GLDF | Revue : Points de Vue Initiatique | 2T/1989 |
Les deux
Saint-Jean Au solstice
d'été comme au solstice d'hiver, les francs-maçons respectueux de la Tradition
et, parmi eux, particulièrement ceux de rite écossais ancien et accepté de la
Grande Loge de France, honorent Jean dont on a coutume de dire qu'il serait la
référence privilégiée pour ceux qui s'attachent à l'Initiation. Cet honneur
fait à Jean, les francs-maçons le manifestent dans ce qu'ils ont coutume
d'appeler les fêtes solsticiales : Fête solsticiale de la Saint-Jean d'hiver en
l'honneur de Jean l'Evangéliste et Fête solsticiale de la Saint-Jean d'été en
l'honneur du Baptiste du Christ, son aîné de six mois dont la Bible nous dit
qu'il était le fils de Zacharie rempli de l'Esprit et de la vertu d'Elie et
fils d'Elisabeth, la cousine de la Vierge Marie. Au-delà de ces
deux figures bibliques s'éclairent certains aspects du sens profond de ce dont
la franc-maçonnerie se veut porteuse. En effet, en s'intéressant aux solstices,
ces moments privilégiés de l'année où la course du soleil semble s'arrêter dans
le ciel, le franc-maçon témoigne de son ancrage dans la Tradition initiatique. Tradition
initiatique, culture traditionnelle, fêtes solsticiales symboliques de ces
temps forts de l'année pendant lesquels le soleil semble dispenser, dans notre hémisphère,
le moins ou le plus de sa lumière. On peut voir dans cette démarche festive,
une tentative pour dépasser l'époque où ces moments marquaient la crainte de
voir la course descendante du soleil se poursuivre jusqu'aux ténèbres absolues
ou bien la course ascendante ne pas se perpétuer ultérieurement. Par le jeu
festif, on peut penser que l'homme éprouvait alors le besoin de s'attacher les
grâces de quelques divinités tutélaires qui favoriseraient son désir de
réassurance. Il trouvait dans ce syncrétisme magique, le moyen de conjurer les
sorts défavorables et de perpétuer ceux qui lui semblaient plus heureux quand
la chaleur de l'astre solaire à son plein épanouissement, coïncide avec
l'abondance des bienfaits de la nature. Le franc-maçon
n'ignore pas que ces pulsions émotives profondes et primitives ne doivent pas
être oubliées ; elles restent significatives de notre enracinement dans
l'espèce et dans son animalité, mais on peut désormais les assumer. Certes,
indirectement, l'homme retrouve toujours ses angoisses millénaires mais s'il
les accepte comme cherche à le faire le franc- maçon, c'est pour souligner que,
les ayant dépassées parce quenrichies au fil des siècles par les progrès du
savoir, il peut témoigner de sa participation à l'ordre cosmique. En fêtant Jean
de Patmos, l'Evangéliste, à l'aube de l'hiver quand la lumière va reprendre son
cours ascendant et Jean le Baptiste au faîte de l'éclairement, quand elle va
commencer à décroître, symboliquement, le franc-maçon traduit qu'il est partie
prenante du cours des choses et des cycles du temps. Microcosme, il
s'inscrit délibérément, à part entière, dans le macrocosme universel et il
traduit aussi, par là, l'humilité qui l'habite en tant qu'homme dans ce monde.
En tant qu'homme qui reconnaît, avec la science la plus récente, ces autres
intuitions millénaires de cohérence et d'unité de la nature. Son humilité
devient alors le corollaire de cette avancée et elle résoud, en partie, dans
la quête de ce savoir sur le monde et donc, aussi, sur l'homme lui-même en tant
qu'il y participe. Et de réponses aux craintes de l'humanité, le savoir
devient le générateur de l'émancipation vers plus de liberté, plus
d'autonomie, en bref, vers plus de lumière. C'est aussi
cette symbolisation de l'humanité pensante et qui se libère de ses angoisses
les plus essentielles, que veulent honorer les francs-maçons dans les fêtes
attribuées aux Saints-Jean. Revenir à la
Tradition initiatique dont la source se fond dans la nuit des temps et dont
toutes les tentatives d'explication historique n'épuisent pas l'origine, c'est
donc accepter de se rattacher aux mythes qui servent d'aliment pour
l'inconscient humain. Le franc-maçon ne renie pas cet inconscient. Il
considère même que sa démarche initiatique sur les pas du sacré sous ses
diverses formes, l'éclaire. Elle traduit sa quête de connaissance pour dépasser
son état servile envers l'ignorance et pour tenter de comprendre
symboliquement les forces qui gouvernent l'univers, pour ne pas leur être
étrangères et donc pour être disponible à tout savoir rationnel qui sera le
fruit des méthodes de la science à leur endroit. Dans son souci
de rencontre avec les grands mythes fondateurs de l'humanité, le franc-maçon
retrouve ainsi les deux Saints-Jean. Mais il retrouve aussi les fêtes romaines
de Janus qui se célébraient aux mêmes moments de l'année en l'honneur de ce
Dieu au double visage. On a coutume
de dire que l'un était tourné vers le passé et l'autre vers l'avenir et que,
dans l'entre-deux de ces visages qui figurent le temps qui passe, il y avait le
présent rendu invisible. Comme si l'on avait cherché à témoigner de la
tentative désespérée de l'homme pour suspendre le temps dans ce présent qui
fuit sans cesse. Célébrer ces
fêtes des saisons qui ne sont le propre d'aucune religion, constitue pour le
franc-maçon, le rappel symbolique que ce sacré auquel il était fait allusion à
l'instant, est ancré au cœur de l'homme. Sacré - ce mot
qui a la même étymologie latine que serment - ne peut pas trouver de meilleure
illustration qu'à l'occasion de ces fêtes. Comme le serment, il cherche à faire
durer, à rendre stable et permanent ce temps présent qui fuit. Sa manifestation
est très restreinte ou très masquée en comparaison des deux faces du passé et
de l'avenir. De la première, on cherche à tirer l'expérience signifiante et par
la seconde on suppute l'espoir et le sens pour la condition faite à l'être
ici-bas, alors que le présent s'est déjà évanoui dans un autre présent tout
aussi évanescent. Ainsi, en
fêtant les Jean ou le Janus romain à l'étymologie consonnantique voisine, aux
solstices, les francs-maçons accordent-ils symboliquement un sens profond aux
passages. Symboliquement, ils « mesurent » le temps entre ces deux passages que
sont les courts moments d'apparente stabilité. Temps ascendant de la lumière
visible en hiver et au printemps puis temps descendant ensuite quand cette
lumière s'intériorise au coeur de l'homme quand on va du baptiste à
l'évangéliste, disciple du Christ. Jean, dans son
étymologie hébraïque, rend compte d'un double mouvement de grâce ascendante et
de miséricorde descendante ; il rend compte d'un double. Il y a là de ces
intuitions profondes dont est porteuse l'initiation et sur lesquelles nous
voulons nous arrêter pour finir. C'est aux
solstices quand la course solaire semble arrêtée que l'homme semble être le
plus apte à sentir ce bref passage entre deux cours opposés du temps. Les
Francs-maçons ont l'habitude d'être considérés comme étant sensibles aux
nombres et, en particulier, au nombre trois. En fêtant les passages entre deux
états contraires et en faisant coïncider ces fêtes avec les grands cycles
annuels auxquels a rendu hommage l'humanité, ils veulent souligner que leur
trois est plutôt la quête et la reconnaissance du troisième pôle qui se situe
dans l'entre-deux et qui rejette les manichéismes. Passage, trois
dans l'entre-deux, sensibilité au provisoire, au changeant, le franc-maçon sait
symboliquement combien il est hasardeux de quitter cette humilité du
provisoire, du non-fini qui rencontre l'infini. Il sait autant qu'il ressent
que ce manifestement inachevé et provisoire fonde, les valeurs de tolérance
mutuelle et de respect de l'autre comme frère en humanité et en vie dans
l'exercice de sa liberté et de sa rationalité limitées : celle-là dans les
rapports aux semblables et celle-ci par essence mais enrichie par la
confrontation ouverte. En définitive,
le franc-maçon qui honore Jean le baptiste et Jean l'évangéliste retrouve
symboliquement la permanence de l'Esprit partagé par la rencontre entre les
hommes. Il sait autant
qu'il ressent, que cette rencontre profonde et sincère, celle qui marque le
lien qui unit l'humanité et tout le vivant par delà toutes les barrières
qu'imposent les différentes identités individuelles ou culturelles, c'est
l'amour. C'est l'attachement à son semblable reconnu à la fois comme
irréductible à soi et inscrit, comme soi-même, à part entière, dans le grand
cycle de l'univers créé. Les anciens grecs utilisaient le verbe « agapao » pour exprimer cet accueil de l'autre avec amitié, ce lien qui unit sans réduire, ce lien qui s'accomplit dans la dignité de chacun pour une finalité ouverte. Encore aujourd'hui, les francs-maçons appellent symboliquement «agapes », le repas fraternel qu'ils partagent en commun lors des fêtes des deux Saint Jean. Publié dans le PVI N°
73 - 2éme trimestre 1989 - Abonnez-vous
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