GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 4T/1989 |
Franc-Maçonnerie et enseignement Aborder le problème
des rapports entre Franc-Maçonnerie et enseignement n'est pas sans poser toute
une série d'interrogations souvent empreintes de préjugés. Elles peuvent
s'articuler autour de la place qu'accorde la Franc-Maçonnerie à l'enseignement
dans le monde profane d'une part, et la place que peut prendre l'enseignement
dans les pratiques et dans la vie maçonniques d'autre part. Le but de cet
exposé est de présenter brièvement l'un et l'autre et de voir ensuite quelle
cohérence on peut trouver à ces interrogations. *
* * Quand on regarde un
peu l'histoire de l'enseignement dans notre pays, on est frappé par la place
qu'y ont pris les francs-maçons. Bien évidemment, toutes les avancées dans ce
domaine n'émanent pas de personnes ayant fréquenté une loge maçonnique mais il
n'empê que l'on en trouve beaucoup. Quelques repères sont très éclairants. Dès la période
révolutionnaire, c'est Condorcet qui proposa à l'assemblée des élus du peuple
un plan pour instruire la Nation auquel on reconnaît, encore aujourd'hui,
l'audace intellectuelle et humaine et la largesse de vues. En effet, il allait
jusqu'à proposer qu'on créât une formation permanente ce qui ne fut repris par
le législateur que près de deux siècles plus tard. Comment ne pas
évoquer aussi la grande figure de Jean Macé ? Sous le second Empire, il fonda
la Ligue de l'Enseignement pour que, dans un esprit d'indépendance envers tous
les dogmes, on donnât à tous les hommes les moyens de parfaire leurs savoirs.
Son ambition n'était pas de faire de la Ligue une autre école mais d'en élargir
l'action et même, originairement, de contribuer à sa création quand elle
n'était pas généralisée, en 1866. Dans cette brève
prise de marques, on ne saurait, bien sûr, omettre, l’œuvre d'un autre
Franc-Maçon célèbre : Jules Ferry. Il mit l'école primaire à l'heure des
pendules de la démocratie républicaine, en France, en faisant voter son célèbre
triptyque : gratuité, obligation, laïcité. Enfin, dans une
période plus récente, entre les deux guerres, on doit évoquer l'oeuvre de Jean
Zay. Il fut un véritable pionnier de l'école telle qu'on la connaît aujourd'hui
avec ses notions d'extension à toute la période de l'adolescence et
d'orientation des études. Malheureusement, la guerre interrompit la réalisation
de ces projets. Il disparut trop prématurément et tragiquement sous les coups
de fanatiques et d'autres les mirent en place après la Libération. Ces quelques
repères attachés a des francs-maçons et non à la Franc- Maçonnerie en tant que
telle, aident cependant a mieux saisir la continuité d'une entreprise qui
procède d'un esprit hérité, pour une bonne part, des lumières. Le Franc-Maçon
est soucieux de la libération de l'homme en favorisant son appropriation des
savoirs. En cette affaire, il considère que l'enseignement doit concourir au
développement de cette lucidité rationnelle qui conduit à appréhender les
écrits et les choses en s'efforçant de vaincre les préjugés dogmatiques par
l'exercice du libre examen rigoureux. En bref, le Franc-Maçon fait le pari de
la confiance en l'homme et il estime que le savoir, tout le savoir, doit être
partagé entre tous ses frères en humanité. *
* * Une telle ambition
peut apparaître contradictoire avec le reproche exprimé parfois à l'endroit de
la Franc-Maçonnerie de cultiver le secret. Et ce n'est pas le moindre paradoxe
que le franc-maçon soit si attaché à l'enseignement profane dispensé sans
obstacles alors qu'on le sait épris du sacré ésotérique. Il importe
maintenant de montrer en quoi ce présupposé contradictoire est impertinent et
comment cette critique réfutée, le paradoxe peut devenir fondateur d'une
vision maçonnique de l'enseignement. Pour y voir clair,
il faut commencer par rappeler qu'il n'y a pas de véritable enseignement
maçonnique. Tout ce qui est véhiculé dans les loges et qui pourrait s'y
apparenter constitue peu de choses. C'est ce qu'on nomme habituellement
l'instruction maçonnique qui concerne quelques rituels qui ont toujours été
publiés et mis a la disposition des profanes. Il faut rappeler
aussi, comme ceci a déjà été dit dans une autre émission, que le fameux secret
maçonnique n'est qu'une illusion. Il ne correspond tout au plus qu'a
l'expérience, assumée en loge, de l'incommunicabilité essentielle de
l'expérience intime de la connaissance spirituelle. C'est dans et par la
pratique de l'initiation, que le franc-maçon gère une expérience originale
médiatisée par des symboles. Il apprend par là, à assumer que, dans l'homme par
un mariage fécond, cohabitent, foi et raison. Foi singulière, raison partagée.
Il vit cette situation d'ascèse ésotérique rituellement structurée qui l'aide
à sentir la qualité de la connaissance personnelle intime. Autrement dit,
paradoxalement, il en vient à percevoir que l'unité de l'homme, passe par la
reconnaissance que la foi est propre à chacun et que le savoir savant est seul
communicable. Ainsi, son
expérience initiatique maçonnique aide-t-elle le Franc-Maçon à ne pas confondre
ce qui procède de l'intimité de l'être et ce qui procède du domaine du savoir
profane. *
* * Le franc-maçon René
Guénon avait déjà longuement insisté sur la distinction qu'il convient
d'opérer entre la mentalité scolaire et la connaissance initiatique. Cette distinction
fonde le souci qu'a le franc-maçon de ne pas mélanger les genres et de prendre
soin de ne pas favoriser le développement de l'enseignement religieux dans le
cadre scolaire. Cette instruction religieuse, tout comme la théologie et à la
différence des savoirs sociologiques et historiques sur les religions, est une
des formes de pseudo- initiation. Cela tient à la confusion qu'elle favorise
entre foi et raison au lieu de les aider à cohabiter distinctement dans
l'homme, comme ce peut être le cas quand on a fait l'expérience de
l'incommunicabilité de la connaissance spirituelle intime. Dans cette
perspective, on comprend mieux pourquoi, au nom du respect de la spiritualité
de l'homme, universelle et singulière à la fois, la franc- maçonnerie se trouve
en butte aux dogmatismes de tous ordres. On comprend mieux aussi pourquoi elle
se montre tolérante envers toutes les expériences spirituelles, ce qui lui fait
revendiquer la liberté absolue de conscience. On comprend mieux, encore,
pourquoi la franc-maçonnerie ne rejette aucune forme de religiosité et qu'elle
les respecte toutes dans leur principe, dans la mesure où la dogmatique de
chacun ne se change pas en prosélytisme asservissant l'autre. On comprend
mieux, enfin, pourquoi la franc-maçonnerie revendique la tolérance spirituelle
individuelle dont le corollaire est, dans ce cas, la laïcité de l'école. L'école est
précisément le lieu d'acquisition du savoir rationnel, ce plus petit commun
multiple échangeable, imparfait et relatif par nature, et non celui de la
pseudo-initiation faussement vraie en raison même de la multiplicité de ses
formes sociales. L'école est le lieu de la tolérance pour toutes les formes
d'expérience spirituelle intime et non celui de l'affrontement des dogmatismes
qui masquent mal, vaille que vaille, un impérialisme impénitent pour imposer
une suprématie dans le siècle. En estimant que
l'école n'est assimilable, en dernière instance, par aucune religion, le
franc-maçon ne se pose pas en détenteur d'une vérité révélée, socialement
transmissible, mais, au contraire, il estime qu'il est sage de permettre le
développement de la vérité intérieure. C'est là le prix de
la grandeur tragique de l'humanité : l'homme pris individuellement ne se
réduit pas aux autres pas plus qu'il n'est réductible à aucune institution
sociale fut-elle religieuse ou politique évidemment. Mais cela ne signifie pas
pour autant que l'homme doive vivre à l'écart de ses semblables. Au contraire.
Seulement, si l'on veut, ici bas, permettre un minimum de vie harmonieuse, il
paraît convenable d'éviter avec force tout ce qui concourt à entretenir les
appropriations plus ou moins subreptices. Dans cette affaire,
l'enseignement joue un rôle éminent et universel par son caractère rationnel
fondé sur la maîtrise du doute méthodique, la vie spirituelle intime aussi.
Mais leur confusion dans l'espace scolaire ouvert à tous, est la source de bien
des maux. |
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