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Tubalcaïn -
Donnez-moi le mot de passe. Tubal-Caïn est le mot de passe du troisième grade. Pourquoi ce mot a-t-il été choisi et quel rapport a-t-il avec la Franc-maçonnerie ? Nous allons tenter de jeter un regard à partir de différents points de vue : tout d’abord, a/ l’histoire ; ensuite, b/ ce que l’on peut comprendre des origines dans la Bible ; puis c/ ce que nous appellerons l’alternative ; puis d/ le point de vue de la Kabale ; enfin e/ celui de l’alchimie. A. L’histoire Dans la Bible, on ne trouve qu’une seule mention du nom de Tubal-Caïn ; elle apparaît dans le livre de la Genèse au chapitre 4. 19 – Lamech prit deux femmes : le nom de l’une était Ada et le nom de l’autre Tsillah. 20 – Ada enfanta Jabal : il fut le père de ceux qui habitent sous les tentes et près des troupeaux. 21 – Le nom de son frère était Jubal : il fut le père de tous ceux qui jouent de la harpe et du chalumeau. 22 – Tsillah, de son côté, enfanta Tubal-Caïn qui forgeait tous les instruments d’airain et de fer. La sœur de Tubal-Caïn était Naama. Flavius Josèphe dans son « Histoire ancienne des juifs » (livre 1, chapitre 2), décrit ainsi Tubal-Caïn : « … Tubal-Caïn, fils de Tsillah, surpassait tous les autres en courage et en force et fut un grand capitaine. Il s’enrichit par ce moyen et se servit de ses richesses pour vivre plus splendidement qu’on ne l’avait fait jusqu’alors. Il trouva l’art de forger et n’eut qu’une fille… ». Peut-être la qualité d’artisan de haute qualité (« Craftsmanship ») a-t-elle été retenue dans le choix de son nom. Les plus anciens francs maçons anglais se désignaient en effet comme « Craftsmen ». Cela serait alors, pour eux comme pour nous, une sorte d’aboutissement de la qualité de maçon. Cette interprétation est particulièrement chargée de sens dans les rites dits « opératifs ». Il reste cependant une double interrogation : d’une part l’époque tardive à laquelle est apparu le grade de Maître Maçon, et d’autre part et surtout le fait que le travail du Maçon, pas plus que sa qualité, ne peuvent jamais être achevés. B. La Bible : les origines Un arbre se reconnaît à ses fruits mais tire sa substance de ses racines. Quelles sont donc les racines de Tubal-Caïn ? Adam : c’est celui qui fut chassé d’Eden pour avoir voulu dépasser les limites de sa connaissance et a cru pouvoir être « comme un Dieu ». Abel: le deuxième fils d’Adam et Eve : (le berger) assassiné par son frère Caïn. Caïn: l’aîné, (le cultivateur), aïeul de Tubal-Caïn. Seth : (le « désigné ») comme son nom l’indique, né pour remplacer Abel. Lorsqu’on considère la descendance d’Adam (donc la famille élargie de Tubal-Caïn), on est tout d’abord frappé par la similitude (Caïnan, Mahalaléel, Jared, Mathusalem) ou même l’identité (Henoch, Lamech) des noms des descendants de Caïn et de ceux de Seth. Mais observons quels traits ont marqué chacun d’entre ces personnages fondateurs : - Caïn : après la naissance de son fils Enoch, il a créé une ville, La Ville, celle d’ici-bas paradigme de toutes les villes, la ville d’ici-bas par opposition – c’est le terme – à la Ville Céleste, la Jérusalem céleste. - Irad, son petit fils, dont le nom signifie « la ville du témoin » : c’est-à-dire en l’occurrence, « témoin de la gloire de l’homme » ; et l’on pense à la tour de Babel. - Metushaël, le petit fils de ce dernier, dont le nom signifie « la mort de Dieu ». - Lamech, le père de Tubal-Caïn ; son nom signifie « fort », avec la connotation d’« incapable » (on dirait, de nos jours, « grand, fort et bête ! ». C’était un homme qui se vantait de résoudre les questions par la force et la force seulement. - Lamech est l’homme qui a inventé la bigamie (Gén. 4:19) : « Lamech prit deux femmes… », Rashi de Troyes explique : « Telles étaient les mœurs de la génération du Déluge ; l’une pour mettre au monde des enfants ; l’autre pour le plaisir, volontairement rendue stérile… ». Cependant, Tsillah eut des enfants elle aussi… Lamech est l’homme qui a inventé, après la violence sexuelle, la violence – prétexte : il justifie la violence sous le prétexte de protéger ses droits. Dans Gén. 4:23 il s’adresse ainsi à ses femmes : 23 – « Ada et Tsillah entendez ma voix, femmes de Lamech écoutez ma parole, j’ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure. C’est que Caïn est vengé sept fois, mais Lamech septante sept fois ! » Nahmanide interprète ainsi ce poème : « Lamech était extrêmement avisé dans l’exercice de tous les arts. Il enseigna à son fils premier né l’art du pâturage, à son cadet celui de la musique et à son troisième fils l’art de forger des instruments de cuivre et de fer pour en faire des lances et des javelots pour la guerre. Ses femmes eurent peur qu’il ne fût puni pour avoir inventé des instruments de meurtre et de destruction, car elles le virent ensuite suivre les traces de son aïeul meurtrier. Il leur dit alors : ai-je tué un homme par des coups ou un enfant par des blessures comme l’a fait Caïn ? Dieu ne me punira pas, mais il me préservera du meurtre plus que lui. Car la mort provoquée par des coups et blessures est plus féroce que celle provoquée par l’épée ; celle-ci (l’épée) n’est pas la cause de la mort et celui qui la fabrique ne commet point de péché ». Bel exemple de mauvaise foi ! Dans le chapitre 4 de la Genèse, la lignée directe de Caïn se termine avec les enfants de Lamech et il n’en est plus question par la suite. C’est cependant de cette lignée qu’est issue la civilisation humaine. Les noms que nous avons évoqués ne sont pas fortuits : ils ont tous une signification. Un lecteur de la Bible a pu re-traduire sur le mode suivant les versets 19 à 22 du chapitre 4 : « L’homme fort » prit deux femmes : le nom de l’une était « Aurore » et le nom de l’autre « Ombre ». « Aurore »enfanta « Berger » : il fut le père de ceux qui habitent sous les tentes et près des troupeaux. Le nom de son frère était « Musicien » : il fut le père de tous ceux qui jouent de la harpe et du chalumeau. « Ombre », de son côté, enfanta « Forgeron » qui forgeait tous les instruments d’airain et de fer.La sœur de « Forgeron » était « Belle ». Avec ses trois fils, l’on voit se manifester les trois éléments qui prédominent dans la race humaine. On peut, en effet, expliquer la signification de leur noms : Jabal signifie alors « gagner sa vie », « Jubal » veut dire « profiter des plaisirs de l’existence » et Tubal-Caïn « se défendre et attaquer les autres ». Conclusion : la lignée de Caïn, qui se prolonge sur sept générations jusqu’à Tubal-Caïn, montre qu’une culture humaine sans Dieu, issue du meurtre, aboutit au désordre suprême, à la mort. Dieu a créé une nature ordonnée, un Ordre, à l’intérieur duquel il a laissé des espaces de liberté. Certains ont organisé leur espace de liberté en fidélité à l’ordre, d’autres en recréant le chaos. On pense inévitablement à la construction du temple du roi Salomon et à Hiram Abi. C. L’alternative Tout à fait à l’opposé de l’histoire de Caïn se trouve celle de la lignée de Seth. En effet, dans Gen. 4 on lit : 26 – Un fils naquit à Seth aussi, et il lui donna le nom d’Enoch. Alors on commença à invoquer le nom de Yh. La lignée de Seth, contrairement à celle de Caïn, a choisi la voie désignée par Dieu. On peut observer que la Bible précise l’âge des patriarches descendants de Seth (ce qu’elle ne fait pas pour Caïn) ; ces âges sont respectables puisque ces patriarches ont de 365 ans (Enoch qui « disparut car Dieu l’enleva » Gen. 5:24) à 969 ans (Mathusalem). Cela signifie que Dieu leur a accordé une longue vie pour les récompenser de l’avoir bien servi. Cependant cette lignée a fini aussi par se pervertir lorsque (Gen. 6:1-4) « les fils de Dieu s’unissaient aux filles des hommes ». C’est-à-dire lorsque les descendants de Seth se sont mêlés à ceux de Caïn. La suite logique en a été le châtiment de l’humanité par le Déluge et son rachat grâce à Noé, fils du Lamech qui était descendant de Seth et qui a vécu 777 ans. Conclusion : Apparaît là la « Voie substituée », qui tente en quelque sorte de « compenser » la faute. Caïn fut marqué par Dieu (Gen. 4:15,16) et ses descendants directs devaient périr à la septième génération, celle de Tubal-Caïn. Sa lignée mortifère a contaminé celle de Seth. A l’inverse, cependant, Dieu a voulu que la possibilité de rachat de l’humanité demeure et soit transmise par le lignage de Seth, à travers Noé – ce qui nous mène à d’autres degrés en maçonnerie, qui sont hors de notre présent propos --. C’est sans doute à cette perspective très humaine et très contemporaine que fait allusion la mention « les biens de ce monde » liée à l’explication du mot de passe « Tubal-Caïn ». Ajoutons que la crainte et la méfiance qui ont existé et existent encore vis-à-vis de celui qui travaille le métal s’est sublimée dans « l’abandon des métaux à la porte du Temple ». D. La Kabbale Considérons maintenant le point de vue du kabbaliste : « Tubal-Caïn », selon le calcul en mispar qatan, vaut 598, c’est-à-dire 13 comme ekhad (UN) et comme ahava (AMOUR), - c’est-à-dire 4 ou dalet, qui signifie la porte, la porte initiatique. C’est aussi le nombre du tétragramme. - la réponse est semblable avec Shibbolet qui vaut 742. La parenté avec DALET ou le tétragramme fait donc penser à un lien avec l’initiation (1er grade) ; celle avec EKHAD, avec le 3ème grade ; celle avec SHIBBOLET à la notion de franchissement, d’un nouveau pas d’un grade à l’autre. « Tubal-Caïn », selon le calcul en mispar sidouri, vaut 96 ; identique à Adam Qadmon qui est l’archétype de l’homme spirituel ; identique aussi à Masso Ha Bonaim, rejetée par le constructeur (une certaine pierre…). Guy Dahan, dans son « introduction à la Kabbale », dit : « … Après avoir opéré le Tsimtsoum (le big bang) en vue de l’édification du monde, Dieu créa « les Vases ». Les Vases devaient recevoir la lumière dans laquelle la morale prendrait vie. Les Vases les plus proches de la source divine, de nature plus spirituelle, reçurent cette formidable énergie sans dommage. Mais les Vases les plus éloignés, c’est-à-dire les plus matériels se brisèrent, se dispersèrent et parsemèrent le néant en emportant avec eux des particules lumineuses. L’homme, par son travail dans ce monde, s’efforce de rassembler ces particules lumineuses (rappelons-nous la phrase : ″rassembler ce qui est épars″). Cette théorie fut développée par le grand kabbaliste Isaac Louria. Par la création Dieu s’est lié à l’homme ; il s’est engagé dans l’aventure humaine. Si Dieu a besoin de l’homme pour parfaire sa création et son œuvre, l’homme a encore plus besoin de Dieu ». Si les interprétations, en calcul kabbalistique, peuvent nous mener loin, en tout cas, la citation ci-dessus pourrait être le guide de lecture des commencements de l’histoire de l’humanité. E. L’alchimie Tubalcaïn est l’homme de la terre (le minerai) et du feu. Hiram Abi lui-même s’inscrivait dans la lignée des fondeurs et des forgerons. Dès les temps anciens, le métal était considéré comme « vivant » et se transformant. Il est apparu que le feu était le moyen d’une part de « faire plus vite » et d’autre part de « faire autre chose » que ce qui existait dans la nature. Ainsi est apparu l’aspect spirituel venant se surajouter à l’aspect organisationnel du monde. Cette transformation impliquait souffrance de la matière. Mircea Eliade remarque : « les alchimistes ont projeté sur la matière la fonction initiatique de la souffrance ». En ce sens Tubalcaïn, le forgeron, est censé comme ses semblables parfaire l’œuvre de Dieu en rendant l’homme capable de comprendre les mystères. D’où son rôle dans les initiations et les secrets de métier. L’aspect initiatique est donc présent à tout moment ; mais surtout à travers la fidélité, la souffrance, la mort, et la résurrection symbolisant le passage au 3ème grade. F. Conclusion Conclusion finale : nos premières conclusions tentent de résumer ce que le mot « Tubal-Caïn » signifie et symbolise pour nous, maçons. Lorsqu’il est prononcé, il doit de plus évoquer trois leçons : - C’est un rappel de l’histoire des origines, destiné à tenir notre attention éveillée : notre comportement moral doit nous garder de suivre les traces de « celui qui va chercher les moyens de s’approprier la puissance, puisqu’il doit se passer de la Divinité pour maîtriser la connaissance de l’univers de la matière sans se soucier des conséquences ni des aspects positifs ou négatifs que l’on nomme le Bien et le Mal ».Apparaît là de façon éclatante toute la valeur des Landmarks de notre Ordre ; Tubal provient d’ailleurs du terme de la Torah, GUEVUL, qui signifie « limite », et que nous devons toujours garder à l’esprit ; - Dans la perspective de notre Obligation, nous continuons à appartenir à la lignée de l’artisan portant ce nom, possédant la plénitude de son art et donc « orfèvre en la matière ». D’où notre devoir : un maçon ne prendra pas un travail s’il ne se sait pas capable de l’accomplir ; - C’est, enfin, un appel à l’humilité : le Maçon, qui descend d’un tel ancêtre, doit taire son orgueil et toutes les autres tentations, et continuer à travailler à son propre perfectionnement moral. |
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