GLDF | Revue : Points de Vue Initiatiques | 1T/1974 |
Allocution
du Nouvel an du
Docteur PIERRE-SIMON Grand Maître de la Grande Loge de France
Or,
pour tous les
Français, pour tous les Européens, mais aussi
pour de nombreux hommes et femmes
à travers le monde, les Fêtes de Noël et
du Nouvel An, cette année, ont laissé
un goût quelque peu amer, malgré les traditionnels
échanges de bons voeux.
Aussi, dans son universalisme, quels sont les bons voeux de la
Franc-Maçonnerie
tout entière et quels sont les vœux du Grand
Maître de la Grande Loge de France
aux Français ? Le
Grand Maître.
— Effectivement, il nous a paru plus
intéressant de transformer nos voeux en manière
de dialogue. Et ce dialogue que
je voulais engager avec vous me parait bien utile pour la
compréhension de
notre Ordre. Pour
un Franc
Maçon, sachez-le, le Nouvel An est le moment opportun pour
le bilan. Ce n'est
pas ale moment où l'on se congratule, mais au contraire,
&est le moment où
le Franc-Maçon dresse son bilan et examine s'il a bien
rempli son rôle. Remplir
son rôle
pour un Franc-Maçon, qu'est-ce ? C'est d'avoir
analysé les objectifs qu'il
s'est proposé librement, de lui-même, en
concertation avec les Frères de sa
Loge et de les inventorier. En réalité il
s'interroge : A-t-il bien vécu sa vie
de Maçon ? A-t-il de l'intérieur
analysé les difficultés qu'il aura
éprouvées
et se sera-t-il projeté au dehors, dans sa vie profane, dans
son métier, dans la
société, dans sa famille ? Aura-t-il
réussi, du premier jour de l'année au
dernier, à être l'homme qu'il était
déterminé à devenir ? En
réalité,
qu'est-ce que pour le Franc-Maçon, le devenir d'une
année à l'autre ? C'est de
contribuer davantage à la promotion du bonheur. Il sait que
toutes les sociétés
se sont fixé pour objectif le bonheur. Comment pourrons-nous
le définir ? Le
sentiment qui accompagne le passage d'une moindre à une plus
grande perfection.
En quelque sorte, pour nous, la recherche du bonheur, c'est le
perfectionnement
constant, quotidien. N.I. — Mais les vœux de la
Franc-Maçonnerie ne
sont-ils pas quelque chose de plus qu'une invocation au bonheur ? Je
m'explique : les
fêtes de Noël et du Nouvel An, avec leur
cortège de personnages mythiques,
leurs rites, leurs références religieuses aussi,
sont de grandes fêtes
symboliques. La Franc-Maçonnerie, puisque le Symbolisme est
son outil de
travail privilégié, interprète-t-elle
de façon particulière la nouvelle
année ? G.M. — Non, ainsi que je vous le disais, la
Franc-Maçonnerie célèbre à
sa façon la nouvelle année, car pour le
Franc-Maçon,
le premier Janvier n'est ni un anniversaire, ni la
célébration de la
circoncision d'un Prophète... pour le
Franc-Maçon, la célébration du Nouvel
An
coïncide, « colle = en quelque sorte, à
la célébration du Solstice d'Hiver.
Vous le savez, ou vous allez l'apprendre bientôt dans votre
Loge, le Maçon est
un homme qui s'accommode d'un seul maître. Le
maître, c'est la nature. Pour
nous, par conséquent, la communion est quotidienne. C'est
notre grand maître,
la nature. Au terme de l'hiver, au solstice d'hiver, quand le soleil
est au
plus bas, quand ses rayons ne dardent que faiblement dans la grisaille
ouatée
de l'horizon, notre terre est arrivée à la phase
où s'achève son repli sur
elle-même. C'est l'instant où elle bande ses
forces, c'est le temps, en quelque
sorte, où elle reprend vigueur. Et c'est finalement un
phénomène cosmique que
nous connaissons bien, que les scientifiques ont très bien
défini dans les
temps modernes nous savons que deux mouvements président
à notre Cosmos :
l'expansion puis la condensation Le
Nouvel An, salué
par la célébration du Solstice, est le point
d'involution extrême de la
nature. Nous
allons
repartir pour l'expansion, c'est-à-dire la reconstruction.
Le Franc-Maçon,
comme la nature, part pour la construction du monde, il met sa
règle de
Compagnon sur l'épaule et s'en va. N.I. — Pour le jeune Franc Maçon
récemment
initié, la recherche constante de la
vérité, cette « marche vers la
Lumière . que
vous évoquiez à l'instant, c'est une voie
difficile et fascinante. Difficile,
parce que la voie est parsemée d'obstacles, mais fascinante,
parce qu'affronter
ces obstacles procède d'un choix conscient. Or,
l'initié dispose d'une seule
arme, à la fois dérisoire et puissante sa
volonté de progresser sur le chemin
du perfectionnement individuel. Mais
ce choix ne le
dispense pas, au contraire, de regarder, . de part et d'autre du
chemin, le
monde qui l'entoure. Or, de nombreux observateurs,
compétents pour en juger,
nous prédisent des jours difficiles : notre
société, dans ses fondements
matériels et spirituels les plus établis, est
aujourd'hui fortement ébranlée
et, même si elle parvenait à résister,
elle demeurerait néanmoins très
sérieusement remise en cause. Alors, pourriez-vous me dire
si cela vous
surprend et surtout quelle réponse la
Franc-Maçonnerie peut apporter à
l'interrogation que suscite cette remise en cause de la
société ? G.M. — Votre question pourrait
paraître
judicieuse si elle ne s'adressait à la
Franc-Maçonnerie. La Franc Maçonnerie ne
peut être désarmée par une remise en
cause, cela simplement en raison de son
principe. La Franc-Maçonnerie est la contestation
permanente. Le travail dans
la Loge, qu'est-ce ? Vous
êtes initié
maintenant depuis quelques mois et peut-être vous
êtes- vous aperçu que ce que
dans la Loge nous recherchons, c'est de ne jamais conserver une
vérité pour
acquise. Ce que nous appelons vérité le lundi n'a
pour nous de valeur que le
lundi, mais le mardi nous remettons ce concept en cause. Et c'est
peut-être là
l'originalité la plus fondamentale, la plus profonde de la
Franc-Maçonnerie.
Vous êtes étudiant, vous avez sans doute connu Mai
1968, vous avez probablement
participé aux réunions qui se
multipliaient dans le monde du travail (à
l'Odéon ou à la Sorbonne) où les
jeunes essayaient de confronter leurs
différentes pulsions, remettant en cause leurs propres
modalités d'existence.
Ils n'ont fait que réinventer, sans en posséder
la méthode, la maïeutique
maçonnique. Les étudiants l'avaient
perçue, de façon sourde, confusément
et
avaient tenté de l'utiliser afin de reconstruire leur monde. La
vérité est
l'objet de notre quête permanente. Alors, disons-le tout
bref, nous connaissons
le leurre de la société de consommation. Vous
avez pris connaissance des
questions mises à l'étude des Loges ; nous avons
toujours répudié le
quantitatif au bénéfice du qualitatif. Pour ce
faire, nous ne nous sommes
jamais référés ni au dogmatisme
religieux intransigeant, ni aux nécessités
technocratiques, encore moins à la dictature
Idéologique et, d'ailleurs, vous
le voyez, elles se sont avérées aujourd'hui
impuissantes. Mais la Loge, elle,
réalise une micro-société, de par son
fonctionnement, de par sa conception.
Elle reproduit le monde du dehors. Tous les Frères qui la
composent viennent y
travailler, de concert, et il se dégage des individus les
aspirations
profondes qu'ils ont puisées chacun dans leur milieu, dans
le monde où ils sont
nés. Aussi, cette prise en considération de
l'aspect qualitatif de la question
fait que nous avons toujours stigmatisé le travail
parcellaire, celui qu'on
appelle encore le travail « en miettes Cette Loge va, par
conséquent, exister
en tant qu'institution non marginale, non contestataire pour le dehors
mais au-dedans
seulement. Culturellement puissante, elle tourne
délibérément le dos au
phénomène contre-culturel. Référez-vous
à la
démographie de ceux qui frappent à notre porte,
vous constaterez qu'aujourd'hui
c'est le monde technologique qui vient à nous ; les jeunes
hommes qui demandent
à être initiés francs-Maçons
sont des hommes qui, ayant vu les Eglises
déshabitées, les partis politiques
abandonnés à eux-mêmes, viennent
à nous
parce qu'ils sentent qu'eux-mêmes, que l'Europe, que le monde
entier, ont soif
d'une philosophie. N.I. — A travers cette réponse
transparaissent
des références à l'idéal
maçonnique traditionnel et permanent, dont les deux
maîtres-mots sont : Fraternité et
Tolérance. Mais ces deux concepts ne
suffisent pas à l'élaboration d'une
philosophie, d'une éthique ou d'une
morale. Et constater l'impuissance des idéologies
contemporaines, explicites
ou implicites, est une attitude qui comporte un prolongement
immédiat : le
jeune Franc-Maçon, parce qu'il est ouvert aux
problèmes de son temps, recherche
au sein de l'Ordre initiatique les moyens de se forger son
idéal, tant au plan
intellectuel qu'au plan spirituel. La FranaMaçonnerie
peut-elle les lui offrir
? G.-M. — La Franc-Maçonnerie peut
les lui offrir,
parce que la Franc-Maçonnerie pratique sa
méthode propre. Fraternité et
Tolérance sont les termes de vous connus parce que,
effectivement, à votre
degré d'Apprenti, ils furent significatifs de
l'entrée en Franc-Maçonnerie.
Mais, vous le savez, le Franc- Maçon est un homme qui
s'élève par degrés ; au
fur et à mesure où vous vous
élèverez par degrés,
Fraternité et Tolérance se
transformeront en deux autres maîtres-mots de même
essence : Amour et
Connaissance. Amour
et
Connaissance, c'est par ces clefs que, dans son année, tout
Maçon réalise trois
catégories de travaux : le premier travail a
nécessairement un impact sur
l'actualité. Par le deuxième nos
Frères sont toujours concernés
philosophiquement, dans le cadre de la morale. Vous savez que ce qui
distingue
essentiellement la Franc-Maçonnerie des Eglises est la
pratique d'une morale,
non point la morale figée mais évolutive. Je suis
convaincu qu'en 1974, ce que
demandent ceux qui viennent à nous, au sortir de leur
Université, de leurs
études de technologie, de I'Ecole Nationale d'Administration
ou de
Polytechnique, est la recherche d'une morale, aspiration conforme
à leur temps
pour ce que l'on appelle : « asseoir son âme ». Alors,
jointe à la
troisième question, question initiatique, nous sommes
à même de jeter les bases
d'une recherche de la Loi Morale Universelle. La
Loi Morale
Universelle, l'Invocation du Grand Architecte de l'Univers, est la
spécificité,
pourrait-on dire, de la Grande Loge de France, ce en quoi elle
participe au
grand concert universel de la Franc-Maçonnerie
Internationale et Universelle.
Tous ceux qui ont franchi cette même porte initiatique
cheminent vers cette
recherche d'une Loi morale universelle, celle-là
même qui devra caractériser
l'an 2000. N.I. — La Franc-Maçonnerie est le
lieu où tous
les individus, quels que soient leur milieu, leur formation, leur
culture,
peuvent non pas faire abstraction de leur identité
au sein du groupe, mais au
contraire consentir à leurs divergences,
c'est-à-dire les admettre, les
tolérer, les confronter, à l'aide d'une
méthode traditionnelle, symbolique et
initiatique, à travers l'étude des grands
problèmes du temps. Cependant, ne
craignez-vous point que les mêmes aspects qui permettent le
perfectionnement
individuel ne deviennent des obstacles dès lors qu'il s'agit
du
perfectionnement de l'Humanité tout entière ?
Autrement dit, comment
concevez-vous le passage de l'un à l'autre malgré
la discrétion dont s'entoure
la Franc-Maçonnerie ? G.M. — Sachez que ce microcosme que
représente
la Loge maçonnique est à l'image de ce que l'on
appelait « l'honnête homme du
XVIII° siècle ». L'honnête homme du XVIII°
siècle, s'il avait pu réaliser une
instruction conforme aux acquisitions de son temps, pouvait construire
cette
petite encyclopédie et pouvait assurer la fonction de
Maître, de gourou.
Aujourd'hui, ce Maître collectif, c'est la Loge, et c'est la
Loge parce qu'elle
est un regroupement de connaissances procédant de
disciplines différentes.
C'est pourquoi celui qui vient frapper à la porte de la
Grande Loge de France,
qui s'intègre par voie d'Initiation dans la Loge,
reçoit l'enseignement d'un «
honnête homme collectif » entité collective, la Loge. En
guise de
conclusion, rappelons que c'est la conscience collective qui oblige
chacun de
nous à nous façonner au dedans afin de se mieux
répandre au dehors. S'il
est vrai,
comme l'a écrit Georges FRIEDMANN, que « la
grandeur de l'homme, son aventure la
plus héroïque serait de devenir un
homme » Il
faut que l'on sache que le
lieu privilégié de cette nouvelle naissance c'est
la Loge maçonnique, c'est la
GRANDE LOGE DE FRANCE. |
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