L'Art
du Trait
En définition
géométrique la
ligne (le trait) est une suite continue de points.
Mon travail de
préparation pour la réalisation de cette
planche a commencé par une
longue ligne ... de
points d'interrogations, ce titre étant, à mes
yeux, à ce moment là, un
trait d'une subtile imprécision.
Depuis, j'ai fait mon mea‑culpa,
d'abord parce que je ne faisais pas de relation directe entre
« l'art du trait »,
le dessin technique et le tracé des plans, (lacune
difficilement pardonnable
lorsque l'on est natif de La Seyne‑sur‑Mer, cité
où le traçage, des coques en
particulier, a été d'une importance historique,
certains navires ne sont‑ils
pas appelés « cathédrales des mers
»).lacune aussi à cause de mon manque de
connaissance sur la longue période de l'histoire de l'art
qui s'étale du «
Moyen‑Age » à la « Renaissance
».
La documentation remise par
certains frères, les conseils donnés par
d'autres, mon travail personnel, m'ont
permis ensuite de mieux cerner le sujet, conscient qu'en 6 ou 7 pages
cela
était une gageure de prétendre le traiter
complètement. J'ai ensuite hésité sur
le choix de mon fil conducteur, s'agissait‑il de développer :
• le
lien
entre la franc‑maçonnerie actuelle que nous vivons (pratique
spéculative) et le
rôle des anciens maçons constructeurs (action
opératoire) dans l'origine de
notre ordre ?
ou
• l'histoire
du compagnonnage à
travers l'évolution du tracé, la construction des
cathédrales et autres
édifices historiques ?
ou
alors
• aborder
plus directement certains
aspects du symbolisme de cathédrales à travers
l'origine du trait pour conclure
autour du concept
« se
construire soi‑même » ?
Ces trois possibilités
paraissant pouvoir s'adapter à une réflexion sur
l'art du trait.
En fait, je n'ai pas
tranché
ces trois chapitres me paraissant difficilement dissociables par
rapport au
thème désigné et pouvant chacun
largement faire l'objet d'une planche séparée.
LE TRAIT
Même si l'art du trait,
tracé
ou art de tracer les plans, a pris son plein essor au moment de la
construction
gothique, il a commencé bien avant. Parmi les hommes
concernés par son
existence le plus connu des historiens est VITRUVE,
précurseur dans l'art de
bâtir et célèbre en son temps (avant
J.C.) pour avoir rédigé « les dix
livres
d'architecture ».
L'art du trait peut être
défini
comme une géométrie descriptive dont la structure
de base est le module.
Tous les tracés
s'inscrivent
dans les formes géométriques
élémentaires : le carré, le
carré long, le cercle,
le triangle. Le fondement du tracé s'appuyant sur le nombre
d'or, la divine
proportion.
Le plan était
établi à
l'origine, à partir du tracé
réalisé à même le sol,
à la chaux (comme le
tableau de loge de nos anciens), à l'aide du compas
(nommé circunus par VITRUVE
et outil du seigneur par les compagnons), de l'équerre (dit
gôma par VITRUVE,
et gnomon par les égyptiens) et de la règle.
L'on taillait sur le lieu
même
de l'extraction (coupe en forêt, carrières de
pierre) tous les matériaux qui
ensuite s'adaptaient rigoureusement les uns aux autres sur le lieu de
la
construction.
L'on ne retouchait sur le
chantier des cathédrales que les pièces les plus
compliquées.
Non seulement on ne
transportait plus par deux fois les déchets
(économies), mais l'on hissait à
des hauteurs impressionnantes de lourdes pièces qui
s'ajustaient facilement.
Grâce à la
pratique d'une
taille précise (conséquence de la
qualité du tracé) la technique est devenue de
plus en plus audacieuse, avec une sécurité plus
grande pour les ouvriers, et
une manutention moins difficile.
Au stade de nos connaissances
actuelles il semble incontestable que VITRUVE soit l'un des premiers
architectes à l'origine de ces progrès
à travers l'utilisation des principaux «
outils » de ce qu'est devenue la F\ M\.
Hormis les parties techniques,
souvent très ardues, que je ne développerai pas
ici, parmi les textes que j'ai
pu consulter de ce génie de l'architecture, il me
paraît intéressant de citer
cet extrait, plus proche de la philosophie que de l'architecture,
à mon avis:
«
Dans l'architecture, comme en toute autre science, on remarque deux
choses : celle qui est signifiée et celle qui signifie.
La
chose signifiée est la chose énoncée
dont on parle, et celle qui
signifie est la démonstration et l'application pratiques que
l'on donne par le
raisonnement soutenu de la science ».
C'est en cela que je
défends
l'idée que ce n'est pas « au pied du mur que l'on
voit le maçon » mais à son
sommet.
En langage plus ordinaire, en
extrapolant quelque peu tout en se limitant au secteur de la
construction l'on
pourrait dire aujourd'hui : un beau discours peut faire illusion, une
construction ne tient debout que si les règles
exposées sont appliquées.
En tant que F\ M\ nous
pouvons nous interroger pour savoir s'il est souhaitable de limiter au
«
bâtiment » ce type pensée, ou affirmer
qu'il est important d'élargir ce
raisonnement à tous les domaines, dans le temple et hors du
temple. ?
Surtout s'il s'agit de tracer
et de construire notre propre temple intérieur en pensant
aux autres.
Même s'il n'a atteint son
plein
essor, de manière lente et progressive, bien
après VITRUVE (mort en l'an 426
av. J .C.) l'art du trait (tracé) est très
ancien, antérieur à l'art roman et
fortiori à l'art gothique.
Pour clarifier mon propos (ces
révisions n'ayant pas été inutiles
pour moi), je me permets certains rappels
(élémentaires sans doute pour certains d'entre
vous) sur ce que l'on appelle «
le style roman » et le « style gothique ».
LES EDIFICES RELIGIEUX
D'abord, il s'agit avant tout
d'une question de « calendrier », de
développement dans le temps, mais aussi,
et cela est le plus important, de modifications
dans les techniques de
construction et la forme des édifices
réalisés.
L'ART ROMAN : sous
cette appellation, architecture, sculpture, peinture, se sont
développés en
Europe du XIeme au XII" siècle du moyen âge
(n'oublions pas que les arts,
la médecine, les sciences ont au moyen âge, comme
de nos jours, existé ailleurs
qu'en occident, et y sont parfois même nés).
Nota ‑ Le moyen âge
étant situé de manière arbitraire
par les historiens de l'an 476 (départ du dernier empereur
de Rome) à 1492
(découverte de l'Amérique)
Il me paraît
intéressant de
rappeler que contrairement aux clichés qui circulent dans le
discours
populaire, le moyen âge est tout le contraire d'une
période d'obscurantisme et
d'inertie.
L'ART GOTHIQUE : domaine
plus centré sur l'art architectural, lui s'est
épanoui dans la suite de l'art
roman à partir du XIIè" siècle est
pendant la période de la renaissance,
période qui a une image beaucoup plus «
intellectuelle » et brillante au sein
du grand public.
Sur un plan plus technique et
conceptuel, il faut savoir que l'art gothique n'est pas une opposition
à l'art
roman, il en est l'évolution.
Il fut l'oeuvre progressive et
lente des facultés collectives des compagnons qui
développèrent leurs savoirs
peu à peu, en les modifiant et en les complétant
principalement à travers la
géométrie descriptive et la « science
du trait ».
La révolution
« du gothique »,
qui s'appuie sur les mêmes principes que le roman, consiste
principalement en
la répartition des charges de la toiture sur des piliers et
non plus sur
l'ensemble des murs alors très massifs, ceci à
partir de la technique des
croisées d'ogives qui permet de répartir les
poussées.
Cette essentielle
évolution des
techniques de construction permet même aux
étrangers à la religion (profanes),
visiteurs d'édifices religieux, de distinguer rapidement
l'art gothique de
l'art roman.
Ce dernier présente des
bâtiments avec des murs épais
consolidés par des contreforts et des voûtes
« en
plein cintre », alors que les constructions gothiques sont
plus allégées, plus
élancées et appellent davantage la
clarté à travers des vitraux, creux et
ouvertures .
Bien entendu, ces explications
sont simplifiées, à usage touristique dirais‑je,
les distinctions dans
l'évolution de ces « arts » sont
largement à compléter pour prétendre
découvrir
le génie des constructeurs et le symbolisme de leurs travaux.
L'art
du trait a largement contribué à ces
progrès architecturaux étalés
sur plusieurs siècles.
Les compagnons ont
été des
éléments déterminants dans la
création, la transmission,des progrès des
techniques qui ont permis ces évolutions.
LE COMPAGNONNAGE ‑ LES
COMPAGNONS
Chacun le sait, le
compagnonnage, qui regroupe les compagnons, est composé
d'associations
ouvrières qui ont pour but le perfectionnement
professionnel, moral et
spirituel de leurs membres. L'affiliation s'effectue par cooptation
après des
épreuves de capacités et l'accomplissement de
certains rites qui lui confèrent
un caractère d'initiation. Les conditions et les dates
d'origines du
compagnonnage varient selon les auteurs :
• Xlè'siècle pour l'illustre frère
Jacques Galliez (33~') ‑ Membre du suprême conseil (ordo ab
chao).
• XIVè"'siècle pour le dictionnaire de
la E.M=Daniel Ligou
Quoiqu'il en ressorte des
discussions des experts sur ses origines et sur son exacte
ancienneté, le
compagnonnage subsiste et, avec la F .‑. M .‑. ,elle est la seule
société
initiatique d'occident qui puisse se réclamer de plusieurs
siècles d'existence.
Egalement l'on peut dire que,
comme pour la F .‑. M:. le compagnonnage deviendra ce qu'en feront ses
membres,
les compagnons en l'occurrence.
Le compagnonnage est porteur
depuis des siècles de valeurs défendues par ses
ouvriers d'élite : l'amitié, la
solidarité, le partage du savoir et sa transmission aux
autres ouvriers (sous
réserves qu'ils en soient jugés dignes).
Tout le monde est à peu
près
d'accord pour affirmer que c'est dans les métiers du
bâtiment : tailleurs de
pierres, charpentiers, serruriers, qu'est né le
compagnonnage et s'est
développé l'art du trait.
La légende les fait
naître lors
du chantier du temple de Jérusalem 900 ans avant J.C.
Cette
permanence des métiers de la pierre s'explique par la
nécessité pour les
Bâtisseurs de se déplacer pour gagner leur vie.
(construction d'édifices
religieux, de châteaux, ...).
La première mention du
« Tour
de France », l'une des obligations du compagnon, date de 1469.
Lors de ces déplacements
« les ouvriers passants », c'est
ainsi qu'ils ont été nommés
à une certaine époque, ont transmis leurs savoirs
et leurs techniques, parmi celles-ci, et pas la moindre, il y a l'art
du trait
qui est mis en évidence dans ce qui est devenu l'art roman
et l'art gothique
cités précédemment.
Dans leur volonté de
transmettre, des écoles de trait ont
été créées par les
compagnons il y a
plusieurs siècles, ce type d'école est devenu ce
que l'on appelle de nos jours
« la formation professionnelle ».
Le compagnon
(étymologiquement
celui avec lequel, l'on partage son pain) démontrait qu'il
ne partageait pas
uniquement sa nourriture, mais aussi ses savoirs et ses connaissances.
Sa finalité
étant de bâtir en
recherchant la perfection, tout en sachant que l'étoile est
difficile à
atteindre.
CONCLUSION
Sinon de la même
manière, en tout cas dans le même
esprit, le Rite Ecossais Ancien et Accepté nous propose de
nous améliorer par
une introspection active mettant à profit la
réflexion sur les symboles, les
mythes et le rituel.
On y trouve des
éléments
empruntés à d'autres ordres, mais la tradition
des bâtisseurs occupe depuis
l'origine une place privilégiée dans notre
pratique maçonnique.
De la même
manière nous devons
être des constructeurs, édifiant en notre moi
intérieur un temple symbolique à
jamais inachevé.
Ceci avec nos propres moyens et
la modestie qu'il convient, mais, comme les bâtisseurs de
cathédrales, en
essayant d'atteindre la perfection qui sans aucun doute recule au fur
et à
mesure que nous avançons.
J'ai dit V\ M\
J\ T\
|