Obédience : NC Loge : NC 30/07/2005


La Fraternité

Je vous donnerais tout de suite une de mes idées-forces à ce sujet. Il me semble que l’idée que l’on se fait de la fraternité en Maçonnerie est directement proportionnelle à l’exigence que l’on a de la franc-maçonnerie.

Je suis un maçon plutôt penché sur la réflexion symbolique, choisir un sujet comme la fraternité tient plus de l’actualité que du questionnement. Je n’ai d’ailleurs jamais pensé que la fraternité soit à considérer comme un symbole mais toujours comme une permanente actualité.
Nous savons tous que la langue de bois permet de faire de belles planches, mais la beauté n’est pas seule détentrice de la vérité, je m’attacherais donc à faire ouvre de…Sincérité.

Fraternité et maçonnerie :
Pour certains, la maçonnerie est superficielle, la fraternité en devient presque théâtrale, une sorte de mise en scène où l’on effleure le sens commun. Pour d’autres qui cherchent à parcourir le chemin de la nature de l’homme, la fraternité devient non pas un jeu mais une construction, une écriture.
Il est pour chacun une maçonnerie tout à fait particulière, la sienne propre. Une des grandes qualités de notre méthode est de permettre à tous d’y trouver notre voix personnelle, d’en tracer notre propre chemin et d’en définir notre horizon…

Comme il en va de la fraternité.
Quel chemin me permettrait d’approcher le sens de la fraternité ?
Celui de l’image bien sûr, c’est souvent ainsi que je tente d’investir le champ de la pensée.
J’ai cherché l’image de la fraternité, non dans le temple où différents symboles nous portent sur le sujet. J’ai cherché quelle image je ferais de la fraternité maçonnique afin d’en approcher l’essence. Une forme a fini par s’imposer à mon esprit, celle d’une porte. Une simple porte sur laquelle serait inscrit des deux côtés le mot fraternité.
L’idée de la porte nous mène à l’idée de passage, à celle de seuil, de frontière, d’ouverture et de fermeture, d’hospitalité et de refus…
Lorsque l’on frappe à notre porte, il nous arrive de regarder dans le « judas » avant d’ouvrir, pour savoir qui est derrière. Bien sûr tout le monde n’a pas un judas à sa porte comme tout le monde n’a pas la même porte.

Comme tout le monde n’a pas le même sens de la fraternité.
Certains ont des portes blindées, d’autres ne la ferment jamais. Il est des portes toutes petites difficiles à trouver, d’autres très grandes que l’on voie de loin et nous incitent à la rencontre.
Il en est qui ne se préoccupent jamais de l’état de leur porte, d’autres qui y mettent un peu de graisse aux huisseries, du vernis au bois. Bref autant de maison, autant de frères autant de portes différentes aussi bien dans la forme que dans la couleur ou la matière. La fraternité, comme la porte, n’est pas une, mais multiple, fort de cette image, il me restait à chercher ce qui se cache derrière, des deux côtés.

La première porte « fraternité » qu’il nous est loisir de contempler est décrite dans les premières pages du livre le plus vendu au monde. La bible.
Les deux premiers frères furent Abel et Caïn fils d’Adam et Eve. Tout le monde connaît le poème de Victor Hugo « la conscience » qui finit par ce ver célèbre « l’œil était dans la tombe et regardait Caïn ».
La conscience du premier crime fratricide de l’histoire.
Caïn a tué Abel. Pourquoi ? Par ce que D…portait son regard sur les fruits de son frère et dédaignait les siens.
Un crime de jalousie, révélation de l’ego, éveillé par l’attitude de D…

Il est étonnant que la première fois où l’on entend parler de frères, c’est pour qu’ils s’entretuent. La première fois que l’on ouvre la porte de la fraternité c’est pour assister à un homicide. Est-ce donc une menace qui pèse sur toute fraternité ? Une menace sûrement une fatalité, je me refuse à le penser, même si la fatalité a quelque chose à voir avec la fraternité.
Si on choisit ses amis, on ne choisit pas ses frères. La consanguinité est le fruit d’un hasard biologique.

La fraternité maçonnique est à mi-chemin entre la fraternité consanguine et l’amitié.
Si on ne choisit pas ses frères, on décide en toute autonomie d’entrer en franc-maçonnerie. Et bien souvent dans les lettres de motivations de profanes, l’aspect fraternel est présent comme un critère de choix…
Une grande erreur dans l’esprit de certain maçon et de profanes est de confondre fraternité et copinage, fraternité et corporatisme, fraternité et charité.
Être initié ne suffit pas à être fraternel, mettre une porte à sa maison ne préfigure pas à qui l’on va laisser l’entrée.

Le mensonge, la trahison, la lâcheté ne répugnent pas d’avantages à certains initiés qu’à certains profanes. Alors quel est le but de la fraternité en maçonnerie ? Pourquoi cette porte nous est-elle proposée ? En premier lieu elle est source de solidarité. Solidarité à l’intérieur du groupe et à la périphérie de ce groupe en touchant la famille des frères. La solidarité s’appuyant sur la générosité n’exige pas de réciprocité. En second lieux, elle est d’ordre structurel. Elle reste inséparable d’un formalisme dont l’acceptation a pour premier impacte de mettre tous les frères sur un même pied d’égalité. Comme le sont des frères consanguins face à leur parent. La fraternité nous rend donc égaux en droit. Qui oserait prétendre, hors toute langue de bois, que c’est facile à conjuguer la fraternité.

On utilise d’ailleurs l’expression amour fraternel. N’est-il donc pas vraie qu’il « est si difficile d’aimer ».
La corde à nœud qui fait le tour du temple est bien le symbole de l’amour fraternel qui doit réunir tous les maçons. Mais l’entrelacs n’est-il pas aussi le symbole de la quadrature du cercle ? La représentation d’une impossibilité qui nous renvoie au premier crime fratricide.
Dans le rituel des loges bleues, se trouve le cœur de cette planche sur la fraternité.

À la question « êtes-vous franc-maçon », la réponse renvoie aux autres : « mes frères me reconnaissent comme tel ».
C’est dans ce contexte de possibilité de reconnaître ou pas un maçon comme frère, contexte de liberté de penser, que l’on peut se poser la question :
Que veut dire la fraternité Maçonnique ?
Lors de l’initiation, nous sommes mis en garde à plusieurs reprises sur le sens à donner à notre lecture de l’univers maçonnique. « Ici tout est symbole. » La fraternité serait-elle un symbole en loge ? La fraternité en forme de porte aurait son battit posé sur un pavé mosaïque, il arrive tout autant que l’on nous ouvre la porte pour que l’on pose le pied sur un carré blanc ou noir. Réfléchir à l’essence de la fraternité, c’est se mouvoir sur ce pavé mosaïque.

Il y a au pays de la fraternité des actes bienveillants, des rencontres hors des lieux communs ou la découverte de frères change la couleur de l’échange, la truelle devient pinceau pour fondre l’ombre sur la lumière. Depuis que je suis maçon, j’ai fait connaissance de personne remarquable d’humanité, des frères pour qui la fraternité n’est pas un slogan au fronton d’une institution, des êtres humains que l’on est fier de compter parmi ses parents. Mais est ce pour autant que je reconnais tous les maçons comme mes frères ?
Je ne crois pas. Et je ne culpabilise pas pour ça. Quand Caïn après son meurtre se présente devant celui à qui l’on ne cache rien, à la question, « qu’as tu fais de ton frère ? » Caïn apporte cette  question magnifique : « Suis-je le gardien de mon frère ? ». La Fraternité est aussi question de responsabilité. Suis-je responsable de ma non-fraternité envers certains ?
Si je garde la porte fermée n’est pas par besoin de me protéger ?

Comme je le disais en postulat pour moi l’exigence fraternelle est à la hauteur de l’exigence que nous avons de la FM. Nous savons bien que nous ne sommes pas tous motivé de la même manière.
Alors si la fraternité n’est pas obligatoire ni résultante elle tire son essence du don. On va vers l’autre comme on va vers soi-même. Comme on se regarde devant le miroir et la question reste la même. Que reste-il de notre image dans le miroir quand nous ne sommes plus devant ? Que reste-il de la fraternité que nous offrons ?

Nous sommes libres de donner, sans nous attendre à recevoir, et c’est là une certaine délicatesse.

Personne n’est parfait, là-dessus nous sommes tous d’accord. Mais sommes tous nous engagés dans la mise en mouvement de la méthode maçonnique au sein de nos réunions rythmées par la liberté absolue de conscience, tolérance mutuelle respect des autres et de soi-même, liberté-égalité et enfin fraternité. Si nous le sommes nous ne pouvons que nous sentir frères. Sinon à chacun sa vision et il se trouve que si des horizons convergent. D’autres pas.
Nos obédiences nous donnent l’exemple, cela dit sans jugement, mais, par simple constat, la fraternité universelle a un sens différent selon parfois des critères très étonnants, qui font naître des alliances ou des non-reconnaissances.
Nous aimerions en laissant mos métaux à la porte du temple laisser les chaînes dont nous chargent nos sociétés civiles, mais nos temples ne sont pas étanches et le profane profite de tout espace pour pénétrer nos assemblées.

La première façade à démonter pour nuire à la fraternité est celle de l’égalité. La franc-maçonnerie ne privilégie nullement une prétendue majorité au détriment d’une minorité. Le singulier a autant de noblesse et reçoit autant de respect que le nombre. Le franc-maçon n’a pas vocation de convertir les autres à sa pensée, il a juste vocation à témoigner.
Jean Mourges dans la pensée maçonnique dit : « Voué à la perfection individuelle, le travail maçonnique admet les progrès d’un seul et reconnaît l’originalité comme la vertu prometteuse. La liberté est donnée à tout esprit inventif d’avoir raison contre tous… »
Je suis la matière première qui reçoit le choc de mes outils. Nous oublions trop souvent que le temple à bâtir est en nous-mêmes… C’est en premier lieu sur nous-mêmes que nous œuvrons.
Dans l’ordre maçonnique, la relation fraternelle repose sur le principe que rien n’est au-dessus de la liberté même de ses membres. Il n’est pas question de priver qui que ce soit de la libre disposition de soi-même au nom d’une fraternité conditionnelle.

Tromper un maçon est facile pour un maçon. C’est un jeu d’enfant. C’est en cela que la fraternité maçonnique exige beaucoup de prudence dans sa pratique.

S’il y a donc nécessité de relation à l’autre, ce n’est pas à n’importe quel prix. Le tour de force réside à se donner sans se vendre. Il est normal et sain qu’un maçon à force de pratique ait une certaine idée de la loge et de la maçonnerie en général. Il est nécessaire à toutes les loges d’intégrer la vision de chacun dans une construction cohérente de la fraternité.
Mais la fraternité fait abstraction de l’idée d’égalité dans le don. Par ce que la fraternité c’est surtout le don. Le geste qui fait que l’on ouvre la porte avant même que le visiteur n’y ait frappé. Le don est dans des tribus africain, outil de possession de l’autre, en maçonnerie, il est outil de possession de soi-même.

Bien évidemment les plus grands freins à la fraternité sont l’ego et la quête du pouvoir illusoire.
Libre à chacun de penser que la fraternité est un moteur, ou un carburant.
En tout cas on juge l’arbre à ses fruits. La fraternité ne se trouve que dans ses différentes expressions, elle n’est rien d’autres pour moi que la réalité de ses différentes manifestations.
Un auteur disait « l’amour ça n’existe pas il n’y a que des preuves d’amour », je crois qu’il en est tout à fait de même pour la fraternité maçonnique.
Elle n’existe pas. Il n’y a que des preuves de fraternité. Et ne confondons pas La lumière avec le reflet. L’image avec le sujet.

Finalement, à force de me poser la question de la fraternité, une porte s’est ouverte sur le chemin de ma réflexion. L’essence de la fraternité serait la résultante de la mise en mouvement des deux termes qui le précédent dans la devise républicaine et maçonnique. Mon frère si tu es libre et que tu me considères comme ton égal, je te reconnais comme tel, sinon je crains que ma porte ne te soit fermée même si tu es initié. Liberté et égalité. Sans eux il ne saurait être question de fraternité si ce n’est de pure convention.

La réelle pratique de la liberté, à la fois individuelle et dans le respect de la liberté de l’autre, le réel souci d’égalité qui nous porte à l’humilité et au respect de la nature de l’autre sont les conditions sine qua non pour que la fraternité puisse voir le jour.
Cela peut paraître évident, mais on passe souvent devant ce qui est évident sans le voir.
La maçonnerie n’a rien inventé que ne possède déjà l’homme. Elle ne fait que le révéler à qui le veut. La liberté et l’égalité ont beaux êtres inscrits à tous les frontons et sur bien des papiers, leur réalité est loin d’être universel. Contre-nature, de pure volonté humaine, ces deux qualités soutiennent la voûte étoilée de nos espérances. L’essence de la fraternité maçonnique est peut-être simplement de nous faire pratiquer cette liberté et cette égalité afin de nous veillons à l’extérieur à ce que ces colonnes restent debout. Pour qu’un jour, le temple de la fraternité universelle puisse être dressé. Peut-être, pourrons-nous alors parler d’une porte qui n’est jamais fermée, et dont nous garderions la clef.

J’ai dit, quelques lignes plus haut, que la fraternité serait une porte posée sur un pavé mosaïque. Transition facile pour vous faire part brièvement de l’historique de l’atelier mosaïque. Atelier virtuel s’il en est mais fraternité bien réelle.

Les points communs entre Internet et la Franc-maçonnerie sur le plan structurel sont déjà très nombreux. Internet est un réseau constitué d’un ensemble d’ordinateurs reliés entre eux, la FM est un réseau constitué d’un ensemble d’ateliers reliés entres eux, eux-mêmes fédérés par une obédience reliée à d’autres obédiences.
Ceci n’explique bien évidemment pas la présence de la FM sur le net.

En 95 trois frères se retrouvent sur un forum anglais se disant qu’ils s’entendraient bien mieux en français. Ils commencent à correspondre entre eux puis décident d’ouvrir leur système et de créer le premier forum francophone maçonnique. Le développement d’Internet générant un nombre croissant de frères sur la toile, en un an, l’effectif de ce forum passe à une centaine de frères et sœurs de toute obédience. On y parle de tout, on se donne des recettes de cuisine, on traite d’actualité, on se passe des trucs, des invitations, bref on cherche sa place, la fraternité dans la multiplicité des obédiences présente fonctionne admirablement bien. L’euphorie générale des utilisateurs ne parvient pas à donner un visage à cette aventure.
C’est la première fois que des maçons du monde entier et de toutes les obédiences possibles correspondent entres eux, quasiment en temps réel.
L’abondance des échanges le démontre. Ce forum atteint assez rapidement l’effectif de 500 frères et sœurs.

À ce moment se pose la question nécessaire de l’essaimage. Nous avons ouvert un forum sur nos propres deniers, par ce que, à l’époque le logiciel était payant, et nous créons le deuxième forum maçonnique francophone sur Internet. Fort de la première aventure l’équipe se constitue comme un collège d’officiers.
Nous essayons de guider le forum avec un peu plus d’organisation, nous lancions des thèmes de réflexions maçonniques ou profanes, autours desquels se greffait toute question, de l’offre d’emploi, jusqu’à la location de maison, tout sauf des annonces vraiment métalliques. Nous avions l’impression d’être des pionniers. Très vite nous nous retrouvons à 300.
Nous décidons pour des raisons diverses de passer la main à d’autres frères et sœurs, la maçonnerie totale sur les forums maçonniques se montait à 700 frères et sœurs, cela me paraissait déjà énorme à l’époque.

Et puis j’avais en tête l’idée d’un forum maçonnique encore plus près de l’esprit d’une loge. Sans aller jusqu’à dire une loge virtuelle, on est tous d’accord là-dessus c’est impossible.
Je propose l’idée à trois autres frères et sœurs et nous créons, L’atelier mosaïque.
Un forum maçonnique qui compte aujourd’hui plus de 700 frères et sœurs. On dit à ce jour que c’est le plus maçonnique des forums francophones.
Son schéma en est le suivant. Tous les 15 jours à trois semaines, on envoie une planche au premier degré, les inscrits en débattent publiquement, le frère orateur le défends ou commente. Autour de cela tout sujet est abordé : sujet d’actualité brûlante, symbolisme, technique, divers.
La règle est la suivante, on doit toujours commencer ses emails par une formule fraternelle et les finir de même.
Pas d’invective directe en publique. La netiquette, sorte de code éthique est Liberté absolue de conscience, tolérance mutuelle, respect des autres et de soi-même. On peut tout y dire à partir du moment où l’on dirait en loge ce que l’on écrit.

Et ça fonctionne plutôt bien. Cela ne convient pas à tous, mais cela correspond à un vrai besoin. On n’en est plus à se poser des questions de l’utilité du phénomène, on ne peut qu’en faire le constat.
J’ai des dizaines d’exemples très concrets qui me marquent particulièrement.
Certains disent que, sur le net, on ne fait pas de la vraie maçonnerie. Cela m’étonne, cela me fait penser à l’expression faire l’amour. Ça n’existe pas faire l’amour, on aime c’est tout ! C’est pareil pour la FM, faire de la maçonnerie, je ne sais pas ce que c’est, pratiquer la maçonnerie, maçonner si je puis dire, ça oui.

La pratique de la maçonnerie sur Internet, c’est de la pratique maçonnique.
Quant à dire si c’est de la vraie, entre nous, nous savons combien est multiple la vérité.
C’est en dehors du temple que l’on voit le maçon Pour moi la loge est un lieu de formation, les parvis un lieu d’exercice. Le premier se saurait être sans le second.
Sur Internet pas de pouvoir, pas de poste à briquer, l’universalité de la FM est en application par la base de la FM qui est dans son ensemble au même niveau. C’est la véritable application de la liberté individuelle, de l’égalité, de la fraternité.

J’ai dit
N\ J\


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