Obédience : NC | Bulletin de SUB ROSA : Une Parole Circule | 01/2010 |
L’Homme,
le Cercle et le Carré A
l’origine des quelques réflexions contenues
dans la présentation
de ces lignes, il y a les
nombreuses évocations
du
«logo Manpower», à
savoir l’homme dit «de Vitruve»,
dessiné
par le grand
Leonardo da Vinci. Sans
vouloir ici retracer toute la vie de
Vitruve (lat. Vitruvius),
il nous semble toutefois important de
souligner qu’il
fut non seulement architecte mais
également l’auteur
d’un
traité technique, De
Architectura, seul traité, qui nous
soit parvenu de l’Antiquité et
influença jusqu’aux architectes
de la Renaissance. Parmi
ceux qui, de près ou de loin,
s’inspirèrent de
Vitruve,
se trouve
Léonard de Vinci qui, sur la base de la description
de Vitruve, effectua le croquis qui servira de fil rouge
à ces quelques lignes et que nous reproduisons donc ci-après
(voir page suivante). Alors
que nous avons souvent vu ce dessin, sans
jamais l’avoir
vraiment regardé, il faut avouer que la
première chose
qui frappe est sa composition ternaire:
l’homme, central, certes, mais également
le carré et le cercle. Ce qui fait instantanément
penser à la «Grande
Triade»
étudiée par René
Guénon: la Terre (le carré), le Ciel (le
cercle) et l’homme. Portrait
de Léonard de Vinci dessiné par son assistant Il
est intéressant de remarquer du reste que
les pieds de l’homme debout (pas des
angles
possibles,
reposant sur le cercle), sont
situés
sur la tangente
cercle-carré: comme
pour
signifier que
l’homme repose aussi bien
sur
la Matière que sur
l’Esprit. Lorsqu’on
dit «repose», il faudrait peut- être
dire «tire son énergie», car la situation de
l’homme, en tous les cas celle de l’homme
en quête d’une vérité
transcendante,
n’est pas
en position de repos, une position passive,
mais dans bien celle d’un cheminement
intérieur, d’une quête. La position des pieds
de la figure, nous y reviendrons, incite à
penser que cette dernière n’est pas
purement statique mais bel et bien
dynamique. «L'homme
de Vitruve»
(1492) dessiné par Léonard de Vinci. Si
l’on se donne la peine d’observer cette figure,
on s’aperçoit que l’homme, contenu
tout
entier dans le
carré, n’occupe pas tout
l’espace
circonscrit
par le cercle: pour
l’homme,
conditionné
par la Matière, la totalité du domaine de
l’Esprit reste pour
lui un «possible», une
potentialité,
mais
cette dernière n’est
pas, une conséquence directe
de sa condition. De
plus, cette possibilité requiert
un effort, une ascèse,
au
sens étymologique, à
savoir «exercice». Ceci
peut être vu, d’ailleurs, dans
cette image, avec un peu
d’imagination:
s’il lui
est possible, à cet homme, d’atteindre le sommet
du cercle, il lui faudra
toutefois
faire
l’effort de lever
les
bras pour
l’atteindre, voire
pour
prendre le sommet
du carré comme
une barre fixe pour se hisser
et atteindre le sommet du
cercle. Qui dit
«lever»
fait penser à
«levier», à un point d’appui,
donc, à
un mouvement,
s’articulant autour d’un cercle; or cette
dernière notion ne peut pas
ne pas faire
intervenir
la concept même de
«centre». Le Centre est
«avant
tout,
l’origine, le point de départ de
toute choses; c’est le point principal,
sans forme et sans
dimension, donc invisible et,
par suite, la seule image qui puisse être donnée
à l’Union primordiale». La
position de l’homme est entièrement dans
le carré alors qu’elle n’occupe pas
l’entier du cercle, comme l’on voit sur la
figure. L’homme
s’inscrit tout entier dans le carré, alors
que subsiste au-dessus de lui un arc de cercle,
dont le côté supérieur du
carré dans
lequel
la figure
humaine s’inscrit, représente
la
«corde». Ce
fait est d’autant plus intéressant à souligner
que, de par sa forme, cet arc de
cercle
évoque la «voûte
céleste» – tout
comme
le plafond d’une
cathédrale d’ailleurs
–
renforçant encore
cette idée de «ciel»
comme
l’un des éléments
de la Triade précédemment
évoquée. L’homme
est
ainsi, symboliquement, au centre des figures
du cercle et du carré,
même s’il
s’agit ici en premier lieu d’un
centre symbolique, et non géométrique
stricto sensu. L’homme
de cette figure occupe dès lors une
position «intérieure»; ce qui
représente un
paradoxe, puisqu’il peut sembler
«enfermé»
par les
figures géométriques du
cercle
et du carré, il
n’en est pas moins seul
capable
d’en exprimer
la dynamique et les
potentialités. On
notera que l’homme tel que dessiné ici
s’inscrit aussi dans notre «Étoile
flamboyante»,
maladroitement illustrée ci- dessous. Si
l’on reprend ce dessin et que l’on regarde
d’un peu plus près, on constatera
que,
visiblement,
presque «intuitivement»,
nous
nous apercevons
que le nombril de
l’homme
est, aussi, le
centre du cercle. Ceci
pourrait n’être qu’un détail,
pourtant, ce
fait est de la plus haute importance
du
point de vue
symbolique. Si
l’on songe que le nombril peut aussi être
considéré comme ce qui relie l’homme
à la
matrice, déjà au sens physiologique,
il
peut prendre aussi
l’image du point
d’ancrage
d’une «chaîne
d’union» qui, remontant
au «Premier homme», comme nous
le disent de nombreux mythes et des
textes
saints, émane
bien du Principe, de ce
centre
immobile mais
qui, pourtant, meut
tout
le reste. Cette
image est ainsi une représentation, parmi
d’autres, de «l’homme universel»
évoqué
par René Guénon;
ajoutons qu’il ne
faudrait
pas considérer
la circonférence du
cercle
comme une «limitation
de la Possibilité
Universelle»,
mais au contraire, à notre
sens, comme une représentation symbolique de
celle-ci, un «artifice»
permettant à notre
conscience limitée de saisir l’indéfini. Comme
on le voit, ce nombril, en tant que
centre, est, aussi, une représentation, de l’intériorité
(le centre est, par définition, à
l’intérieur
du cercle). L’homme
est bien, si nous regardons cette
figure, à l’intérieur du
carré et à
l’intérieur
du cercle. Le
fait que le carré ne soit pas, lui, à l’intérieur
de ce cercle, montre à l’évidence
que
notre plan de
manifestation ne saurait, à
lui
seul, épuiser la Possibilité
Universelle
mais
qu’il n’est que
pure contingence, il
n’est
qu’une réalité
parmi une multitude de
possibles. En
revanche, la position centrale de cet homme
incite à penser qu’il est comme un
pont,
un «moyen terme»,
une voie pouvant
permettre
une «union
des complémentaires»,
pour
reprendre
l’expression de Guénon. Nous
ne pouvons résister à la tentation de
faire remarquer que le carré, avec ses 4 angles
droits est «équivalent du point de vue numérique»
au cercle: car 4 fois 90° donnent
bel
et bien 360° ! Il
y a là, manifestement, une sorte de clin d’œil,
qui montre qu’en dépit de la différence essentielle
entre la contingence d’un plan de
manifestation
et la Possibilité
Universelle,
la
distinction est,
pour l’homme, peu artificielle: le corps est, lui
aussi, le «Temple du
Seigneur»,
comme le dit
l’injonction biblique. Le
cercle, domaine de l’Esprit, est un peu,
mutatis mutandis, à l’homme de bonne
volonté,
pour ne pas
dire au «Maçon», ce que
fut
la Terre Promise à
Moïse: il est visible,
mais
encore
inaccessible; on le pressent plus
qu’on
ne le touche; ou,
en d’autres termes,
si
le carré est,
disons, «immédiatement
présent»,
le cercle est
encore «en puissance». Cette
figure de «l’homme de Vitruve» a d’ailleurs
fait l’objet de commentaires par
des
symbolistes du
Moyen-Âge, notamment
Hildegarde
de Bingen et
Guillaume de St- Thierry, qui nous font remarquer que l’homme
ainsi dessiné s’inscrit dans deux
séries
de 5 carrés
égaux, l’une verticale et
l’autre
horizontale:
outre la figure de la
croix,
nous pouvons
former avec ces deux séries
de 5 un carré
parfait (5 x 5 = 25), qui
fait
également penser au triangle pythagoricien
de côtés 3, 4, 5 (32
+ 42
= 52). Nous
trouvons là aussi une intéressante
problématique:
alors que, d’un
point de vue profane, il serait tentant de chercher
l’accès
à l’extérieur. Le point de vue
initiatique, lui, préférera
bien sûr le cheminement intérieur:
ce n’est pas
vers l’extérieur du
cercle que l’on se rapproche du Principe, car il
n’est
que trop évident que l’on ne
saurait épuiser la Possibilité à partir
de la contingence, mais bel et bien, en cheminant,
péniblement, certes,
vers l’intérieur du cercle, vers le
Centre. Pour
conclure, deux petits détails
semblent fort
intéressants, dans cette image
de
Leonardo da Vinci, détails peu remarqués
auparavant et qui ont peut-être une importance
certaine: La position des
mains qui s’élèvent (qui donnent
à la figure une allure de divinité hindoue) vers
le ciel, représenté ici par
l’arc
de
cercle, qui forme en
quelque sorte une
voûte,
n’est pas sans
évoquer le mouvement de la
branche du compas, dessinant le cercle. La position des
pieds de l’homme, position qui rappelle celle des
pas de l’Apprenti Franc-Maçon, bien que
cela ne soit pas notre propos ici. On est en droit de se demander si
l’auteur de cette esquisse n’a pas voulu laisser
un «signe» en
dessinant ces pieds de cette manière ? · Publié
dans le Bulletin de SUB ROSA : Une Parole Circule - Bulletin N°
2 - Janvier 2010
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