GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 2T/1989 |
Le Qui et le Quoi Le Qui ? pour Quoi ?Noé, nous apprend
la Tradition, eût trois fils : Cham, le Chaud ; Set, le Nom ; Jafet, le Beau.
Ces hommes auraient-ils cherché Dieu ? S'ils l'ont fait on peut imaginer que le
Chaud l'ai trouvé dans l'amour. Toutefois cela n'est pas certain. Ce ne l'est
pas parce que le genre humain a la faculté d'aimer l'amour pour l'amour plutôt
que pour l'amour de Dieu. Si donc le Chaud a trouvé l'amour a-t-il vraiment
besoin de Dieu ? Le Beau, quant à
lui, n'est pas susceptible de faire l'impasse. La divinité, à ses yeux, va de
soi. Une Divinité qui ne serait pas belle serait-elle encore une Divinité ?
Pour le Beau, Dieu est immédiat : il est le Beau. Considérons alors
que le Chaud et le Beau se rencontrent. Le Chaud fusionne dans la beauté de
l'amour en même temps que le Beau fusionne dans l'amour du Beau. N'est-ce pas
romantique ? (Plus exactement ne serait-ce pas là la définition même du
Romantisme ?) Que vient donc faire le Nom quand l'amour et le Beau se sont
trouvés. La caractéristique première du Nom c'est qu'il débute dans la vie en
se trouvant sans emploi. C'est pourquoi en en cherchant un va-t-il tout
remettre en question. Mais que va-t-il donc chercher pour trouver sa place ?
Ou, pour dire la même chose autrement : le Qui ? Pour Quoi ? Et bien le Nom va
chercher à savoir « Qui » il est. Pour Quoi le Qui ? Pour s'identifier. Le Qui de la personneOn se souvient que
dans l'Odyssée Polyphème déclare que «
Personne » ne cherche (pas) à le tuer.
De nos jours, quand la police procède à un contrôle
d'identité, elle demande
«le nom de la personne ». Il faut comprendre qu'elle
demande le nom de
quelqu'un. Ensuite, en possession du nom, elle se renseigne pour savoir
« qui »
est cette personne. Serait-elle suspecte parce que déjà
fichée ? En plus de votre
nom la police note « qui » vous êtes. Question :
«Qui est cette personne ? ».
Réponse : «Le coupable ». «Et celle-là
? » - «La victime ». De cette manière
les ordinateurs sont capables de comptabiliser les
catégories du « Qui » sans
savoir leur nom. Par exemple, quand
une usine pollue, on peut connaître le nombre de victimes sans connaître le
nom des coupables. Il faut bien
reconnaître à ce propos que le Chaud et le Beau qui n'ont jamais eu l'idée de
faire des usines n'ont pas ces problèmes. La caractéristique
seconde du Nom est qu'il ne dit pas Qui est la personne. L'image de Qui ? Pour savoir «Qui »
il était Narcisse se contemplait dans le miroir de l'eau. Si un jour en vous
regardant dans la glace vous ne voyez personne, ou bien si vous voyez quelqu'un
que vous ne connaissez pas, c'est que vous avez un problème. Si c'est vous
alors vous pouvez être sûr que l'image de vous, c'est vous. A défaut de miroir
les « Autres » vous renvoient votre image. L'image de « Qui » ? Telle est la
question. L'image de soi, en effet, ne va pas de soi. Elle dépend des «Autres».
Voilà pourquoi, pour accorder le «Moi» avec le «Soi», en vient-on facilement à
jouer le rôle de son propre personnage. «Considérons ce
garçon de café. Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop
rapide, il vient vers les consommateurs d'un pas un peu trop vif, il s'incline
avec un peu trop d'empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu
trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà qui
revient, en essayant d'imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d'on ne
sait quel automate, tout en portant son plateau avec
une sorte de témérité de funambule, en le mettant dans un équilibre
perpétuellement instable et perpétuellement rompu, qu'il rétablit
perpétuellement d'un mouvement léger du bras et de la main. Toute sa conduite
nous semble un jeu. Il s'applique à enchaîner ses mouvements comme s'ils
étaient des mécanismes se commandant les uns les autres, sa mimique et sa voix
même semblent des mécanismes ; il se donne la prestesse et la rapidité
impitoyable des choses. Il joue, il s'amuse. Mais à quoi donc joue-t-il ? Il ne
faut pas l'observer longtemps pour s'en rendre compte : il joue à être garçon
de café ». (J.P. Sartre. L'Être et le Néant). On nous accordera
que, dans notre civilisation occidentale, nous sommes tous plus ou moins à
l'image de ce garçon de café. La troisième
caractéristique du Nom est que nous ne sommes pas exactement comme les autres
nous voient. A la question :
«Qui suis-je» il y a deux réponses, la mienne et celle des autres ; si bien que
le « Qui » n'est pas seul : il a une image. En se retranchant derrière son
quant-à-soi le moi ne laisse plus qu'une image de soi. Le Qui et la fonctionMoins je sais qui
je suis, plus je m'identifie à ma fonction. La fonction sociale que j'occupe me
renvoie mon image sociale. Si mon image est forte alors mon Qui supporte d'être
faible. Tel est le cas des hommes de paille. A ce propos l'Orient se sépare
radicalement de l'Occident. Pour les adeptes du Zen le Moi personnel est un
mirage qui est formé par mon image sociale laquelle résulte d'un jeu de
miroirs. Il n'y a pas davantage de moi individuel qu'il n'y a de réalité dans
une image. La société qui confère une âme à l'individu est donc plus importante
que l'individu. Elle doit par conséquent fonctionner comme il convient, faute
de quoi l'individu devient inanimé. C'est pourquoi, pour qui comprend bien
l'Art en Mie, une fonction confère beaucoup de devoirs et peu de droits. En
occident au contraire, la pathologie du moi provoque une pathologie de la
fonction. Il est bon d'être Président de quelque chose. Dans l'éventualité où
le « Qui » s'est réfugié tout entier dans la fonction, qui perd sa fonction
perd son être. Le cadre des
sociétés évoluées éprouve ainsi beaucoup de difficultés à conserver son
identité quand il se trouve au chômage. La quatrième
caractéristique du Nom est qu'il perd facilement son «Qui» dans le « Quoi » de
la fonction. «Mais « qui » est donc ce monsieur que tout le monde salue ?»
demande le visiteur au portier. «Vous ne le connaissez pas ? Mais c'est
Monsieur le Directeur ! ». Comme vous le dit le portier, ce monsieur n'a pas de
nom. Il a une fonction. Sa fonction est son image. Mais au fond, qui est-il ? Pathologie du QuiHervé Bazin, dans
son considérable succès de librairie, Vipère au Poing» (1948) décrivait le
comportement de sa mère l'aimable Folcoche. Le jeune garçon de retour de
vacances court se blotir dans le giron de sa mère qu'il n'avait pas vue depuis
longtemps. La paire de giffles que sa mère lui expédie remet les choses en
place. (C'est pourquoi : «tout le monde n'a pas la chance d'être orphelin»). Le
père ne bronche pas. «Dieu le Père» est une expression redoutable. Elle laisse
entendre que Dieu pourrait se substituer au père que l'on n'a pas eu. Honore
ton père et ta mère» ordonne la loi. Il y a des cas où les héros ne sont pas
ceux que l'on croit. Quand la société détruit le «Qui », reconstruire son nom
est une entreprise tragique. Il est difficile de connaître les statistiques des
enfants maltraités. Le «Qui» de l'enfant maltraité n'est pas pris en compte par
la police. Il appartiendra au Juge d'expliquer, quand l'enfant sera grand, que
l'adulte, coupable aujourd'hui, était la victime d'hier. Il se forme ainsi une
mécanique décrite par Ronald D. Laing selon laquelle les identités deviennent
complémentaires. Le policier a
absolument besoin de coupables, et de braves gens à protéger des coupables,
faute de quoi, il ne sert à rien. Le juge a absolument besoin d'un délinquant
que le Policier arrête. Il faut donc une victime. Dans «Le Balcon» de
Jean Genet, un Juge explique à une voleuse qu'elle doit absolument être une
voleuse : «Il faut que tu sois une voleuse modèle si tu veux que je sois un
Juge modèle. Fausse voleuse je deviens un faux Juge. C'est clair ? ». La
cinquième caractéristique du Nom c'est que le Qui que le Nom désigne est
facilement pathologique. Les civilisations du NomLa Grèce, où se
pratique le culte de la belle réthorique, des belles statues et des belles
céramiques, a hérité de Jafé, le Beau. L'Afrique a hérité
de Cham. L'Occident, quant à lui, a généré les Civilisations du «Qui »,
lesquelles cherchent leur nom. Sem, le Nom
s'annonce dans le monde par une crise d'identité. D'où la question : «être ? ou
ne pas être ? ». De son côté,
Descartes, quand il pense, ne nous dit pas « Qui » il est. Il ne précise pas
spontanément : «Je pense. Donc je suis René Descartes », comme si la précision
de son nom n'apportait rien d'essentiel. C'est pourquoi faut-il demander : «
Descartes ? Qui ? Le philosophe ? ». Quand Sem, le Nom, finit par savoir qui il
est, il oublie d'indiquer son nom. Or, les
civilisations occidentales, héritières de Sem, ont inventé l'industrie à partir
de la dissociation du beau et de la fonction, c'est-à-dire, à partir de la
dissociation de l'Art et de la Technique. Quel Grec aurait jamais imaginé
l'univers d'Emile Zola ? L'émergence de la civilisation des objets s'avère de
toute évidence liée à une crise du sujet. C'est en faisant «Quoi », parfois
n'importe comment, que le Nom cherche le «Qui ». Toutefois, dans la
civilisation des objets, c'est l'image de marque qui identifie l'objet. Or,
dans l'image, le « Qui » réel n'est pas défini. Le «plus d'avoir pour plus
d'être» porte surtout sur l'image de l'être. Les civilisations du Nom ne savent
donc pas exactement Qui elles sont, mais elles fabriquent des machines, des
appareils, des instruments et des objets. Voilà pourquoi ces civilisations de
la matière sont capables de se détruire en la manipulant sans savoir pour quoi. Le Nom, le Qui, et l'ÊtreComme nous venons
de le voir, les Civilisations du Nom débutent par une dissociation du Nom, du
Qui, et de l'Être. Ce n'est pas parce que vous vous appelez Monsieur Content
que vous l'êtes. D'autre part, nous pouvons changer de nom mais rester qui
nous sommes. Au contraire l'épreuve nous change sans changer notre nom. Être soi-même en
étant son nom ne va pas de soi. Or, dans les
civilisations industrielles du Nom en crise d'identité, le «Qui », qui n'est
jamais sûr de son être, semble croire que la matière est définitivement ce
qu'elle est. La civilisation des
objets pense que la substance de la matière est aussi un objet. C'est pourquoi
un esprit positif a-t-il de la peine à imaginer qu'un Sage de l'Inde parvienne
à solidifier le mercure, sans trucage aucun, par la seule vertu de son esprit.
Dans les civilisations des objets l'intelligence du sujet ne perçoit pas
l'intelligence de la substance. En conséquence de
quoi les sujets transforment la matière sans toucher à «son» essence. Les
Alchimistes étaient plus ambitieux. Ils pensaient transformer la matière en
transformant d'abord «leur» essence. Leur but était de fusionner le Nom, le
Qui, et l'Être. Auraient-ils réellement échoué ? Le Qui et le Quoi du franc-maçonQui sont les
francs-maçons ? Ils font Quoi ? Les francs-maçons se réclament de Hiram de
Tyr. Hiram était le chef de chantier du Temple de Salomon. Salomon fit appel à
Hiram parce que ce dernier avait la Connaissance, la Sagesse, et
l'Intelligence. Hiram était fondeur de métaux. Il confectionna tout ce que
Salomon lui demanda : les Colonnes du Temple, le Grand Bassin en
cuivre, la Table, le Candélabre, tous les objets du culte. Dans la fusion, sans
doute fusionna-t-il la Connaissance, la Sagesse et l'Intelligence. A la question de
savoir : «Qui est donc Hiram de Tyr de la Tribu de Nephtali, le Fondeur ? »,
nous pouvons ainsi répondre : «Le Chef de Chantier du Temple de Salomon ». Le
Qui et le Quoi de Hiram ont fusionné. Hiram porte le Nom de son oeuvre. Ce par
Quoi il est devenu lui-même. Son image, son nom et son être ne font qu'un. Les
francs- maçons se disent les continuateurs des Compagnons Bâtisseurs des Cathédrales.
Le franc-maçon, encore Compagnon, estime qu'il faut construire son nom comme
Hiram de Tyr a construit le Temple. Mettre son nom en Chantier, tel est le
Travail du Compagnon Opératif. «Le Chantier du Temple, c'est Quoi ? ». Réponse
: «C'est le Chantier du Qui ». En fusionnant le Qui avec le Quoi le Maçon
Compagnon redonne un statut à la matière. Selon ce statut, le Quoi de la
matière n'est plus tout à fait «Quoi». Il est déjà presque «Qui». Le titreDans le monde
profane où chacun cherche à s'identifier à travers une image de marque la plus
favorable le titre valorisant est le refuge du moi. Même après la
Révolution Française les titres de baron ou de comtesse font recette. Les
armées en ont toujours fait une de leurs forces principales. Pour briguer le
titre de Général plus d'un colonel bravera la mort. Dans de nombreuses
industries la fonction d'ingénieur est aussi un titre. Il faut savoir à ce
propos que chez les francs-maçons les fonctions ne durent que trois ans. A quel
titre ? Pour se retrouver soi-même après avoir perdu sa fonction. Chez nous le
Qui n'est pas un titre. Le «Quoi» du
poète et le «Qui» de la science. Si je n'identifie
pas le Monde je me sépare de lui. C'est ce qu'ont fait nos poètes de l'époque
du début du développement industriel, et c'est ce que font systématiquement les
ingénieurs mécaniciens pour qui l'objet est indépendant du nom de la personne. C'est ainsi que «
l'Etranger » de Camus est étrange à lui-même dans un monde qui lui est
étranger. Ce n'est pas tellement la question : «Qui suis- je ?» que se pose
l'Etranger, c'est plutôt : «Quoi ? Moi ? ». L'Etranger ne s'identifiant pas
comment aurait-il pu identifier le Monde ? Quand Rimbaud lance : «Nous ne
sommes pas au Monde », nous comprenons aujourd'hui qu'il percevait
implicitement le Monde comme un objet. Cet objet est devant lui et il n'y a
personne dedans, à l'instar des mécaniciens. Le « Qui » du sujet est traité
comme le « Quoi » d'un objet. C'est « Quoi » un animal ? questionnent les
vivisecteurs qui «découpent la chair des animaux vivants ». Réponse : «du
matériel ». Toutefois peut-on
affirmer que le calcium de nos os et l'azote de notre chair sont
différents de
ceux de l'Univers ? Et la substance même des atomes ? Qu'en
est-il ?
Précisément les physiciens des invisibles atomes
découvrent un milieu continu
de gaz de particules atomiques aussi ténu que leurs propres
pensées. Or, la
pensée n'est-elle pas générée par
l'activité électromagnétique du cerveau ? Au
coeur de la matière et au fond du puits de la Conscience on ne
voit plus avec
précision où résiderait une séparation
entre la substance de la substance et
l'énergie de la conscience. A la même époque ou
l'Etranger avait perdu son Nom
dans un Univers anonyme, les physiciens de l'invisible trouvaient
d'étranges
objets : leur propre conscience. Au moment où les poètes
se percevaient comme des objets, les physiciens identifiaient la substance de
l'Univers comme la leur. C'est que, si les poètes sont des médiums de leur
temps, ceux de notre époque ont été abusés par la froideur de la Science qui
cache la passion du chercheur. La passion du chercheur ne relève pas d'une
simple psychologie. Elle reste un mystère. De la crise du sujet selon la
Science émerge maintenant une question forte sur le Qui » de l'Univers,
laquelle se pose comme un résultat scientifique. Qu'on nous lise bien : ce
n'est pas la réponse sur le « Qui » qui est scientifique, c'est la question sur
le Qui » qui est posée par la Science, elle qui n'a pas été posée par nos
poètes. Le Monde, «c'est Qui ? ». Ce à quoi le
franc-maçon, encore Compagnon répond ce qui suit. L'amour ? c'est Quoi ?«Connais-toi
toi-même et tu connaîtras l'Univers et les Dieux ». Cette sentence est la
plupart du temps mal comprise parce que, l'on croit qu'il s'agit d'une
introspection ou d'une psychanalyse. Or, si l'on cherche à savoir qui l'on est,
on se considère toujours comme un objet. Dans le savoir objectif le sujet reste
objet de science. Or c'est de tout le contraire qu'il s'agit. «Connaître » est
un mot de la Tradition qui veut dire : «Fusionner ». « Connais-toi toi-même » signifie
par conséquent : «Fusionne avec toi-même ». Dans la Fusion « Qui » trouve son
Nom. Or, «Et Adam connut Eve est un acte d'amour ». L'Etranger «qui comme
Rimbaud n'est pas au Monde » n'a pas connu l'àmour. Quant à nos
physiciens ils n'ont pas fait mieux. Que nous proposent-ils sinon un arsenal de
bombes atomiques susceptibles, disent les «experts », de faire sauter quarante
fois la Planète ? Il est clair qu'aux yeux de l'humanité la substance de la
matière-énergie est encore une sorte d'objet que la conscience des sujets
n'habite pas. La science des objets que l'industrie fabrique accumule le savoir
comme l'armée accumule des bombes. Ce savoir se communique pédagogiquement pour
enseigner ce qui a été appris. Au contraire la connaissance est intégratrice. Elle dissipe la
surface des objets qui, ainsi, ne sont plus séparés. Elle
se communique par
initiation. Comme on le voit, ni l'Etranger, ni Rimbaud, ni nos
physiciens
n'ont été initiés. Ils n'ont pas fusionné
le « Qui » avec le « Quoi » comme le
fit Adam qui donna un nom à toutes les plantes et à tous
les animaux, et connut
Eve. Le «Qui» du livre sacréLe Livre Sacré nous
apprend, dans le Livre 1 des Rois au chapitre 8 et au verset 9, qu'un certain
Livre de l'Alliance était conservé dans le Sanctuaire du Temple de Salomon
dont Hiram était chef de chantier. Dans le Livre Sacré il est écrit : Dieu dit
: «Je suis Celui qui suis ». En conséquence de Quoi le Monde est identifié.
Mais, Quoi de Moi ? Justement, disent les Sages, il faut être à même de lire
son propre nom dans le Texte du Volume de la Loi Sacrée. «Ne dites pas qu'il
n'y est pas, car alors il n'y sera pas ». « Vous dites qu'il n'y a rien ? Et
bien ! il n'y a rien ! ». Nous pouvons comprendre ce que déclarent les Sages de
la façon suivante : « Vous dites que la musique n'est pas dans le piano, et
que, par conséquent il serait vain d'étudier le piano ? Vous dites que le piano
n'est qu'un corps matériel qui ne contient pas l'esprit ? ». « Soit ! N'en
jouez pas ». «Toutefois, vous dites qu'il n'y a rien, mais vous êtes bien là
pour le dire ! ». Le propre du Néant, il faut bien le reconnaître, c'est qu'il
n'est rien s'il n'y a personne pour en parler. Or, voilà qu'un
musicien se met au clavier et coupe court à la discussion académique de savoir
si la Musique est dans le piano comme le sucre dans le sucrier. Il fait vibrer
les cordes selon son style qui lui est propre et l'Univers chante. A sa façon
de jouer il n'y a pas de doute, c'est lui ! Franchement, à ce propos, je veux
dire à propos de la personnalité de l'artiste, je vous pose une question : sa
façon personnellement subjective qu'il a de ressentir la Musique remet-elle en
cause, aussi peu que ce soit, l'objectivité de l'Harmonie avec un grand H ?
Bien au contraire, vous en conviendrez ! A chaque note qu'il joue
personnellement il en confirme l'existence ! Or que serait-ce que la Musique
s'il n'y a personne pour en jouer, s'il n'y a pas d'instruments de musique, et
si personne ne l'écoute ? N'est-ce pas évident ? Il n'y a de musique que si
quelqu'un en joue personnellement. La Musique, c'est clair, est totalement
existentielle. L'Harmonie, elle, est comme l'être ; elle est essentielle, mais
elle reste inexistante si personne ne la fait sortir de l'invisible. A ce
propos, exprimons d'un mot la pensée de Spinoza: « Dieu existe-t-il ?» «Mais
c'est l'existence qui est Dieu ». Qui donc nous
révèle l'existence d'une si belle Harmonie ? « Ce » musicien. Quand «Ce
musicien là» nous révèle la Beauté du Monde que nous ne savions pas percevoir
aussi bien qu'il le fait, lui, selon son style et sa signature qui lui est
propre, il identifie le Monde. La Personnalité de l'artiste fusionne ainsi avec
l'Universalité objective de l'Harmonie. Alors Jafet, le Beau, « s'abrite sous
la tente de Sem, le Nom ». Pour qui le Nom ?
Pour identifier l'Univers. Celui qui
s'identifie à : «Je suis Celui qui suis» signe alors un Pacte qui s'appelle
l'Alliance. Quoi de mon nom en effet si l'Univers n'a pas de Nom ? Et, s'il en
a un, je n'ai rien à faire avec lui ? Précisément il faut savoir à ce propos
que notre Constitution Maçonnique stipule que les Maçons se considèrent comme
les héritiers directs de Noé. Sem, Cham et Jafet représentent donc à leurs yeux
des supports privilégiés pour prendre conscience de la manière dont le monde
des humains fonctionne. Michel JARRY 1. J.P. Sartre, «L'Etre et le Néant». Gallimard. 1943. 2. Ronald D. Laing, «Soi et les Autres». Gallimard. 1971. «Le Moi Divisé». Stock. 1970. 3. Jean Genet, «Le Balcon». Editions Marc Barbezat. L'Arbalète. Collection folio. 1986 (page 33). 4. Collectif, «La Matière Aujourd'hui». Editions du Seuil. 1981. Collection Point Science. 5. Camus, «L 'Etranger ». Gallimard. 1957. Collection folio. 6. Spinoza, « Oeuvres 1». Flammarion. Collection GF n°34 (pages 341-344). 7. Plotin, « Traité sur les Nombres» (Ennéades VI 6 (34). Ouvrage publié avec le concours du Centre National de la Recherche Scientifique. Librairie Philosophique J. Vrin, 6 place de la Sorbonne Ve. Paris 1980. «(En effet) l'intelligible en tant que Vivant est beau ». (p. 137). 8. Maxime des Pères, «Pirqué Avot». Les Editions Colbo, 3 rue Richer Paris 9e, 4e édition. 1986. |
P073-3 | L'EDIFICE - contact@ledifice.net | \ |