GLDF Revue : Points de Vue Initiatiques 3T/1989

Les chemins de la Fraternité

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Suite :  14éme orateur

Michel Barat

Merci Georges Neslany de nous avoir montré que la lumière des idées, fut-elle si brillante, ne doit pas en fait éblouir au point d'oublier les réali­tés et que l'oeuvre maçonnique est justement celle tant du souci théorique que celui de la pratique.

Pour terminer cette journée, je vais céder la présidence de l'Assemblée au Grand Maître de la Grande Loge de France pour les conclusions de nos Rencontres de cette année.

Grand Maître Guy Piau

Très Respectables Grands Maîtres Présents,
Très Respectables Frères représentant les Obédiences amies, Mes frères, mes sœurs,
Mesdames, Messieurs

D'abord, je voudrais remercier le Grand Maître Georges Neslany pour l'obole que les frères de sa Respectable Obédience ont apportée pour nos frè­res de Nîmes et qu'il a remis à notre Grand Hospitalier, Jacques Azoulay.

Nos conférenciers ont su avec intelligence, compétence et sensibilité, dévelop­per une réflexion qui touche au passé, au présent et à l'avenir de la fraternité.

La fraternité n'est pas un état, elle est une construction permanente, une construction parfois douloureuse tant dans le corps physique que dans le cœur social de l'homme. C'est en cela que nous, les Francs-Maçons, con­sidérons comme un devoir de porter constamment témoignage pour une toujours plus grande et plus forte fraternité entre les hommes, sans dis­tinction de race, de culture et de croyance.

Homme, tu es mon frère parce que tu es homme. Au-delà de la réflexion, il doit y avoir l'action sans laquelle la réflexion ne serait qu'une illusion, une auto-satisfaction, sinon une auto-suffisance. Et l'action de la frater­nité, la fraternité agissante trouve son expression dans les entreprises de solidarité. Il n'y a pas de vraie fraternité sans manifestation de solidarité. C'est dans cette perspective que nos frères des Obédiences américaines organisées dans la confédération inter-américaine ont conçu le plan maçonnique régional dont deux des projets vous ont été présentés par le Très Respectable Frère Ricardo Noriégua Salaverry, Grand Maître de la Grande Loge du Pérou et Alejo Neyeloff, Grand Maître de la Grande Loge d'Argentine.

Ces projets sont des constructions du temps présent. Elles attestent pour l'avenir. La Grande Loge de France qui va réaliser avec les Obédiences maçonniques des pays d'Europe une Confédération Maçonnique Euro­péenne sur le modèle et l'exemple des Obédiences d'Amérique Latine afin de développer les espaces de solidarité, s'est engagée au côté de ses amis américains pour poursuivre et aider leur projet.

Aujourd'hui, pour marquer notre fraternité concrète, notre solidarité, je suis heureux de faire remettre par Jacques Azoulay, Grand Hospitalier de la Grande Loge de France, au Grand Maître Ricardo Salaverry, la pre­mière contribution des frères de la Grande Loge de France à son entre­prise de Centre Educatif de Mi Perù. Il l'avait présenté au cours de la Rencontre organisée dans le Palais de l'Unesco à Paris, en mars 1987.

Nous ne manquerons pas de manifester aussi notre solidarité concrète auprès de la Grande Loge d'Argentine afin, pour reprendre le propos du Grand Maître Alejo Neyeloff de « répandre l'amour et la fraternité sur des milliers et des milliers d'enfants ».

Pour clore ces Rencontres de Strasbourg et avant de vous libérer, après avoir remercié ceux qui en furent les artisans, et vous qui, nombreux, êtes venus pour nous accompagner, je livre à votre méditation ces vers de Musset qui peuvent constituer un chemin de la fraternité pour celui qui sait voir et entendre : « Partout où j'ai voulu dormir, partout où j'ai voulu mourir, partout où j'ai touché la terre, sur ma route est venu s'asseoir un malheureux vêtu de noir qui me ressemblait comme un frère».

Les Rencontres de Strasbourg sont terminées.

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Monsieur Guy Piau, ce numéro de «Points de Vue Initiatique» est consa­cré à l'une des manifestations publiques de la Grande Loge de France, mais les manifestations publiques sur la Maçonnerie échappent parfois à la Maçonnerie. C'est le cas des deux dernières émissions de Monsieur Moati consacrées à ce sujet. Que pensez-vous de ce type d'émissions et plus précisément de celles-ci ?

Effectivement, la télévision n'a jamais, à ce jour, proposé à ses specta­teurs une émission relative à la Franc-Maçonnerie. Il y eut bien une tenta­tive dans les années 70 mais elle ne se concrétisa pas. Le film de Monsieur Moati est donc une première et cette première doit nous faire réfléchir à un double titre : d'abord en ce qu'elle lève un tabou, celui d'une Franc- Maçonnerie constituant un univers secret et fermé qui ne s'extériorise pas ; ensuite, au sujet des relations que les Obédiences maçonniques peu­vent avoir avec les médias audio-visuels.

A mon sens, la Grande Loge de France ne peut se soustraire au grand mouvement actuel de la communication ni se désintéresser des médias audio-visuels. En effet, dès lors que la diffusion des images par les ondes hertziennes se mondialise, que les frontières nationales en la matière dis­paraissent, le besoin de produire va s'accélérer et n'importe qui va offrir n'importe quoi. Or, la Franc-Maçonnerie intéresse les gens car elle touche à l'imaginaire et elle est riche de symboles, de cérémonies et d'idées. Le danger est réel que cette richesse fasse l'objet d'exploitations commercia­les et politiques, à la fois médiocres et superficielles, confuses et béatifian­tes. Le risque est grand aussi que nos ennemis se saisissent de notre silence et de notre réserve pour donner la plus mauvaise image de ce que nous sommes et faisons. Le film de Monsieur Moati, essentiellement journalis­tique et politique, avec une pointe narcissique très intense n'échappe pas aux règles de ce genre.

Je dirai pourtant qu'il présente la grande qualité de n'être pas fondamen­talement défavorable à la Franc-Maçonnerie, bien qu'il en donne parfois une image confuse qui ne peut que rendre perplexes les profanes. A vou­loir trop montrer, on ne montre en fait que soi-même. Tel est ce que je retiens .en définitive du voyage de Monsieur Moati.

Certains se demandent pourquoi vous n'êtes pas vous-même présent dans cette émission et pourquoi vous ne cherchez pas à rectifier ce qui vous semble incorrect ?

N'étant pas en charge lors du tournage des séquences qui constituent le film, je n'avais aucun titre à paraître dans celui-ci et j'estime que c'est bien ainsi. Les passés Grands Maîtres Pierre Simon et Jean Verdun ont parfaitement exprimé ce que représente la Grande Loge de France : une voie spirituelle et libérale, la vraie voie libérale qui privilégie la démarche individuelle, les références à la plus pure Tradition spirituelle et initiati­que, le travail communautaire et l'expression de la libre conscience. Aller ensuite débattre sur le film, c'eût été à mon sens une erreur car cela n'aurait pas manqué d'ajouter à la confusion et d'amplifier les différen­ces, voire les oppositions. Or, je persiste à croire que ce qui importe essen­tiellement n'est pas ce qui nous divise mais ce qui nous unit : l'héritage des gens de métiers et de la Tradition. Il constitue l'essentiel et fonde la réalité de la communauté et de la fraternité des Francs-Maçons.

Certes, il ne s'agit pas d'ignorer nos différences et elles sont à juste titre parfaitement proclamées dans le film. Nous y trouvons, en effet, claire­ment exprimées, les trois voies qui caractérisent la Franc-Maçonnerie en notre siècle : la voie politique, que le passé Grand Maître du Grand Orient de France Roger Leray revendique hautement pour son Obédience, la voie dogmatique qu'illustre le Grand Chapelain de la Grande Loge Unie d'Angleterre lorsqu'il déclare : «Ils ne sont pas réguliers car je ne les reconnais pas », et la voie libérale que la Grande Loge de France a su con­server selon l'esprit des andersoniens.

Il nous appartient de faire connaître celle-ci dans ses représentations spiri­tuelles et sensibles, sans nous laisser séduire ni par les feux du spectacle ni par l'attrait des modes éphémères.

Nous devons continuer à labourer et à semer pour porter notre message d'amour et d'espérance.

Que pensez-vous de l'usage du film anti-maçonnique «Forces occultes» ?

J'estime que l'usage de ce film est une erreur et une provocation, quelles que soient les précautions que l'auteur ait prises pour en signaler l'origine et le but.

En effet, les Obédiences maçonniques avaient toutes refusé à Monsieur Moati le filmage de cérémonies d'initiation, eut égard au caractère pro­fondément intime qu'elles comportent.

Ce refus devait être respecté et toute solution de substitution constituait une erreur puisqu'elle rendait profane ce qui appartient au sacré.

Cette erreur s'est transformée en une provocation dès lors que les images de substitution furent tirées du film «Forces occultes» qui, tourné par la propagande nazie, de sinistre mémoire, n'avait d'autre objet que de cari­caturer et de salir la Franc-Maçonnerie.

Pensez-vous que l'on puisse donner une idée non déformante de nos rites par des fragments issus de traditions diverses ?

Nos rites trouvent essentiellement leurs sources dans la tradition judéo- chrétienne telle qu'elle a été véhiculée jusqu'à nous par les différents peu­ples qui l'ont reçue et en ont fait le fondement de leur civilisation. Ils ont cependant une valeur universelle car ils font référence à une Tradition plus ancienne, donc plus originelle et qui se trouve exprimée et vécue autrement par d'autres peuples, d'autres nations, d'autres hommes. Ce sens universel, fondateur de nos rites, leur permet de s'intégrer parfaite­ment à des civilisations tout à fait étrangères à la fécondation judéo- chrétienne sans qu'ils s'y trouvent inadaptés et anachroniques.

Nous pouvons donc admettre que la pratique de nos rites puisse s'expri­mer selon des sensibilités autres que les nôtres.

L'expérience d'une telle émission ne vous conduit-elle pas à quelques réflexions sur la conduite que doit avoir une Obédience maçonnique avec les médias ?

J'ai déjà répondu à cette question. Je confirme que nous avons le devoir de nous préoccuper de notre extériorisation audio-visuelle ou, plus exac­tement, de l'extériorisation de notre spiritualité et je souhaite que tous les Frères qui appartiennent à des métiers de la communication nous aident à concevoir, réaliser, produire et diffuser des médias de qualité.

La Commission de la Communication et de l'Audio-visuel a reçu la mis­sion de réfléchir à ces problèmes, de proposer des voies et moyens et de nous conseiller dans ces domaines.

Enfin, comment, à votre avis, peut-on sortir de la contradiction qui oppose le secret du métier avec la nécessité de poursuivre à l'extérieur l’œuvre commencée dans le temple ?

Je considère qu'il n'y a pas de contradiction entre le secret du métier et l’œuvre à réaliser à l'extérieur. Le secret concerne l'acquisition des outils ; l’œuvre extérieure se rapporte à leur utilisation.

Pourquoi ne pas utiliser dans la vie quotidienne les outils que le travail en loge nous a donnés ? Le Franc-Maçon n'a jamais envisagé de se retirer du monde ; il y est, au contraire, bien établi.

Regardez les constructeurs de nos cathédrales gothiques ; ils n'ont pas craint d'exprimer dans la pierre le message de leur temps et leur vision du monde, dans ses dimensions les plus diverses, aussi bien matérielles que spirituelles.

Publié dans le PVI N° 74 - 3éme trimestre 1989  -  Abonner-vous à PVI : Cliquez ici

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