GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 3T/1989 |
La Maçonnerie
et la Révolution Française On a beaucoup
épilogué quant à l'influence de la Franc-Maçonnerie sur le Révolution
Française. Les légendes les plus contradictoires ont couru à ce sujet. Les
adversaires de la Franc-Maçonnerie s'en sont donné à cœur joie, mais il faut
bien convenir que les francs-maçons sont en partie responsables d'un certain
nombre de légendes. Un bref rappel
historique nous paraît nécessaire. Les Loges sont les
lieux où les ouvriers constructeurs d'églises et de cathédrales rassemblent
leurs outils, et ils discutent après le travail, ils ont dès cette époque leurs
règles, leurs devoirs de solidarité et de fraternité. Ils possèdent un système
hiérarchique, et tout apprenti peut s'élever dans l'échelle sociale,
c'est-à-dire devenir un Maître. C'est précisément
le jour où cette promotion sociale cessera d'exister que naîtra le
Compagnonnage, révolte des ouvriers opératifs qui aspirent à la promotion
sociale. Le Compagnonnage sera ainsi l'une des premières formes du Syndicalisme
ouvrier, et sera connu par les poursuites judiciaires dont il était l'objet à
cette époque. La Franc-Maçonnerie
opérative va se développer non seulement en France, mais en Angleterre, et
essentiellement en Ecosse, où vont naître des Loges permanentes, alors que les
ouvriers opératifs allaient de Loge en Loge. Pour différentes
raisons, les Loges en Ecosse vont recevoir au début du XVIIème siècle des
non-opératifs, que l'on qualifiera de maçons acceptés. Différentes explications
ont été données à cette nouvelle phase évolutive de la Franc-Maçonnerie, le
goût du secret, le désir de rassembler des hommes de différentes tendances,
mais qu'on ne se méprenne pas surtout sur le travail effectué dans ces Loges.
On ne fait surtout pas de politique ou même de symbolisme. On se réunit
volontiers pour célébrer la joie de vivre. Cependant, on va
voir apparaître une nouvelle évolution dans la Maçonnerie, avec l'apparition
de scientifiques, des membres de la Royal Science Academy, et en 1717, quatre
Loges de Londres vont se réunir pour constituer la Grande Loge de Londres et
une Commission va être désignée, afin que l'histoire, les obligations, les
règlements et le droit du Maître fussent imprimés. Et cette Constitution,
exceptionnelle dans l'histoire de l'Angleterre, est connue sous le nom des
«Constitutions d'Anderson ». Et l'Article
Premier de ces Constitutions doit être rappelé avec force, car il incarne à lui
seul le caractère révolutionnaire de la Franc-Maçonnerie, du moins pour
l'époque. L'Article 1
concerne Dieu et la Religion. Il est ainsi conçu : «Un maçon est obligé par son
engagement, d'obéir à la Loi morale, et s'il comprend correctement l'Art, il
ne sera jamais un athée stupide ni un libertin irreligieux ». Mais, quoique dans
les temps anciens, les maçons fussent obligés, dans chaque pays, d'être de la
religion de ce pays ou nation quelle qu'elle fût, aujourd'hui il a été
considéré plus commode de les astreindre seulement à cette religion, sur
laquelle tous les hommes sont d'accord, laissant à chacun ses propres
opinions, c'est-à-dire d'être des hommes de bien et loyaux, ou des hommes
d'honneur et de probité, quelles que soient les dénominations ou croyances
religieuses. La Maçonnerie
devient le «Centre de l'Union », et le moyen de nouer une amitié fidèle parmi
des personnes qui auraient pu rester à une perpétuelle distance, et c'est là
une idée tout à fait nouvelle, et quasi révolutionnaire. Et ces idées,
chères aux maçons anglais, devaient gagner la France, et il convient de
rappeler ici le rôle d'un personnage, dont on n'a pas suffisamment célébré
l'anniversaire, Charles-Louis de Secondat, né le 18 janvier 1689, à la Brede,
qui avait un mendiant comme parrain, et qui est plus connu bien entendu, sous
le nom de Montesquieu. Son tricentenaire n'a pas été célébré avec éclat, mais
Montesquieu, qui devait être initié le 16 mai 1730 à Londres, à la très
aristocratique Loge « Horn » va inspirer la Constitution des Etats-Unis, avec
son célèbre principe de la séparation des pouvoirs, qu'il évoque dans «L'esprit
des Lois». Ces idées inspireront non seulement les Constitutionnels
américains, mais bien entendu les Constitutionnels français. Et en 1726 vont
naître en France les premières Loges (environ). Mais ces réunions d'hommes
appartenant à différentes catégories sociales ne vont pas manquer d'inquiéter
la police et les mouches de l'époque, qui font état des dangers que
représentent des réunions maçonniques par la diversité de leur composition. Luquet a publié des
rapports édifiants à ce sujet dans son ouvrage consacré à la Franc-Maçonnerie
et l'Etat en France au XVIIIème siècle. On peut y lire, par exemple, dans un
gazetin : «Ce que l'on trouve le plus extraordinaire, c'est qu'on prétend
qu'au moyen de cinq Louis d'or, toutes personnes sont admises dans cette Confraternité,
même jusqu'à des laquais et des artisans, en sorte que ces sortes d'assemblées
font présumer au plus grand nombre qu'il s'y passe quelque chose qui pourrait
bien être contre le bien de l'Etat, et même contre les bonnes mœurs ». On parle même de
fronde et de cabale contre le gouvernement. Une nouvelle forme cependant, de
la Franc-Maçonnerie va naître en France avec l'Ecossisme, inspiré par les idées
de Fénelon, qui veut une nouvelle Europe, loin des guerres, une Europe
chevaleresque, qui désire une France totalement éloignée de la politique
guerrière de Louis XIV. Le discours du
Chevalier Ramsay est-il à l'origine de l'Ecossisme ? la question reste
débattue. Mais la création de grades supérieurs au sein de cette nouvelle
Maçonnerie permettra plus tard aux adversaires de celle-ci de prétendre qu'elle
prépare la chute de la Royauté, et la lutte contre l'Eglise. Un grade
maçonnique introduit vers 1761 en France par le Chevalier Du Barailhe,
originaire de Nancy, va permettre la création de cette légende, dont les
instructions secrètes du grade de Chevalier Kadosch, ont fait allusion à deux
abominables personnages, Philippe Le Bel et Bertrand de Got, Archevêque de
Bordeaux, que Philippe Le Bel devait faire Pape. Ces deux
personnages étaient à l'origine de la destruction de l'Ordre du Temple et de la
mort de Jacques de Molay. Il s'agissait donc pour les Maçons, et
essentiellement pour les Chevaliers Kadosch, de se venger de la royauté et de
l'église. C'est sur ce fait que s'appuie Barruel, dont nous aurons l'occasion
de reparler, pour incriminer les hauts grades de la Maçonnerie, et qui
confortera ainsi les accusations de tous ceux qui affirmeront avec lui que les
francs-maçons des premiers degrés furent les dupes et les agents inconscients
des arrières-Loges. L'Abbé Proyart
n'hésitera pas de reprendre l'opinion de Barruel lorsqu'il écrira : «c'était
parmi ces exercices atroces qui se formaient sous le nom d'élus, de Rose-Croix,
de chevaliers Kadosch, de frères illuminés, tous ces êtres farouches et ces buveurs
de sang qui devaient 25 ans après, désoler la France et épouvanter la Terre.
C'était à l'ombre de ces cavernes que pullulait la scélérate engeance des
Jacobins ». Est-ce à dire qu'il
n'y a pas de Loges qui ont été infiltrées par des mouvements pré-révolutionnaires.
Le phénomène s'est incontestablement produit en Allemagne, ou plus exactement
en Bavière, avec les Illuminés de Bavière, dont le créateur était un professeur
de droit nommé Weishaupt, et dont l'objectif était d'abolir toutes les lois civiles
et religieuses, pour supprimer en particulier la propriété. Un personnage
intriguera en France les Historiens, Nicolas de Bonneville, auteur de l'ouvrage
«Les Jésuites chassés de la Franc-Maçonnerie et leur poignard brisé par les
Maçons». Bonneville souhaitait-il infiltrer les Loges pour créer un
programme anti-religieux et anti-révolutionnaire ? Il devait fonder, avec son
ami l'Abbé Fauchet, le Cercle Social, la Confédération Universelle des Amis de
la Vérité. A la veille de la
Révolution, le Grand Orient de France a 30 000 maçons, et il existe en outre la
Grande Loge de Clermont. Vont-ils jouer un rôle fondamental dans la Révolution
? Il est bon de noter que la Convocation des Etats Généraux est précédée de
l'Assemblée des Notables, convoqués par Calonne. Celui-ci suggère un certain
nombre de réformes, mais déjà, aucune unité parmi les maçons qui participent à
ces Etats. Ce sera plus tard
la Réunion des Etats Généraux, et Monsieur Lamarque a étudié le rôle des
francs-maçons aux Etats Généraux de 1789, et le bilan de ces travaux est le
suivant : l'appartenance maçonnique de 200 députés titulaires, de 37 députés
suppléants, la répartition entre les trois Ordres étant la suivante : le
Clergé 17 ou 18, la Noblesse 79, le Tiers-Etat 103 ou 117. C'est dans la
députation de la noblesse que la proportion est la plus élevée. On rencontre
également les opinions les plus variées parmi les députés maçons. Cependant, le
fameux serment du Jeu de Paume, prononcé le 20 juin 1789, par les députés de
l'Assemblée Nationale, dans la Salle dite du «Jeu de Paume», a un caractère
tout maçonnique. Le Président Bailly était-il maçon ? La question est discutée,
mais il faut reconnaître que ce serment a un caractère tout maçonnique, que
peut-être les historiens n'ont pas retenu : l'Assemblée Nationale arrête que
tous les membres de cette Assemblée prêteront à l'instant serment solennel de
ne jamais se séparer et de se rassembler partout où les circonstances
l'exigeront, jusqu'à ce que la Constitution du Royaume soit établie et affermie
sur des fondements solides, et que le dit serment étant prêté, tous les
membres et chacun d'eux en particulier confirmeront par leur signature, cette
résolution inébranlable. Et le 4 août 1789,
c'est la suppression des privilèges à l'investigation du Vicomte de Noailles,
qui avait pris part à la guerre d'Indépendance, et son parent La Fayette, qui
lui aussi, était maçon. C'est la joie collective de la nuit du 4 août. Et l'Assemblée
Nationale va ensuite déclarer les Droits de l'Homme, inspirée par la
déclaration américaine de 1776. Comment ne pas y reconnaître des relents
maçonniques, lorsqu'on y lit : « Ces Droits sont déclarés d'abord naturels et
imprescriptibles, et reconnus par l'Assemblée en présence, et sous les auspices
de l'Etre Suprême». N'est-ce pas un hommage discret au Grand Architecte de
l'Univers : «Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits». Et
puis, ces droits eux-mêmes : la liberté, la propriété, la sûreté, et la
résistance à l'oppression. Ainsi va naître la «Bible des Temps Nouveaux ». Si les maçons sont
nombreux parmi les Girondins de la Convention, les grands ténors
n'appartiennent pas à la Franc-Maçonnerie, à l'exception de Marat. Et
Robespierre lui-même, contrairement à la légende, n'est pas maçon. La Terreur
va arrêter les travaux maçonniques. Le Grand Maître Philippe d'Orléans, se fait
désormais appeler Egalité, et déclare ne plus vouloir se mêler en rien des
affaires du Grand Orient ni des Assemblées de francs-maçons. Un autre maçon,
célèbre pour d'autres raisons, avait joué un rôle important dans la campagne de
l'ex-Duc d'Orléans, le célèbre Choderlos de Laclos, l'auteur des «Liaisons
dangereuses», titre bien indiqué pour l'auteur. Si les Loges sont
pratiquement en sommeil, la Maçonnerie ne fut pourtant jamais interdite. Les
Loges se réunirent clandestinement, et il est inutile de rappeler tous les
excès de la Terreur, et nombre de maçons furent guillotinés (qui porte le nom
d'ailleurs d'un non moins célèbre maçon, le Docteur Guillotin). Signalons au
passage l'authentique aventure de Jean- Marie Gallot, franc-maçon de la loge de
« L'Union » de Laval, qui, ayant refusé le serment de la Constitution Civile en
1791, est emprisonné, refuse de jurer fidélité à la République, sera
guillotiné, et plus tard, béatifié avec 18 autres martyrs de la Foi en Mayenne
par Pie XII, le 19 juin 1955. Ainsi donc, le rôle de la Franc-Maçonnerie dans
la Révolution Française devait provoquer de vives polémiques. Barruel, dans son
célèbre «Histoire du Jacobisme»,
n'hésitait pas à soutenir que l'exécution de
Louis XVI et le renversement de tous les trônes avaient
été préparés au Congrès
de Wilhemsbad, mais en 1801, l'ex- conventionnel J.J. Mounier,
s'éleva avec
force contre les affirmations de Barruel. Mais plus tard, de nombreux
maçons
applaudirent à cette thèse et notamment Gaston Martin,
dans son ouvrage «La
Franc-Maçonnerie et la préparation de la
révolution». Tout en niant la
participation de la Franc-Maçonnerie dans la mort de Louis XVI,
Gaston Martin
s'efforça de glorifier l'action du Grand-Orient de France dans
ce qu'il appela
la préparation de la révolution. En fait, pour les
auteurs modernes, et notamment François Furet, il manque à la fin de l'Ancien
Régime des courroies de transmission entre le Pouvoir et ses sujets. La
noblesse de Versailles est domestiquée à la Cour, d'où un nouveau mode de
relation entre les citoyens ou sujets et le Pouvoir, de ce qu'un autre auteur,
Cochin, a appelé la sociabilité politique. Les Loges, les
Clubs de pensée, les cafés et autres ont tissé peu à peu une société de lumière
ouverte au talent, qui va ainsi constituer le contrepouvoir. Et d'autre part,
c'est que la Maçonnerie, par son rituel religieux, qui touche au plus profond
une civilisation chrétienne, va sacraliser les valeurs morales de la
philosophie des Lumières, la tolérance, la philanthropie, et la fraternité
humaine. Elle va ouvrir les voies d'un réformisme des élites, bien plus que
d'une révolution de masses. Si les maçons n'ont
pas ainsi inventé «la révolution française», si la devise Liberté, Egalité,
Fraternité n'a pas une origine maçonnique, elle sera en 1848 la devise de la
révolution française, et les Loges maçonniques, par une ironie de l'Histoire,
propageront les idées chères à la Révolution Française par l'intermédiaire des
loges militaires napoléoniennes. «Liberté, Liberté
Chérie», chanteront les soldats de l'an II. La liberté 8. n'avait certes pas
conquis le monde, mais la Maçonnerie a propagé dans le monde entier les idéaux
de 1789 pour un monde un peu plus juste, un peu meilleur, et un peu plus
fraternel. Publié dans le PVI N° 74 - 3éme trimestre 1989 - Abonner-vous à PVI : Cliquez ici |
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