Obédience : NC | Loge : NC | 27/04/2015 |
L’égalité
contre
l’égalitarisme ?
Qu’il
s’agisse de jeunes animaux ou d’enfants, l’imitation est la voie de
l’apprentissage (éducation de savoir-faire par mimétisme pour les
bêtes,
éducation de savoir-être par transmission de connaissances pour les
humains).
La « mimesis » conditionnerait-elle
une forme d’égalitarisme
en imposant une uniformité des savoirs ? Dans sa forme
évoluée - celle des
sociétés -, « l’égalitarisme identitaire »
se décline de
nombreuses façons : c’est « l’égalité de
nature » (qui
fait que tous les individus d’une même espèce sont créés les uns à la
ressemblance des autres) ; c’est « l’égalité
des sexes »
(qui cherche à contrebalancer les privilèges que le sexe dit « fort »
s’est acquis sur le sexe dit « faible ») ;
c’est « l’égalité
des droits » (qui tente de corriger les inégalités
issues des
distinctions héréditaires et sociales entre citoyens) ; c’est
« l’égalité des chances » (qui vise à
garantir les mêmes moyens
de réussite, quelles que soient les origines des hommes et des femmes),
etc. Ces
compensations d’inégalités - qui
ne sont pas naturelles, mais culturelles – contraignent donc les
individus qui
y sont astreints : l’égalitarisme est l’expression d’une
égalité
forcée ; elle ne s’expose pas comme une réalité, elle s’impose
par
autorité. De ce fait, elle se présente comme une restriction de
liberté. À l’inverse,
la doctrine libérale (« la
main invisible » en économie), en prônant la libre
entreprise et en
revendiquant la liberté totale des échanges, creuse plus profondément
le fossé
qui sépare les riches des pauvres. Pourquoi ? Parce qu’en
refusant
l’égalitarisme, en subordonnant le principe démocratique à une vision
individualiste des rapports humains, elle ajoute
des
inégalités
sociales
aux
inégalités
naturelles
et culturelles. Faut-il donc
revenir à
l’égalitarisme pour éviter les méfaits de l’individualisme ?
Tocqueville
s’insurge, imaginant « sous quels traits nouveaux ce
despotisme pourrait
se produire dans le monde : je vois une foule d’hommes
semblables et égaux
qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et
vulgaires
plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart,
est
comme étranger à la destinée des autres ». Ainsi
l’égalitarisme transforme-t-il
l’égalité en indifférenciation, puis en indifférence. C’est
l’exaltation
de la « mêmeté »
sociale qui fabrique de l’identique, égalisant les êtres et refusant de
discerner la femme de l’homme, deux femmes entre elles ou deux hommes
entre eux[1].
Elle nie les distinctions de nature (et la génétique), les distinctions
de
sexes (et la biologie), les distinctions sociales (l’économie et la
sociologie),
les distinctions
psychiques (la philosophie,
la
théologie et
la
psychologie -
avec leurs approches différenciées)
au
nom
d’idéologies
arbitrairement égalitaires. Si
l’individualisme renforce les
inégalités, et si l’égalitarisme aplanit et nivelle, vers quoi se
tourner ? L’égalitarisme a-t-il tué toute possibilité
d’égalité entre les
hommes ? Non, si l’on
accepte les
spécificités de l’être dans son identification à l’autre : la
distance qui
sépare le « Je » du « Tu »
fait
ontologiquement de l’autre un « autre-que-moi ».
Si nous
avançons ensemble sur le chemin de la vie, nous ne marchons pas dans
les mêmes
souliers. « L’inégalité naturelle ou
physique » nous rappelle
que si nous empruntons tous deux les mêmes voies, nos chaussures n’ont
pas les
mêmes pointures. Mon semblable
n’est pas mon reflet -
sinon il serait ma copie conforme, mon double. Faire de l’autre son
sujet,
c’est le transformer en objet, en miroir de soi-même. Il y perd son
identité. À l’inverse,
n’identifier que les
spécificités de l’être sans son identification à l’autre présente aussi
bien
des dangers à l’égard de l’égalité entre les hommes. En effet, l’éloge
de la
différence met l’accent sur l’hétérogénéité, sur ce qui distingue,
sépare,
divise ; les revendications communautaristes ont beau jeu de
la magnifier,
au nom de « l’égalité entre les
différences » (politiques,
économiques, sociales, culturelles, religieuses, etc.). Par ce biais, « l’égalitarisme
identitaire » fait un retour en force,
collectivisant
l’individualisation au niveau du groupe. La véritable
égalité doit donc
concilier les spécificités de l’être et l’identification à l’autre. Le
célèbre
apophtegme de Saint-Exupéry : « Mon Frère, si tu
diffères de moi,
loin de me léser, tu m’enrichis » n’est pas une ode à
l’individualisme ; ce serait oublier les mots :
« mon
Frère » qui donnent tout son sens à cette
phrase. Le frère, c’est
le pair, celui qui est de la même famille (biologique, spirituelle ou
affective), celui qui me reconnaît et que je reconnais comme mon égal
(dans le
respect de nos différences). Il ne peut y avoir d’égalité au sein d’une
collectivité sans une certaine parité qui préserve à la fois la
singularité des
individus et l’altérité de leurs rapports. Si la réciprocité est la
conséquence
de ce type de relations, l’identité de la personne en est la source. Revenons sur
la notion d’identité.
Paul Ricœur rappelle que « c’est en distinguant qu’on
identifie ». L’identification
se fait par
différenciation. Par exemple, les Francs-maçons se distinguent des
profanes ; mais s’ils se définissent comme des « initiés »,
ils vivent aussi en-dehors des temples. Autrement dit, ils sont à la
fois
identifiés comme « frères » et
identiques à tous les citoyens.
C’est dans cette ambivalence entre identité et identification, entre
ressemblance et différence que l’égalité trouve sa place, en rejetant
la notion
uniformisante d’égalitarisme. Réponse : « Mes frères me reconnaissent comme tels », dit le rituel du grade d’apprenti. Cette phrase
est lourde de
sens ; car elle signifie d’une part que je suis (et que je
m’identifie)
comme Franc-maçon ; d’autre part que je suis identifié comme
tel par
d’autres qui me confèrent cette qualité. Ce lien d’appartenance, s’il
fait
notre différence (vis-à-vis de l’extérieur), désigne de même notre
équivalence
(en interne) : mon identité en tant que personne (« intuitu
personæ ») me singularise dans le groupe identifié
auquel j’appartiens
(les « Francs-maçons »).
L’égalité s’établit dans la parité de
nos rapports : la confrérie m’apporte ses valeurs, je la
valorise par ce
que je vaux. Dans cette équipollence, chacun trouve son
compte : avec
mon « ego », je me positionne –
et ils me positionnent - comme
leur égal. Allons plus
loin. Si je ne les avais
pas reconnus, ou s’ils ne m’avaient pas reconnu comme tel, il ne
pourrait pas y
avoir d’égalité. C’est parce que, des deux côtés, nous nous sommes
acceptés, c’est
parce qu’il y a réciprocité dans nos rapports de parité que l’équation
(du
latin « æquatio », « égalisation »)
peut être
réalisée. Comme en mathématique, dès lors, chaque membre de l’égalité,
définissant l’autre, lui donne son sens. En fait,
l’étymologie latine
attribuée au terme « égal » est « aequus »,
avec les
significations « d’équitable » et de
« juste ». Le principe
d’égalité est donc équilibré par l’idée de justesse et la valeur
d’équité : « Dans le cas des actions justes l’égal,
au sens premier,
est ce qui est proportionné au mérite » édicte Aristote.
« Quand, en
effet, l’affection est fonction du mérite des parties, alors il se
produit une
sorte d’égalité, égalité qui est considérée comme un caractère propre
de
l’amitié. […] Ce n’est que si la bienveillance est réciproque qu’elle
est
amitié ». Il en découle que « c’est la
proportionnalité qui établit
l’égalité entre les parties », poursuit-il. Mais quand la
justesse rend justice
à tous, et qu’elle proportionne l’égalité au mérite de chacun, elle
définit
l’équité. De même que l’iniquité éclaire l’injustice dans les
inégalités, de
même l’équité met en lumière la justice dans l’égalité. Toutefois, « ce
qui fait la difficulté, c’est que l’équitable, tout en étant
juste, n’est
pas le juste selon la Loi, mais un correctif de la justice
légale »
achève Aristote. L’équité serait donc le moyen d’adoucir
les rigueurs de
l’égalité qu’ordonne le Droit. La tolérance
mutuelle est le signe
d’une reconnaissance réciproque de nos différences. En
Franc-maçonnerie, au-delà de
l’amitié même, la fraternité a pour but d’instiller une harmonieuse
concorde
dans les échanges entre les « ego »
et les « alter
ego ». Les travaux
sont ouverts. Sur les
colonnes voisinent des frères de différents rites, de différentes
obédiences,
de différents degrés ; mais tous travaillent au grade
d’apprenti.
L’égalité
maçonnique
célèbre l’équité entre les initiés. Le Surveillant
Ancien, au « Rite
Opératif de Salomon », convie les assistants à
« prêter attention
au Vénérable Maître d’Œuvre pour la deuxième batterie et l’acclamation
du
rite : "Liberté-Équité-Amitié" »… .Pierre
PELLE LE CROISA
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