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Avant le Big Bang 22
Octobre 2002.
C'est par une lugubre journée d'automne qu'allait
éclater, sans que personne ne
l'ait prévu, l'étrange " Affaire Bogdanoff ". Tout a
commencé par
une mystérieuse lettre adressée par un physicien
allemand à un certain Ted
Newman, célèbre scientifique américain
de l'Université de Pittsburgh, l'un des
grands fondateurs de la théorie des trous noirs (le
célèbre " trou noir de
Kerr-Newman "). Or, ces quelques lignes vont mettre le feu aux poudres.
A
peine quelques heures plus tard, le message du physicien allemand
explose dans
le monde entier, en un Big Bang à vous couper le souffle :
John Baez, un
mathématicien américain de
l'Université de Californie, à Riverside, venait
de
publier un article stupéfiant sur science.physics.research
un forum de
discussion dont il était le modérateur et l'un
des principaux contributeurs
depuis sa création sur l'Internet en 1993. Comme
j'étais
moi-même un collaborateur actif de ce forum scientifique,
l'onde de choc m'a
atteint à peine trois minutes plus tard ! Dès le
premier instant, j'ai pris
conscience de l'importance de cette discussion qui se
développait partout dans
le monde et j'ai tout de suite senti que son retentissement serait
considérable. C'était comme une
réaction en chaîne, susceptible à tout
moment
de s'emballer : des évènements chaotiques, non
linéaires, orchestrés par des
forces souvent antagonistes, dont les conséquences
étaient à peine prévisibles.
Mais quels étaient les enjeux ? Qu'y avait-il de si
brûlant, de si crucial au
cœur de ce débat étonnant ? En
réalité cinq articles, publiés par
Igor et
Grichka Bogdanoff dans plusieurs revues de physique
théorique (dont Annals of
Physics aux Etats-Unis). Cinq articles qui proposent, grâce
à des concepts
mathématiques avancés, un modèle
intéressant de l'origine de l'Univers. Le 9
novembre 2002,
cet évènement fait les gros titres du
célèbre quotidien le New York Times :
" French Physicists'Cosmic Theory Creates a Big Bang of Its Own. " .
Dès le lendemain, les journaux internationaux les plus
importants tels
que Nature, The Economist, Courrier International, Le Monde, Die Zeit,
La
Pravda etc, allaient se faire les relais d'un formidable
débat mondial :
s'agissait-il d'un canular ? Ou les Bogdanoff avaient-ils
réellement découvert
l'origine de l'Univers ? Pourquoi ces cinq articles ont-ils
déclenché une telle
tempête ? Pourquoi un tel impact ? Quel était le
centre opérationnel de cette
affaire, s'il y en avait un ? Igor et Grichka étaient-ils la
cible des services
secrets américains à cause de leurs
découvertes ? Y avait-il quelque chose dans
leurs travaux que certaines "agences" avaient
intérêt à étouffer
à
jamais ? Peut-être.
Curieusement, il a toujours eu des sujets et des théories
que la science
conventionnelle a jugé " dangereux ". Au sommet de la liste,
figure
aujourd'hui la question de l'origine de l'univers. Plus
précisément, les
soi-disant " spéculations " concernant ce qui a pu se passer
"
avant le Big Bang ", à des échelles
inférieures au Mur de Planck (la
frontière intérieure du monde physique). En voici
un exemple : en 1997, John
Baez a publié une liste intéressante de ce qu'il
appelle sur son site "
Questions ouvertes en Physique " . Et bien sûr, la
première des "
questions dangereuses " est celle de l'instant zéro : " Que
s'est-il
passé au moment du Big-Bang ou avant le Big-Bang ? Y-a-t-il
vraiment eu une
Singularité Initiale ? Peut être que ces questions
on un sens, peut-être aussi
n'en ont-elles aucun. " Pour
autant, ce sont
précisément ces mêmes questions que se
sont posés Igor et Grichka Bogdanoff.
A-t-il existé, dans un lointain passé, une
immense explosion cosmique, celle
d'un atome primitif qui aurait soudain engendré l'Univers ?
Y a-t-il un "
instant 0 " au " tout début " de l'Univers ? Comment et de
quoi
le cosmos est-il né ? Y a-t-il eu " quelque chose " avant le
Big Bang
? Ces questions ont-elles un sens ? La physique est-elle à
même de répondre ?
S'il y a eu un Big Bang, ce devait être une
"Singularité". Et cette
Singularité devait être la plus importante de
toutes, car elle était,
nécessairement, à l'origine de l'Univers que nous
connaissons. Soit.
Mais comment
résoudre le problème posé par cette
Singularité ? La physique n'a rencontré ce
qu'on appelle des solutions singulières que lors des
difficiles tentatives de
"mariage" entre les deux théories qui ont
révolutionné la première
moitié du vingtième siècle : la
relativité (théorie à grande
échelle, celle de
l'Univers) et la mécanique quantique (théorie
à petite échelle, celle des
atomes). Vers la fin des années 20, les grands physiciens
Dirac, Heisenberg et
Pauli remportent un premier succès en formulant la
théorie quantique relativiste
de la lumière et de la matière : la fameuse "
Electrodynamique quantique
" qu'on retrouve aujourd'hui dans de nombreux laboratoires. Or cette
théorie conduit, en effet, à des catastrophes
mathématiques : des solutions
singulières inévitables, des "
singularités ". Pire : le cauchemar se
reproduit dans les années 1960-70, lorsque le
mathématicien Roger Penrose
démontre, de façon tout à fait
convaincante - et, à sa suite, Stephen Hawking
et George Ellis - que les singularités se logent dans tout
espace-temps
possible, pour peu que cet espace-temps représente une
solution des équations
relativistes d'Einstein. Mais il n'y a pas que les "grands
théorèmes de
Singularité". Les modèles cosmologiques
représentant l'Univers en
expansion débouchent, eux aussi, sur une
singularité à l'"instant
zéro". Bien sûr, on a eu l'espoir de parvenir
à construire, pourquoi pas,
de meilleurs modèles, sans singularité initiale.
Beaucoup s'y sont essayé, sans
succès. Car les théorèmes de
Singularité de Penrose, Hawking et Ellis
anéantissent tout espoir de résoudre le
problème sans remettre en question les
lois fondamentales de l'Univers. Et c'est alors qu'Igor et Grichka
Bogdanoff se
lancent à leur tour dans cette aventure hautement
spéculative : traverser la
barrière de Planck et atteindre le point zéro de
l'Univers. Mais cette
recherche est si transgressive, si spéculative, qu'elle va
déclencher
l'incroyable débat mondial dont nous avons
déjà parlé. Or, il
se trouve que
mon propre mémoire de Maîtrise en Physique
Théorique concernait déjà la
théorie
du Big Bang et l'évolution de l'Univers d'après
une variante originale du
modèle cosmologique de l'univers en expansion de
Friedmann-Lamaître. Ce modèle
met en lumière une question très
mystérieuse : celle d'une "singularité
initiale" passée. John Wheeler, un éminent
physicien de l'Université de
Princeton (celui qui a contribué dans les années
50 à la construction de la
première bombe à hydrogène
Américaine) en fera -avec d'autres- le commentaire
suivant : " Quand on réfléchit aux fondements de
la physique d'un point de
vue cosmologique, il n'existe pas de question plus profonde que celle
de savoir
ce qui a pu 'précéder'le " Big Bang ", cet
'état initial'de
température, de pression et de densité infinies.
Et, malheureusement, en 1973,
on est très loin d'approcher la solution du
problème." Trente
ans plus
tard, aucun progrès décisif n'avait encore
été accompli. C'est dans ce contexte
qu'Igor et Grichka soutiennent leurs thèses et publient
leurs articles
scientifiques. Ils proposent d'appliquer ce qu'on appelle la "
condition
KMS " à l'état initial de l'Univers. Qu'est-ce
que cela signifie ? Ici, le
hasard a voulu que ma propre thèse de Doctorat porte sur les
états d'équilibre
thermique des systèmes quantiques. En termes techniques, ces
états doivent
satisfaire la fameuse condition KMS (d'après les noms de
trois physiciens,
Kubo, Martin et Schwinger). Je connaissais donc bien les outils
mathématiques
très sophistiqués qui, seuls, permettent
d'étudier les propriétés de ces
états d'équilibres.
Et j'ai donc pensé que je serais à même
de comprendre les idées d'Igor et
Grichka, d'en discuter avec eux, et peut-être même,
de les aider. La
physique repose
sur un certain nombre de constantes fondamentales, comme on les
appelle. L'une
d'entre elles est la constante de Planck. Elle établit une
sorte de frontière
entre les phénomènes classiques et les
phénomènes quantiques. Une autre de ces
constantes est la constante gravitationnelle, qui mesure la force
d'attraction.
Mais la mieux connue de ces constantes fondamentales est certainement
la
vitesse de la lumière - elle définit la
frontière entre les théories de la
relativité de Galilei-Newton et celles de
Minkowski-Einstein. Quoi qu'il en
soit, ce sont ces trois constantes, qui lorsqu'on les combine entre
elles,
forment ce que l'on appelle la "longueur quantique", un nombre qui
constitue un " mur " entre " l'espace classique " et "
l'espace quantique " ; un mur entre le " temps réel " et le
"
temps imaginaire ". L'espace
classique
est l'espace que nous connaissons, celui dans lequel nous vivons.
L'espace
quantique est un espace dans lequel nous ne vivrons jamais et duquel
nous ne
pouvons avoir qu'une lointaine intuition. On peut se le
représenter comme une
"écume" bouillonnante et infiniment chaotique, où
des morceaux
d'espace se rejoignent et se séparent, un espace
où les notions de "
longueur " et de " forme " n'ont plus de sens. De plus, les
points de raccordement entre les régions distantes se font
par des "ponts"
ou des "trous de ver" qui se forment ou disparaissent si "
rapidement " que toutes ces différentes configurations
coexistent "
simultanément ". En termes mathématiques, cela
signifie que cet
"espace quantique" doit être décrit par une sorte
de géométrie non
commutative fondée sur des potentialités
Aristotéliciennes - des "
tendances à exister "- plutôt que sur des faits
observables. Ces questions
touchent aux secrets les plus fascinants et les plus fondamentaux de
notre
univers : la réalité dans laquelle nous vivons.
La découverte des clés qui
permettent d'accéder à ces secrets peut
littéralement libérer l'humanité
entière. Pour
l'heure, les
problèmes demeurent. Comment unifier l'infiniment grand
à l'infiniment petit ?
Dans un premier temps, inspirée des vieilles
idées des physiciens Kaluza et
Klein, une tentative d'unifier
l'électromagnétique et la relativité
conduit à
ajouter des dimensions d'espace temps " invisibles " aux fameuses
théories de jauge non-Abeliennes. Dès 1921,
Theodor Kaluza parvient à une
unification de la relativité et de
l'électromagnétique en ajoutant une
dimension d'espace "supplémentaire" : la
cinquième dimension. En
1981, le célèbre physicien
mathématicien Edward Witten, médaille Fields, le
grand Maître de la théorie des cordes, publie son
article fondateur, dans
lequel il reprend des idées encore plus anciennes. Avec
l'espoir qu'au-delà des
quatre dimensions d'espace temps, les théories quantiques se
montreront moins
divergentes et plus "dociles". Comme j'en ai fait état
ailleurs,
l'article de Witten n'était pas exact d'un point de vue
mathématique. Cela m'a
pris plusieurs années, d'abord au CERN puis au CPT CNRS de
Marseille, avant de
parvenir, en collaboration avec le physicien mathématicien
Robert Coquereaux, à
développer un langage mathématique qui permette
de préciser certains calculs et
hypothèses de Witten. En 1988, Robert Coquereaux et
moi-même avons publié une
monographie résumant les résultats de notre
recherche conjointe. Aujourd'hui,
après
que quantité d'espoirs se soient évanouis et que
de nombreuses tentatives (dont
la théorie des super-cordes) soient demeurées
vaines, il est évident que de
profonds remaniements de la théorie quantique sont
nécessaires. D'importants
développements formels dans le domaine de l'unification de
la théorie quantique
et de la relativité sont dus au
célèbre mathématicien Alain Connes et
à son
travail novateur dans le domaine de la géométrie
non commutative. En 1993,
Robert Coquereaux, en collaboration avec un autre physicien
mathématicien,
Michel Dubois-Violette, organise les premiers séminaires de
l'Ecole de
Mathématiques et de Physique Théorique
à Saint-François, en Guadeloupe.
C'est là que le physicien mathématicien Daniel
Kastler donne sa "
Conférence sur la géométrie non
commutative d'Alain Connes et ses applications
aux interactions fondamentales ". J'y ai fait moi-même un
séminaire sur
les "Problèmes de Dynamique Quantique", où j'ai
décrit de nouveaux
chemins dans le domaine de la physique quantique, chemins dont
j'espère qu'ils
pourront permettre de sortir de l'impasse où elle se trouve,
et d'échapper
ainsi à " l'ornière quantique ". De
nombreux
physiciens sont d'accord pour dire que la nouvelle théorie,
celle qui peut
réellement changer les paramètres, doit
être " suffisamment folle " -
sinon, elle aurait déjà été
découverte. Comme je l'ai écrit ailleurs dans mon
site Web, mon " hypothèse de travail " est que les
recherches des
Bogdanoff pourraient contribuer à changer quelque chose dans
la physique
théorique. En particulier, ils ont eu l'idée
intéressante d'utiliser la
condition KMS pour décrire l'état du
(pré) espace-temps à l'origine de
l'Univers. Dès lors, si, à un "instant"
donné, la Nature obéit aux
lois de l'état KMS - elle sera nécessairement
soumise à des " fluctuations
quantiques. " Mais comment dépasser cet état ? Il
faut une autre théorie.
Pour notre part, le physicien Philippe Blanchard et moi-même
avons développé
une " Théorie Quantique des Evénements " ou EEQT
("Event
Enhanced Quantum Theory"). Il faut comprendre que
l'évolution d'un système
quantique, même à l'échelle de
l'Univers, est loin d'être paisible. Elle est
faite de " sauts quantiques ", d'" évènements ",
de "
catastrophes ". C'est ce que les Bogdanoff appellent " la
tempête
quantique ". Or, il est impossible de décrire
mathématiquement de tels
sauts ou événements en ayant une approche
standard, ou même avancée, de la
théorie quantique telle qu'elle est
présentée dans les manuels de
référence. Il
est nécessaire d'avoir recours aux algèbres
d'opérateurs, à la dynamique des semi-groupes
- ces outils mathématiques permettant de rendre compte des
systèmes quantiques
ouverts - et aux processus aléatoires. Il faut pouvoir
décrire dynamiquement
ces "transitions de phase" et brisures de symétrie, comme
lorsque de
la vapeur d'eau se condense pour devenir de l'eau liquide ou lorsque
l'eau
liquide gèle et se transforme en neige ou en glace. La
fluctuation de la
signature de l'espace-temps décrite par les Bogdanoff
à petite échelle, dans ce
passé lointain de l'Univers, est du même ordre.
Or, cette idée de fluctuation
(qu'ils ont introduite en 1999 dans leurs travaux), pourrait bien
déboucher sur
de nouvelles perspectives en physique. Nous vivons dans un monde
à quatre
dimensions : trois dimensions d'espace, une dimension de temps. Mais
pourrait-il
exister une cinquième dimension ? C'est ce que proposent les
Bogdanoff : leur
idée de fluctuation du temps implique, naturellement,
l'existence d'une
cinquième dimension. Dans un contexte différent,
cette cinquième dimension
avait déjà été vue par
Kaluza Klein en 1923, par Einstein et Bergman en 1938,
et par moi-même dans les années 80. Mais,
aujourd'hui, il s'agit, selon les
statistiques des éditeurs scientifiques, du sujet le plus
"brûlant"
des années 2003 et 2004. Il est intéressant
d'observer que le type
d'oscillation de signature lié à la
cinquième dimension n'est possible, d'un
point de vue dynamique, que lorsque l'Univers est "ouvert". De
même, pour tenter de résoudre ces
problèmes faut-il avoir l'esprit ouvert et
être réceptif aux idées nouvelles :
ainsi seulement peut-on comprendre la
nécessité de développer les structures
conceptuelles et les outils
mathématiques existant. Peut-être
l'ère
d'une physique nouvelle se profile-t-elle à l'horizon. Comme
le grand
mathématicien André Lichnerowicz l'a
écrit dans l'un de ses ouvrages:
"L'heure paraît venue où des chercheurs
jusqu'alors séparés vont pouvoir
unir leurs efforts en vue d'une tâche commune. Ils ne sont
pas habitués à une
pareille rencontre. Certains pourraient même penser qu'elle
n'est pas
opportune. Chacun a son propre langage que l'autre ne comprend pas
(...) Mais
ensemble ils auront bien davantage de chance de résoudre le
mystère de
l'Univers." Et
peut-être ainsi
parviendront-ils àtrouver des réponses aux
importantes questions encore
ouvertes en science, en particulier celles qui sont posées
dans ce livre. Arkadiusz Jadczyk International Institute of
Mathematical Physics |
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