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Les Cinq Sens

Si l'on veut parler des cinq sens, les questions que l'on se pose sont alors les suivantes : où commence et où finit l'illusion des sens ?

- quel est leur rôle dans la formation de nos idées ?
- ces idées nous sont t-elles toutes suggérées par les sens ?
- combien de sens avons-nous exactement ?
- certains animaux ne semblent t-ils pas doués de sens qui nous manquent ?
- les personnes intuitives ne jouissent t-elles pas de sens supplémentaires ?
- convient t-il de baser la recherche de certains ordres de vérité, sur le développement d'une hypersensibilité anormale ?

Pour pouvoir répondre, étudions de plus près ce premier voyage. Je l'ai effectué maillet et ciseau en main. Ces deux outils, spécifiques à mon ancien grade, attaquent la matière dans ce qu'elle a de plus résistant et solide. Complémentaires, ils signent une volonté que je peux dire incisive…étant donné que la meilleure façon d'inscrire en profondeur est celle de graver dans la matière dure.

Eh bien voyons cela plus en profondeur…Si il y a cinq sens, trois de ceux-ci sont directs, et deux nécessitent une intervention à la fois intérieure et extérieure. Par exemple, pour le visible, la lumière m'est nécessaire, et pour le sapide, il me faut l'intervention de la salive.

D'une façon générale, mes cinq sens sont des moyens de m'ouvrir, sur moi, mais aussi sur le monde, afin que je puisse les connaître. Mes cinq sens correspondent alors à cinq ouvertures ou cinq fenêtres sur le monde des perceptions. Or, percevoir, c'est percer pour voir, et voir, c'est à la fois comprendre et entendre.

Percer pour voir, c'est aussi ouvrir un lieu clos à la lumière, comme c'est aussi ouvrir une fenêtre dans un mur…évoquant ainsi le moyen d'accéder à la connaissance. Après un moment passé dans la nuit, vient l'ouverture, emplissant mes yeux…je gonfle mes poumons et tout est soudain merveilleux et c'est déjà l'ivresse mais cette image reste littéraire, surtout pour celui qui se lève chaque jour et pour qui la vie est plus ou moins triste ou misérable.

Pour celui-ci, hélas, le jour n'a plus grand chose de magique à offrir. Pourtant tout le monde reçoit la même lumière, ce qui implique que l'accueil peut être très différent et que l'être humain est sensible devant ce qui l'impressionne et que sa perception est variable et limitée.
Bien des choses limitent ma capacité à comprendre le monde, et comprendre, c'est prendre avec…

Avec mes mains qui, si elles se salissent à l'ouvrage, le font pour me protéger, comme mes gants, au contact d'un soleil qui brûle. Mes limites sont et s'établissent sur ma façon de percevoir, à la mesure dont ma tête est faite, par mon esprit, ma culture, mes habitudes, ma morale, mes conformismes et ma façon de penser.

Voilà qui est rassurant : je possède la faculté de penser, donc de raisonner, comme celle d'imaginer et de sentir.
Ainsi, l'idée que je peux avoir d'un objet ne vient pas seulement de l'objet lui même, mais aussi de mon intelligence…ce qui revient à dire que toute faculté intelligente connaît les choses en fonction des lois de la nature de chacun. Je perçois donc mon corps par mes cinq sens alliés à mon intelligence. Et mon intelligence m'indique que mes sens affichent une certaine hiérarchie qui va de bas en haut et que je retrouve étagée sur mon corps.

LE TOUCHER : c'est la perception de la peau et l'enveloppe de mon corps, depuis la plante de mes pieds jusqu'au sommet de ma tête, avec mes pores et les antennes que m’offre mon système pileux. Mais j'accorderais une prédominance pour mes membres, et plus particulièrement ma main qui peut embrasser une forme solide. Sans contexte, elles représentent l'un des membres les plus sensitifs qui soient. Avec ses 27 os, ses multiples articulations et ses sillons, elle caractérise l'être humain, et me permet d'exécuter une infinité de tâches.

Elle entretient un rapport direct avec mon cerveau car elle me permet d'extérioriser ce qui se trouve dans mon imagination. Ainsi, la création artistique est son plus haut niveau de manifestation. Mais ma main, qui est d'habitude ouverte lorsqu'elle est en éveil, et fraternelle dans le cadre de la chaîne d'union, peut aussi fendre de son tranchant dès lors qu'elle éveille en moi des éléments passionnels ou des contacts susceptibles d'altérer ma santé ou ma vie.

LE GOUT : Si j'ai abordé dans le toucher la fonction contenant-contenu en soulevant une certaine ambiguïté, dans le cadre du goût, elle se particularise. Nous savons que la saveur d'un solide, s'éprouve par un travail de rémouleur. Ma pierre, devenue poussière, se dissout dans le lit de ma langue qui vient s'unir à la salive puis au palais. Ainsi, elle rayonne dans ma gorge, mais tout n'est pas de sucre et ce sens a besoin d'être discipliné pour me permettre la tempérance dans mes penchants.

Penchants par goût pour telles formes de beau, pour certaines formes d'harmonie particulière telle que la poésie, la sculpture, la peinture ou la musique. Mais que dire de ce sens qui, non discipliné, me ferait attacher trop d'importance, voire même de passions aux richesses livresques par exemple, aux riches et belles reliures séduisantes et qui ne contiennent que des paroles creuses, des envolées de phrases sans profondeur…

Le sens du goût correspond à la sensibilité et il m'appartient de veiller à ne pas céder à une sensibilité sans profondeur. Cette sensibilité qui est, dans son plus haut témoignage l'amour constructif, qui est l'agapé des grecs qui ne suppose pas l'indulgence ou la faiblesse vis à vis de l'erreur mais les soucis de la justice et de la vérité.

L'ODORAT : Il est l'étage suivant, celui qui me permet de percevoir et de distinguer les odeurs. Cette fonction donne un sens à l'air en lui donnant matière et en dénonçant les gaz. Ici, tout est particule et la mémoire y est si obstinée que toute odeur est reconnue d'emblée. C'est l'ouverture sur l'ambiance de l'atelier.

Le nez, qui est l'organe de ma respiration joue un rôle important dans les rites Egyptien où, par opposition, on casse celui du défunt pour empêcher le cycle de la renaissance de se perpétuer. Mon nez, qui prolonge la ligne de mon front où se situe le siège de mon intelligence, marque ainsi ma qualité intellectuelle et me différencie une nouvelle fois de tous les animaux.

Métaphoriquement, l'usage immodéré des parfums du monde profane et l'influence qu'ils ont sur moi, ne sont souvent que des prétextes pour satisfaire ma sensualité inférieure mais, comme le dit Plutarque dans son « iside », « les parfums apaisent la partie sensible et irrationnelle de l'âme, atténuent et délient les soucis du jour, polissent et purifient, comme dans un miroir, ce qui, en cette âme, est imaginatif et susceptible de recevoir les songes…». De là à en déduire que les fumigations d'encens doivent créer en nous, à un instant précis, un climat intérieur permettant l'éveil des plans supérieurs de notre conscience… Il n'y avait qu'un pas que j'ai franchit…

L'OUIE : ici, il faut être deux, et ce n'est pas de trop…pour faire silence ! Dans le cadre de mon ascèse spirituelle, intellectuelle et morale propre à l'initiation maçonnique, la discipline de ce sens m'incite à ne rien dire ni entendre qui soit contraire à la charité, vertu à laquelle ce sens est à mon sens lié…

Il est d'ailleurs un aspect particulier de la discipline de l'ouie sur lequel j'ai déjà eu à travailler lors de mon précédent grade. C'est la nécessité impérieuse et absolue d'entendre exposer des opinions, des théories ou des hypothèses susceptibles de heurter mes opinions et mes croyances.

C'est pourquoi le maçon proscrit le bruit en général et créé ainsi l'ambiance nécessaire à l'âme pour se retrouver et se connaître. Symbole de la compréhension par l'écoute de mon interlocuteur, l'oreille me permet aussi d'obtenir mon équilibre grâce à ses canaux internes. Je prends ainsi conscience de ma verticalité et peut me déplacer dans l'espace.

LA VUE : ici c'est l'œil et ils sont deux. Ils sont séparés, mais se réunissent en un point, qui peut être de vue. Et plus le champ est voisin, plus il tend à l'unique et plus le regard est oblique, plus c'est louche… Cette fonction me met en rapport perceptible avec le monde extérieur par le truchement de la lumière, et me donne conscience de la forme et de la couleur. L'œil est souvent assimilé au soleil comme le symbole de la connaissance. Pour Saint-Jean, « voir » c'est ouvrir son esprit à la connaissance et la parabole de l'aveugle montre que l'homme plongé dans les ténèbres peut acquérir un autre niveau de conscience.

Tant dans les représentations de l'église catholique que dans nos temples maçonniques, l'œil est représenté dans un triangle entouré de rayons, c'est le tétragramme sacré. Il exprime alors le Grand Architecte de l'Univers, la pleine conscience. Et comme l'a dit Antoine de St Exupéry : L'essentiel est invisible pour les yeux, c'est avec le cœur qu'il faut chercher.

Alors, mes cinq sens sont t-ils matière ou énergie ?

Les deux si je les associe aux quatre éléments : ainsi le toucher correspond à la terre, le goût à l'eau, l'odorat et l'ouie à l'air et la vue au feu. Et cette correspondance exprime l'idée que mes sens me donnent la capacité à éprouver. Par exemple, je sais que l'élément air est le vent et que le vent prend forme lorsqu'il rencontre la poussière et ainsi, se transforme et devient visible. Cette même résistance, alors éprouvée par mes sens, peut nécessiter un changement de fonction qui entraîne une modification de ma nature. Cependant, et comme il est dit dans le rituel, seul l'homme est capable de juger de la perfection de ses organes, et pour juger, il faut l'intervention de l'esprit, cet organe qui me fascine et que je connais si peu, et qui donne un sens à cette quintessence. Il me faut donc naître à cette forme de connaissance, la mettre au monde, ouvrir mes sens de l'intérieur, en profondeur, pour ainsi me garder de ne pas tomber sous le sens qui n'a de commun que la médiocrité…

Il m'appartient donc de bien connaître ma nature profonde par le développement de mes cinq sens, symboliquement représentés sur une cartouche reposant sur la Beauté, cette beauté qui ne se réalise qu'en unissant la Sagesse qui conçoit à la Force qui exécute. Cette harmonie, je ne pourrais prétendre la connaître que lorsque j'aurais concilié mon intuition à ma raison, ma réflexion à mon action.

L'initiation ne se contente pas d'enseigner à raisonner correctement et à voir juste. La théorie est vaine si elle ne conduit pas à la pratique. Le compagnon, les sens en alerte, apprend à se connaître, et découvre qu'il y a un long chemin entre voir, prendre conscience, sentir et reconnaître…et ce chemin demande une ouverture en profondeur.

J'ai dit.


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