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Les trois grandes Vertus Théologales, le Pavé Mosaïque et le chiffre Trois

Il y a quelques mois, au début de mon initiation, mon formateur, notre Frère Jean-François, m’a demandé de commencer à réfléchir au lien pouvant exister entre les trois grandes Vertus Théologales (comme vous le savez, thème de réflexion de notre année maçonnique 6003-6004) et le chiffre Trois.

Il y a quelques jours, il a complété le sujet de ma planche en me demandant de travailler également sur les liens possibles entre le Pavé Mosaïque et les trois grandes Vertus Théologales.

Ce soir, je vais donc évoquer devant vous les trois thèmes à la fois, Vertus Théologales, chiffre Trois et Pavé Mosaïque, et essayer de voir si l’on peut considérer qu’ils sont indissociables.

Définition des Vertus Théologales :

Avant toutes choses, permettez-moi de redéfinir les trois grandes Vertus Théologales qui sont, comme vous le savez, la Foi, l’Espérance et la Charité. Dans le mot « Théologales », on retrouve la racine grecque « Theos » qui veut dire Dieu : il s’agit, en effet, de vertus en rapport avec le Divin. Il faut les voir comme trois étoiles qui brillent dans le ciel de notre vie spirituelle pour nous guider vers Dieu… Elles nous mettent en communion avec Dieu et nous conduisent à Lui. Et c’est Dieu qui les met en nous.

Je vais rapidement vous dire un mot de chacune des trois grandes Vertus Théologales : Qu’est-ce que la Foi ? C’est une vertu surnaturelle, infusée par Dieu dans notre âme, par laquelle nous croyons tout ce qu’Il a révélé et qu’Il nous propose de croire par son Église. Nous faisons confiance à Dieu.

Qu’est-ce que l’Espérance ? C’est aussi une vertu infusée par Dieu dans notre âme, par laquelle nous désirons et attendons la vie éternelle qu’Il a promis à ses serviteurs, et les secours nécessaires pour l’obtenir. Nous espérons de Dieu le Paradis parce que Dieu, très miséricordieux, l’a promis à qui le sert de tout cœur. Dieu tient toujours ses promesses.

Qu’est-ce que la Charité ? C’est également une vertu surnaturelle par laquelle nous aimons Dieu pour lui-même, par-dessus toute chose et notre prochain comme nous-mêmes pour l’amour de Dieu. Nous devons aimer Dieu de tout notre cœur, de tout notre esprit, de toute notre âme et de toutes nos forces (c’est-à-dire nous forcer de grandir toujours davantage dans son amour, et faire en sorte que toutes nos actions aient pour motif et pour fin son amour et le désir de lui plaire).

En résumé, je pourrais dire que les Vertus Théologales ont Dieu pour objet immédiat parce que, par la Foi, nous croyons en Dieu et nous croyons tout ce qu’Il nous a révélé ; par l’Espérance, nous espérons posséder Dieu ; par la Charité, nous aimons Dieu et, en Lui, nous nous aimons nous-mêmes et nous aimons notre prochain.

La place de la Charité

Parmi les trois grandes Vertus Théologales, beaucoup sont d’accord pour penser que la Charité est la principale : elle a une influence sur toute l’activité vertueuse, elle est distincte des autres vertus, de toutes les autres vertus. Je vais me permettre de citer Paul dans son hymne de la première Epître aux Corinthiens : « Maintenant donc demeurent Foi, Espérance et Charité, ces trois choses, mais la plus grande d’entre elles, c’est la Charité ».

Pourquoi, donc, la Charité s’impose-t-elle par rapport à la Foi et à l’Espérance ? Je vais tenter d’y répondre : Par ces deux dernières vertus, la Foi et l’Espérance, nous ne nous intéressons que partiellement à Dieu : Il est cause d’enrichissement de notre esprit et source de béatitude promise à nos désirs. En effet, Dieu nous révèle des vérités (auxquelles nous croyons) et Il nous ouvre une perspective de bonheur (nous espérons la vie éternelle).

Tandis que, par la Charité, nous nous fixons en Dieu, nous l’aimons pour lui-même, par-dessus tout, Il devient tout pour nous.

Et c’est pour cela que l’on dit que la plus grande vertu est la Charité : si j’aime Dieu, et parce que j’aime Dieu, je lui fais donc spontanément confiance et j’adopte, d’avance, pour ainsi dire, tout ce qu’Il veut, tout ce qu’Il dit, tout ce qu’Il me révèle de lui-même et de sa bonté pour moi.

On aime Dieu, c’est notre ami, et l’on est heureux de lui donner tout notre assentiment : on croit en lui et nous espérons en ses promesses, en toute quiétude.

Étymologiquement, synonyme de « gratuit » ou « gratuité » (du Grec « charis »), la Charité est l’expression suprême de l’amour. Elle agit sans raisons, c’est-à-dire sans espoir de récompense ou de retour des choses ou de reconnaissance, par amour. La Charité est le désir de bien à l’autre.

Pour conclusion de ce chapitre sur la Charité, je me permets de reprendre ces paroles de Saint Thomas d’Aquin : « La vie spirituelle consiste principalement dans la Charité. Celui qui ne possède point celle-ci n’est rien au point de vue spirituel ; la perfection de la vie spirituelle se mesure à la perfection de la Charité ».

Le chiffre Trois : Je vais maintenant vous parler du chiffre Trois.

La transition (et le lien avec ce qui précède) est apparemment facile puisque les grandes Vertus Théologales sont trois. Elles composent un triptyque dont le sommet est la Charité ; et elles sont indissociables, tout comme le sont les trois Personnes de la Trinité.

D’une manière générale, on se rend compte de l’omniprésence du chiffre 3 dans l’ensemble des civilisations et tout au long de l’histoire. Mais, ce soir, je vais me limiter aux symboles ternaires en Franc-maçonnerie, en ne prenant que quelques exemples, forcément restreints. On peut citer :

Les 3 fenêtres qui éclairent notre Loge (à l’est, au sud, à l’ouest).
Les 3 marches devant le Temple.
La marche de l’Apprenti qui s’exécute en 3 pas.
Le « temps » de l’Apprenti qui est de trois ans.
Les 3 colonnes, qui représentent le modèle symbolique ternaire de la Sagesse, de la Force et de la Beauté.

Certes, les nombres sont partout en maçonnerie, mais il me semble, de ce que je sais pour l’instant, que le symbole ternaire représente l’image symbolique par excellence de tout ce qui est maçon.

Ce que l’on peut dire, c’est que les modèles symboliques ternaires peuvent être générés à partir de modèles binaires. Je vais tenter de vous expliquer comment :

On peut penser que le Deux témoigne de ce qui sépare, de ce qui oppose ou de ce qui est complémentaire ; c'est avec le Deux que Dieu crée ; et c'est avec le Trois que l'homme crée. Le Trois dépasse le concept de séparation ; il témoigne d'un processus rationnel créateur.

Je vais tenter d’illustrer ce propos en essayant de voir comment un modèle binaire peut arriver à générer un modèle symbolique ternaire :

Prenons, par exemple, les concepts de comportement Force-Sagesse-Beauté ; choisissons-en deux, Force et Sagesse. En les associant, nous constituons un modèle binaire. On peut considérer que ces deux concepts ont des valeurs complémentaires (en effet, l’usage de la force peut provoquer un comportement brutal et aveugle, tout le contraire de la sagesse qui ne fait jamais appel à la force).

On pourrait procéder de même avec le modèle binaire Force et Beauté, concepts qui peuvent eux-mêmes être considérés comme ayant des valeurs complémentaires. Ainsi, puisque Force et Sagesse sont complémentaires, de même que Force et Beauté, on doit admettre que la Force constitue le pôle commun à ces deux systèmes binaires. Mais l’on pourrait tout aussi bien considérer que, de la même manière, Beauté et Sagesse peuvent également être complémentaires. Chaque concept se retrouve donc complémentaire de l’autre : on obtient de la sorte un modèle symbolique ternaire qui peut être parcouru dans tous les sens.

Ainsi, comme on vient de le voir, tous ces modèles binaires ont généré un modèle symbolique ternaire Force-Beauté-Sagesse. On pourrait parler, dans ce cas, de concept de « tri-unité » (c’est-à-dire que l’on a d’abord considéré séparément Sagesse, Force et Beauté avant de les réunir deux par deux, pour finir par créer un modèle ternaire).

Mais il y aurait aussi une autre façon de voir les choses, c’est-à-dire de partir directement de l’origine binaire pour générer un modèle symbolique ternaire, à la manière du processus de pensée que l’on trouve exprimé par l’antique tradition chinoise : « du Un sort le Deux, qui génère le Trois ». En quelque sorte, cette façon graduelle d’avancer exprime le « chemin vers l'accomplissement ».

Il conviendra de garder présent à l’esprit ce processus de pensée qui va pouvoir nous permettre d’établir un lien avec ce qui va suivre.

Le Pavé Mosaïque

Je vais maintenant vous parler du Pavé Mosaïque, et tenter de vous montrer les liens que l’on pourrait établir, précisément avec le chiffre Trois dont il vient d’être question, mais également avec le thème de réflexion de notre année maçonnique, à savoir les grandes Vertus Théologales.

Pour commencer, ce que l’on peut noter à propos du Pavé Mosaïque, c’est qu’aussi loin que l’on remonte dans la tradition maçonnique, on retrouve toujours ce nom de « Pavé Mosaïque » pour désigner le sol du Temple.

Pavé vient du latin populaire « pavare », qui signifie « battre la terre pour l’aplanir  et niveler le sol ». Et c’est précisément de la qualité du travail de nivellement du sol que dépend la stabilité de la construction. C’est-à-dire que le sol du Temple maçonnique se construit au même titre que les murs. D’où une symbolique importante : ce sol, le Pavé Mosaïque, participe de la démarche de construction propre à l’initiation. Il symbolise le chemin même de l’initiation.

On pourrait également mettre le Pavé Mosaïque en rapport avec la fraternité. En effet, dans le monde méditerranéen antique, le pavement des constructions importantes était réalisé en mosaïque, selon la technique dite « opus tesselatum » (qui veut dire littéralement « œuvre mosaïque »), qui consiste à unir des tessères carrées de mêmes dimensions. Or, précisément, cette technique du pavement mosaïque pourrait être mise en relation avec la pratique de la fraternité puisque l’on sait qu’une tessère coupée en deux servait dans l’Antiquité à des frères d’une même appartenance à se reconnaître entre eux.

Notons, par ailleurs, qu’à cause de ses couleurs, le blanc et le noir, le Pavé Mosaïque évoque la dualité, voire un antagonisme, par exemple entre le bien et le mal, le vice et la vertu, la lumière et les ténèbres, l’esprit et la matière, etc.

Est-ce que cela veut dire que, pour nous maçons, il nous faut choisir entre telle ou telle couleur, ou encore se faufiler entre elles ? N’est-il pas, au contraire, préférable de les intégrer, de faire en sorte qu’elles vivent ensemble et s’harmonisent ? J’ai envie de penser que la présence de ce symbole sur le sol de notre Loge devrait nous inviter, nous, maçons, à constater la complémentarité, et non pas l’opposition.

Une telle approche concernant le Pavé Mosaïque devrait nous enseigner à chercher le troisième terme dans toute situation duelle : c’est une perception symbolique qui consiste à concevoir qu’il ne peut pas exister de dualité sans un troisième terme qui la rend possible et lui donne un sens.

Le symbole nous invite donc à considérer qu’il ne s’agit plus, désormais, de partir de données immédiates de la conscience individuelle dualisante, mais d’une perception que l’Être supérieur, le Grand Architecte de l’Univers, aurait organisé le monde et la vie sous la forme ternaire de Sagesse, Force et Beauté.

Perçue sous cet angle, la dualité deviendrait un formidable outil de la pensée créatrice. Ainsi, par exemple, si l’on veut bien faire le lien avec ce que j’ai dit précédemment à propos du chiffre Trois, dans la dualité, il peut y avoir complémentarité, et donc, comme nous l’avons vu, deux éléments complémentaires peuvent se suffire à eux-mêmes pour en former un troisième.

Et voilà donc, schématiquement, l’illustration du lien qu’il pourrait y avoir entre le Pavé Mosaïque et le chiffre Trois. Il y a donc pour nous maçons une démarche à entreprendre en permanence pour concilier, réunir, harmoniser.

Il me plaît à penser que le Pavé Mosaïque devrait pouvoir évoquer pour nous une action de dépassement qui déboucherait sur une règle de vie, vers la pensée ternaire, celle qui permet de trouver le troisième terme.

Je vais maintenant en terminer en essayant de relier le Pavé Mosaïque aux  trois grandes Vertus Théologales. Et je vais le faire en vous lisant une très belle légende thaïlandaise. Elle contient, à mon avis, ce lien en elle et ce sera ma conclusion. Je cite :

« Un guerrier au front soucieux, fatigué d’errer de ripailles en défaites, et de longues marches en victoires illusoires, s’en fut un jour rendre visite, au fond d’une forêt bruissante d’oiseaux, à un ermite fort réputé pour sa bonté simple et sa sagesse imperturbable (...).

- Je ne veux plus que vous pour maître, lui dit-il. Enseignez-moi ce savoir qui illumine votre visage et qui rend belle la vie ».

Las ! L’ermite aura beau révéler au guerrier les bienfaits de la méditation, la maîtrise du souffle et la façon de conduire ses pensées, tout cela n’aura pour effet que de le rendre plus tourmenté encore. Et cela dura un an, après quoi il revint interpeller le sage : « Comment pourrais-je aimer la vie qui m’environne ? Comment pourrais-je aimer les autres ? Je ne m’aime pas moi-même », se lamentait-il.

De nouvelles leçons lui apprirent à maîtriser les excès des sens et à chercher la paix au fond de son coeur... Elles n’aboutirent qu’à le plonger dans de nouvelles affres pendant une année supplémentaire, au terme de laquelle le guerrier invectiva le sage : « Vous n’avez pas su m’apprendre à aimer, lui dit-il. je crains fort, pauvre homme, que vous ne soyez un imposteur ».

- L’autre ne s’offusqua point, au contraire. Il écouta ses jérémiades avec une attention presque enfantine, puis s’en fut prendre dans un coin obscur de sa hutte, un jeu d’échecs. Après quoi il lui dit en souriant : « Jouons ensemble une partie, mais elle doit être définitive et sans pitié. Celui qui la perdra devra mourir. Son vainqueur lui tranchera la tête. Es-tu d’accord pour cet enjeu ? »

Pourquoi le guerrier ne le serait-il pas ? Tel qu’on nous l’a décrit, il est pratiquement au bord du suicide. La partie s’engage donc, qui très vite prend un tour catastrophique pour lui. Le guerrier a peur, et plus il a peur, plus il joue mal.

Il regarda son adversaire et le vit impassible. Assurément cet homme n’hésiterait pas un instant à le tuer, s’il perdait.

Alors, l’esprit vertigineux, il se dit qu’il était temps de réfléchir sans faute. Il se souvint que d’ordinaire il était de bonne force aux échecs, et lui vint l’évidence que seul le spectre de la mort l’empêchait de donner toute sa mesure.

- « Je dois d’abord me débarrasser de mon épouvante, si je veux avoir une chance de survivre, se dit-il, je dois m’en débarrasser à l’instant même ! »

Il s’efforça de respirer comme il avait appris. Puis il pensa :

- « Quoi qu’il advienne, il me faut pleinement jouer. Voilà l’important ».

Quelques coups plus tard, il a réussi à rééquilibrer la situation. Quelques coups encore, et il est en position de gagner. Mais alors qu’il se saisit d’une pièce en s’écriant : « tu as perdu ! », il regarde le vieux sage, toujours aussi impassible. Il se dit alors : « Pourquoi tuerais-je ce brave homme ? En vérité, je suis sûr qu’il aurait pu facilement gagner la partie quand la peur me tenaillait. Il ne l’a pas fait. Quelle sorte de fauve serais-je si j’abattais mon sabre sur son cou ! ».

- Et plutôt que de conclure à un mat imparable, il joue un coup anodin.
- Alors l’ermite renversa l’échiquier dans l’herbe d’un geste négligent.

« Il faut vaincre d’abord la peur. Ensuite, peut venir l’amour, dit-il. As-tu compris ? ».

Le guerrier, enfin délivré, éclata de rire. Il savait maintenant comment goûter pleinement la vie ».

J’ai dit, Vénérable Maître.

J\-M\ G\


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