Obédience : NC Bulletin de SUB ROSA : Une Parole Circule 03/2010

Le Sacré et l'Interdit

Le mot sacré vient du latin sacer, qui signifie séparé. L’espace sacré ne peut donc jamais coexister avec l’espace commun, ou profane. Il en résulte que le sacré est toujours assorti d’une notion d’interdiction.

La première manifestation de la notion de sacré est liée à l’au-delà. Depuis la nuit des temps, les hommes ont essayé de com­prendre ce qui se passait, comment se défi­nissait cette frontière, entre la vie et la mort.

En ces temps sauvages, on meurt peu sur sa couche, mais souvent de manière violente. Déjà en ces temps reculés, le sacré est géré par des personnages particuliers, prêtres, sorciers, chamans, et autres, qui ont un statut spécifique dans la société. Le sacré est mis en oeuvre par des rites, et seuls ceux qui en possèdent le secret ont le droit de les pratiquer. La correspondance entre sacré et secret devient vite une évidence. N’est-ce pas dans les tiroirs secrets des secrétaires que sont cachés les secrets de famille, ceux dont personne n’ose parler, qui font ou créent leur histoire mythique, sacrée ?

LA VIOLENCE ET LE SACRÉ
Dès lors que l’interdiction existe, il en découle tout naturellement une punition pour celui qui ne la respecte pas. La plupart du temps, cette punition est d’une extrême violence, la mort en est souvent le prix. Le Totem est indissociable du Tabou. Mais plus encore, la mise en scène du rituel est souvent elle-même un acte de violence. Parce que pour comprendre le sacré, il faut passer dans l’au-delà, et «jouer un acte de violence». C’est la manière la plus immédiate d’y accéder. Et pour mémoire les serments maçonniques: «Je préfèrerais avoir la gorge tranchée... qu’on m’arrache le coeur... que mes entrailles soient dispersées...» Tout cela est bien sanglant, violent. Remarquons que toutes ces menaces sont proférées contre celui qui ne respecterait pas le secret, par divulgation de mots sacrés. On se retrouve face à cette triade:
SACRÉ – SECRET – INTERDICTION
De l’interdiction naissent deux consé­quences: la transgression, puis la punition, qui est assortie de facto à la violence, qui referme le cercle, soit:
SACRÉ – SECRET – INTERDICTION- VIOLENCE

LES MOTS SACRÉS
Le mot sacré, comme le mot de passe, est un secret que l’on partage. Il y a les lettres, les groupes de lettres, les silences qui laissent place à des interstices. Le mot, la parole est l’instrument de la création, comme évoqué dans le prologue de Saint Jean. En tant que tels, tous les mots sont sacrés, ou susceptibles de le devenir, la différence se faisant dans l’intention. On peut utiliser le mot dans un mode passif, ce sera la descrip­tion, l’explication, la narration, ou dans un mode actif, ce sera le souhait, l’ordre, le cri.

Dès que le mot se fait créateur, il devient sacré. Il devient une oeuvre, et possède sa vie propre. Le mot sacré représente la quintes­sence du rituel, c’est la synthèse du degré.
Le mot de passe, comme son nom l’indique, permet le passage, c’est donc une clé que l’on reçoit.
Une clé pour déchiffrer le mot sacré. Prenons en exemple les mots du IIIe degré. Le mot sacré: MA HABONEH, ou MO HA

BIM doit donc être interprété à la lumière de TOUBAL-CAÏN. Ou plus simplement, trou­ver la porte, symbolisée par MA HABONEH, et l’ouvrir avec la clé TOUBAL-CAÏN.
On trouve Toubal-Caïn dans la Genèse chapitre 4. Il est né de la descendance de Caïn. Lémek épousa deux femmes, la première nommée Ada et la seconde Tzilla. Ada mit au monde Yabal, l’ancêtre de ceux qui habitent sous des tentes et élèvent des troupeaux. Yabal eut un frère, Youbal, l’ancêtre de tous ceux qui jouent de la guitare et de la flûte.
Tzilla, elle aussi, eut un fils, Toubal­Caïn, le forgeron qui fabriquait tous les outils tranchants de bronze ou de fer. TOUBAL signifierait Faiseur. En cananéen, cela signi­fie lance ou javelot. Ses parents sont Lemek, la force sauvage, et Tzilla, l’ombre ! Toubal­Caïn, qui règne sur les forges, représente les forces chtoniennes, sombres, magiques, occultes et puissantes.

Toubal-Caïn forme aussi une synthèse avec Habel et Caïn, la racine Bal se trouvant dans son nom et dans celui d’Habel. En résu­mé (Fabre d’Olivet) BAL exprime l’expan­sion et Caïn, la rigidité. L’ensemble – TOUBAL-CAÏN – présente l’idée même de la complémentarité, à partir l’opposition qui a conduit au meurtre d’abord, pour finir par réunir en lui les qualités complémentaires, et conduire à l’harmonie. On donne parfois la signification symbolique de «possession du monde» à TOUBAL-CAÏN, mais, comme il impose, par ses instruments de forge, la terre, à l’aide du feu, de l’air, de l’eau, le rythme, la musique des sphères, la notion de maître de l’harmonie du monde semble plus adéquate. Cela sera une clé.
MAHA BONEH ou MOHA BIM
          MA = qui
         HA = le
          BONEH = constructeur ou architecte Donc: Qui est le constructeur ? Ou qui est l’architecte ?
Ou • MA • ABIM

Donc: Qui, de nos pères ?
Si on prend les initiales M... B..., on a Mem: valeur numérique 40. Elément eau, féminin. Exil ou attente. Beith valeur numé­rique 2. La maison, mais aussi la dualité, la séparation. Les deux ensemble, 42 = 4 + 2 = 6, 3 + 3, pourquoi pas 33, évoquent aussi l’étoile de David, l’union du masculin et du féminin, la naissance, après l’accouplement. On peut mettre cela en parallèle avec l’enjambement du cercueil par le Compagnon confirmé: le Compagnon Franc-Maçon, être solaire, voyageur, flamboyant, tourné vers l’extérieur, est clairement masculin. Mais lorsqu’il doit enjamber le cercueil du Grand Maître Hiram, le futur Vénérable Maître se fait féminin, pour en recueillir la semence. C’est ainsi que le compagnon confirmé pourra s’effacer pour faire naître en lui le Vénérable Maître.

Etant donné le contexte, et un petit coup de main de la langue des oiseaux, j’ai envie de rapprocher cela du mot MA KHA BIM, ou macchabée. Le mot est encore utilisé dans la langue verte de nos jours pour désigner un cadavre...
Or, l’épisode décrit dans le livre Macchabée 1 cite pour la première fois la lumière divine qui s’est manifestée dans le temple. Notons qu’une traduction de «macchabée» est «marteau», et que c’est avec le maillet que sera porté le coup fatal à Hiram.

Rappelons-nous l’histoire de Yehouda Makabi: les livres des Maccabées racontent comment le roi de Syrie Antiochos IV Épi­phane avait interdit le culte juif et profané le temple de Jérusalem pour le dédier à Zeus olympien, ce qui avait provoqué une révolte conduite par Yehouda Makabi et ses frères. Les Hébreux finissent par vaincre Antiochos, après de violentes batailles, mais la ville est détruite. Devant la désolation du temple pro­fané, Yehouda Makabi purifie le temple, bâtit un nouvel autel, illumine les candélabres.

S003-1-1
Un Tablier porté au IIIe degré au REAA.

Pendant huit jours, les flammes brillent. C’est Hanoukka. Le second livre des Macca­bées ajoute deux précisions importantes: la durée de la fête est calquée sur celle de la dédicace du premier temple par Salomon; cette fête de huit jours devait aussi compenser celle de Sukhot, la fête des tabernacles, qui n’avait pas pu être célébrée deux mois plus tôt en raison de la persécution. C’est proba­blement ce qui explique l’insistance du livre des Maccabées sur la joie qui doit accompa­gner la fête de Hanoukka; la joie, en effet, est une des caractéristiques de la fête de Sukhot.
Le Talmud complétera l’histoire en insis­tant sur une petite fiole d’huile qui miracu­leusement maintient allumés les candélabres durant huit jours (car le livre des Macchabées ne fait pas partie de la Torah). La fête de Hanoukka commémore la purification et la dédicace du temple de Jérusalem et de son autel en décembre de l’an 164 avant notre ère. Elle est célébrée à partir du 25 du mois de Kislev (en novembre-décembre). Notons encore qu’il est d’usage d’allumer, dans les familles, près d’une fenêtre, un chandelier particulier. Un chandelier à 9 branches ! Et voici une porte !

S003-1-2

L’OUVERTURE DES TRAVAUX
Le processus d’ouverture des travaux a pour but de sacraliser l’espace-temps dans lequel nous allons travailler, alors que la fer­meture, a contrario, doit rendre la sacralité et retrouver un univers profane. Au début, tous les signes sont là. Nous connaissons les arcanes. Tout est en place pour que le «jeu» commence. Le «jeu» qui mène à la lumière.

Georg Friedrich Händel (1685-1759) composa son Judas Macchabée, HWV 63 en 1746, oratorio en 3 actes. Première représentation à Londres au Théâtre Royal le 1er avril 1747.

S003-1-3
Un chandelier à 9 branches présent lors de
la célébration de la fête de Hanoukka.
@ A.C.I.N.G., Nîmes 2009

Ce n’est pas parce que l’on a disposé des objets, des signes dans un espace, que celui-ci devient un espace sacré. Ce n’est qu’au moment où lesdits objets, ou symboles, seront mis en action que la créa­tion d’un espace-temps particulier pourra se faire. Le but unique et ultime de la création de cet espace sacré est d’y appeler ou y abri­ter une présence spirituelle, on dira le Grand Architecte de l’Univers.
La création de cet espace sacré se fait, étape par étape, par le positionnement, et les actes ou paroles de chacun des officiants. Les symboles sont exposés, prêts à entrer en action. Activés par l’allumage des piliers, par le positionnement de l’équerre et du compas, le nécessaire de l’espace sacré est réveillé. Mais c’est seul le Très Respectable Maître qui va finaliser cette sacralisation par l’invoca­tion. C’est son rôle, c’est celui qui détient le pouvoir de donner la lumière, aussi bien aux initiés qu’au lieu. Au moment de l’invocation, par la puissance de la parole, de la gestuelle, au travers de l’Axis Mundi formé par l’épée flamboyante, le Très Respectable Maître et le maillet, l’espace humain se retire pour laisser sa place à l’univers sacré (peut-être par une rétractation que l’on pourrait comparer au tsim-tsoum d’Aboulafia). Par son geste, comparable, certainement, à celui de Joshua lorsqu’il demande à «Adonai» d’arrêter la course du soleil et de la lune, incantation de la main gauche et de la main droite, le temps disparaît. C’est par la puissance du verbe créateur, que l’univers de lumière est créée.

LA FERMETURE DES TRAVAUX
Au contraire, à la fermeture, par la même invocation et la même gestuelle, par le même canal, par la désactivation des symboles, leur mise en repos ou sommeil, le sacré se retire pour faire place au «normal» (profane).

Tout ce qui précède est une description du sacré par le vécu, mais la recette de cuisine pour y accéder n’existe pas. Pourtant,  ici, maintenant, là, nous y sommes. En plein. Qu’est-ce qui a changé ? Sommes-nous vraiment séparés de ce que nous allons être dans quelques instants, autour de la table du repas fraternel ? Je veux croire que OUI. Sans trop m’attarder, je pense que le facteur principal est l’arrêt de la course du soleil. Le soleil s’arrête à chaque moment dans l’instant présent, particule de temps sans dimensions, irréelle, paradoxe de notre existence. En nous arrêtant sur l’instant présent, en conscience, en y accordant toute notre attention, nous sommes dans l’inter­stice sacré, entre les mondes, hors du temps et de l’espace, et c’est par cette infime porte, en transgressant peut-être certaines lois, que nous pouvons offrir un passage à la Lumière.

Publié dans le Bulletin de SUB ROSA : Une Parole Circule - Bulletin N° 3 - Mars 2010  -  Abonnez-vous

S003-1 L'EDIFICE  -  contact@ledifice.net \