GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 1T/1972 |
Réunir ce qui est épars Au début de la présente année maçonnique, il s'est
déroulé, dans le cadre de la Grande Loge de France, une cérémonie
exceptionnelle dans les annales de la Franc-Maçonnerie universelle. De tous
les continents, un nombre imposant de Maçons sont venus
à Paris pour participer à la célébration solennelle du quinzième anniversaire
de la loge MARTINOVICS, qui porte le numéro 755 dans les tableaux de la
Grande Loge de France, mais travaille en langue hongroise et cultive les
traditions de la Franc-Maçonnerie universelle dans le style de la Franc-Maçonnerie
hongroise. A la suite des événements survenus depuis la guerre, des
centaines de Frères hongrois ont dû quitter
le pays de leurs aïeux. D'autre part, au sein de l'émigration hongroise, nombre d'hommes de valeur, qui cherchaient un
climat dans lequel ils puissent
exprimer leurs idées en toute liberté, sont venus vers la Franc-Maçonnerie et
ont été initiés, soit dans des loges existant dans leur pays d'accueil, soit dans les loges spécifiquement
hongroises, telles que celles qui se
sont créées notamment au Canada, aux Etats-Unis, au Brésil, en Argentine, en Australie, et, en France, au sein de la Grande
Loge de France. Une grande partie d'entre
eux se retrouvèrent donc à Paris, les uns ayant disposé des ressources suffisantes pour entreprendre un voyage
intercontinental, les autres, moins
favorisés matériellement, ayant résolu de venir malgré tout, même au prix
d'emprunts et de sacrifices. *
* * Quelle est donc la force qui poussait tous ces gens,
parmi lesquels des vieux et des malades, à se réunir dans des
conditions difficiles et à parcourir les milliers de
kilomètres qui les séparaient de nous ? Pour pouvoir le comprendre, il faut d'abord
savoir que la Franc-Maçonnerie hongroise, dont ils perpétuent la tradition, a une
histoire extraordinairement mouvementée. Elle a été fondée en 1749, c'est-à-dire il y a un
peu plus de 222 ans. Or, sur ces 222 ans, elle a été plus ou moins
interdite à des titres divers, pendant 120 ans. On ne peut pas prétendre qu'elle ait été foncièrement
bourgeoise. Elle fut même spécifiquement aristocratique, car elle prit ses
racines dans l'entourage libéral de François de Lorraine, époux
de l'Impératrice Marie-Thérèse, reine de Hongrie, Maçon
enthousiaste, qui avait été initié en 1725 à La Haye, par le Pasteur
Jean-Théophile Desaguliers, ce fils d'un pasteur français réfugié en Angleterre et qu'on
reconnaît comme l'un des pères de la Franc-Maçonnerie anglaise,
peut-être même de la Franc-Maçonnerie universelle. Un grand nombre des entreprises intellectuelles et
philanthropiques qui furent tentées ou réalisées dans les
Etats austro-hongrois du XVIII° siècle ont été inspirées par cette maçonnerie. D'autre part, tout en étant issus de très grandes
familles, les officiers hongrois de la Garde personnelle de
l'Impératrice Marie-Thérèse ont été presque tous
francs-maçons. Il nous ont laissé quelques-unes des œuvres les plus remarquables de la
littérature hongroise de ce siècle. Mais l’œuvre la plus notable des Francs-Maçons hongrois
fut la rénovation de la langue nationale. En Hongrie, le
clergé parlait le latin, la haute aristocratie le français,
la noblesse moyenne l'allemand. Il n'y avait guère que .es paysans qui
parlaient le hongrois. En conséquence, cette langue restait assez rudimentaire, celle de
gens peu cultivés. Il était très difficile de s'exprimer en hongrois, faute de
vocabulaire assez étendu. Or un certain nombre
d'intellectuels, écrivains et poètes, francs-maçons dans leur grande majorité,
ont entrepris de créer les mots nécessaires à une plus large expression. La plupart de ces mots
furent adoptés ensuite dans toutes
les classes de la société et des milliers d'entre eux sont encore aujourd'hui
d'usage courant. On a appelé ces intellectuels les « rénovateurs • de la langue hongroise. *
* * Hélas, les temps fastes de la
Franc-Maçonnerie hongroise durèrent peu : elle a cessé ses travaux
une première fois à l'époque même où, en France, la Révolution
changeait de face. Elle n'a même pas été interdite, elle s'est mise en sommeil. Ceux qu'on a nommés, depuis, les « Jacobins hongrois •,
qui complotaient pour le renversement du gouvernement
sous la conduite du Frère Franciscain Martinovics, furent arrêtés, jugés, et
presque tous condamnés à mort et pendus dans un pré en pleine
ville de Budapest, pré qui, depuis cette date est resté « zone non
aedeficenti » sous le nom de « pré du sang ». Il n'est pas étonnant que, malgré la qualité
extraordinaire des personnalités devenues des Francs-Maçons au cours du
XVIII° siècle, la Franc-Maçonnerie ait eu mauvaise presse en pays foncièrement catholique et que, devant des
menaces très concrètes de
représailles, elle ait préféré tomber en sommeil, en un long sommeil puisqu'il dura de 1796 jusqu'en 1869. A cette date fut autorisé le réveil d'une Grande Loge
Symbolique de Hongrie. Mais il est certain que des
Maçons avaient continué à se réunir, pratiquant une Maçonnerie de
la pénombre et du silence. En effet, lors de la révolution de 1848-49, quatre
loges se sont reformées à Budapest qui, bien sûr, une fois la révolution
écrasée, disparurent immédiatement. Comment s'était-il trouvé des frères en
nombre suffisant pour les constituer après une inactivité d'un demi siècle ? On
ne le sait. Ce que l'on sait, par contre, c'est que les chefs de la
révolution qui durent fuir leur pays après l'écrasement de
celle-ci par les troupes autrichiennes et russes
apparaissent presque tous comme Franc-Maçons soit qu'ils l'aient été déjà, soit qu'ils
le soient devenus dans les pays qui les avaient accueillis. C'est ainsi que le grand
chef de la Révolution hongroise de1848, Louis Kossuth, fut initié à
Philadelphie en 1853, avec un certain nombre de personnalités de son entourage. Le
comte Andrassy qui, après la réconciliation nationale de 1867, allait devenir
Ministre des Affaires Etrangères de la monarchie austro-hongroise, reçut la
lumière maçonnique dans une loge parisienne du Rite Ancien et Accepté, rite dont est issue
la Grande Loge de France. On vient de retrouver, dans des archives
malheureusement très lacunaires, l'autorisation d'initier, à titre tout à fait exceptionnel,
dans la même cérémonie aux premier, deuxième et troisième degrés et dans la
Loge Le Mont-Sinaï, n° 6 du Rite Ecossais Ancien Accepté le comte Ladislas
Teleki, envoyé spécial du gouvernement révolutionnaire de Budapest à Paris,
c'est-à-dire le Benjamin Franklin hongrois. En 1863 était constituée à Genève
une loge au titre distinctif d'Ister, nom latin du Danube. Elle était
composée d'illustres émigrés hongrois et elle fonctionna pendant quelques années. Tous ces frères,
personnages de premier plan dans la nation, retournèrent en Hongrie après la réconciliation de 1867. Ils
formèrent alors le noyau des loges
qui, l'une après l'autre, allumèrent leurs lumières et, en s'agrégeant, reconstituèrent la Grande Loge Symbolique de
Hongrie. Une époque féconde, peut-être
la plus féconde, commençait pour la Franc-Maçonnerie hongroise. Au point de vue humanitaire, celle-ci a toujours
cherché à exercer une action bienfaisante
en faveur des éléments défavorisés de la société, dont l'Etat, de structure
féodale, au fond, se désintéressait. Alors, outre les organismes de bienfaisance directement créés par une ou plusieurs
loges, plus d'une centaine d'associations
furent fondées, financées et administrées par des Francs-Maçons hongrois. Voici les noms de quelques-unes d'entre
elles : - Association pour la création de clubs ouvriers ; - Association pour la protection juridique des gens sans fortune ; - Association pour la distribution de pain gratuit ; - Refuge pour enfants maltraités ; - Association pour découvrir et aider les nécessiteux honteux d'étaler leur misère, etc., etc... Hélas ! cette activité si féconde prit fin en 1919. Après
la chute du gouvernement révolutionnaire de Béla Kun,
les troupes de l'amiral Horthy, régent de Hongrie,
occupèrent l'hôtel de la Grande Loge. Les Organisations maçonniques furent
dissoutes, la liste de leurs membres fut publiée et signalée à la vigilance des
préfets. Ce document se révèle aujourd'hui précieux en ce qu'il montre que l'élite
de la société hongroise faisait alors partie des Loges. Fait significatif, un jeune lieutenant du contingent avait
été désigné pour commander le détachement qui gardait
l'immeuble de la grande Loge. Ayant occupé ses loisirs
à lire les livres de la Bibliothèque, il y prit tant d'intérêt que par la suite il
entra en contact avec des Maçons et se fit initier à Vienne en 1924. Ce Frère, le
docteur Kiss-Borlase devait être jusqu'à sa mort, survenue à Genève en 1969,
l'un des membres les plus respectés de la Franc-Maçonnerie hongroise en exil. *
* *
Il se trouve que la
Franc-Maçonnerie autorisée en Hongrie de 1869 à 1919, était restée interdite en Autriche. Les postulants
autrichiens allaient alors recevoir la lumière en Hongrie. La chute de
la double monarchie permit l'érection à
Vienne d'une « GRANDE LOGE D'AUTRICHE «, qui reçut patente de la Grande Loge symbolique de Hongrie juste avant que
celle-ci ne fût interdite à son tour. Dès
lors ce furent les postulants hongrois qui purent comme le Docteur KissBorlase, venir se faire initier en Autriche,
notamment dans les loges hongroises IN LABORE VIRTUS et LABOR . fondées à Vienne par un certain nombre d'entre eux. Il en alla ainsi jusqu'à l' « ANSCHLUSS » de 1938 et à l'apocalypse hitlérienne. En Hongrie même, le régime de l'amiral Horthy tolère
pourtant les activités de bienfaisance des Loges qu'il avait
officiellement interdites. li permit même à celles-ci, en 1929, sur demande américaine, d'envoyer une
délégation à New York pour l'inauguration de la statue de
Louis Kossuth. Aussi bien, deux loges hongroises
s'étaient-elles constituées aux Etats-Unis, ces loges Kossuth et Ehlers,
dont la générosité et l'action sociale exemplaires sont connues des maçons hongrois du
monde entier. Quand prit fin la Seconde Guerre mondiale, les quelques
centaines de Frères qui avaient survécu en Hongrie purent reprendre
possession des ruines de leur Grande Loge et la remettre en état avec l'appoint
de fonds venus du monde entier, notamment de la Grande
Loge et du Grand Orient de France, mais surtout des deux
loges hongroises de New York. La Maçonnerie hongroise connut alors une
brillante, mais brève renaissance. Dès 1948 elle comptait 26 loges et quelque 3.500
membres, quand le régime de Rakosi allait en prononcer la dissolution (1950). Alors, comme en 1920, les
Francs-Maçons hongrois gardèrent le contact entre eux, mais durent limiter
leurs travaux à des activités bienfaisantes, que le gouvernement tolère. *
* * La situation de l'Ordre en Hongrie n'en est pas moins
désespérée, l'impossibilité de recruter paraissant le vouer
à l'extinction. Ce serait pour la nation une perte
irréparable que de laisser disparaître une famille spirituelle de cette valeur. Du moins les Maçons hongrois émigrés ont-ils su préserver
la flamme. Les loges qu'ils ont fondées à l'étranger
ont pour devise celle de la République française :
Liberté - Egalité - Fraternité, Szabadsâg ! Egyenlôség ! Testvériség ! Elles transfèrent régulièrement en Hongrie des fonds
destinés à secourir vieillards, veuves et orphelins. Leur
activité culturelle est également de qualité. Elles n'ont pas
perdu l'espérance. Le jour où le gouvernement hongrois jugera le moment venu
d'autoriser à nouveau les loges, celles-ci disposeront de tous les éléments
nécessaires à leur essor et leur rayonnement. *
* * Sans optimisme excessif
et sans amour-propre qui serait déplacé, la loge MARTINOVICS « est heureuse d'avoir pu maintenir le
.flambeau. Elle en rapporte l'essentiel mérite à la
Grande Loge de France qui contribue ainsi à maintenir dans le
monde entier l'esprit et la culture philosophique d'un François de
Lorraine, d'un Louis Kossuth, d'un Franz Liszt. (Musique : Symphonie de Faust). MAI 1972 |
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