Le
Temple
En Franc-Ma çonnerie,
« tout est symbole ». Et le
principal symbole maçonnique est, à mon sens, le
Temple, dans la mesure où il contient tous les autres, sans
aucune exception. Certains ont pu être surpris que
j’aie choisi «le Temple» comme sujet de
ma planche d’Apprenti. Mais en fait, le Temple ne correspond
à aucun grade précis, car il est Franc-Maçonnerie
dans son ensemble. A chaque grade, et pas uniquement dans les ateliers
bleus, correspond son acception du Temple.
La notion de Temple revêt de nombreuses significations, dans
le monde profane comme en Franc-Maçonnerie. Je ne parlerai
ici que du contenu maçonnique, donc, avant tout, symbolique.
Qu’est-ce que le Temple ? Comment le définir ?
Dans certaines religions, il s’agit d’un lieu
sacré ou d’un bâtiment servant au culte
et aux réunions des adeptes. En Maçonnerie, le
même sens existe, car matériellement, le Temple
est le lieu où se tient la Loge, c’est un lieu
tracé à la règle et qui inclut des
règles. Mais en plus de cette signification pratique, le
Temple offre de nombreuses autres acceptions en Maçonnerie,
c’est quelque chose de beaucoup plus large. Car
c’est aussi une référence historique,
intimement liée au mythe fondateur maçonnique, la
légende du premier Maître-Maçon Hiram,
constructeur du Temple de Salomon. Le Temple, c’est aussi
toute la Maçonnerie dans son ensemble. Par ailleurs, par une
admirable représentation cosmogonique, c’est
l’univers tout entier. C’est aussi le Temple
idéal d’une humanité meilleure, dont
d’édification est notre but à tous et
dont les pierres sont travaillées par chacun de
nous… Enfin, c’est aussi et surtout le Temple
élaboré par chacun de nous en
nous-mêmes, ce qui est sans doute la principale
œuvre maçonnique et la signification profonde de
l’initiation, quand commence le travail alchimique
aidé par le VITRIOL.
Maintenant, voyons un peu tout cela de plus près.
En Maçonnerie, nous appelons donc «Temples
» nos lieux de réunion. Tout comme le font les
Chrétiens, par exemple. A la première vue, la
comparaison tient. Il s’agit dans les deux cas d’un
lieu orienté et ordonné, incluant de nombreux
éléments symboliques. Chez nous, ce sont
essentiellement, au grade d’apprenti, les colonnes,
l’Orient, la voûte étoilée,
le pavé mosaïque, la chaîne
d’union qui relie tous les éléments du
Temple et qui est aussi le symbole évident de la
fraternité.
Cependant, la plupart des auteurs que j’ai lus, soulignent,
à juste titre, que nos symboles ne sont pas
sacrés, ce sont des outils, des supports, des points
d’appui pour la méditation. Et de même,
la différence essentielle entre un Temple
chrétien et un Temple maçonnique tient au fait
que ce dernier n’est pas un lieu sacré en soi, il
ne l’est que par la présence des
Frères, son élément principal et
essentiel, et par le truchement du rituel. Sans cela, il ne
s’agit que d’un lieu froid et vidé de sa
substance. Les premières Loges modernes se
réunissaient dans les arrières-salles des
tavernes, endroit peu spirituel en soi. Aujourd’hui, le plus
souvent nous disposons pour nos travaux de locaux
spécifiques, mais je puis aussi citer cette anecdote
tirée d’un livre de notre F\ Bruno Etienne, chez
qui, lorsqu’il était en poste à Alger,
se réunissait clandestinement la R\ L\ Bélisaire,
avec un tapis de loge déroulé au milieu de la
salle à manger. Donc la seule chose qui rende notre Temple
sacré, c’est notre présence et notre
travail, de midi à minuit, en suivant un rituel
précis ordonnant ce travail.
Historiquement, la référence toujours
citée, c’est le Temple de Salomon,
l’archétype même d’un Temple.
La construction de ce Temple, abondamment commentée par la
Bible, a été reliée au mythe
d’Hiram, qui est le principal mythe fondateur
maçonnique. C’est donc une
référence plus mythique qu’historique,
un rattachement symbolique.
Je ne parlerai pas de l’histoire – passionnante
– de ce symbole et vous invite à lire
l’article très intéressant
là-dessus dans le dernier numéro de la Chaîne
d’Union, par notre F:. Ludovic Marcos. La
réalité est que cette
référence au Temple de Salomon est
plutôt récente et daterait du XVIIe
siècle. Aux sources de la Franc-Maçonnerie, on
évoquait, par exemple, plus souvent la construction de la
tour de Babel.
Mais aujourd’hui, symboliquement, le premier Temple
maçonnique est pour nous celui de Salomon, construit par
Hiram. Ce mythe fondateur de la Franc-Maçonnerie, vaguement
relié à deux ou trois phrases de la Bible, parle
bien de la construction d’un bâtiment
sacré, assuré par des Maçons
divisés en Apprentis, Compagnons et Maîtres. Et
déjà, au-delà de toute division entre
Maçons spéculatifs et opératifs, les
bâtisseurs poursuivent à la fois des objectifs
matériels et spirituels. Et puis, il s’agit
d’un ouvrage construit selon un savoir extrêmement
ancien, incluant force proportions numérologiques et
notamment le nombre d’or. Cette architecture
sacrée est l’Art Royal des Maîtres
Maçons.
Détail, qui n’en pas un, l’Arche de
l’Alliance, qui est placée dans le Saint des
Saints du Temple de Salomon, de même que les colonnes du
Tabernacle qui la recouvre, sont faites en bois d’acacia.
La Franc-Maçonnerie dont nous faisons partie,
c’est aussi un Temple, qui relie ses
membres dans une Chaîne d’Union infinie. En ce
sens, elle est bel et bien une religion, ne
serait-ce qu’étymologiquement. C’est en
tout cas un cheminement spirituel, et dans « spirituel
», outre l’esprit, il y a « rituel
». Le rituel qui, comme le rappelle Jean-Pierre Bayard, sert
« à maîtriser les forces
cosmiques » dont la signification est
révélée progressivement par
l’initiation et qui est inaccessible aux profanes, quand
même ils en verraient l’exécution
chorégraphique.
La Franc-Maçonnerie est dans son essence universelle et
intemporelle. Par la Chaîne d’Union, nous sommes
tous « rattachés à la
lignée de nos ancêtres, nos Maîtres
vénérés qui la formaient hier ».
Et la construction de cette fraternité universelle se
confond avec la construction du Temple maçonnique.
L’instruction au 1er degré, du memento
d’App\, inclut aussi une autre occurrence du mot «
temple ». « Que fait-on en Loge ? On y
élève des Temples à la Vertu et
l’on y creuse des cachots pour les vices ».
Personnellement, je pense que notre F\ Donatien Alphonse
François de Sade aurait été
sarcastique en se moquant de cette phrase bien bourgeoise. Non, nos
Temples sont des Temples à l’humanité,
à l’esprit, à la fraternité.
Et ses piliers sont, pour reprendre la devise de la
Franc-Maçonnerie, la Force, la Sagesse et la
Beauté…
Notre Temple, qu’il s’agisse de sa
réalisation matérielle telle que vous la voyez,
ou de sa réalisation idéale, est aussi une
incarnation cosmogonique de l’univers. Comme le rappelle
Bruno Etienne, la Loge maçonnique est « effectivement
un mandala puisqu’elle est une représentation du
cosmos manifesté par la voûte
étoilée et le tapis de loge ».
Un mandala, c’est-à-dire,
comme dans le brahmanisme et le bouddhisme, une
représentation géométrique et
symbolique de l’Univers.
Lors des tenues, le Temple représente l’univers.
C’est bien pour cela qu’il s’agit
d’un lieu orienté (c’est
de l’Orient que vient la Lumière) et
d’un lieu ordonné.
« Sa longueur va de l’Occident
à l’Orient, sa largeur du Septentrion au Midi, sa
hauteur, du Nadir au Zénith ». Et
c’est pour ne pas détruire cette
représentation, qu’il s’agit toujours
d’un lieu couvert et clos. D’ailleurs,
l’entrée et la sortie ne sont pas du tout libres,
mais obéissent à un rituel bien
précis. Un Frère arrivé en retard (et
qui n’a, de ce fait, pas participé à
l’ouverture des travaux) doit montrer symboliquement son
intégration à la Loge en exécutant des
mouvements tout à fait codifiés. Le Temple est un
univers allégorique, et c’est un univers
spirituel, d’où les métaux
(c’est-à-dire, toutes les aspirations
matérielles du monde profane) sont proscrits. Autrefois, ce
n’est pas seulement pendant l’initiation, mais
à chaque tenue que l’on devait laisser au parvis
ses affaires personnelles, montres, clés, argent, etc., en
même temps que sa situation profane (professionnelle et
financière, notamment).
Le Temple est un lieu cosmique, et le temps aussi y est cosmique, et
dépasse l’illusion du présent. Comme le
rappellent Mircéa Eliade et Bayard, le temps usuel
n’y a aucune importance, il est aboli;
le passé, le présent et le futur sont
fusionnés, unis par la Chaîne d’Union.
Ceci permet la sérénité de la
méditation collective, loin de l’écume
des jours, l’esprit et le verbe se libérant
puisqu’il ne sera minuit que quand le
Vénérable Maître le voudra bien.
Ainsi, dans l’espace comme dans le temps, nous sommes
isolés du monde profane, ce qui ne signifie certes pas
qu’on s’en désintéresse.
Comme l’a dit notre F\ Michel Barat, « pour
notre travail, on ne se coupe du monde que pour mieux le retrouver ».
Le Temple est donc la quintessence de l’Univers, et le
pendant spirituel de cette vocation universelle de la
Franc-Maçonnerie, c’est le panthéisme.
C’est avec plaisir que je cite John Toland,
élève de Spinoza, celui qui a inventé
le mot « panthéisme » et qui a
été, au début du XVIIIe
siècle, l’un des principaux inspirateurs
d’un certain Desaguliers et d’un certain Anderson.
Leibniz, voulant le piéger, lui demanda sa patrie
d’origine, et la réponse de Toland a
été : « Le Ciel est mon
père, la Terre est ma mère, le Monde est ma
patrie et tous les hommes sont mes parents ».
Nous, on dit que tous les hommes sont nos Frères…
Nos Temples ne sont dédiés
à aucune divinité, sinon à toutes. Ce
sont des Temples panthéistes, le panthéisme
étant en fait la seule doctrine spirituelle
exprimée dans les constitutions d’Anderson. Et je
regrette, j’avoue, avec tant d’autres, la
contamination chrétienne de la Franc-Maçonnerie
– surtout chez les Anglo-Saxons – et la
contamination athée, chez nous en France. C’est
pourquoi les querelles du GADLU, de la laïcité, des
landmarks, de la
régularité, etc. sont bien vaines et nuisent
terriblement à l’unité
maçonnique. Je cite notre F\ Régis Blanchet :
« Le panthéisme n’est pas
gérable comme peut l’être une
institution, il est libertaire et mystique, et l’expression
réelle d’une fraternité universelle
enjambant tous les murs séparateurs ».
Ainsi, encore une fois, la vocation de la Franc-Maçonnerie
est universelle, elle doit être le Centre de
l’Union, en vue de construire une humanité
meilleure.
C’est aussi cela, le Temple. La construction d’une
humanité meilleure, plus harmonieuse, plus fraternelle, plus
juste, est la principale œuvre maçonnique
à l’extérieur. Nous devons
œuvrer pour le Bien et travaillons « à
l’amélioration matérielle et morale, au
perfectionnement intellectuel et social de
l’Humanité » (article
Premier de la Constitution…), nous sommes censés
répandre au dehors les vérités
acquises en Loge, notamment par l’exemple de nos
qualités (notre Constitution et notre rituel sont
très formels là-dessus et c’est
à chaque tenue que le Frère Orateur et les deux
Frères Surveillants nous le rappellent).
J’ai dit plus haut, que tous les hommes sont nos
Frères. Mais la plupart ne le savent pas parce
qu’ils n’ont pas reçu la
Lumière. Il nous appartient de la leur faire
découvrir, faute de quoi ils se meuvent « à
travers des forêts de symboles », mais
qui ne leur livrent rien. L’article II de notre Constitution
précise : « La
Franc-Maçonnerie a pour devoir
d’étendre à tous les membres de
l’Humanité les liens fraternels qui unissent les
Franc-Maçons sur toute la surface du globe ».
La Franc-Maçonnerie travaille ainsi à
l’édification du Temple de
l’Humanité, d’une fraternité
universelle, qui est en soi un Temple car il s’agit
d’une construction spirituelle, dont les pierres sont
taillées et polies par chacun d’entre nous. La
Franc-Maçonnerie est alors une première
étape vers la constitution d’une
fraternité réunissant tous les hommes, car si
elle ne réunit que ceux qui ont vu la Lumière, le
but n’est pas de la cacher aux autres, mais
d’amener progressivement l’humanité vers
la compréhension de nos idéaux et de nos
principes. A terme, tous les hommes se rendront réellement
compte qu’ils sont tous Frères, et quand ce fait,
qui dans le monde profane ne provoque que ricanements ou
incompréhension, emplira les cœurs de tous, alors
l’Humanité sera Franc-Maçonnerie et la
Franc-Maçonnerie sera Humanité, il y aura fusion.
Mais comment construit-on cette humanité meilleure ?
J’en arrive à la conclusion et à
l’essence de cette planche.
L’édification du Temple de
l’humanité commence par soi, et ce travail,
accompli notamment avec l’aide des Frères lors des
tenues, vise à atteindre l’harmonie
intérieure. C’est le perfectionnement
intellectuel, moral, spirituel, de chaque Maçon. Ainsi, le
Temple n’est pas un lieu de retraite ou de
méditation individuelle, mais un lieu de
créativité et de progression à la fois
personnelle et collective. Bruno Etienne cite un Maître
oriental, pour qui « la voie des arts martiaux est
de faire du cœur de l’univers son propre
cœur ce qui signifie être uni avec le centre de
l’Univers » : c’est
l’harmonie des Grecs, et c’est notre centre de
l’Union…
La recherche de cette harmonie, l’épanouissement
et le perfectionnement personnels, la recherche de la
vérité, constituent la voie spirituelle et
initiatique que nous suivons. Construire le Temple, c’est se
construire.
L’équivalent chrétien de ce secret se
trouve chez Saint-Paul et peut être repris à notre
compte. Les deux épîtres aux Corinthiens abondent
de citations en ce sens. « Vous êtes le
Temple de Dieu et l’Esprit de Dieu habite en vous »
(I Cor, III 16). « Votre
corps est le Temple du Saint-Esprit qui est en vous »
(I Cor, VI 19). « Nous sommes
le Temple du Dieu vivant » (II Cor, VI,
16).
C’est avant tout la construction du Temple
intérieur que vise un Franc-Maçon, qui est le
travail qui commence lors de l’Initiation et qui
n’est jamais achevé. La récompense de
ce travail, c’est cette Lumière que l’on
découvre par degrés, en progressant
d’un grade à l’autre.
Nous vivons à une époque où le Temple,
ce lien entre le Ciel et la Terre, ce Centre de l’Union, est
en passe d’être détruit parce que les
métaux triomphent dans le monde et l’esprit
faiblit devant la matière victorieuse. Il nous appartient de
reconstruire le Temple, car, en vérité, je ne
vois pas de société humaine plus propre
à cela que la Franc-Maçonnerie.
J’ai dit, V\ M\
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