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La lutte de Jacob avec l’ange. Voyages initiatiques au premier degré. « Je suis un homme. Qu’est-ce que je ? Qu’est-ce qu’un homme ? » Eugène Delacroix. La compréhension est, dit-on, un souvenir, une absence d’oubli, une histoire de conscience. Aussi en revisitant mes impressions d’initiation au premier degré, j’y constate trois temps : passé, présent, futur. Le présent étant le passage obligé qui sépare le temps qui n’est plus, de celui qui sera. Cette hypothèse de travail, puisqu’elle est basée sur un ressenti, nécessite d’être précisée par une question : Le présent et le passé sont-ils le résultat de notre conscience ? Pour y répondre, posons le problème en nous aidant d’une image qui par analogies successives nous conduira vers la réflexion : Qui suis-je ? De qui sommes-nous faits ? Du « Connais-toi toi-même ». Trois éléments constituent ma proposition. Un texte, source de l’œuvre peinte, l’Ancien Testament, la Genèse, « la lutte de Jacob avec l’ange ». Une image, l’œuvre peinte par Eugène Delacroix « la lutte de Jacob avec l’ange ». Le Rituel d’Initiation au premier degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté. L’Ancien Testament. Traduction de la Genèse par André Chouraqui « La lutte de Jacob et l'Ange » Chapitre 32 - Versets 25 à 32.
Le récit est court, énigmatique. C'est là que Jacob recevra le nom d'Israël. Jacob a combattu avec qui ? Dans le texte un Homme, El, Elohïms, les hommes, un ange ou le tout confondu. Peu importe, il s'agit probablement d’un autre moi-même. L’image, l’œuvre de Delacroix, décrit la scène où Jacob affronte, dans un corps à corps sans merci, un ange d’apparence humaine, pendant que le reste de la troupe traverse le gué du iaboq. Ils rejoindront Esaü, frère de jacob, sur l’autre rive. Cela nous rapprochant de ceci : V.I.T.R.I.O.L. Ces initiales forment un mot initiatique. Il exprime, dans le rituel, un processus de transformation concernant le retour de l'être au noyau le plus intime de sa personne et sur lequel pourra se bâtir une autre vision. Observons « La lutte de Jacob avec l'Ange ». En considérant que le passé, dans le cas de Jacob, serait l’incompréhension et l'avenir la réconciliation, le présent est symbolisé par la lutte. De ce fait deux temps sont en jeu : avant et après. Par conséquent, à la lecture du titre « La lutte de Jacob avec l'Ange », la notion du double et de la réconciliation au dédoublement est envisageable. Pourquoi ? En comparant la Genèse de l'Ancien Testament et l’observation simultanée de l’oeuvre peinte, aux voyages du Rituel d'Initiation du premier degré, ceux-ci nous indiquent quelques similitudes. Au commencement… L'épreuve des entrailles de la terre. Rituel, page 44 : Le Cabinet de Réflexion est une petite pièce, symboliquement souterraine, où s'effectue la première épreuve de l'Initiation, où l’on peut lire la formule hermétique « V.I.T.R.I.O.L ». Rit page 47 « C’est ici que vous allez subir votre première épreuve. A cette fin il est indispensable que vous vous détachiez de toute illusion trompeuse etc. Plus loin. Maintenant, Monsieur, vous allez être abandonné à vous-même, dans la solitude, le silence et avec cette faible lumière. Les objets et les images qui s'offrent à vos regards ont un sens symbolique et vous inciteront à la méditation ». Ancien Testament chapitre 32 verset 25 : Ia’acob reste seul. Un homme lutte avec lui jusqu'à la montée de l'aube. Après ces remarques, s’esquisse l'évènement initiatique qui nous relie à l'analyse artistique et au problème « du double et du dédoublement ». Pour mieux explorer cette hypothèse, voici quelques repères communs au récit testamentaire et à l'initiation maçonnique : La nuit/le bandeau – iaboq/le passage – l'autre/Elohims/la lutte – Jacob/Israël/boaz – la blessure/claudication. Autant d'indices rencontrés dans l'une et l'autre lecture pour éclairer la complexité du sujet. La nuit/Le bandeau Jacob, effrayé à l'idée de sa rencontre avec Esaü, s'inquiétait du jour à venir. La nuit et la solitude peuvent être des facteurs de tourments, comme nous le suggère l'A.T. Chapitre 32 verset 8. « Jacob eut grand peur et il fut angoissé » Fin de citation. Ainsi, Il est vraisemblable que Jacob ait eu à lutter contre un adversaire, mais surtout contre sa propre peur avant que la lumière de l'aube n'apparaisse. Rit. Page 51. Le bandeau qui couvre vos yeux est le symbole de l'aveuglement dans lequel se trouve l'homme dominé par ses passions et plongé dans l'ignorance, la superstition. Ces difficultés sont d'autant plus grandes pour ceux qui ne possèdent pas la lumière et qui, à cause de cela, ignorent les lois profondes du Cosmos et agissent souvent à l'encontre de ces lois. Retournons dans la chambre de réflexion. Entouré d'objets à l'aspect étrange, des mots, des phrases tacites, des images inattendues, le récipiendaire ne sait pas encore quel sens apporter à chacun d'eux, ni comment les associer. « Vigilance et persévérance » peut-il lire. iaboq/Le passage C'est au gué de la rivière du Iaboq, que Jacob combat l'Ange et devient Israël. Iaboq est un lieu qui sépare. Séparation traditionnelle entre les humains et les craintes de l'obscurité, séparation géographique entre Jacob et Esaü son frère. Mais c'est aussi un lieu de passage : passage symbolique de Jacob, lui-même, vers une conscience accrue de sa propre identité. Passage qui prendra la forme et la fin d'un combat, lors d'une initiation redoutable. A T c.32 v.31 : Ia’acob crie le nom du lieu : Péniél « Face d'El » : Oui, j'ai vu Elohims face à face et mon être est secouru ! » Rit. Page 57 Cependant, il n'est pas encore délivré des combats qu'il est obligé de soutenir pour triompher de ses passions et de celles des autres hommes. Fin de citation. Ce passage me rappelle aussi la porte, l'entrée de la Loge, passage périlleux lors de la réception du candidat, aveuglé par l'obscurité et luttant contre l'inconnu. Rit. Page 49 Le Couvreur ouvre la porte avec grand bruit. Page 50 : L'Expert appuie ensuite la pointe de son Épée sur le coeur du postulant. Page 51 : Cette épée que vous sentez sur votre coeur est le symbole du remord qui déchire votre cœur. Jacob/Israël/Boaz Le nom de Jacob était lié à la ruse. La racine hébraïque du mot « Jacob » étant associé à « supplanter, attaquer au talon ». De plus Jacob sollicite et obtient la bénédiction de son assaillant, comme il avait demandé la bénédiction de son père Isaac par ruse. (En observant l’œuvre de Delacroix, on distingue une fourrure d’animale sur le dos de Jacob). Cette fois, la bénédiction est en quelque sorte confirmée, sans aucune duperie, par une lutte. Jacob révèle son identité à son opposant. Mais celui-ci la change. Jacob changera de nom pour devenir Israël. Israël « lutteur d’El». Le nouveau nom Israël « lutter avec Elohims » atteste que la bénédiction, est définitivement accordée au patriarche. Par cette signification, ce nom peut être interprété comme étant la force de Jacob. Le fait de donner un nom nouveau indique un changement d'orientation, un nouveau stade de la raison. Désormais le prénom Jacob est inadapté, puisqu'il est sorti victorieux d'une offensive contre plus fort que lui, il annonce donc qu’il s'appellera Israël. Nous assistons à l'association de l'avant et de l'après. Dans les secrets du grade : le mot sacré est communiqué au néophyte : B.O.A.Z. (La Force est en lui). « Passe BOAZ ». Blessure/Claudication A.T. c.32 v.32 : « Le soleil brille sur lui lorsqu'il passe Péniél : il boîte de la cuisse. » Fin de citation. La terrible nuit a laissé des traces. Le jour se lève. Jacob reste marqué. Peut-on associer la marche maçonnique et la blessure ? La marche serait-elle le rappel de cette initiation ? Et la blessure à la hanche indiquerait-elle une certaine vigilance nécessaire face à notre vulnérabilité ? Nous avons laissé le candidat dans la chambre de réflexion avec ses angoisses. Il remonte accompagné du frère préparateur. Il fait encore nuit. Au paravent, il s'est chaussé un pied d'une deuxième chaussure. Il boite. Y-a-t-il un risque latent ? Probablement. Des métaux déposés à l'extérieur de la Loge, une porte, un passage, le pas d'apprenti, toutes ces situations portent à réfléchir. Dans l’image de Delacroix, les armes pointées vers l’affrontement, sont déposées pour que celui-ci ne dégénère en combat mortel. Elohïms/L’autre/La lutte Elohîms est traduit généralement par Dieu. Mais c'est un mot qui a une forme plurielle, si bien qu'il peut désigner tantôt « Dieu », mais aussi « les dieux » ou même « force supérieure » ou encore « ange » etc ». Bref, Jacob dans la Genèse a lutté contre des forces exaltées. Dès lors, on imagine qu'Eugène Delacroix a fait plus qu'illustrer le récit biblique : il en a même ébranlé l'interprétation conventionnelle. Etablissant dans son tableau, non pas le moment d'une soumission de l'homme à une divinité, mais celui d'un assaut de l'homme avec une force supérieure. Il prend à bras le corps son destin. Cependant, si l'homme lutte avec lui-même, il peut s'agir d'un dédoublement sans divinité extérieure. Il peut aussi lutter contre toute chose qui nécessite un combat intérieur. Tout comme l'homme peut lutter avec son animalité et son degré d'humanité. Rit page 56 « Récipiendaire, le voyage symbolique que vous venez de faire est l'emblème de la vie humaine. Les bruits que vous avez entendus figurent les passions qui l'agitent. Les obstacles que vous avez rencontrés peignent les difficultés que l'homme éprouve et qu'il ne peut vaincre ou surmonter qu'autant qu'il acquière l'énergie morale et les connaissances qui lui permettent de lutter contre l'adversité grâce aussi à l'aide qu'il peut recevoir de ses semblables. Fin de citation. L'Ange, est-ce la vie, lui, l'autre, une force divinisée, le temps, l'épreuve, la mort ? Cette étreinte, la lutte avec l'ange, serait donc celle du Vivant et de la Vie considérée dans toute sa complexité ? L'étreinte s'avère étreinte avec le temporel. Et dans l'instant présent de la lutte, le passé se métamorphose en avenir. Si la lutte de Jacob est souvent représentée comme un combat contre un ange, nous avons vu que dans ce texte, rien n’indique vraiment sa nature. Il lutte avec « un homme », puis « EL », plus loin, avec « Elohims » et encore plus loin « les hommes ». Cette lutte est le symbole du combat intérieur contre tout ce qui entrave l'accomplissement créateur de l'être. Jacob n'arrivera pas à savoir le nom de son adversaire, ce qui, en langage biblique, signifie qu'il n'aura aucun pouvoir sur lui. L'identité de l'adversaire est imprécise : « ish » littéralement « un homme », ou quelqu'un ou absent. Puis Jacob parle d'une force supérieure (Elohims). Tandis que Charles Baudelaire décrit les deux héros de ce combat, tel que l'a peint Eugène Delacroix comme : « L'homme naturel et l'homme surnaturel luttent chacun selon sa nature ». Jacob rejoindra son frère, pour cela il changera d'identité, de niveau de conscience. A T c.32 v.30 : Ia’acob questionne et dit : « Rapporte-moi donc ton nom. » Il dit « Pourquoi cela demandes-tu mon nom ? » le désir de Jacob de connaître l’identité de son adversaire est tout de même satisfait, il le reconnaîtra. AT c.32 v.31 « Oui, j'ai vu Elohims face à face et mon être est secouru ». Fin de citation. Rit p Maintenant que la patience et la fermeté du Néophyte lui on fait remporter sa première victoire dans la lutte entre le profane et le Frère Maçon etc… Désormais la notion du « double » devient concevable. Sa lutte avec l'ange, ou quel que soit son nom, a rendu Jacob capable de dépasser sa peur d'Esaü, son frère, et ne cherche plus à le duper, sans doute un autre lui-même, pour le voir à présent comme le frère humain avec lequel il pourra enfin parler. Esaü n'est plus en colère contre Jacob, mais le respecte pour son courage. L'équilibre fraternel s'est enfin réalisé entre Jacob et Esaü : il obtient ce degré de conscience à la fois par la parole et par la lutte. Une lutte qui se déroule essentiellement à l'interne où l'homme est tourmenté par ses contradictions et dont l'issue du face à face ouvre au vrai dialogue. Dans la fresque, l'homme/ange que combat Jacob est image d'humain, celui qui a été fait à l'apparence et à la ressemblance d'Elohïms. A T c.33 v.10 Face à Esaü Jacob dira « Car j'ai vu tes faces comme se voient les faces d'Elohims, agrée-moi ! ». Fin de citation. Dans cette lutte, Jacob se confronte donc à la fois à l'homme dans son ensemble, à Elohims et à la Création toute entière. Rit. « Les flammes par lesquelles vous êtes passé figurent le quatrième élément symbolique des Anciens. Puisse le Feu qui vous a enveloppé se transmuer dans votre coeur en un Amour ardent pour vos semblables, puisse la Charité inspirer désormais vos paroles et vos actions ». A T c.32 v.27 : « Il dit alors : Envoie-moi : oui, l'aube est montée. » Il dit : « Je ne t'enverrai que si tu me bénis. ». Fin de citation. Cet autre, demande à partir « oui, l'aube est montée ». Comme s'il ne voulait pas ou même ne pouvait pas laisser voir son visage en plein jour. Si son opposant n'est pas conventionnel, ni surnaturel, ce qui renforcerait l'idée que « l'homme » est une représentation de Jacob ou même d'Esaü, alors c'est une volonté créatrice qui lutte pour construire sa propre conscience. C'est une lecture envisageable de ce drame que la Genèse, peinte par Eugène Delacroix, représente au gué du iaboq. Dans un poème de Pierre Emanuel, « La lutte avec l'Ange », on peut lire le motif de la lutte avec l'ange comme confrontation au double. La plus profonde nuit pour un homme, c'est l'homme, Profonde et dure. Nul n'y pénètre qu'il n'ait Forcé les trompe l'oeil du savoir peint, percé Les perspectives sans espace qui ne s'ouvrent Qu'à celui qui se met en marche et rompt le mur. Pour conclure mon propos, cette scène nous décrit deux forces qui s’affrontent, alors qu’elles pourraient s’allier. Nous avons assisté à La reconquête du dédoublement. Jacob s'est mesuré avec lui-même, cette lutte lui a annoncé qui il était. De la confrontation entre j'étais et je suis, Jacob/Israël, dépasse le stade de l'opposition pour devenir une alliance en action du « je serai ». Les trois voyages de l'initiation trouvent ainsi leur sens. Les objets, les images, les mots, s'articulent petit à petit. Le mur est rompu. V.M. J'ai dit Pour la reproduction de l’œuvre : Peinture murale réalisée par Eugène Delacroix dans les années 1850 et achevée en 1861, pour la chapelle des Saints-Anges à l'église Saint-Sulpice de Paris. |
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