Obédience : NC | Loge : L'Etoile du Matn - Orient de Marseille | 17/02/6011 |
Le Cercle
![]() Le travail que je vais vous présenter ce soir a pour titre "Le Cercle". Sans prétendre épuiser ce sujet quasi infini, vous vous doutez déjà que j'aurai à porter également mes pas vers le centre dudit cercle. En revanche, je ne vous ferai pas l'affront de vous rabâcher la définition du Robert en la matière, ni pour le cercle, ni pour le centre. EPURE : Tout d'abord, et à la différence de bon nombre de figures géométriques, le cercle est très présent dans la nature : du globe oculaire, aux ondulations concentriques de l'eau réagissant à un jet de pierre, en passant par les couches successives de l'aubier de tronc d'arbre ou les gouttes d'eau. Sans parler de domaine relevant du microscopique ou macroscopique : course des électrons, protons, silhouette de la lune lorsqu'elle est pleine, ou plus généralement forme de la plupart les astres de l'univers. Le Créateur aurait-il eu un chouchou parmi les formes géométriques de base ? Peut-être, mais il est en tout cas certain que si le cercle est si présent à l'état naturel, c'est qu'il est simple, stable, immuable et qu'il évoque pour tout dire la protection de ce qu'il recèle en son sein. Le cercle représente une forme parfaite, une épure. Il est aussi apaisant dans sa matérialité qu'il peut être déroutant lorsqu'on l'étudie et qu'on veut en percer les secrets. Et, finalement, le cercle matérialisé sur un support peut aussi se révéler d'une étonnante complexité, une abstraction spirituelle à la fois séduisante et insaisissable. La légende dit que Giotto, pressé par le pape Benoit XII de lui donner la preuve de son célèbre talent, le peintre se contenta de tracer un cercle parfait à main levée. Pouvait-on faire mieux, au fond ? FASCINATION MYSTIQUE : Pas étonnant alors que le cercle ait tant captivé les esprits depuis l'aube des temps, et plus encore lorsque les anciens ont découvert les mystères de Pi et la course des astres dans l'écliptique de notre système solaire. C'est sans doute justement en raison de cette observation des mouvements célestes que le cercle obtint son statut de symbole universel et de divinité primordiale. On le retrouve d'ailleurs dans presque toutes les religions et traditions : cromlechs celtiques, mandalas bouddhiste et hiéroglyphe du Dieu Ré, entre autres. On peut également voir une application de ce symbole dans l'orientation des églises chrétiennes vers l'est, ou des musulmans vers la Mecque. On pourrait parler d'une forme de "théo-tropisme". Scientifiquement, on peut considérer, d'un certain point de vue, que le cercle est à lui seul à l'origine de deux révolutions d'importance. La première provoqua une crise profonde parmi les philosophes pythagoriciens, lorsque fut découverte l'irrationalité du nombre Pi. Comment était-il possible qu'un objet aussi tangible et parfait qu'un cercle puisse être l'enfant d'un nombre bancal, que l'intelligence ne pourrait jamais qu'approximer ? C'était presque une insulte à la beauté et à la perfection, tant vénérées par les grecs. La deuxième révolution est à ce point énorme qu'elle bouleversa toutes les disciplines intellectuelles de l'époque : « la Révolution Copernicienne ». En révélant l'héliocentrisme de notre système solaire, le savant fit exploser toutes nos rassurantes convictions, y compris philosophiques et religieuses : la Terre n'était plus au centre de l'univers ! Du même coup, l'être humain n'était plus le point focal de ce rassurant cercle décrit par la révolution des planètes du système. D'une certaine façon, il était à la dérive dans le vide intersidéral, presque dépossédé de son étincelle divine, forcé à redéfinir sa position dans le cercle universel, par rapport à son centre. Mystérieux enfin, le cercle l'est à ce point qu'il devint, le symbole de l'or alchimique, matériau parfait, immuable et immutable, ou la représentation figurée du soleil, sans qui la vie n'existerait pas sur terre. Ainsi dit, son assimilation à Dieu et à l'infini parait assez évidente. Mais, nous y reviendrons DANS LE RITUEL MAÇONNIQUE : Bien que présent dans notre rituel à tous les grades, le cercle ne l'est qu'en filigranes dans les deux premiers degrés, du fait de la seule présence du compas, du soleil et de la lune, ou en raison de la chaine d'union qui clôture nos travaux. Il est en revanche formellement présent au grade de M et revêt semble t'il une importance que l'on ne peut que qualifier de centrale. Il n'est pourtant évoqué qu'assez peu dans notre rituel du grade : - A l'élévation à la maîtrise, tout d'abord, lorsque le récipiendaire est invité à « tracer le Cercle mystérieux » symbolisant le travail des Maîtres maçon. Il réalise effectivement ce geste en traçant le cercle à l'aide du compas, lors de son premier travail de Maître. - Le cercle est également présent, cette fois de façon récurrente, à chaque ouverture de nos travaux lorsque, interrogé par le T V M sur les causes de la perte des secrets du Maître maçon, le Premier Surveillant évoque la mort prématurée d'Hiram et la recherche des secrets perdus « au centre du cercle » « parce qu'ainsi placé, le Maître maçon ne peut s'égarer ». - Et, la marche du Maître donne pour la première fois au maçon la liberté de, pardonnez-moi l'expression, "prendre la tangente". Affranchi du rigorisme de l'angle, on lui offre la créativité de la courbe et on lui fait don du volume. Il découvre la troisième dimension, ni plus ni moins. Il est ainsi cependant incité à sortir du Cercle pour explorer son univers « de l'Orient à l'Occident et de l'Occident à l'Orient et par toute la Terre ». Sans doute, afin de rassembler ce qui est épars (les secrets perdus, comme les morceaux du corps d'Osiris) et répandre partout la Lumière pour chasser l'ignorance, le fanatisme et l'ambition portés par les trois mauvais compagnons. Cependant, il se recentre à la fin de sa marche, pour se repositionner face à l'autel des serments, dans l'axe de la Loge. Nous voyons clairement que centre et cercle ne forment pour nous qu'un seul et même symbole et sont indissociables : pas de cercle sans centre et un centre sans cercle n'est plus qu'un point. Autrement dit, le cercle n'est jamais qu'un point emphatique et le centre sans cercle n'est rien d'autre qu'un cercle coagulé. La recherche de ce Centre mystique, devient la quête presque exclusive du Maître maçon car, à cet endroit précis, semble se trouver le point de transmutation qui fera de lui un maître accompli. Et après ? La reconquête des secrets perdus sonnerait-elle la fin de l'aventure ? Le Maître accompli serait-il finalement un Maître fini ? Les choses ne sauraient être si simples. Il y a fort à parier que les secrets et mots perdus le sont bels et biens, au même titre qu'Hiram est mort pour de bon. Nul n'y remédiera et la mort de l'Architecte est même, peut-être, nécessaire à notre pratique initiatique. La formulation de cette recherche prend assurément une dimension spirituelle visant, à mon avis, à la recherche d'un équilibre, à l'instar de ce centre équidistant de tous les points de la périphérie du cercle. La mort du meilleur d'entre nous, Hiram, ne signifie autre chose que la mort d'une partie de nous-mêmes, la meilleure et la divine également. La seule prise de conscience de cette perte doit nous guérir de cet "engourdissement" pour nous conduire à l'Eveil. Comme toujours, il faut ramener les choses à une dimension plus concrètement liée à la personnalité de chacun. Pour espérer retrouver le chemin de son centre intérieur, le Maître maçon doit s'astreindre à une forme de méditation de son cercle intime. Il doit passer simultanément d'une quête de la connaissance du Moi (la circonférence), interagissant avec le Toi et le Lui, à une quête de la connaissance du Soi (le centre), cristallisé autour de l'essentiel de la personnalité, où siège cette miette de divinité tant convoitée. Je précise qu'il ne s’agit là que d’une interprétation strictement personnelle, sans prétention psychanalytique. Il me semble en tout cas que ce passage de la circonférence vers le centre doive se produire grâce à un exercice de mise en orbite autour de soi-même. Comme un derviche tourneur qui parvient à transcender le divin en dessinant, par la danse, des cercles autour de l'axe central de son corps. FORCES, TENSIONS ET DYNAMIQUE : Ainsi, le cercle pointé met en évidence une dualité, une tension entre deux principes, opposés mais complémentaires : visible et invisible, sensible et intelligible, microcosme et macrocosme, limité et illimité, manifesté et non-manifesté, terre et ciel… Ce qui suit est à mon avis essentiel. Cette tension, que je pressens entre cercle et centre, prend une valeur particulière si on envisage la forme d’un point de vue dynamique. En effet, je me représente assez spontanément le cercle comme en mouvement, tournant sur lui-même. A son évocation, les mots « cycle » ou « révolution » viennent assez naturellement à chacun d’entre nous. Les grecs nommaient d'ailleurs le cercle "kuklos" qui signifiait également « cycle » ou « roue », que l’on peut facilement rapprocher de l’ouroboros, le serpent se mordant la queue, symbole du cycle éternel de la nature. Les Téocallis aztèques étaient la plupart du temps de circulaire, présentant leurs flancs à l'incidence solaire pour déduire de la part d'ombre (je souligne la part d'ombre) portée le calendrier solaire. De cette façon, le cercle inscrit dans l’espace s’enrichit de la dimension du temps et nous y retrouvons de fait la notion bien connue d’espace-temps. Or, comme tout objet en rotation, ce cercle en mouvement devient générateur de deux forces antagonistes : centrifuge et centripète. On peut trouver une analogie à la force centripète, dans le travail que le maçon fournit pour atteindre son objectif, le centre en l’occurrence. Et la force centrifuge pourrait se retrouver dans la connaissance ultime que le centre représente, qui le repousse vers la circonférence. Le Maître maçon est donc soumis simultanément à ces deux forces, qui s’équilibrent à l’instant T, entre son incapacité à atteindre le saint des saints et son désir d’y parvenir, comme un marcheur luttant contre un vent contraire. Une autre façon d'envisager cette dualité dynamique est de considérer le maçon en général, mais le Maître maçon en particulier, dans sa fonction de récepteur comme de transmetteur. Investit dans le paradigme maçonnique, il devient les deux à la fois et donne à ses FF comme il reçoit d'eux. C'est ainsi qu'on se tient dans la chaîne d'union : une main tournée vers l'extérieur et l'autre vers le centre. C'est ainsi qu'on nous exhorte à continuer le travail maçonnique à l'extérieur du Temple, après avoir quitté le temps sacré pour le temps profane. INFINITE DIVINE : Il me semble capital, à ce stade de ma planche, de revenir sur un point particulier que je n’ai fait qu’aborder dans mon introduction : le cercle est un symbole, sinon LE symbole, de l’infini, de l’éternité et du divin. Le cardinal/métaphysicien/cosmologue Nicolas de Cues estimait que « la machine du monde aura pour ainsi dire son centre partout et sa circonférence nulle part, puisque sa circonférence et son centre sont Dieu qui est partout et nulle part ». Cette affirmation sera reprise plus tard par Pascal, presque mot pour mot. On peut ainsi envisager le cercle comme symbole d’infini voir comme infini en tant que tel. Il est d’ailleurs facile, d’un point de vue géométrique, de démontrer que les circonférences de deux cercles de rayon différents comportent chacun une infinité de points. Cette notion d’infinité rajoute, à mon avis, une dimension fondamentale au symbole du cercle. Qui saurait dire où se trouve le centre de l’infini ? Puisque le Maître maçon recherche ce centre, où se trouve-t-il ? Et, où suis-je moi-même dans ce cercle, au centre ? Et vous, mes FF, ne seriez-vous pas tous, chacun d’entre vous, de multiples centres d’un cercle sans limites ? Ne serions-nous pas enfin, de façon individuelle, autant de cercles vecteurs de centres ? Il est facile d’imaginer que nous sommes chacun le centre de notre propre univers, notre cercle, personnel, mais peut-être un peu simpliste, déterministe et pour tout dire vain. Il me semble que la démarche ultime du Maître maçon consiste à se considérer soi-même comme porteur infinitésimal de cette infinité divine et de parvenir à s’inscrire dans l’infinité supérieure de l’Univers qui le dépasse largement. MOUVEMENT PERPETUEL DU MAÇON : Ces questions me semblent primordiales car, comme toujours, elles forcent le maçon à prendre en compte le doute. Il n’y a pas, et il n’y aura pas, de vérité révélée. Celui qui attend cela de la maçonnerie fait erreur. Le travail doit continuer indéfiniment et, il semble bien qu’à chaque grade, de nouveaux mystères nous soient proposés, pour que de nouvelles questions se posent, afin que nos recherches nous amènent à lever le voile sur des bribes de solution, conduisant à de nouveaux mystères… et cætera. C’est en quelque sorte le cycle de la démarche maçonnique, en forme de spirale. Ces questions me semblent enfin révélatrices de la nature humaine qui, inassouvie par la découverte précédente, pousse à la recherche suivante. C’est encore une fois une dichotomie flagrante, entre bénédiction et malédiction, qui fait que l’Homme ne peut qu’avancer, sinon il recule. Nous retrouvons encore cette image du marcheur luttant contre le vent qui s’oppose à sa progression. Le cercle devient miroir de l’intelligence qui indique la méthode pour atteindre le centre, et de l’intuition rayonnante nécessaire pour y parvenir. Il n’y a pas vraiment de doute à ce sujet. Anaxagore imaginait il y a 2500 ans le monde fait d’atomes, bien avant le microscope à balayage. Les peintres de la Renaissance italienne figuraient la sainteté par une auréole que l’imagerie magnétique viendra confirmer. Mendeleïev mit au point la classification périodique des éléments, alors qu’il était à l’époque impossible de vérifier les masses atomiques de façon empirique. Tout ceci relève de l’inspiration, de l’intuition faite conscience et donc intelligence. Le mâcon a inventé le mouvement perpétuel me FF. Il est porteur du Graal du l'Humanité. Le questionnement perpétuel en l'occurrence. Cette intelligence mâtinée d’intuition EST le propre de l’Homme en général et du maçon en particulier, qui l’amène à réfléchir sur sa condition dans l’univers, de façon à la fois scientifique et mystique. En inventant Dieu, l’Homme crée l’infini. En s’imaginant à son image, il invente l’infini à l’intérieur de luimême et se met en abîme, relativisant son existence sur la base de sa propre échelle de relativité. RECHERCHE Ceci m’amène à la conclusion où je voudrais rapprocher les deux concepts d'infinité et de forces antagonistes, dans le cercle et la quête de son centre. Le cercle est infini et hors de portée de ma perception d’Homme. Il est l’objet de forces puissantes, centrifuge et centripète, qui s’opposent à ma progression vers le centre. Ce centre m'est par ailleurs inconnu, peut-être partout, peut-être nulle part. Sans savoir où l’on est, où l’on va, ni même l’univers dans lequel on évolue, comment aller d’un point à un autre ? Comment puis-je alors prétendre rejoindre, ne serait-ce que poursuivre, l’objectif majeur du Maître maçon qui consiste en l’atteinte de ce centre et donc de la reconquête des secrets perdus ? Et puis, au fond, ce Centre, je n’y ai gouté qu’une fois : au moment de mon élévation au grade, lorsque le TVM m’a relevé par les cinq points parfaits de la maîtrise, et que j’ai eu à endosser successivement différents rôles : compagnon impétrant, compagnon meurtrier, Hiram mort, Hiram renaissant, maître impétrant et maître reçu… Depuis, je n’ai plus posé le moindre pied au centre, en tout cas celui de la Loge, que nous recherchons pourtant tous assidûment. Bref, à ce stade de ma progression maçonnique, si j'ai le sentiment d'appartenir au Cercle, celui de notre Loge en Chambre du milieu, je suis un peu circonspect quant à ma position dans le Cercle et encore plus troublé au sujet du chemin qui mène à la découverte de son Centre. Mais je reste persuadé de deux choses. La première est que la progression vers ce Centre, ne se fera sans doute pas en ligne droite. Au contraire, au gré des forces qui s’y exercent, de mes doutes et de mes remises en question, le chemin prendra une allure complexe, un enchaînement de progression, de transgression et de régression, valse-hésitation entre moi et l’univers et l'univers et moi. Voilà mon labyrinthe. La seconde est que nous sommes dépositaires d'un trésor inestimable, fait d'amour et d'espoir, de beauté et de joie, de force et de sagesse. Il nous appartient à jamais de préserver ce feu sacré qui brûle perpétuellement au Centre du Cercle que nous formons, tous ensemble. Très V M et vous tous mes FF VV MM, j'ai dit. Eric MONTARDY |
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