GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 4T/1989 |
Montesquieu
le philosophe
oublié
1689 - 1755 Hommage
de la Commission d'Histoire de la
Grande Loge de France
à l'occasion du tricentenaire de sa naissance (18 janvier 1689) En guise de préface«Dans
une nation
libre, il est souvent indifférent que les. particuliers
raisonnent bien ou mal
; il suffit qu'ils raisonnent : de là sort la
liberté, qui garantit des effets
de ces mêmes raisonnements». Ainsi
s'exprimait
Montesquieu dans «L'Esprit des Lois» (XIX-27).
Esprit libre, intuitif, lucide,
ne faisant aucune concession lorsqu'il s'agissait de
défendre aussi bien la
liberté et le devoir, Montesquieu a tracé la voie
qui mène à la démocratie
moderne. Bien
oubliés
aujourd'hui, le philosophe et son oeuvre ! ... tous deux
occultés par le
bicentenaire de la Révolution dont il fut pourtant une des
lointaines
«Lumières» instigatrices. Son
héritage spirituel et politique est toujours
aussi riche pour les honnêtes hommes qui prônent
l'indépendance de l'esprit et
la liberté de penser et qui appliquent ces principes dans
leurs actes
quotidiens. Car les règles qu'il propage, Montesquieu les
applique d'abord à
lui-même : «Il
faut que les
lois commencent par travailler à faire des
honnêtes gens avant de commencer à
les choisir. Il ne faut pas commencer par parler de ces
gens-là. Il y en a si
peu que cela ne vaut pas la peine...» En
ces temps
actuels où les «Affaires» agitent les
politiciens de tout bord, les paroles de
Montesquieu ont une certaine résonance. Il
est dommage que
le tricentenaire de sa naissance soit passé quasiment
inaperçu, mis à part
quelques articles dans les pages culturelles de plusieurs
quotidiens,
magazines et revues littéraires, et oublié par
les média audio-visuels. Est-ce
que Montesquieu dérangerait encore de nos jours, comme il
avait dérangé les
Rois et les Princes qui gouvernaient en Europe de son temps ? En
l'absence de
toute commémoration officielle, on peut se poser cette
question. Pour
notre part, ce
bien modeste exposé est un hommage que nous rendons
à celui qui fut l'un des
plus grands Francs-Maçons français et l'un des
premiers à l'époque où
«l'Honorable Société»
commençait à s'installer en France. A ce
titre, il
mérite particulièrement notre reconnaissance. * * * Charles
Louis de
Secondat est né le 18 janvier 1689 au château de
la Brède près de Bordeaux.
Licencié en droit, il est reçu avocat au
Parlement de Bordeaux en 1708 et
s'appelle désormais «Seigneur de Montesquieu,
baron de la Brède». En 1714 il
devient conseiller au Parlement de Bordeaux puis se marie en
1715 avec Jeanne
de Lartigues qui est protestante. Ils auront trois enfants : un fils
Jean-Baptiste qui sera franc-maçon et deux filles. En 1716
il est élu à
l'Académie de Bordeaux. Son oncle meurt lui
léguant sa charge de Président à
mortier et le nom de Montesquieu à vie. Entre
1717 et 1721
il rédige différents mémoires sur
l'écho, l'usage des glandes rénales et la
transparence des corps. En 1721, il publie à
Amsterdam les «Lettres Persanes»
qui seront interdites par le Cardinal Dubois en 1722 à cause
de leur trop grand
succès et des allusions qu'elles contiennent. En
1725 il vend sa
charge et vient à Paris où il sera élu
à l'Académie Française en
1727 malgré
l'opposition du Cardinal Fleury. Puis, il entame de longs voyages en
Allemagne,
Italie, Suisse, Hollande. Devenu l'ami de Waldegrave neveu du
Maréchal de
Berwick, et de Lord Chesterfield, il séjourne à
Londres qu'il décrit comme
«vilaine ville où il y a de très belles
choses (23 octobre 1729) ». Il y admire
la liberté politique tout en y déplorant la
corruption du régime Walpole.
Membre de la Royal Society il est initié
Franc-maçon le 12 mai 1730 à la Loge
Horn qui tenait son nom de la taverne où les
Maçons Opératifs de l'abbaye de
Westminster se réunissaient avant la constitution
de la Grande Loge de Londres
en 1717, qui deviendra ensuite la Grande Loge d'Angleterre. De
retour à la
Brède il publie en juillet 1734
«Considérations sur les causes de la grandeur
des romains et de leur décadence ». A Paris c'est
de la décadence de
Montesquieu que l'on parle d'autant plus que co-fondateur de la Loge de
Bussy
il est ensuite inquiété pour son appartenance par
Boucher, intendant de Guyenne
et par son vieil ennemi le Cardinal Fleury (1737). Cela
ne l'empêche
pas de continuer à fréquenter les Loges de Paris
et de Bordeaux et de terminer
son oeuvre maîtresse, les livres «de l'Esprit des
Lois» qui paraîtront à Genève
en 1748 sans nom d'auteur. Bien que la vente soit interdite
à Paris l'ouvrage
s'arrache. Il en est de même en Europe. Cependant,
Jésuites et Jansénistes
attaquent Montesquieu ; la Sorbonne s'inquiète. Il
écrit alors «Défense de
l'Esprit des Lois». Malesherbes, directeur de
l'Imprimerie Royale lève
l'interdiction en 1750 avec le consentement de Louis XV qui
protégeait
secrètement certains francs- maçons dont
Montesquieu. Mais en 1751 «de l'Esprit
des Lois» est mis à l'index par la faute de La
Beaumelle apologiste maladroit
de l'ouvrage. Presque aveugle Montesquieu écrit cependant en
1754 l'article sur
le «goût» pour la Grande
Encyclopédie. Il meurt le 10 février 1755. Son
dernier
manuscrit «Mes Pensées» ne sera
édité qu'en 1899. Il
faut noter que
Montesquieu avait un an de plus que Marivaux ; cinq ans de plus que
Voltaire ;
dix-huit ans de plus que Buffon ; vingt-trois ans de plus que
Jean-Jacques
Rousseau ; vingt-quatre ans de plus que Diderot. En 1989, deux cent trente quatre ans après sa mort, que reste-t-il de Montesquieu ? De sa pensée, de sa présence, de son influence, de ses principes ? L'Hôtel
de la
Monnaie du quai Conti nous propose une très belle
médaille de Montesquieu
gravée sous son meilleur profil et la Banque de France nous
rappelle la
vénalité des choses ici-bas en nous
«offrant» un billet de 200 francs qui nous
montre un _ fort beau portrait et les armoiries de
Montesquieu, le Château de
la Brède, avec une allégorie de la justice et la
mention de «l'Esprit des
Lois»... Ainsi chaque jour nous sommes des millions de
personnes à « palper
Montesquieu » en tant que monnaie d'échange ! Sur
Figaro Madame
du 16 novembre 1985, Maurice Toesca, dans son anthologie de la
littérature
française qui chaque semaine fait revivre un grand
écrivain, citait un texte
des Lettres Persanes ainsi rédigé : «
C'est une
grande question parmi les hommes de savoir s'il est plus
avantageux d'ôter aux
femmes la liberté que de la leur laisser. Il me semble qu'il
y a bien des
raisons pour et contre (...). Il faut l'avouer, quoique cela choque nos
mœurs,
chez des peuples les plus polis, les femmes ont toujours eu de
l'autorité sur
leurs maris.. » Voilà
au moins un
propos de Montesquieu qui est toujours d'actualité... sans,
toutefois, que le
problème soit résolu ! ... Dans
les cahiers de
la Grande Loge de France, en octobre 1955 un frère a
publié une étude intitulée
« Grandeur et faiblesse de Montesquieu»
à l'occasion du bi-centenaire de sa
mort. Si l'on en croit ce frère une grande partie de
l'oeuvre de Montesquieu
dont «de l'Esprit des Lois» serait d'inspiration
maçonnique. En
mars 1977, dans
«La Grande Loge de France vous parle» un autre
frère intitule sa causerie
dominicale «Le Franc-maçon Montesquieu»
et affirme que celui-ci, dans l'Esprit
des Lois, «s'explique clairement en Maçon
conscient, et montre ce que fut la
démarche de son esprit à la recherche de la
Vérité ». La
vérité me semble tout
autre. Certes, on trouve dans l'Esprit des Lois des
développements contre
l'esclavage, contre la persécution des juifs, contre la
torture. On y vante les
vertus d'une République de la Raison, de
l'humanité, du courage. Mais ces
exemples ne sont pas l'apanage des seuls Francs-maçons,
d'autres hommes non
initiés, à la même époque,
affirmaient les mêmes principes. Et
puis dans les
loges françaises de la première moitié
du XVIIIe siècle, comme dans les loges
anglaises, allemandes ou hollandaises on ne philosophait pas
sur les régimes
politiques. Par
contre, ce qui
est certain, c'est que les lecteurs Francs-Maçons de
l'Oeuvre de Montesquieu -
passés et présents - y trouvent une semence, une
variété de graines qui ne
demandent qu'à germer, lever et fleurir puis
s'épanouir pour peu que le milieu
soit propice. Or, le milieu maçonnique semble être
une magnifique serre où les
idées de Montesquieu se développent et
rayonnent. C'est
ainsi qu'on
fait l'honneur à Montesquieu d'avoir inspiré par
ses écrits la Constitution
Fédérale des Etats-Unis en 1787 et notamment
d'avoir posé le principe (retenu
dans cette Constitution) de la séparation des trois
pouvoirs, énoncé dans
l'Esprit des. Lois : le Légistatif au
Congrès, l'Exécutif au
Président, le
Judiciaire à la Cour Suprême. André
Maurois
l'affirme dans son « Histoire des Etats-Unis ».
C'est aussi l'avis d'historiens
Francs-maçons américains qui, s'appuyant sur de
nombreux documents de familles
rassemblés par les Research Lodges, prouvent que
les héros de l'Indépendance
étaient lecteurs des oeuvres de Montesquieu et
possédaient ses ouvrages. Pourtant
Montesquieu ne se prononça pas sur les deux grandes formes
de suffrages :
universel ou censitaire; non plus sur les formes d'expression
collective. Son
seul grand désir exprimé était celui
de ne pas opprimer les minorités. En cela
il rejoint l'idéal maçonnique. Mais
il est un
autre principe que l'on retrouve chez Montesquieu lorsque l'on relit
ses
oeuvres notamment celles écrites après 1730. De
nos jours, il est admis -
depuis qu'Auguste Conte dans sa Philosophie Positive en 1830 a
«inventé» le
terme de sociologue pour désigner celui qui se livre
à l'étude scientifique des
faits sociaux - que Montesquieu fut un sociologue avant la lettre.
Sociologue
il l'était car pour Montesquieu, le règne de
l'égalité véritable
s'établit par
le Savoir et par la Connaissance. Selon lui, ce qui rend les hommes
plus ou
moins inégaux c'est l'Esprit. Or, les
événements contemporains donnent raison
à Montesquieu. C'est ainsi que l'Europe Occidentale
capitaliste résistera
victorieusement aux poussées prolétariennes de
1917, 1919, 1945 et aussi à
celles de 1968. Les classes dites
«possédantes» et dirigeantes
étaient
instruites et l'on sait bien qu'il est plus aisé
d'opérer un transfert de biens
matériels que d'acquérir les cultures de
l'Esprit. Inversement en 1917, les
structures décadentes et oppressantes des derniers Tsars de
Russie
s'écroulèrent facilement devant l'intelligence
des divers partisans
anti-tsaristes. Un
bel esprit -
Maçonnique - a écrit que « La
pensée de Montesquieu c'est l'extrême fleur d'un
génie d'âge mûrissent, elle exige de la
réflexion, de la prudence, de la
culture... C'est à la fois sa grandeur et sa faiblesse
». Sur
le plan
politique, Jean Starobinski auteur d'un «Montesquieu par
lui-même», souligne le
rayonnement des idées de Montesquieu en
écrivant en 1953 : «Nous
vivons dans une société
aménagée en
grande partie selon les voeux de Montesquieu : l'Exécutif,
le Législatif et le
Judiciaire y sont séparés : les peines y sont en
principe proportionnées aux
délits ; le libéralisme
économique y a été
pratiqué pendant longtemps. Tout
cela nous est si familier que nous y faisons à
peine attention... Bien plus,
nous avons eu tout loisir, à l'intérieur du monde
instauré par la pensée
politique de Montesquieu, de constater ce qui se corrompait et
cédait à
l'usage. Nous en sommes à voir se
lézarder un édifice que Montesquieu n'avait
entrevu que dans son image idéale, esquissée sur
fond d'espoir, avant même que
la Règle et le Compas en eussent tracé les plans
exacts. Les
conditions
économiques de l'âge industrie sont venues fausser
l'équilibre d'un calcul qui
comptait sans elles...» Mais
en 1959, Louis
Althusser, dans son petit livre intitulé
«Montesquieu, la politique et l'histoire»
soumet les idées de Montesquieu au feu. d'une critique sans
complaisance : «Cet
opposant de
droite a servi dans la suite du siècle tous les opposants de
gauche, avant de
donner des armes dans l'avenir de l'histoire à tous les
réactionnaires... Toute
la période pré-révolutionnaire se joue
en grande partie sur les thèmes de
Montesquieu, et ce féodal ennemi du despotisme devint le
héros de tous les
adversaires de l'ordre établi. Par un singulier retour de
l'histoire, celui qui
regardait vers le passé parut ouvrir les portes de l'avenir.
Je crois que ce
paradoxe tient avant tout au caractère anachronique
de la position de
Montesquieu. C'est parce qu'il plaidait la cause d'un ordre
dépassé qu'il se
fit l'adversaire de l'ordre présent que d'autres devaient
dépasser...». Il
n'empale que la
publication en 1748 de l'Esprit des Lois fut une
bouffée d'oxygène, de
liberté, dans le régime d'absolutisme de
l'époque... En 1989 les Princes qui
nous gouvernent et tous nos politiciens quelles que soient leurs
appartenances
et leurs croyances feraient bien de lire ou de relire l'Esprit des
Lois, et de
s'en inspirer lors de leur démarche politique... ...
Quant à moi
permettez-moi de conclure ici cette planche, sans rechercher
plus avant le
contenu de l’œuvre de Montesquieu et ce qu'il en
reste... car comme il l'a si
bien écrit : «Quand
on court
après l'Esprit... On rattrape la sottise». Georges
Ageon
Annexe
N° 1 :L'activité maçonnique de Montesquieu Nous
sommes très
bien renseignés sur les activités
maçonniques de Montesquieu par les journaux
anglais de l'époque qui publiaient alors un Carnet
Maçonnique des Tenues qui
avaient lieu en Angleterre et dans les milieux anglais de France, par
la
correspondance de Montesquieu et de ses amis maçons et aussi
par les archives
de la Police de Bordeaux et de Paris. Montesquieu
est
tout d'abord présenté le 12 février
1730 par le Dr Georges-Louis Tessier à la
Royal Society de Londres, creuset maçonnique où
il est élu le 26 février 1730,
sa candidature ayant été appuyée par
ses amis anglais dont le Duc de Richmond,
ancien Grand-Maître de la Grande Loge de Londres, le Duc de
Montaigu, Milord
Pembroke, Alexandre Stuard médecin de la Reine Caroline et
futur membre de
l'Académie de Bordeaux, et Martin Ffolkes qui
deviendra un ami privilégié. Le
mardi 12 mars
1730 Montesquieu est initié à la Loge qui se
réunissait à la Horn Tavern ; le
British Journal du samedi 16 mars rapporte la
cérémonie dans les termes
suivants : «Nous
apprenons
que mardi soir à une Tenue de Loge à la Horn
Tavern, dans Westminster, où
étaient présents le Duc de Norfolk,
Grand-Maître, Nathaniel Blakerby, vice
Grand-Maître, et d'autres grands officiers, ainsi que le Duc
de Richmond,
Maître de la Loge, le marquis de Beaumont, Lord Mordaunt, le
marquis de Quesne
et plusieurs autres personnes de distinction, les nobles
étrangers ci-dessous,
Charles-Louis président Montesquier (sic), Francis
comte de Sade... furent
reçus membres de l'Ancienne et Honorable
Société des Francs-Maçons». Le
15 décembre
1732, Montesquieu assista à l'Allumage des Feux de la Loge
«Anglaise n° 204» à
Bordeaux, constituée par des marins anglais le 27 avril de
la même année. Le
Saint James
Whitehall Evening Post du 7 septembre 1734 indique que Montesquieu a
assisté à
une Tenue dans une Loge de Paris «Nous
apprenons
de Paris qu'une Loge de Francs-Maçons s'est
récemment tenue ici en la demeure
de Sa Grâce la Duchesse de Portmouth, où Sa
Grâce le Duc de Richmond, assisté
par le comté de Waldegrave, le Président
Montesquier (sic), le Brigadier
Churchill, Edouard Young Esquire secrétaire du
très honorable Ordre du Bain et
Walter Stickland Esquire, ont admis dans cette ancienne et honorable
Société,
plusieurs personnes de qualité, parmi lesquelles
étaient le marquis de Brancas,
le général Skelton et le fils du
Président». En
fait, cette Loge
de Paris, où fut initié en présence de
Montesquieu, son fils Jean-Baptiste de
Secondat, alors âgé de 18 ans, n'est autre que la
Loge «d'Aubigny» n° 133 dont
le Maître de Loge est le Duc de Richmond, Charles de Lennox,
aussi Duc
d'Aubigny (en Berry) et Pair de France,
Passé-Maître de la Loge Horn. Il réunit
sa loge d'Aubigny aussi bien à Paris qu'en Berry, comme nous
le verrons plus
loin. Le
31 juillet et le
2 août 1735, Montesquieu échange une
correspondance avec le Duc de Richmond,
qui l'invite à une tenue dans sa Loge au
Château d'Aubigny, en présence du Dr
Désaguliers, «le Grand Belzébuth de
tous les Maçons ». Cette lettre
retrouvée
avec d'autres correspondances à (et de) Montesquieu dans les
archives d'une
vieille famille bordelaise (d'Aux), et rendue publique en 1981, n'a
été publiée
intégralement qu'en 1982. Nous la donnons en annexe 2. Le
Saint-James
Whitehall Evening Post du 20 septembre 1735 annonce encore une Tenue
à Paris où
assistait Montesquieu. Elle est d'importance pour ce qui concerne
l'histoire
des premières Loges françaises ; voici ce
qu'écrit le Journal anglais: «On
écrit de
Paris que Sa Grâce le Duc de Richmond et le Dr
Désaguliers, ex Grand-Maître de
l'ancienne et honorable société des
Maçons libres et acceptés, munis
à cet
effet d'une autorisation et scellée de son sceau ainsi que
celui de l'Ordre,
ont convoqué une Loge à l'Hôtel de
Bussy dans la rue de Bussy (Note de l'auteur
: au 4 de la rue de Buci actuelle). Etaient présents : Son
excellence, le comte
de Waldegrave, ambassadeur de Sa Majesté près du
Roi de France; le très
honorable Président Montesquieu; le marquis de
Lomuren; Lord Dursley, fils du
comte de Berkley; l'honorable M. Fitz William; Messieurs Knigh
père et fils; le
Dr Wickman et plusieurs autres personnages français et
anglais. Les nobles et
gentlemen ci-après désignés y ont
été reçus dans l'Ordre, savoir: Sa
Grâce le
Duc de Kingston; l'honorable comte de Saint-Florentin,
secrétaire d'Etat de Sa
Majesté très chrétienne; le
très honorable Lord Chewton, fils de Lord
Waldegrave; M. Pelham, M. Arminger, M. Colton et M Clément.
A la suite de la
cérémonie, les nouveaux Frères ont
offert un splendide banquet à toute
l'assistance». Cette
relation
d'une tenue importante par le journal anglais concerne-t- elle une
Tenue
exceptionnelle de la Loge d'Aubigny à Paris ou l'Allumage
des Feux de la Loge
de «Bussy» qui deviendra plus tard la Loge
«BussyAumont» du nom du futur
Maître de Loge ? La question s'est posée : Marcy
penche pour la Loge d'Aubigny,
alors que dans le Dictionnaire de Daniel Ligou, le signataire
«J. Br» de la
notice sur Montesquieu, ainsi que d'autres historiens dans d'autres
ouvrages,
citent la Loge de Bussy. Or,
l'Hôtel de
Bussy était à cette époque
occupé par le Traiteur Alexis Landelle qui, - cela
est prouvé - y recevait épisodiquement d'autres
Loges. Pierre Chevallier a daté
la constitution de la Loge de Bussy le 29 novembre 1736, et
son installation
le 7 février 1737, ce que confirme Daniel Ligou dans son
«Histoire des
Francs-Maçons en France» (qui date de 1981). Si
l'on considère les très sérieux
travaux de la Loge de Recherches «Villard de
Honnecourt» il semble bien que
c'est la Loge d'Aubigny qui s'est réunie rue de Bussy
à Paris en septembre 1735
et que la Loge de Bussy a été
installée durant l'hiver 1736/1737. Pour
terminer avec
la Loge d'Aubigny - qui sera démolie en 1737,
après le retour définitif du Duc
de Richmond en Angleterre — rappelons que c'est de cette Loge
que la première
indiscrétion - en France - de ce qu'était une
initiation maçonnique, fut
propagée. Elle fut le fait du Duc de Kingston,
initié en septembre 1735, rue de
Bussy, et qui raconta sur l'oreiller le déroulement de la
Tenue à sa Maîtresse,
«la Carton» une ancienne danseuse qui
était aussi l'amie et l'indicatrice du
Lieutenant Général de police Hérault
qui renseignait ainsi le Cardinal Fleury
suz les faits et gestes des anglais et sur les personnalités
françaises et
étrangères qui assistaient aux Tenues.
Hérault fit fermer quelques Loges en
pourchassant les Traiteurs... mais ne put rien contre les
Maçons, souvent de
haute noblesse, et qui protégeaient leurs Frères
de la Roture. Hérault se fit
un beau pactole en publiant les indiscrétions de la Carton
et les papiers
saisis dans les Loges. Le
6 avril 1737,
Boucher, Intendant de Guyenne, dénonça les
activités maçonniques de Montesquieu
à Bordeaux, à la suite de quoi le Cardinal Fleury
lui interdit de fréquenter
les Loges, ce qui rassura Boucher et n'empêcha pas
Montesquieu d'assister à ses
tenues et de participer à la création de la
première Loge Française de
Bordeaux, en 1740 et dont le comte de Pontac devint
Vénérable. En
juin 1747,
Montesquieu séjourna au château de
Lunéville, invité par le Roi de Lorraine
Stanislas Leszinski qui l'admirait et qui protégeait la Loge
de la Cour, et à
laquelle appartenaient nombre de membres de sa famille, des
gentilhommes et des
ecclésiastiques lorrains, que Montesquieu rencontra
lors de sa visite à la
Loge. Le
21 mars 1751
Montesquieu sera élu à l'Académie
Stanislas de Nancy, mais il ne fit pas le
voyage pour sa réception car atteint de la cataracte sa vue
était déjà très
faible. Montesquieu, « correspondance inédite » Extrait de la Revue d'Histoire Littéraire de la France n° 2 mars-avril 1982 - Lettre n° 27 pages 217 et 218* Le duc de Richmond à Montesquieu A Chanteloup ce 31 juillet (1735) Puisque
vous ne
venez pas, mon cher président, nous voir en Angleterre, vous
devriez au moins
vivre un peu avec nous pendant que nous sommes en France. Faites donc
graisser
votre chaise, prenez la poste, et venez nous voir à Aubigny.
C'est une affaire
d'un jour et demi. La première nuitée vous
pourrez coucher à Montargis, et le
lendemain vous dînerez chez nous. Il faut continuer sur la
route de Lyon jusqu'à
une poste qu'on appelle les Bézards, et de là on
vous mène droit à Aubigny2. Ce
n'est que neuf lieues, quoiqu'on vous fera payer sept postes. Ce n'est
pas
seulement moi, mais madame de Richmond et madame Hervey qui souhaitent
aussi
ardemment de vous voir. J'ai encore un autre raisonnement qui
assurément vous
tentera davantage de faire ce petit voyage. Sachez donc, mon
très vénérable
frère, que la maçonnerie est très
florissante à Aubigny. Nous y avons une loge
de plus de vingt frères. Ce n'est pas là tout :
sachez enfin que le grand
Belzébuth de tous les maçons, qui est le docteur
Désaguliers3, est actuellement
à Paris, et doit venir au premier jour à Aubigny
pour y tenir la loge. Venez-y
donc, mon cher frère, au plus tôt recevoir sa
bénédiction. Mais pour parler
sérieusement et la maçonnerie par
conséquent à part, vous nous obligerez
infiniment, mon cher président, si vous voudriez
nous y venir voir. J'y serai
mercredi qui vient le 3 août et j'y resterai au moins trois
semaines. Adieu,
mon cher président. Mon amitié et mon attachement
pour vous est inviolable. Autographe, non signée. Feuille double de 23,5 x 18,5 cm. Pas d'adresse. Marques d'une pliure en 4. Charles Lennox, second duc de Richmond (1701-1780), est fréquemment mentionné dans la correspondance de Montesquieu. Des lettres qu'il adressa au philosophe, celle-ci est la seule qui nous soit parvenue. De même nous ne connaissons qu'une seule lettre de Montesquieu à Richmond : la réponse à la présente lettre a été publiée par R. Shackleton, French Studies, 1958, p. 328. Montesquieu décline l'invitation. La réponse est datée : « A Paris, ce 2 juillet 1735 », ce qui est évidemment impossible. Il convient de corriger : «2 août» Montesquieu écrivant au début d'un nouveau mois a par étourderie daté encore du mois précédent. * Nous remercions la famille d'Aux et son conseil M. le Bâtonnier P.A. Perrod qui nous autorisent à publier cette lettre, ainsi que M. René Pomeau, directeur de la Revue d'Histoire Littéraire de la France, auteur du Commentaire et des trois notes. 1. Château aujourd'hui disparu proche d'Amboise (il n'en subsiste que la Pagode). C'est à Chanteloup que Choiseul se retirera après sa disgrâce en 1770. 2. Les Bézards, au sud de Montargis. En continuant l'actuelle route D 940, qui traverse la Loire à Gien, on atteint Aubigny-sur-Nère, à 46 km des Bézards. 3. Désaguliers, protestant réfugié à Londres, était l'une des tètes de la franc-maçonnerie anglaise. Dans sa réponse Montesquieu s'exclame : «Soit le bien arrivé le docteur Désaguliers, la première colonne de la franc-maçonnerie. Je ne doute pas que sur cette nouvelle tout ce qui reste encore à recevoir en France de gens de mérite ne se fasse maçon». |
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