La
Fraternité
Je vous donnerais tout de suite une de mes
idées-forces à ce sujet. Il me semble que
l’idée que l’on se fait de la
fraternité en Maçonnerie est directement
proportionnelle à l’exigence que l’on a
de la franc-maçonnerie.
Je suis un maçon plutôt
penché sur la réflexion symbolique, choisir un
sujet comme la fraternité tient plus de
l’actualité que du questionnement. Je
n’ai d’ailleurs jamais pensé que la
fraternité soit à considérer comme un
symbole mais toujours comme une permanente actualité.
Nous savons tous que la langue de bois permet de faire de belles
planches, mais la beauté n’est pas seule
détentrice de la vérité, je
m’attacherais donc à faire ouvre
de…Sincérité.
Fraternité et maçonnerie :
Pour certains, la maçonnerie est superficielle, la
fraternité en devient presque
théâtrale, une sorte de mise en scène
où l’on effleure le sens commun. Pour
d’autres qui cherchent à parcourir le chemin de la
nature de l’homme, la fraternité devient non pas
un jeu mais une construction, une écriture.
Il est pour chacun une maçonnerie tout à fait
particulière, la sienne propre. Une des grandes
qualités de notre méthode est de permettre
à tous d’y trouver notre voix personnelle,
d’en tracer notre propre chemin et d’en
définir notre horizon…
Comme il en va de la fraternité.
Quel chemin me permettrait d’approcher le sens de la
fraternité ?
Celui de l’image bien sûr, c’est souvent
ainsi que je tente d’investir le champ de la
pensée.
J’ai cherché l’image de la
fraternité, non dans le temple où
différents symboles nous portent sur le sujet.
J’ai cherché quelle image je ferais de la
fraternité maçonnique afin d’en
approcher l’essence. Une forme a fini par s’imposer
à mon esprit, celle d’une porte. Une simple porte
sur laquelle serait inscrit des deux côtés le mot
fraternité.
L’idée de la porte nous mène
à l’idée de passage, à celle
de seuil, de frontière, d’ouverture et de
fermeture, d’hospitalité et de refus…
Lorsque l’on frappe à notre porte, il nous arrive
de regarder dans le « judas »
avant d’ouvrir, pour savoir qui est derrière. Bien
sûr tout le monde n’a pas un judas à sa
porte comme tout le monde n’a pas la même porte.
Comme tout le monde n’a pas le même
sens de la fraternité.
Certains ont des portes blindées, d’autres ne la
ferment jamais. Il est des portes toutes petites difficiles
à trouver, d’autres très grandes que
l’on voie de loin et nous incitent à la rencontre.
Il en est qui ne se préoccupent jamais de
l’état de leur porte, d’autres qui y
mettent un peu de graisse aux huisseries, du vernis au bois. Bref
autant de maison, autant de frères autant de portes
différentes aussi bien dans la forme que dans la couleur ou
la matière. La fraternité, comme la porte,
n’est pas une, mais multiple, fort de cette image, il me
restait à chercher ce qui se cache derrière, des
deux côtés.
La première porte « fraternité
» qu’il nous est loisir de contempler est
décrite dans les premières pages du livre le plus
vendu au monde. La bible.
Les deux premiers frères furent Abel et Caïn fils
d’Adam et Eve. Tout le monde connaît le
poème de Victor Hugo « la
conscience » qui finit par ce ver
célèbre « l’œil
était dans la tombe et regardait Caïn ».
La conscience du premier crime fratricide de l’histoire.
Caïn a tué Abel. Pourquoi ? Par ce que
D…portait son regard sur les fruits de son frère
et dédaignait les siens.
Un crime de jalousie, révélation de
l’ego, éveillé par l’attitude
de D…
Il est étonnant que la première
fois où l’on entend parler de frères,
c’est pour qu’ils s’entretuent. La
première fois que l’on ouvre la porte de la
fraternité c’est pour assister à un
homicide. Est-ce donc une menace qui pèse sur toute
fraternité ? Une menace sûrement une
fatalité, je me refuse à le penser,
même si la fatalité a quelque chose à
voir avec la fraternité.
Si on choisit ses amis, on ne choisit pas ses frères. La
consanguinité est le fruit d’un hasard biologique.
La fraternité maçonnique est
à mi-chemin entre la fraternité consanguine et
l’amitié.
Si on ne choisit pas ses frères, on décide en
toute autonomie d’entrer en franc-maçonnerie. Et
bien souvent dans les lettres de motivations de profanes,
l’aspect fraternel est présent comme un
critère de choix…
Une grande erreur dans l’esprit de certain maçon
et de profanes est de confondre fraternité et copinage,
fraternité et corporatisme, fraternité et
charité.
Être initié ne suffit pas à
être fraternel, mettre une porte à sa maison ne
préfigure pas à qui l’on va laisser
l’entrée.
Le mensonge, la trahison, la
lâcheté ne répugnent pas
d’avantages à certains initiés
qu’à certains profanes. Alors quel est le but de
la fraternité en maçonnerie ? Pourquoi cette
porte nous est-elle proposée ? En premier lieu elle est
source de solidarité. Solidarité à
l’intérieur du groupe et à la
périphérie de ce groupe en touchant la famille
des frères. La solidarité s’appuyant
sur la générosité n’exige
pas de réciprocité. En second lieux, elle est
d’ordre structurel. Elle reste inséparable
d’un formalisme dont l’acceptation a pour premier
impacte de mettre tous les frères sur un même pied
d’égalité. Comme le sont des
frères consanguins face à leur parent. La
fraternité nous rend donc égaux en droit. Qui
oserait prétendre, hors toute langue de bois, que
c’est facile à conjuguer la fraternité.
On utilise d’ailleurs l’expression
amour fraternel. N’est-il donc pas vraie qu’il
« est si difficile d’aimer ».
La corde à nœud qui fait le tour du temple est
bien le symbole de l’amour fraternel qui doit
réunir tous les maçons. Mais
l’entrelacs n’est-il pas aussi le symbole de la
quadrature du cercle ? La représentation d’une
impossibilité qui nous renvoie au premier crime fratricide.
Dans le rituel des loges bleues, se trouve le cœur de cette
planche sur la fraternité.
À la question « êtes-vous
franc-maçon », la
réponse renvoie aux autres : « mes
frères me reconnaissent comme tel ».
C’est dans ce contexte de possibilité de
reconnaître ou pas un maçon comme
frère, contexte de liberté de penser, que
l’on peut se poser la question :
Que veut dire la fraternité Maçonnique ?
Lors de l’initiation, nous sommes mis en garde à
plusieurs reprises sur le sens à donner à notre
lecture de l’univers maçonnique. « Ici
tout est symbole. » La fraternité
serait-elle un symbole en loge ? La fraternité en forme de
porte aurait son battit posé sur un pavé
mosaïque, il arrive tout autant que l’on nous ouvre
la porte pour que l’on pose le pied sur un carré
blanc ou noir. Réfléchir à
l’essence de la fraternité, c’est se
mouvoir sur ce pavé mosaïque.
Il y a au pays de la fraternité des actes
bienveillants, des rencontres hors des lieux communs ou la
découverte de frères change la couleur de
l’échange, la truelle devient pinceau pour fondre
l’ombre sur la lumière. Depuis que je suis
maçon, j’ai fait connaissance de personne
remarquable d’humanité, des frères pour
qui la fraternité n’est pas un slogan au fronton
d’une institution, des êtres humains que
l’on est fier de compter parmi ses parents. Mais est ce pour
autant que je reconnais tous les maçons comme mes
frères ?
Je ne crois pas. Et je ne culpabilise pas pour ça. Quand
Caïn après son meurtre se présente
devant celui à qui l’on ne cache rien,
à la question, « qu’as
tu fais de ton frère ? » Caïn
apporte cette question magnifique :
« Suis-je le gardien de mon
frère ? ». La
Fraternité est aussi question de responsabilité.
Suis-je responsable de ma non-fraternité envers certains ?
Si je garde la porte fermée n’est pas par besoin
de me protéger ?
Comme je le disais en postulat pour moi
l’exigence fraternelle est à la hauteur de
l’exigence que nous avons de la FM. Nous savons bien que nous
ne sommes pas tous motivé de la même
manière.
Alors si la fraternité n’est pas obligatoire ni
résultante elle tire son essence du don. On va vers
l’autre comme on va vers soi-même. Comme on se
regarde devant le miroir et la question reste la même. Que
reste-il de notre image dans le miroir quand nous ne sommes plus devant
? Que reste-il de la fraternité que nous offrons ?
Nous sommes libres de donner, sans nous attendre
à recevoir, et c’est là une certaine
délicatesse.
Personne n’est parfait, là-dessus
nous sommes tous d’accord. Mais sommes tous nous
engagés dans la mise en mouvement de la méthode
maçonnique au sein de nos réunions
rythmées par la liberté absolue de conscience,
tolérance mutuelle respect des autres et de
soi-même, liberté-égalité et
enfin fraternité. Si nous le sommes nous ne pouvons que nous
sentir frères. Sinon à chacun sa vision et il se
trouve que si des horizons convergent. D’autres pas.
Nos obédiences nous donnent l’exemple, cela dit
sans jugement, mais, par simple constat, la fraternité
universelle a un sens différent selon parfois des
critères très étonnants, qui font
naître des alliances ou des non-reconnaissances.
Nous aimerions en laissant mos métaux à la porte
du temple laisser les chaînes dont nous chargent nos
sociétés civiles, mais nos temples ne sont pas
étanches et le profane profite de tout espace pour
pénétrer nos assemblées.
La première façade à
démonter pour nuire à la fraternité
est celle de l’égalité. La
franc-maçonnerie ne privilégie nullement une
prétendue majorité au détriment
d’une minorité. Le singulier a autant de noblesse
et reçoit autant de respect que le nombre. Le
franc-maçon n’a pas vocation de convertir les
autres à sa pensée, il a juste vocation
à témoigner.
Jean Mourges dans la pensée maçonnique
dit : « Voué
à la perfection individuelle, le travail
maçonnique admet les progrès d’un seul
et reconnaît l’originalité comme la
vertu prometteuse. La liberté est donnée
à tout esprit inventif d’avoir raison contre
tous… »
Je suis la matière première qui reçoit
le choc de mes outils. Nous oublions trop souvent que le temple
à bâtir est en nous-mêmes…
C’est en premier lieu sur nous-mêmes que nous
œuvrons.
Dans l’ordre maçonnique, la relation fraternelle
repose sur le principe que rien n’est au-dessus de la
liberté même de ses membres. Il n’est
pas question de priver qui que ce soit de la libre disposition de
soi-même au nom d’une fraternité
conditionnelle.
Tromper un maçon est facile pour un
maçon. C’est un jeu d’enfant.
C’est en cela que la fraternité
maçonnique exige beaucoup de prudence dans sa pratique.
S’il y a donc nécessité
de relation à l’autre, ce n’est pas
à n’importe quel prix. Le tour de force
réside à se donner sans se vendre. Il est normal
et sain qu’un maçon à force de pratique
ait une certaine idée de la loge et de la
maçonnerie en général. Il est
nécessaire à toutes les loges
d’intégrer la vision de chacun dans une
construction cohérente de la fraternité.
Mais la fraternité fait abstraction de
l’idée d’égalité
dans le don. Par ce que la fraternité c’est
surtout le don. Le geste qui fait que l’on ouvre la porte
avant même que le visiteur n’y ait
frappé. Le don est dans des tribus africain, outil de
possession de l’autre, en maçonnerie, il est outil
de possession de soi-même.
Bien évidemment les plus grands freins
à la fraternité sont l’ego et la
quête du pouvoir illusoire.
Libre à chacun de penser que la fraternité est un
moteur, ou un carburant.
En tout cas on juge l’arbre à ses fruits. La
fraternité ne se trouve que dans ses différentes
expressions, elle n’est rien d’autres pour moi que
la réalité de ses différentes
manifestations.
Un auteur disait « l’amour
ça n’existe pas il n’y a que des preuves
d’amour », je crois qu’il en
est tout à fait de même pour la
fraternité maçonnique.
Elle n’existe pas. Il n’y a que des preuves de
fraternité. Et ne confondons pas La lumière avec
le reflet. L’image avec le sujet.
Finalement, à force de me poser la question
de la fraternité, une porte s’est ouverte sur le
chemin de ma réflexion. L’essence de la
fraternité serait la résultante de la mise en
mouvement des deux termes qui le précédent dans
la devise républicaine et maçonnique. Mon
frère si tu es libre et que tu me considères
comme ton égal, je te reconnais comme tel, sinon je crains
que ma porte ne te soit fermée même si tu es
initié. Liberté et égalité.
Sans eux il ne saurait être question de fraternité
si ce n’est de pure convention.
La réelle pratique de la liberté,
à la fois individuelle et dans le respect de la
liberté de l’autre, le réel souci
d’égalité qui nous porte à
l’humilité et au respect de la nature de
l’autre sont les conditions sine qua non pour que la
fraternité puisse voir le jour.
Cela peut paraître évident, mais on passe souvent
devant ce qui est évident sans le voir.
La maçonnerie n’a rien inventé que ne
possède déjà l’homme. Elle
ne fait que le révéler à qui le veut.
La liberté et l’égalité ont
beaux êtres inscrits à tous les frontons et sur
bien des papiers, leur réalité est loin
d’être universel. Contre-nature, de pure
volonté humaine, ces deux qualités soutiennent la
voûte étoilée de nos
espérances. L’essence de la fraternité
maçonnique est peut-être simplement de nous faire
pratiquer cette liberté et cette
égalité afin de nous veillons à
l’extérieur à ce que ces colonnes
restent debout. Pour qu’un jour, le temple de la
fraternité universelle puisse être
dressé. Peut-être, pourrons-nous alors parler
d’une porte qui n’est jamais fermée, et
dont nous garderions la clef.
J’ai dit, quelques lignes plus haut, que la
fraternité serait une porte posée sur un
pavé mosaïque. Transition facile pour vous faire
part brièvement de l’historique de
l’atelier mosaïque. Atelier virtuel s’il
en est mais fraternité bien réelle.
Les points communs entre Internet et la
Franc-maçonnerie sur le plan structurel sont
déjà très nombreux. Internet est un
réseau constitué d’un ensemble
d’ordinateurs reliés entre eux, la FM est un
réseau constitué d’un ensemble
d’ateliers reliés entres eux, eux-mêmes
fédérés par une obédience
reliée à d’autres obédiences.
Ceci n’explique bien évidemment pas la
présence de la FM sur le net.
En 95 trois frères se retrouvent sur un forum
anglais se disant qu’ils s’entendraient bien mieux
en français. Ils commencent à correspondre entre
eux puis décident d’ouvrir leur système
et de créer le premier forum francophone
maçonnique. Le développement d’Internet
générant un nombre croissant de frères
sur la toile, en un an, l’effectif de ce forum passe
à une centaine de frères et sœurs de
toute obédience. On y parle de tout, on se donne des
recettes de cuisine, on traite d’actualité, on se
passe des trucs, des invitations, bref on cherche sa place, la
fraternité dans la multiplicité des
obédiences présente fonctionne admirablement
bien. L’euphorie générale des
utilisateurs ne parvient pas à donner un visage à
cette aventure.
C’est la première fois que des maçons
du monde entier et de toutes les obédiences possibles
correspondent entres eux, quasiment en temps réel.
L’abondance des échanges le démontre.
Ce forum atteint assez rapidement l’effectif de 500
frères et sœurs.
À ce moment se pose la question
nécessaire de l’essaimage. Nous avons ouvert un
forum sur nos propres deniers, par ce que, à
l’époque le logiciel était payant, et
nous créons le deuxième forum
maçonnique francophone sur Internet. Fort de la
première aventure l’équipe se constitue
comme un collège d’officiers.
Nous essayons de guider le forum avec un peu plus
d’organisation, nous lancions des thèmes de
réflexions maçonniques ou profanes, autours
desquels se greffait toute question, de l’offre
d’emploi, jusqu’à la location de maison,
tout sauf des annonces vraiment métalliques. Nous avions
l’impression d’être des pionniers.
Très vite nous nous retrouvons à 300.
Nous décidons pour des raisons diverses de passer la main
à d’autres frères et sœurs,
la maçonnerie totale sur les forums maçonniques
se montait à 700 frères et sœurs, cela
me paraissait déjà énorme à
l’époque.
Et puis j’avais en tête
l’idée d’un forum maçonnique
encore plus près de l’esprit d’une loge.
Sans aller jusqu’à dire une loge virtuelle, on est
tous d’accord là-dessus c’est impossible.
Je propose l’idée à trois autres
frères et sœurs et nous créons,
L’atelier mosaïque.
Un forum maçonnique qui compte aujourd’hui plus de
700 frères et sœurs. On dit à ce jour
que c’est le plus maçonnique des forums
francophones.
Son schéma en est le suivant. Tous les 15 jours à
trois semaines, on envoie une planche au premier degré, les
inscrits en débattent publiquement, le frère
orateur le défends ou commente. Autour de cela tout sujet
est abordé : sujet d’actualité
brûlante, symbolisme, technique, divers.
La règle est la suivante, on doit toujours commencer ses
emails par une formule fraternelle et les finir de même.
Pas d’invective directe en publique. La netiquette, sorte de
code éthique est Liberté absolue de conscience,
tolérance mutuelle, respect des autres et de
soi-même. On peut tout y dire à partir du moment
où l’on dirait en loge ce que l’on
écrit.
Et ça fonctionne plutôt bien. Cela
ne convient pas à tous, mais cela correspond à un
vrai besoin. On n’en est plus à se poser des
questions de l’utilité du
phénomène, on ne peut qu’en faire le
constat.
J’ai des dizaines d’exemples très
concrets qui me marquent particulièrement.
Certains disent que, sur le net, on ne fait pas de la vraie
maçonnerie. Cela m’étonne, cela me fait
penser à l’expression faire l’amour.
Ça n’existe pas faire l’amour, on aime
c’est tout ! C’est pareil pour la FM, faire de la
maçonnerie, je ne sais pas ce que c’est, pratiquer
la maçonnerie, maçonner si je puis dire,
ça oui.
La pratique de la maçonnerie sur Internet,
c’est de la pratique maçonnique.
Quant à dire si c’est de la vraie, entre nous,
nous savons combien est multiple la vérité.
C’est en dehors du temple que l’on voit le
maçon Pour moi la loge est un lieu de formation, les parvis
un lieu d’exercice. Le premier se saurait être sans
le second.
Sur Internet pas de pouvoir, pas de poste à briquer,
l’universalité de la FM est en application par la
base de la FM qui est dans son ensemble au même niveau.
C’est la véritable application de la
liberté individuelle, de
l’égalité, de la fraternité.
J’ai dit
N\ J\
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