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La Porte

Il y a quelques temps je vous posais la question : « sommes-nous encore une loge de st. Jean ? ». Vos réponses me parurent fragmentaires et me laissèrent insatisfait. Cela m'a amené à approfondir cette question.
Lorsque mon F\ 2ième Surveillant me demanda de choisir un sujet symbolique celui de « la porte » s'imposa naturellement à mon esprit car il me permettait de faire le point  sur mes lectures, mes méditations et ma progression dans la voie symbolique.

J'ai divisé cette étude en trois chapitres :

1- La porte dans l'espace,
2-La porte dans le temps,
3- La porte pour chacun de nous.

1- La Porte dans l'espace

La porte est d'abord l'ouverture aménagée dans un mur de maison afin de permettre le passage. « Jean » vient du latin « janua » qui signifie « la porte », « l'entrée ». « Janus », le dieu latin des portes, lui-même assimilable à un nom commun, désigne « le passage » et préside à toute espèce de transition d'un état à un autre.

« Priver un homme de porte », c'est le mettre en prison, le priver de liberté. Il y a pire : « la déportation » vise à enlever à tout homme ce qui fait de lui un être humain. Cette réflexion m'amène à dire quelques mots sur le voile, porté par la femme musulmane. Le voile est apparu dans les anciennes sociétés endogames qui ont précédé l'Hégire. La femme était le noyau, le centre, autour duquel s'organisait toute la parenté mâle qui était son bouclier. Avec la sédentarisation, la protection mâle a été remplacée par des murs élevés et épais. La libéralisation se poursuivant, ces sociétés remplacèrent les murs par le voile. Ainsi, la femme qui se dévoile passe la porte de la liberté.

La porte est aussi l'espace, compris entre deux piquets, où doit passer le skieur dans un slalom. La porte du Temple, à l'occident, est l'espace marqué par les colonnes J et B. Pour Plantagenêt, la porte marque le fait que le soleil se couche sur son seuil et qu'au-delà règnent les ténèbres du monde profane. Lorsque le récipiendaire pénètre pour la première fois dans le Temple, il doit passer une porte basse et étroite, acte qui lui annonce qu'il va mourir à sa vie profane et naître à une vie nouvelle de l'esprit.

La porte du Temple franchie, et l'initiation vécue, le F\ M\ néophyte s'engage dans un chemin difficile, un pèlerinage sacré, qui conduit au Saint des Saints. Le franchissement de la porte du Temple résume, à lui seul, tout le symbolisme du sanctuaire, la porte elle-même apparaissant souvent comme la porte du ciel.

A Pâques, les Juifs commémorent l'Exode et leur libération du joug égyptien. Ils attendent à cette date la venue du Messie et la libération finale. Cette, attente est exprimée, dans la tradition, par les portes du Temple que l'on ouvre au milieu de la nuit pascale. Une fois cette porte s'ouvrit toute seule, le peuple juif y vit un signe miraculeux et en conclut que Dieu avait ouvert la porte du bonheur et qu'il entamait le processus final de la venue messianique.

Héritiers de cette tradition, les Chrétiens attendent pendant la nuit pascale le retour du Christ ressuscité, venant frapper à la porte du monde. 
On comprend mieux pourquoi la porte désigne le Christ lui-même. Jean dans son évangile, fait dire au Christ : « je suis la porte des ovins » et plus loin « je suis la porte, qui entre par moi est sauvé. » La porte n'est plus seulement un lieu de passage, mais aussi le signe d'un accès imminent à la réalité divine.

Pour les Taoïstes de la Chine ancienne, la Terre, principe passif, était la porte fermée, alors que le Ciel, principe actif, était la porte ouverte, l'ouverture et la fermeture alternatives de la porte étant l'expression du rythme respiratoire de l'Univers, l'alternance du « Yin » et du 
« Yang ».

Chez les Romains de l'Antiquité, Janus veille sur le seuil de la maison et en protège le passage. Les portes de son temple, sur le Forum, sont ouvertes pendant la guerre, et fermées pendant la paix. 

La porte, enfin, est l'ouverture pratiquée dans l'enceinte d'une ville. Plus simplement, c'est l'endroit fait pour entrer ou sortir de la ville. Les Gitans, les Tsiganes, les exclus des bidons-villes habitent hors des limites la ville. Les limites du monde humain socialisé se trouvent associés aux rebuts et aux déchets, et le seuil de la porte marque ainsi l'exclusion et la marginalité. En même temps, cependant, la porte établit un lien entre le vivant et la souillure, entre l'humain et l'inhumain. On retrouve cette notion dans les défilés du carnaval. Le masque est une porte, et en portant un masque, l'individu devient autre : végétal ou animal, démon ou divinité, assassin ou rédempteur. La souillure peut devenir fécondante, et de l'impur peut naître le sacré. A la notion de porte, apparaît liée celle de métamorphose, métamorphose dans l'espace mais aussi dans le temps.

2- La Porte dans le temps

Bien avant nous, au début du Paléolithique supérieur, l'homme préhistorique, observant le soleil sortir de terre le matin et y rentrer le soir, constata vite qu'il le faisait en des points différents, que le chemin parcouru dans le ciel est différent chaque jour, qu'il ne brille pas avec la même force et la même durée, que cela varie selon les époques, et que les jours et les nuits n'ont pas la même longueur sauf à quelques moments qui reviennent périodiquement.

Il remarqua également que le soleil éclaire et réchauffe le jour, qu'il chasse l'obscurité et qu'avec la lumière disparaissent les dangers de la nuit et les angoisses des ténèbres.

Cela étant, du soleil, l'homme en fit un dieu et il chercha à en prévoir la venue. Il commença par repérer, d'abord avec des cailloux, puis des bâtons, puis encore des pierres levées, les positions des levers et des couchers de soleil. Il érigea ensuite des colonnes aux positions extrêmes, deux pour les levers et deux pour les couchers. L'homme comprit vite que les solstices sont à la fois des limites et des portes. Cette assimilation, et les fêtes qui les accompagnent, remontent aux traditions les plus anciennes de l'humanité et sont communes à tous les peuples anciens et à tous les cultes.

Chez les Romains ; le symbolisme de la porte s'identifie au culte de Janus. Celui-ci offre la particularité de présenter deux visages, tournés dans des directions opposées : l'un est celui d'un vieillard, symbole du passé, l'autre, celui d'un adolescent, symbole de l'avenir. La face intermédiaire, invisible, évoque la porte du présent, transition entre le passé et le futur. Janus exprime le temps qui passe, en devenir ; il « ouvre » et « ferme » les portes du cycle annuel du temps. 
Janus était honoré à la première heure du jour, le premier jour de chaque mois, C'était le dieu du matin, le dieu des calendes. Il a donné son nom au premier mois de l'année : « janvier ».

Janus présidait même à la naissance de l'histoire, car on le considérait comme le premier roi légendaire du Latium. Cela justifie son assimilation au « chaos » des Grecs.

A Rome, la fête de Janus était célébrée aux deux solstices : celui au visage ridé regardant le soleil décliner au fil des jours, au solstice d'été, celui au visage jeune tourné vers la remontée du soleil, au solstice d'hiver. Janus était craint et respecté comme étant le maître du temps qui détruit ce qu'il a produit. Il était considéré comme le gardien des portes célestes, celles qui ouvrent le chemin vers la lumière, il était paré des blèmes du portier : le bâton et les clés.

Avec le christianisme, les deux fêtes solsticiales de Janus deviendront les deux fêtes de la Saint-Jean : Jean le Baptiste au solstice d'été, Jean l'Evangéliste au solstice d'hiver. La première symbolise la porte des hommes ou encore la porte des Enfers, la seconde, la porte des dieux, ou la porte des Cieux

Pour le Romain de l'Antiquité, Janus veillait également sur la naissance, passage du néant à la vie. Vénéré en tant que dieu du commencement (en latin « initium ») il était par-là même, le dieu des initiations. Sa statue présidait, à ce titre, le Collège des ouvriers et certains y voient le point de départ des corporations qui, à travers tout le Moyen-Age, ont conservé et transmis les caractères initiatiques à tous les constructeurs.

3- La Porte pour chacun de nous

Après la porte de la naissance, la vie elle-même n'est qu'une histoire de portes, des entrées et des sorties, plus ou moins faciles à franchir.

L'important pour moi est parti d'un coup sur la porte, en fait une lettre envoyée rue Cadet, après une conférence de notre F\ Roger Leray. « Frappez, dit le message biblique, et on vous ouvrira ». J'ai frappé et la porte s'est ouverte. Quelle pulsion m'avait amené à ce coup ? Etait-ce par curiosité ? Etait-ce pour connaître le mystère ou le secret caché derrière la porte ? Etait-ce la peur de ce vide dont parle Pascal ? N'était-ce pas plutôt le réveil de ma conscience ? J'ai frappé à la porte parce que les valeurs défendues par le G\O\D\F\ correspondent aux miennes, parce que l'humanisme qu'il extériorise est celui auquel je m'identifie le mieux, enfin parce que je cherchais, comme dit le poète, un jaillissement. Devant la porte, j'étais « celui qui peut prendre toutes les formes possibles, qui n'est encore rien, qui est vide, semblable à une page blanche ». (Michel Serres) Derrière la porte, j'ai trouvé ce que je cherchais, et aussi le symbolisme. Les symboles sont comme des clés qui ouvrent une multitude de portes dans un labyrinthe ; on s'y perd souvent et il faut revenir en arrière pour trouver la bonne porte, celle qui permet de retrouver son chemin, celle qui nous mène à la lumière. Il y a, dans notre rituel, une question fondamentale : « Pour quelle raison vous êtes-vous fait recevoir Franc-Maçon ? » La réponse est merveilleuse : « parce que je me trouvais dans les ténèbres et que je désirais la lumière ». Le symbole de la lumière est inséparable de celui de la porte. C'est une parcelle de lumière que l'on reçoit en franchissant la porte du Temple la première fois. Nous devenons « un fils de la lumière ». La lumière est savoir, mais aussi sagesse, chaleur humaine, fraternité et tolérance.

La porte possède une valeur, psychologique et dynamique : en même temps qu'elle indique le passage, elle invite à le franchir. La porte est par excellence le symbole de l'initiation. Après avoir franchi la porte du Temple et vécu l'initiation, le profane a la sensation d'être devenu un homme véritable, d'être passé du monde de la nature à celui de la culture, de s'être ouvert à la vie de l'esprit, à la méditation, à la manière de ce que Bachelard appelait la rêverie : « Il y a une part de connu, de cadré, et il y a une part qui est libre pour chaque individu, qui permet d'instaurer la progression d'une réflexion de l'imaginaire et d'une philosophie de l'intérieur ». La porte, symbole de connaissance, est aussi celui de la réflexion, de la recherche personnelle qui transforme. 

En conclusion, on peut affirmer que la porte est double, comme Janus, le dieu aux deux visages tournés dans deux sens opposés. Le passage de la porte symbolise l'initiation, il est assimilé au solstice d'été. Le passage dans l'autre sens conduit à l'Orient Eternel et s'ouvre dans la Loge d'En haut, et il est alors assimilé au solstice d'hiver.

Enfin, tout initié, ayant passé la porte du Temple, appartient donc à une Loge de Saint-Jean, mais celle-ci ne révèle aucun dogme, aucune doctrine et ne promet rien sur l'au-delà. Ses mystères ne sont que des rites, des outils et des symboles. La Franc-Maçonnerie ne propose que la construction d'un Temple, un temple intérieur, un chemin de perfection. Proust disait : « On ne nous enseigne pas la sagesse, on la découvre soi-même au bout d'un chemin que personne ne peut faire à notre place ».

J'ai dit.

J\C\ D\


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