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Le Príncipe Responsabilité

« Handle so, dass die Wirkungen deiner Handlung verträglich sind mit der Permanenz echten menschlichen Lebens auf Erden. » (Hans Jonas)
« Fais en sorte que les effets de ton comportement soient conciliables avec la pérennité d’une vie authentique sur cette terre. » (Hans Jonas)

Le titre de cette réflexion est emprunté à Hans Jonas. Philosophe allemand mort en 1993, il fut l’élève d’Husserl et de Heidegger. Dès la seconde moitié du siècle dernier, devant l’accroissement exponentiel du développement industriel mondial, il  lance un cri d’alarme : « Quel est le rôle de l’homme dans sa quête du bonheur si pour y accéder il se détruit lui-même ? ». Ici, la « personne » est au « centre du cercle ». La question devient anthropocentrique et l’espèce humaine se trouve ainsi placée devant la mort. Chacun est conscient que la mort est l’aboutissement naturel de la vie, une issue fatale, commune à tous, inévitable. Mais cette fois-ci c’est de mort inconsciente, délibérée, programmée qu’il s’agit. Et Hans Jonas dénonce dans son livre : « le Principe Responsabilité »2, l’absence d’éthique collective de l’espèce humaine face à un développement démentiel et irresponsable d’une quête de l’Homme vers la pratique d’un pouvoir absolu et aveugle, dominant ou ignorant la nature dont il est partie constituant, négligeant par là même de penser à celle-ci comme à quelque chose qui mérite le respect et en dehors de laquelle il ne peut vivre. On découvre effaré que l’homme tue la nature et se tue lui-même. Comme on le verra, le constat lucide de cet état de fait peut conduire à une prise de conscience et à une « résurrection » universelle. Il n’est pas trop tard.

Des spéculations trouvent dans les traditions de l’Antiquité les origines historiques du « mythe de la mort et de la résurrection », pivot de la démarche maçonnique, fussent-elles égyptiennes, sumériennes, grecques, scandinaves, amérindiennes, hindouistes…Pourquoi pas ? Ce mythe se rencontre, il est vrai, sous des formes diverses dans toutes les traditions. Il a toujours traduit la crainte de l’homme devant l’au-delà, son incapacité à donner une explication quelconque au Mystère de Dieu, aussi son espérance eschatologique, une résurrection, un désir de bonheur éternel, une sorte de regresus ad uterum paradisiaque. Transcendance de la mort par l’espérance d’une félicité définitive.

Franc-Maçonnerie et responsabilité

La Franc-Maçonnerie qui est la nôtre fut en relation directe avec les « Lumières » du XVIIIe siècle. Elle contribua à offrir à l’individualité humaine toute liberté d’expression, de pensée et d’action. À travers le mythe d’Hiram, elle place « l’homme nouveau relevé plus radieux que jamais, affranchi d’une mort symbolique » responsable devant lui-même et les hommes. Ici, la résurrection symbolique est celle de l’homme libéré, debout, maître de lui. Chacun comprend que cette renaissance virtuelle de « l’homme nouveau » n’a de valeur que si elle se projette dans celle - réelle cette fois - de celui ou celle que nous sommes au quotidien.

Le XVIIIe siècle a été celui d’un affranchissement, d’une libération, d’une volonté de rupture. Mais la liberté ainsi acquise ne doit pas effacer le sens du devoir, donc celui de la responsabilité. Ce « Siècle des Lumières », qui fut celui de la déclaration des Droits de l’Homme, aurait d’abord aussi pu être celui de Devoirs de l’Homme, les Droits acquis n’étant ici que « salaire » du Devoir accompli.

On remarque aussi que la croissance industrielle moderne commence à cette époque. Elle est le produit d’une recherche scientifique intense, principalement occidentale, qui trouvera à la fois les moyens d’éradiquer le « mal » (p.ex. la recherche médicale) et de détruire le « bien » (p.e. le développement des armements). Les deux guerres mondiales seront à l’origine de l’accélération de ce mouvement. Avec la volonté acharnée d’anéantir l’ennemi, l’Homme se découvrira des trésors d’imagination pour élaborer des moyens de destruction. Mais les avancées technologiques qui en sont issues seront appliquées au progrès scientifique. Dans le même temps, le développement démographique - exponentiel lui aussi - génèrera le sous-développement et la malnutrition qui s’en suit. On croit rêver devant tant d’incohérence, et ce rêve est un cauchemar… Et pourtant les scientifiques, membres de l’honorable « Royal Society » à Londres au Siècle des Lumières - dans leur majorité Francs-Maçons -,3 n’avaient d’autre souci en tête que de libérer l’Homme des chaînes de la soumission et lui redonner sa dignité.

Qu’est que la biosphère ?

Amusons-nous à imaginer un instant que le diamètre la terre soit réduite aux 22 cm. d’un ballon de football. L’épaisseur de la troposphère terrestre à l’intérieur de laquelle se développe la biosphère et au-delà de laquelle toute forme de vie est impossible (+/- 5.000 m.), rapportée à la taille de notre ballon serait alors de 0,78 mm. Dans le sens inverse, la croûte terrestre, toujours comparée à notre ballon de football, au-dessous de laquelle la température empêche toute présence animale ou végétale serait de 1,6 mm. Le cas unique de notre planète bleue - dans l’état des connaissances scientifiques actuel -, astre mineur dans le système solaire, lui-même étoile de faible magnitude dans une galaxie perdue au milieu de milliards d’autres, devrait nous inviter à une grande humilité et à une prise de conscience de la précarité de la vie à laquelle nous sommes tant attachés.  C’est dans l’épaisseur de cette mince pellicule, en effet, que se développe toute forme de vie. La biogenèse initie un processus d’épanouissement perpétuel, ininterrompu, de l’évolution de la vie animale ou végétale et perpétue, en même temps, une constante adaptation aux événements telluriques. Momentanément suspendue aux différentes époques de la vie terrestre par des variations de température, la vie actuelle dépend du gaz carbonique volcanique juvénile et de la lumière solaire visible qui permet la photosynthèse. Tout dérèglement artificiel de cet équilibre engagé il y a quelque 2,6 milliards d’années, et indépendamment des phénomènes naturels, provoque à coup sûr les dysfonctionnements observables de nos jours. La déforestation industrielle - qui n’est qu’un exemple parmi d’autres - accélère le mouvement causal d’enfermement dans ce cercle vicieux.

Qu’est-ce que le « principe responsabilité » ?

« Le Prométhée définitivement déchaîné, écrit Hans Jonas, et auquel la science confère des forces hier encore inconnues et l’économie son impulsion effrénée, réclame une éthique qui, par ses entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l’homme de devenir une malédiction pour lui. » L’éthique est ici placée au centre de la responsabilité. Mais encore convient-il de définir ces deux termes et leur rapport entre eux. Le constat est que nous sommes dans un vide éthique. Un vide qui est en même temps celui de l’actuel relativisme des valeurs. L’éthique ne se concentre plus en effet sur l’acte momentané lui-même dans le respect du droit du prochain qui partage notre vie, mais sur ses conséquences indéterminables sur le devenir de la Société. Elle doit être réinventée à l’aune des risques encourus que l’on commence seulement à anticiper. La responsabilité est par conséquent collective à l’échelle de la planète. Le principe doit en être établi de telle sorte que l’ensemble des nations constituant l’humanité entière y adhère.

« L’enjeu ne concerne pas seulement le sort de l’Homme, dit encore Hans Jonas, mais également l’image de l’Homme, non seulement la survie physique, mais aussi l’intégrité de son essence ». Ce n’est donc plus seulement une éthique de la sagacité, mais une éthique du respect dont il s’agit. La responsabilité de l’Homme doit d’abord le conduire à se respecter, lui d’abord, ensuite respecter l’ensemble de la communauté humaine sans laquelle il ne peut rien, ne sait rien.

L’adhésion unanime des « passagers de la terre », tous solidaires, à cet immense projet de sauvegarde rend nécessaire une douloureuse prise de conscience : celle de la perte d’une partie du confort et des habitudes qu’une minorité de nantis a acquis aux dépens d’une majorité de pauvres. Aussi que ces pauvres, accédant à la consommation de biens matériels à la hauteur de leurs besoins, conçoivent la nécessité de rendre compatibles leurs désirs avec leur survie.

Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Devant la difficulté d’anticiper les conséquences climatiques que l’irresponsabilité humaine amplifie, on doit se contenter de projections hypothétiques des effets finaux probables et de procéder à l’instillation convaincante d’une heuristique de la peur et de la responsabilité qui devrait conduire à l’établissement d’un nouveau concept d’éthique mieux adapté à cette situation nouvelle. L’homme moderne se sent en effet aujourd’hui tardivement « envahi par le frisson de sa propre audace ».

La sonnette d’alarme a été tirée depuis belle lurette par les scientifiques de tout bord sans qu’on puisse, même dans une faible mesure, influer sur la dérive causale des événements qui s’enchaînent les uns les autres et l’exhortation au respect des lois adressée à l’individu n’est plus suffisante. Les limitations de l’augmentation du taux de CO2 dans l’atmosphère sur une période déterminée dans le temps, doit être à la fois économico-compatible, et doit freiner l’irréversibilité du processus de dégradation, car la notion d’espace-temps des séries causales que la praxis technique met en route est largement dépassée. Cependant, la prise de conscience collective des phénomènes aggravants doit d’abord conduire à une casuistique sélective, à un choix qui ne doit pas fragiliser l’équilibre du développement économique entre les nations, comme on vient de le voir, tout en tenant compte de ce qui a été compris par tous devant le panneau : Danger de Mort !

Des instances internationales doivent « prendre les commandes » et entamer le processus d’une transformation des modes d’énergie qui intègre nécessairement des transferts économiques à l’échelle de la planète.

L’impertinence humaine est relativement récente et n’a eu jusqu’à présent, en fin de compte, qu’une faible incidence sur les mutations d’ordre cosmique et le déroulement des phénomènes telluriques. D’aucuns argueront justement qu’à l’époque de Würm, le glacier du Rhône atteignait le lac Léman ; qu’il y a 500.000 ans le Groenland était une forêt et qu’à l’époque, selon les conclusions récentes d’une équipe de chercheurs de l’université de Copenhague aidé par le CNRS en France, la température moyenne de notre cher globe était supérieure de 5° C à celle d’aujourd’hui. On pourrait ajouter que les modifications climatiques sont à l’œuvre depuis cinq milliards d’années et qu’après tout il n’y a pas là de quoi s’affoler ? Sans doute. Mais cette fois l’action conjuguée de plusieurs générations d’irresponsables a largement accéléré un phénomène, après tout naturel. Récemment sensibilisée à l’incohérence de la situation, La « Communauté des Hommes » doit savoir que si elle ne compose pas, elle a perdu d’avance sa lutte insensée contre la terre.

Quelle responsabilité assumer ?  Quelle action entreprendre ?

La question qui se pose à tous est celle de savoir si l’acharnement au « méliorisme » constitue l’enjeu de société majeur des années à venir et à cet égard, notre qualité de Francs-Maçons responsables peut nous conduire à une réflexion commune à l’échelle de l’Humanité. Cette perpétuelle fuite en avant d’une recherche d’un bonheur matériel, justifiée dans bien des cas, exclut sans appel la prise de risques technologiques, car ceux-ci ne sont pas pris dans le but de sauver ce qui existe ou d’abolir ce qui est intolérable, mais dans celui d’améliorer continuellement ce qui a déjà été atteint, autrement dit en vue d’un progrès qui vise à la production d’un illusoire paradis terrestre. Il s’agit donc d’une action collective où les différences de cultures, de régimes politiques, de religions etc., doivent être radicalement éradiquées. Le domaine croissant de l’agir collectif dans lequel l’acteur, l’acte et l’effet sont devenus différents de ce qu’ils ont été jusqu’à présent dans la sphère de la proximité, imposera demain à l’éthique, dans une sphère considérablement élargie à l’échelle de l’universel par l’énormité de ses forces, une nouvelle dimension de responsabilité jamais imaginée auparavant. La finalité de nos démarches est celle de construire un temple non seulement à l’intérieur de nous-mêmes mais de veiller à ce que le Temple de l’humanité dont nous sommes tous responsables ne s’écroule pas sur nos têtes. Nos Frères du XVIIIe siècle avaient contribué à l’apparition de la « Grande Lumière » de l’intelligence et à l’accession de l’Homme à sa dignité. Faisons en sorte d’être leurs héritiers intellectuels et spirituels, chacun dans la sphère de ses responsabilités propres.

Michel WARNERY
 
2 Hans Jonas. « Le Principe Responsabilité » Ed. Champs Flammarion. « Das Prinzip Verantwortung » Insel verlag Frankfurt a.M.,1979
3 Voir « ALPINA » avril 2006 : L’Humanisme et la Philosophie des Lumières.

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