi annoncé. Que ce soit en Angleterre avec Bolingbroke, ami de Pope et de Voltaire, en Allemagne avec l'école de Gôttingen, de Mably, l'ami de Madame de Tencin, pour tous ces penseurs y compris pour Kant lui-même, si l'histoire apparaît une série de désordres substitués par quel­que malin génie à l'ordre providentiel, néanmoins le déisme est assuré par expérience, de l'amélioration graduelle du statut de l'humanité. La fin de l'histoire n'est plus événement eschatologique dans une lumière d'Apo­calypse, les signes du temps ne sont plus indices de la colère ou du pardon d'un Dieu transcendant mais les aspects de la civilisation en marche tra­duisant les progrès de l'humanité vers une condition meilleure. Le mythe de l'histoire n'est plus celui du Salut mais de la raison humaine. Thème qui sera repris et orchestré par les synthèses utopiques du XIXème siècle avec Hegel et Auguste Comte, Saint Simon, Fourrier et plus encore Karl Marx.

Mais alors que les historiens se préoccupent de plus en plus de donner à leur spécialité le statut d'une science, une telle conception volontariste et progressiste de l'histoire et de sa philosophie va entraîner une falsification des faits aussi systématique que celle reprochée à Bossuet. Alors que les travaux vont s'entourer plus que jamais de tout un appareil critique et épistémologique visant à une rigueur sans cesse plus scrupuleuse dans l'établissement des données, les historiens comme le dit fort justement Heidegger : «ne pourront se soustraire plus ou moins consciemment à la tendance à voir dans le passé une projection de l'avenir qu'ils souhaitent pour l'homme et pour ses sociétés ». C'est qu'en effet quels que soient les progrès méthodologiques qu'elle peut connaître, l'histoire ne se constitue pas comme un dépôt que chaque génération laisserait derrière elle comme des cailloux blancs jalonnant le chemin du Petit Poucet. Sur le grand axe du temps, l'humanité ne dépose pas au fur et à mesure des «vérités histo­riques» acquises une fois pour toute et dont les indications ne peuvent être remises en question. Sans doute existe-t-il des données précises, des événements, des points de repère plus ou moins saillants. Mais la signifi­cation de ces faits, leur importance relative, leur insertion dans un devenir global, sont affaire d'interprétation. L'historien ne peut qu'ordonner en série les éléments du passé et donner à chacun le relief particulier qu'il lui paraît devoir mériter. Mais la reconstitution qu'il tente ne peut être qu'un «à suivre» en attente du cours du temps qui achèvera de lui donner un sens, dans un report toujours recommencé du passé au futur. L'histoire est celle de l'homme et de ses sociétés, son temps est le leur et, comme tel, ne s'inscrit pas du passé au présent comme on veut le croire mais bien du présent au passé, car elle est projection dans celui-ci de certains aspects de la conscience présente qui cherche dans les temps anciens les reflets de sa propre image. Et le passé lui rend ce qu'elle lui a prêté. Lorsqu'une doc­trine, une idéologie se répandent, l'histoire répond en écho à ceux qui lui dictent les interprétations. Questions et réponses obéissent aux préoccu­pations des interrogateurs dans les circuits fermés des convictions prééta­blies où s'inscrivent des polémiques sans fin entre des argumentations opposées. Dans l'immense réservoir des données disponibles, il y a géné­ralement de quoi satisfaire aux exigences les plus contradictoires. Offertes à chacun, elles subissent sans protester les prélèvements qui s'accordent avec la thèse comme la mise à l'écart de celles qui ne conviennent pas à la conviction déjà installée.

La réalité historique est plurielle et polymorphe. Rien ne l'oblige à avoir un sens et un seul, car elle les propose tous, créant par là même le doute qu'elle n'en fait aucun et qu'elle aille seulement de nulle part à nulle part.

Cependant, cette vision savante de l'histoire ne peut satisfaire à l'inquié­tude de l'homme. Conçue et voulue comme « science », exposant de manière abstraite certaines dimensions d'intelligibilité qu'elle perçoit dans le confus du passé, elle ne se veut obéissante qu'aux seules exigences de la rigueur. Souhaitant faire toute la lumière sur certains enchaînements d'événements, sur le rôle de tel ou tel personnage, de certaines structures et mécanismes inclus dans l'épaisseur du réel, elle sous-entend aussi vou­loir les prolonger dans le futur. Cependant dans cette fonction prédictive de connaissance du devenir, elle ne présente un avenir ouvert et par là même inquiétant, alors que l'Homme recherche d'instinct des structures fermées qui lui soient des garanties contre l'événement et ses menaces et qu'il ne peut trouver que dans l'inconscient collectif, lui-même vecteur des mythes et des Traditions.

C'est peut-être ce qu'avait perçu plus ou moins consciemment en France des historiens tels qu'Ernest Lavisse lorsqu'il voulût dans le contexte du relèvement national qui marqua les débuts de la troisième République, substituer à l'image d'un pays encore marqué par la persistance des traces d'un Ancien Régime catholique et réactionnaire, une autre, laïque et démocratique celle-là. Il tint ainsi à prendre part à cette substitution en rédigeant des petits manuels d'une «Histoire de France racontée aux enfants» qui diffusée à des millions d'exemplaires durant des dizaines d'années, développèrent une prédication patriotique. Celle-ci sous forme de vignettes simplistes marquèrent pour leur vie durant, de jeunes esprits qui ne devaient pas avoir accès à une autre histoire que celle-là et dont les thèmes devaient devenir les signes de reconnaissance des membres de la communauté française. Substituant des mythes à d'autres mythes, asso­ciés aux rationalisations de la science, elle visait ainsi à un autre mode d'installation de l'homme dans l'univers*. Jouant un rôle de remplacement ontologique, elle n'était certes pas totalement satisfaisante mais elle évi­tait au moins la formation de générations déboussolées telles qu'en voit apparaître le monde contemporain où est enseigné une histoire en miette à laquelle même le fil chronologique le plus rudimentaire vient à faire défaut.

Si je me suis étendu quelque peu sur cette histoire édifiante d'un grand historien soucieux d'enraciner dans la conscience collective d'une nation, un «inconscient collectif» éveillé et entretenu dès l'enfance c'est qu'elle fait clairement comprendre ce qui sépare et différencie Histoire et Tradi­tion, en même temps qu'elle ouvre une plus juste appréciation à la signifi­cation existentielle de cette dernière.

L'homme d'aujourd'hui se trouve face aux affirmations de l'âge positif né aux temps des Lumières, opposant le jugement propre à tout ce qui était reçu, se proposant d'effacer les vestiges des âges mythologiques et même métaphysiques, ne laissant rien subsister de la phase prélogique des sociétés. Cette dernière doit laisser définitivement la place à une pensée rationnelle, héritière du droit exclusif à définir la certitude valable et qui sans cette épithète n'apparaît plus qu'aberrante, fabulatrice et disquali­fiée dans son principe même.

Ainsi, la raison triomphante s'est elle donnée pour tâche de substituer au monde vécu dans son incohérence originelle, dans son opacité sensible, dans ses colorations passionnelles, le monde intelligible du discours, où le réel dans tous les domaines doit faire place au vrai. Mais cette véracité qui est en soi stabilité pouvant satisfaire la conscience existentielle de l'homme, se trouve immédiatement contredite par tous les changements historiques contemporains avec leur soudaineté bouleversante, démulti­pliée par les techniques modernes de l'information. Plus rien ne va de soi, plus rien n'est fixe, tout est sans arrêt remis en question. Or comme Hei­degger l'a fait remarquer, l'homme ne trouve les possibilités concrètes d'un «exister authentique» que dans la mesure où il accepte que son héri­tage puisse se projeter dans le présent. La Tradition est justement cet héri­tage. En elle l'Homme trouve, fournies à l'avance, des possibilités de compréhension qui non seulement influent sur ses décisions pratiques mais constituent même dans une certaine mesure, le cadre général de sa compréhension de Soi. D'ordinaire, l'homme accepte de son milieu, de son existence avec les autres, de l'atmosphère qui l'entoure, non seule­ment beaucoup d'éléments particuliers mais aussi la compréhension fon­damentale qu'il a de lui-même.

Si nous considérons l'espace qui nous entoure et le sens que nous en avons, on ne peut qu'opposer celui quantifié, géométrisé que nous pro­pose la science à celui que nous offre la conscience mythique et la Tradi­tion. Ce dernier est bien l'espace réel dans lequel en fait, vivent tous les hommes. Le monde concret est un ensemble d'horizons dont chacun a sa vertu particulière, composée de lieux, d'emplacements hétérogènes dont chacun se définit par une attirance positive ou négative, par les valeurs qui le qualifient ou le refusent. Cette géographie humaine et une géogra­phie cordiale où chaque orientation définit une ligne de vie. Elle est le lieu de nos enracinements ; le village, le terroir, la ville même, chaque pay­sage, offrent les sens dont ils sont chargés, les densités des souvenirs qu'ils évoquent, les résonances qui nous y attirent ou qui nous en détournent.

De cette forme «humaine» de l'espace dont l'affirmation se trouve au principe de la compréhension traditionnelle de l'étendue, le parallèle est aussitôt trouvé dans la forme du temps. Si celui de la science et de l'intel­lectualisme est celui du chronomètre, se présente à nous comme homo­gène et quantifié, soumis à la discipline de l'esprit, Bergson a bien montré qu'il diffère absolument du temps existentiel. Les dimensions du temps vécu ne correspondent pas à des variables mathématiques, ce sont des dimensions en valeur qui font de l'être dans le temps, une réalité divisible et discontinue. Il ne se décline pas seulement au présent mais il est aussi la perspective de l'avenir, la procession de chaque existence vers l'horizon qu'elle prévoit.

Ainsi, le régime du temps dans les civilisations traditionnelles se caractérise-t-il par l'alternance d'un rythme d'expansion puis de contrac­tion. Rites de fin et de commencement de chaque période vont se succé­der ; rites de purification, d'expulsion des mauvaises influences, rites d'inauguration les accompagnant ou les complétant. Leur dynamisme permet au Grand Temps» de se manifester dans la plénitude du sacrifice et de la fête ; le temps liturgique consacre l'effacement du réel historique devant le temps cosmogonique.

La temporalité humaine dans la vision traditionnelle ne saurait s'accom­plir en dehors de l'unité du monde et cette unité prend à la fois caractère personnel et dimension communautaire. A la différence des dimensions historiques, elle ne se fonde pas sur une prise de conscience explicite et rationnelle de la communauté humaine. Elle se constitue par une projec­tion totale et spontanée du monde sensible sur un monde psycho-empiri­que de relations spirituelles, mythiques et symboliques qui, pour cette communauté réaménagent et l'histoire et le temps, redistribuent lieux et espaces par rapport à des signes et des objets révélateurs du Sacré.

La Tradition ne se borne donc pas à la conversation ni à la transmission d'acquis extérieurs. Elle intègre au cours de l'histoire des existants nou­veaux en les adaptant à des existants anciens. Elle fait « être de nouveau» ce qui a été ; elle n'est pas limitée au faire savoir» car elle s'identifie à la vie même d'une communauté. Elle aide cette dernière et chacun de ses membres à lutter contre les forces de dissolution qui les menacent à cha­que instant et à renforcer au contraire les forces de cohésion, réaffirmant sans cesse que le salut de l'individu n'est pas séparable de celui du Cosmos tout entier. Ainsi l'un et l'autre dépendront-ils de la fidélité avec laquelle chacun joue son rôle dans cette liturgie de célébration unanime en laquelle se résoud la vie sociale.

A ce prix, l'ancrage transcendant de l'existence se trouve assuré et les puissances du Sacré jouent en faveur de la réalité humaine dont elles enve­loppent chaque instant d'une ambiance protectrice.

Ne croyez pas que je décris ici éthologies ou croyances de quelque peu­plade primitive du fond de la forêt amazonienne ou de quelque Océanie de légende. Je dirai seulement que certaines des découvertes récentes de l'astrophysique semblent bien redonner une actualité surprenante aux vues traditionnelles sur l'insertion et la signification de l'Homme dans le monde. Il en est ainsi de ce surprenant «principe anthropique» dont le thème essentiel est celui d'un ordonnancement qui auraient pour seules fins l'apparition d'organisations vivantes et pensantes au sein de l'Uni­vers.

A l'issue de cette réflexion sur l'histoire et la Tradition, nous pourrions nous demander où se situent les concepts qui ont présidé et président encore à l'Institution Maçonnique qui se dit «Ordre traditionnel et initia­tique» ? En réponse, situons nous dans une perspective historique. Nous savons tous, qu'en France tout au moins, la Franc-Maçonnerie est tou­jours dite «Fille des Lumières », ce qui pourrait signifier qu'elle épouse totalement l'esprit de celles-ci. Souvenons-nous alors que pour elles, l'intellect doit assurer tous ses droits sur la totalité du domaine humain. Les légendes et traditions venues du fond des âges, les prémonitions, les affinités, les superstitions ne seraient plus alors que les reliques tenaces d'une véritable «arriération mentale» en voie de disparition devant l'irré­sistible montée d'une intelligence adulte, éclairée par la physique mathé­matique. L'ancienne métaphysique devrait ainsi céder la place à une phi­losophie positive, conscience de la science, seconde lecture de la procé­dure mise en oeuvre par les savants, ces saints de derniers jours. De l'analyse de la science doivent se dégager les principes d'une hygiène de l'esprit humain applicable à tous les domaines de la connaissance et de l'action. Condorcet annonçait ainsi la fin de temps inhumains aux profits de temps glorieux où l'humanité réconciliée dans l'harmonie, serait gou­vernée par un Sénat de savants, interprètes de la raison universelle. Plus tard, Saint Simon puis Renan, reprendront ce thème et ce néo­-messianisme de l'avenir.

Mais, insistons sur ce point, ce n'a jamais été ce nouvel évangile qu'ont prétendu prêcher les textes fondamentaux et fondateurs de la Maçonnerie spéculative. Nous y constatons en effet qu'Anderson dans ses Constitu­tions, croit bon de faire remonter ses origines à une très lointaine antiquité, voire à Adam lui-même. Il ne s'agit certes pas ici « d'histoire » au sens de celle dont les Encyclopédistes souhaitaient l'avènement, encore moins de «sciences historiques ». Ces antiquités fabuleuses ne ressortent que du domaine du mythe. Même si un certain nombre de documents s'offrent à une étude scrupuleuse et si l'on ne peut refuser une réelle ancienneté aux textes relatant les règlements de certaines corporations, guildes ou confréries de bâtisseurs, en particulier au Moyen Age, on ne saurait sans beaucoup les solliciter faire remonter la Franc-Maçonnerie à la construction du Temple de Salomon ou plus loin encore. Voltaire lui- même qui sur la fin de sa vie fut initié à la Loge des Neuf Soeurs, aurait pu ironiser sur ces prétendues origines avec encore plus de verve que sur les partis-pris de Bossuet !

Comment pouvons-nous donc interpréter à une époque qui fonde une vision rationalisée du monde et de la nature humaine, l'existence et le sur­prenant succès de la Franc-Maçonnerie, succès dont les preuves ne sont pas ici du domaine de la légende? On peut bien sûr imaginer qu'Anderson et Désagulier ont dissimulé une pensée réellement progressiste et ration­nelle sous un ésotérisme de bazar et un déisme superficiel, considérés comme des pis-aller pour sacrifier quelque peu à la partie la moins éclai­rée de l'opinion d'alors. Le croire serait certainement commettre un véri­table anachronisme. Même si la Maçonnerie est apparue parfois se réduire à ses courants matérialistes, rationalistes et humanitaires, c'est la méconnaître fondamentalement de penser qu'elle ne pourrait être que cela.

En fait elle a incarné et incarne toujours des composants qui relèvent de véritables inspirations traditionnelles, comme le montre bien ce que j'appellerais sa «pratique journalière». Celle-ci ne relève pas du discours historique mais bien d'une «re-création» des valeurs. Le rappel réitéré à une Tradition centrée sur une symbolique du métier met en lumière le fait que la Tradition est «répétition explicite» mais aussi que l'Homme s'il veut en dégager la valeur existentielle ne doit pas se situer par rapport à elle ou en face d'elle mais bien «en elle ». L'usage de l'outil, le travail en Loge ne sont pas de simples «faire savoir» de ces pratiques mais bien une « ré-identification » à la vie même de la communauté ; leur exécution et leur réelle compréhension affirmant l'importance de l'appel à l'imagi­naire et dans une certaine mesure à l'affectivité.

Nous attirerons aussi l'attention sur le fait que souvent le profane et même nombre de Maçons mettent l'accent sur les éminentes qualités « pédagogiques » de la Franc-Maçonnerie, mais cet aimable satisfecit est lui-même trompeur et surtout incomplet. Certes tout enseignement a le noble objet de communiquer à une autre intelligence un savoir respectant les normes qui réglementent le discours pédagogique, mais qui aussi, dans son acception habituelle, ne met en oeuvre que le seul intellect.

A l'inverse, l'enseignement implicitement contenu dans ce que nous appe­lons « Initiation » ne saurait relever du seul ordre intellectuel. Il prétend à mobiliser les profondeurs de la personnalité ; il veut être une authentique co-naissance, à la fois évocation et in-vocation, appel susceptible de modifier celui qui est soumis aux épreuves.

L'Initiation maçonnique ne saurait être non plus, entendue comme simple «rite de passage », tel ceux décrits dans les sociétés primitives, au moment où le jeune adolescent en même temps qu'il devient adulte au sens biologi­que du terme, est admis à part entière au sein de la communauté.

Elle est avant tout, entrée dans un nouvel ordre de valeurs grâce à la donation d'un nouveau sens à des objets-symboles dont le rôle est d'assu­rer la transformation de l'Homme, à la fois objet et sujet de la connais­sance, enjeu de sa propre destinée. J'aimerais citer ici ces quelques phra­ses du poète Novalis qui nous rappellent : qu'il n'est pas besoin de rêver de voyages à travers l'univers ; celui-ci n'est-il pas en nous ? Nous ne con­naissons pas les profondeurs de notre esprit. C'est au-dedans de nous que mène le chemin mystérieux. Seulement en nous ou alors nulle part, ne peuvent se trouver l'éternité avec ses mondes, le passé et aussi l'avenir. Le monde extérieur est le domaine des ombres et il jette son ombre dans le royaume de la Lumière ».

Ce beau texte devrait être lu par tout profane souhaitant entrer en Maçon­nerie. Il ne dévoile certes rien des rites ou des buts de celle-ci. Il lui signale seulement qu'il sera appelé quelque jour s'il persiste dans son souhait, à une véritable « conversion » qui n'emprunte rien à une religion donnée, mais qui concerne cet «espace du dedans» qui est aussi le véritable sens du mot : « ésotérisme ».

La plupart de ceux qui entendent ce terme, sont aussitôt tentés d'y voir de fumeuses supercheries ou, au contraire l'espoir d'y trouver le secret de pouvoirs mystérieux. De très sérieux écrivains de la Franc-Maçonnerie nous ont même dit que cette dernière raison fut probablement à l'origine de ce que l'on appelle les «Hauts Grades », dont le contenu aurait renvoyé à quelques procédures magiques ou à un savoir occulte.

Nous dirons seulement à ce propos que l'alchimie traditionnelle par exem­ple a trop souvent été présentée comme un ensemble de techniques et de recettes, destinées à fabriquer de l'or... Ce qui permet à des historiens ingénus de voir dans les essais et les erreurs de ses thaumaturges, un cha­pitre préliminaire à la science chimique moderne.

Or le «Grand Oeuvre » ne limite pas son ambition à la recherche intéres­sée de techniques en vue de la production de métaux précieux. Le vérita­ble alchimiste travaille à sa propre « transmutation »; sa tâche extérieure­ment visible est le symbole d'une quête de l'être véritable, d'une science qui justement lui donnera peut être cette maîtrise de la «conscience du dedans ».

Il a été souvent dit que la connaissance traditionnelle et son histoire, indi­quent au-delà d'elles-mêmes, la «totalité de la Réalité» où elles s'inscri­vent dans une relation d'interdépendance qui entraîne la mutualité des significations, fondements de la doctrine des correspondances. Corres­pondances, similitudes, harmonies, analogies sont autant de références traversant l'espace des mythes, eux-mêmes fondements de la conscience traditionnelle, dans laquelle nous retrouvons par un paradoxal retourne­ment le domaine des archétypes de l'histoire, même de celle qui se veut «science ». Cette dernière en effet, n'est pas indépendante de toute légende. Les historiens comme nous le rappelions plus haut, ont pieuse­ment entretenu des mythes aussi universellement respectés que par exem­ple celui d'une Sparte austère et vertueuse qui n'a jamais existé. Celui de la Rome républicaine, dont la fermeté et le courage ont modelé des géné­rations appliquées à imiter un idéal sans grand fondement dans la réalité.

Je lisais durant de récentes vacances, un très intéressant ouvrage intitulé : «Histoire de la Rome antique », dû à la plume d'un historien contempo­rain fort sérieux et fort connu, qui à propos des causes de la chute de l'Empire romain, faisait finement remarquer la diversité et le contradic­toire des théories avancées : abandon des jeux séculaires et des dieux pour le païen, des péchés des fils de la Louve pour le chrétien, inégalités et injustices sociales pour un autre (qui n'avait certes pas encore lu les philo­sophes du XIXème siècle... !) et, plus récemment pour certains écrivains marxistes, soulèvements d'esclaves dont les documents ne montrent aucune trace... ! C'est le philosophe austère et le rigoureux moraliste Lachelier qui écrivait au début du siècle : faudrait dire (à propos de la famille préhistorique) que l'histoire est une illusion, le passé une pro­jection et qu'il n'y a de vrai que l'idéal et l'absolu. C'est la légende qui est vraie et l'histoire qui est fausse...». Curieuses affirmations et lucidité surprenante si nous nous reportons à l'époque où tout cela fut dit...

Bouclant là notre boucle, nous retrouvons donc dans une étroite compli­cité, la Tradition et l'Histoire. La conscience mythique ne perd jamais ses droits parce qu'elle n'a jamais cessé, aujourd'hui comme hier, de s'employer à donner un sens au monde humain. La prolifération actuelle des mythes historiques apparaît un écho de la désorientation ontologique dont souffre l'Homme contemporain dans le nouveau monde qu'il a créé. A la différence des plus anciens, ils frappent par leur fréquent caractère social, peut-être inévitable en un temps où la destinée individuelle appa­raît comme un cadre trop étroit pour l'expression de la vérité. L'homme d'aujourd'hui prend conscience qu'il est impossible de se sauver tout seul et la recherche d'un Salut purement spirituel lui apparaît en contradiction avec la leçon même des choses. Les problèmes angoissants et difficiles posés par l'intervention des facteurs techniques, ne peuvent être résolus en dehors d'elle. Il n'apparaît plus possible de séparer le salut spirituel du droit de chaque homme à l'existence ; persuadé qu'il ne saurait suffire à remanier des idées, il lui apparaît indispensable de s'efforcer à remettre le monde en ordre.

Ainsi, les mythes modernes ont-ils un caractère plus «matériel» que jadis. Se voulant tournés vers l'avenir et non vers le passé, ils apparaissent plus anthropocentriques que théocentriques. Déploiement des valeurs dans le temps ou histoire trans-historique, ils veulent prophétiser sur l'avenir de l'humanité, mais aussi agir sur elle.

En cela ils nous confirment que l'ordre humain à toutes les époques se définit en fonction d'un horizon mythique qui lui est propre. La place de l'homme dans la totalité humaine, se trouve réglée par de vastes représen­tations à la fois réelles et irréelles encadrant le destin collectif. Mais à l'inverse d'époques plus éloignées de nous mais surtout plus stables, il est fait des mythes actuels une consommation tellement abondante et si rapide, qu'une véritable conscience mythique n'a plus le temps de se for­ger, de devenir foyer de toutes les affirmations de transcendance, subli­mant toutes les aspirations humaines et réalisant la promotion de l'ins­tinctif en spirituel.

J'aimerais pouvoir vous convaincre qu'à cette dégradation, la Franc- Maçonnerie a fourni par avance des réponses toujours valables. A ses débuts mêmes, ses fondateurs ont émis une injonction solennelle à tous leurs Frères présents et avenirs, celle de se refuser en Loge à toute discus­sion sur des sujets politiques (ou religieux), afin que l'Ordre puisse demeurer le «Centre de l'Union ». Cette exigence a été souvent relativisée, la réduisant à une valeur circonstancielle, liée aux événements qui, peu de temps auparavant avaient ensanglanté durant de longues années, les Iles Britanniques. C'est à l'inverse une valeur absolue qui doit lui être donnée. Le discours politique en effet, n'est qu'un bâtard mal venu, à l'avenir obsolète dès sa naissance, du discours historique. Mais celui-ci, quand bien même s'efforce-t-il à l'objectivité, se relativise dès qu'il est pro­noncé, rejoignant bien vite le temps et l'espace des mythes politico­historiques, mais ceux-ci se sont montrés le plus souvent d'exclusion et d'inhumanité. Mythes sanglants que nous propose l'histoire et qui ne sau­raient pénétrer dans le Temple où se poursuit la seule Histoire qui vaille, celle de la construction jamais achevée de la conscience humaine et de sa liberté.

Paul Laget

Conférence prononcée le 15 avril 1989, par Paul Laget dans le cadre du cercle Condorcet Brossolette.

Publié dans le PVI N° 73 - 2éme trimestre 1989  -  Abonnez-vous : PVI c’est 8 numéros sur 2 ans

P073-1 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \